1. Réalités du problème de perte de
biodiversité
Au niveau planétaire, l'épisode d'extinction
actuel présente des différences à la fois quantitatives et
qualitatives en comparaison aux épisodes
antérieurs.38
La majeure partie de ces extinctions sont attribuables
à des causes humaines et les estimations et projections du taux
d'extinction pour divers groupes d'organismes donnent des valeurs
supérieures à leur équivalent dans les registres fossiles
(Torres-Mura, Castro et Oliva, 2008). Comme nous avons pu déjà
l'entrevoir, le cas de l'archipel Juan Fernández illustre bien ce
phénomène à une échelle plus locale.
L'archipel est actuellement soumis à de fortes
agressions : non seulement la surexploitation a déjà causé
la disparition d'une espèce d'arbre endémique (le santal de Juan
Fernández, Santalum Fernándezianum), d'une espèce
d'éléphants de mer (non éteinte mais dont la
répartition géographique ne s'étend plus à
l'archipel) et presque celle des otaries. Les captures de langoustes
endémiques montrent une tendance à la diminution, les
transformations dans l'habitat (via les exploitations ou la colonisation des
espèces invasives) endommagent l'ensemble des écosystèmes
et enfin, l'introduction d'espèces exogènes (animales et
végétales) représente un grand danger qui a
déjà laissé des traces profondes. Derrière ces
facteurs disjoints, c'est plutôt la réalité
systémique du problème qu'il est nécessaire de
considérer y compris la place et le rôle de l'homme.
Evoquée dans le chapitre précédent,
l'histoire de l'archipel Juan Fernández est marquée par des
évènements de nature à altérer les
écosystèmes. Depuis 1574, l'implantation humaine a
été le point focal non seulement de l'exploitation des ressources
de l'île, mais aussi d'introduction volontaire ou involontaire
d'espèces exogènes. C'est à partir du village qu'ont
été introduites les chèvres et disséminés
certains arbres fruitiers et autres plantes potagères. C'est aussi du
village que proviennent les plantes adventices qui représentent
aujourd'hui les dangers les plus alarmants (Zarzamora, Maqui
et Murtilla).
Peu de plantes exotiques ont été
observées par Maria Graham en 1823. Lors de la première
expédition botanique (complète) sur l'archipel (F. Johow en
1896), 237 espèces de plantes ont été recensées
dont 95 sont des plantes introduites. Cent nonante espèces exotiques
seront rapportées en 1993 (Matthei, Marticorena et Stuessy, 1993) et 3
ans plus tard, on en comptera 227 (Swenson et al., 1997) (Stuessy et
al., 1998) « Aujourd'hui, il y a 716 espèces qui se
trouvent sur tout l'archipel dont 503 ont été introduites. Soit
en 110 ans, la flore vasculaire de l'archipel a plus que triplé et les
plantes introduites ont plus que quintuplé. Naturellement dans des
îles comme Juan Fernández, une nouvelle espèce
végétale apparaît approximativement tous les 8000 ans. Sur
cette base, la nature aurait eu besoin de 2.696.000 ans pour réaliser ce
que l'homme a fait en 110 ans ! » (El Mercurio, 2005) Du
côté du règne animal, tous les mammifères terrestres
présents aujourd'hui ont été introduits ; comme c'est le
cas de certains batraciens ou d'autres invertébrés (comme la
guêpe ou la araña de los rincones, Loxosceles
Laeta).
Parallèlement, des espèces indigènes et
endémiques disparaissent. Des 137 espèces végétales
endémiques de l'archipel Juan Fernández, 2 espèces sont
éteintes (Santalum Fernándezianum et Podophorus
bromoides), 1 espèce est éteinte dans son habitat naturel
mais existe dans des conservatoires botaniques (Walhenbergia
larraini), 3 sont probablement éteintes (Robinsonia
macrocephalla, Chenopodium nesodendron et Eryngium
sarcophyllum), enfin, Notanthera heterophylla s'est
éteinte en 2003 et Robinsonia berteroi s'est éteinte en
mai 2004 (Danton et Perrier 2004). Les éléphants de mer
(Mirounga leonina) ont aussi disparu des abords de l'archipel et le
picaflor rojo (sephanoides fernandensis) est en danger
critique d'extinction (classé CR par L'UICN).
Si l'extinction est un processus naturel qui exprime
l'incapacité d'une espèce à s'adapter, les êtres
humains exercent une emprise majeure sur le destin des espèces
naturelles. Le cas de l'archipel Juan Fernández illustre remarquablement
bien la rupture d'échelle qui a germé dans un terreau
anthropique. Les tendances actuelles du phénomène de colonisation
par les espèces invasives et les épiphénomènes qui
en résultent sont significatives de l'empreinte de l'homme.
38 Voir Partie 1 - Chapitre II - point 2.2. Disparitions
liées au forçage anthropique
Les activités humaines constituent de loin la plus
grande pression sur la faune, la flore et le biotope de l'archipel, y compris
l'accélération de l'érosion. Etant donné la
position stratégique de l'archipel au large des côtes chiliennes,
les haltes des différents navires ont réduit drastiquement les
populations d'éléphants de mer et d'otaries mais également
épuisé les arbres des forêts primaires dans les zones
basses (utilisés comme bois de chauffage et comme matériau de
construction). Ces pratiques ont laissé de larges surfaces sans
couverture végétale et ont accéléré
l'érosion. << La partie Est de l'île Robinson Crusoe a
été sévèrement déforestée durant le
XVIIIe et le XIXe siècle et est, aujourd'hui,
complètement dénudée présentant peu de terre ou de
végétation mais uniquement une roche volcanique
résiduelle. » (Stuessy et al., 1998) L'action de l'homme
depuis plus de quatre siècles a entraîné la
réduction de nombreuses formations végétales, en
particulier de la forêt primaire. En dehors de l'exploitation des
ressources, comme évoqué ci-avant, les mouvements
continent-îles ont favorisé l'introduction d'espèces
exotiques dans l'archipel, qui pour certaines sont devenues adventices.
Ainsi, au fur et à mesure de l'installation de l'homme
sur l'archipel, de la modernisation et de la multiplication des échanges
avec le continent, ces tendances se sont renforcées et ont
convergé vers les 3 grands facteurs mis en évidence au niveau
global.
|