2.2. Alphabétisation
Durant le premier siècle après la
dernière colonisation, les habitants étaient directement
dépendants des entreprises qui s'installaient pour exploiter les
langoustes, et ce malgré une administration officielle (d'abord
déléguée au Baron Von Rodt et ensuite à
différents gouverneurs et maires). Ces compagnies exploitaient sans
réserve les langoustes et les pêcheurs. A partir de 12 ans (au
sortir de l'école primaire), les enfants étaient
déjà considérés comme de la main d'oeuvre. Il n'y a
pas eu de développement social durant la période d'exploitation
par les entreprises privées.
« Les compagnies disaient : "Ces enfants ne peuvent pas
étudier parce que ce sont des pêcheurs", ce qu'ils voulaient
c'était des pêcheurs, si la jeunesse partait, les pêcheurs
n'auraient plus personne pour sortir pêcher, alors ils nous retenaient.
» (J. González dans Brinck, 2005)
Les améliorations de cette situation ont
commencé avec la coopérative de pêcheurs et ensuite avec
l'obligation de scolarisation. Aujourd'hui, 98,51% de la population de la
commune est considérée comme alphabétisée (PLADECO,
2005)
2.3. Relations avec le continent et identité
Petit à petit, depuis la dernière colonisation,
les relations avec le continent se sont renforcées et ont
créé une situation de dépendance de plus en plus forte
pour en arriver à une situation où les habitants de l'île
exploitent une ressource unique et importe le reste des produits de subsistance
du continent. Manifestement, la population de Juan Fernández n'est pas
autosuffisante. « Même si les habitants sont obligés de
développer de multiples compétences afin de subsister, leur
dépendance au continent, construite au travers de l'histoire, est
évidente : Le Baron Von Rodt a amené des gens pour établir
une entreprise et vendre ses produits à l'extérieur. Avec les
gains, il obtenait les moyens d'acheter les produits manufacturés et
alimentaires qui n'étaient pas produits sur l'île. [...] Avec le
temps, les habitants se transformèrent exclusivement en pêcheurs
et pêchaient exclusivement la langouste laissant de côté
l'agriculture. Cette spécialisation les a rendus encore plus
dépendants du continent. [...] En étant des pêcheurs de
langoustes, activité qui est jusqu'à aujourd'hui la base
économique de l'île, ils dépendent absolument de la demande
continentale et internationale de ce produit, ce qui les rend aussi
dépendants des va-et-vient de l'économie et de la politique non
seulement continentale mais mondiale. D'un autre côté, le
développement du tourisme génère de nouveaux liens de
dépendance avec les réseaux de communication et l'économie
globale. »57 (Brinck, 2005)
Depuis la fin du XXe siècle, les touristes, les
fonctionnaires publics des différentes entités présentes
sur l'île (Municipalité, CONAF, SAG, police), les employés
des lignes aériennes, l'armée nationale au travers de son
personnel qui transite via les bateaux de communication, l'église
catholique, mais surtout les membres des familles qui ont émigré
sur le continent temporairement ou définitivement et qui maintiennent
des contacts avec l'île sont autant d'agents transmetteurs qui ont
facilité l'adoption de formes de vie continentale. De plus les moyens de
communication (téléphone, radio,...), la télévision
et aujourd'hui Internet complètent la transmission d'expériences
personnelles et transforment les modes de vie.
56 Voir le présent chapitre point 2.3.2. La pêche :
socle identitaire
57 Voir le présent chapitre point 2.5.2. L'option
touristique
La situation d'isolement de l'archipel est donc très
relative, surtout à partir de la deuxième moitié du XXe
siècle.
Ainsi, si les formes d'organisation de la communauté
humaine se sont construites dans un premier temps en réponse aux
conditions d'insularité, elle seront ensuite influencées par la
pénétration directe et indirecte des formes de vie
continentale.
La population de Juan Fernández n'a pas une
identité unique mais « une multiplicité d'identifications
qui s'articulent et s'expriment au travers de différents discours.
» (Brinck, 2005) Cependant, on peut distinguer certains traits directeurs
qui influencent l'identité culturelle, les moeurs et les coutumes de la
population insulaire. Il s'agit d'une part de la condition d'insularité
(et toute l'imagerie collective et la singularité y associée) et
d'autre part de l'espace marin et plus particulièrement la pêche.
Plus tard, les statuts de Parc national et de Réserve de
biosphère viendront renforcer l'imagerie insulaire jusqu'à
métaphoriser les liens entre la population de l'archipel et les
continentaux. Ces nouveaux déterminants, qui mettent la nature au centre
des préoccupations, s'installeront difficilement mais font
désormais partie de l'identité des habitants.
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