2.3.1. Le syndrome d'insularité
Depuis plusieurs générations, « Les
insulaires s'enorgueillissent de l'oeuvre de colonisation de leur parents,
grands-parents et arrière-grands-parents. C'est l'identité de la
majorité des insulaires : le fait d'être colon de Juan
Fernández. Ce discours s'établit vis-à-vis de leur
relation au continent. Selon cette pensée, les insulaires sont des
héros nationaux qui se sont sacrifiés, tout au long d'une
histoire difficile, pour que les Chiliens puissent dire que ces îles
[...] leur appartiennent. Le continent (tant l'Etat que les citoyens chiliens)
aurait une dette envers les insulaires, ce qui justifie la perception de
bénéfices en rétribution de leurs efforts et non par
charité. Cette perception permet de maintenir une image positive de
soi-même. De cette façon, l'identité servirait, non
seulement à affirmer un sentiment communautaire mais aussi à
maintenir une image positive de soi dans la lutte contre l'isolement insulaire.
Ce discours identitaire assoit un argument de poids (à partir du moment
où il est accepté par l'Etat) pour obtenir des
bénéfices importants qui ont permis une amélioration de la
qualité de vie. Par exemple : le subside de 50% de l'énergie
électrique, des coûts avantageux pour les communications
téléphoniques, des subsides pour le transport maritime, pour le
transport de personnes et de chargement... [...] La logique culturelle
s'articule, depuis ses origines dans une relation de fidélité
culturelle et de dépendance économique avec le continent. Cela se
reflète dans le maintien de certains aspects culturels continentaux
(cuisine, esthétique, musique) et dans l'attitude demandeuse et passive
face à l'Etat, duquel les insulaires exigent des ressources et des
subsides [...]. Dans ce contexte, le discours identitaire sert comme outil
idéologique qui soutient et justifie cette attitude vis-à-vis de
l'Etat. » (Brinck, 2005)
Plus récemment, et au fur et à mesure de la
contraction de la distance avec le continent, l'identité des habitants
se reconstruit sur base d'une opposition entre insulaires et continentaux.
Dans ce contexte de modernisation, le nouveau discours
stigmatise les insulaires (dénommés « endémiques
») et les continentaux et étrangers en général
(dénommés « plastiques »). « Dans ce discours
apparaît quelque chose qui n'était pas présent chez les
générations antérieures. Celui-ci découle de
l'acceptation et de l'identification au statut de Parc national et de
Réserve de biosphère. Ainsi, les insulaires se dénomment
« Endémiques » (les plus sélectionnés de la
nature, qui doivent être protégés) en opposition aux «
plastiques » (tout le côté faux, synthétique,
imitation, éphémère et jetable de la civilisation). [...]
Dans la catégorie des « plastiques », on retrouvera : les
continentaux qui arrivent sur l'île pour le travail mais s'investissent
de façon médiocre, les touristes, les continentaux qui
achètent des terrains, généralement les mieux
situés (cette thématique est très sensible pour les
insulaires : Bienes Nacionales (c.-à-d. le Ministère du
Patrimoine National) n'a pas développé de norme spécifique
pour l'île Robinson Crusoe. Ainsi, les terrains des colons ont
été subdivisés et les habitants paient pour les utiliser).
Comme souvent, les insulaires manquent d'argent pour acheter des terrains, et
comme ils ne veulent souvent pas payer (parce qu'ils considèrent que ces
terrains leurs appartiennent de fait), ce sont les continentaux qui
accèdent aux terres, y installent des projets touristiques ou des
résidences de vacances. » (Brinck, 2005)
Globalement, les discours identitaires (anciens et nouveaux)
se construisent en relation à l'extérieur. Mais, lorsque
l'isolement géographique était plus fort, le discours identitaire
était orienté dans une relation étroite et favorable,
alors que dans le mouvement de décloisonnement et d'insertion dans le
monde globalisé (réduisant l'isolement géographique et
culturel), le discours identitaire s'oriente vers une forme de rejet de
l'« autre », perçu comme facteur perturbateur.
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