III - JUSTIFICATION ET
INTERET DU SUJET
Le choix porté sur l'étude ethnosociologique des
institutions scolaires, en l'occurrence les établissements
d'enseignement secondaire de la ville de Yaoundé, va au-delà du
simple fait que les comportements des partenaires éducatifs mobilisent
bien d'attention et occupe peu ou prou le contenu du discours officiel et des
médias de tous les jours. Il s'agit là d'une urgence qui demeure
une des priorités officielles de tous temps. Les comportements de
résistance des acteurs scolaires (enseignants, élèves et
familles), est-il besoin de le rappeler, se vivent avec acuité dans les
espaces scolaires de la ville de Yaoundé. Ils prennent de plus en plus
des proportions grandissantes et tendent à s'opposer à la logique
de l'école considérée ici comme institution fabricant ses
propres normes, ses principes de régulation et de fonctionnement. Ceci
d'autant plus, comme le montrent les analyses institutionnelles, que
l'institution éducative fonctionne sur la base d'un programme
imposé par les instructions officielles, l'emploi du temps, les
contrôles pour ce qui est des relations entre
enseignants-élèves ; la discipline, le règlement
intérieur et la relation dans l'établissement pour ce qui est du
déroulement des rapports entre l'acteur et l'institution ; de
façon générale, entre les partenaires de l'acte
éducatif. C'est donc ce contraste qui, en réalité, est le
point de départ de notre curiosité et nous détermine dans
le choix de mener une investigation sur les comportements de résistance
aux instituions dans les établissements scolaires d'enseignement
secondaire à Yaoundé.
A partir de cette vitrine de résistance, de
stratégies d'opposition aux institutions, il s'agit, non pas comme dans
la perspective des études de la sociologie de l'éducation, au
nombre desquelles s'inscrit notre recherche, de s'aligner derrière les
prises de positions tumultueuses des débats journalistiques, politiques
et littéraires en cours au sein de la classe intellectuelle camerounaise
à savoir que : l'institution-Ecole devrait être ce
creuset, cette matrice, ce moule où s'apprend, en se vivant, la
démocratie qui ne signifierait rien d'autre que la possibilité,
pour chacun, de participer effectivement, personnellement ou par
délégation représentative, à tout ce qui le
concerne et donc d'influencer les décisions majeures qui dicteront ou
commanderont des comportements adéquats (G. Ntebe Bomba,
1991 :14), ni même d'examiner la situation scolaire confinée
sous l'angle des paradigmes holistes de la situation éducative pour
appréhender l'école comme le premier lieu de reproduction des
attitudes de la société globale. Ce qui importe bien plus ici,
c'est de décrire et d'analyser les stratégies et les
résistances mises en oeuvre tant par les acteurs scolaires que par les
élèves et les familles.
A travers une perspective microsociologique, nous entendons
renouveler le regard sur l'école camerounaise, interroger le paradoxe
d'une institution si familière et si complexe. En dévoilant
l'implicite, il ne s'agit pas tant de dénoncer les dérives de
l'école ou du système éducatif camerounais, qu'à
souligner le brouillage des modèles qui lui donne sens. En
s'intéressant au particulier, il s'agit moins de raisonner en termes
d'appareil idéologique, de domination ou de reproduction, mais bien plus
d'une relecture du fonctionnement actuel de l'institution scolaire camerounaise
à travers l'observation des pratiques quotidiennes et à une
conceptualisation conjuguée et articulée.
A la fois située dans le débat majeur qui a
traversé la sociologie traditionnelle de l'éducation de ces
trente dernières années, sur la stratification socioculturelle,
la réussite scolaire et le système éducatif, la
problématique de la reproduction et des inégalités
scolaires se propose de rompre d'emblée avec «les figures
obligées du discours sociologique » pour progresser dans
l'explication sociologique des pratiques, vers l'ouverture de cette quasi-
«boîte noire » qu'est jusqu'ici l'école,
à l'aide des scalpels méthodologiques et paradigmatiques
utilisés dans les travaux anglo-saxons, inspirés par
l'interactionnisme symbolique, la phénoménologie sociale ou
l'ethnométhodologie.
Il n'est plus question alors de débusquer les modes
selon lesquels se réalise une inégalité jouée
d'avance et de dévoiler la méconnaissance ou les
intérêts cachés des acteurs, mais d'étudier
«l'inégalité en train de se faire »,
«en prenant au sérieux la rationalité des
acteurs » et en tentant de rendre compte de la manière
dont, en situation, ils construisent le social.
Une telle considération vise une analyse qui se situe
dans le sillage de la vie quotidienne de l'école, ce d'autant plus
qu'«il est urgent de revenir aux problèmes essentiels de la vie
sans qualité » (Maffesoli, 1985 : 16)
Cette recherche voudrait précisément opter pour
une épure théorique de type interactionniste et
ethnométhodologique pour approcher l'école camerounaise autour de
ce que Goffman nommait «les faits secondaires » qui se
dévoilent comme «l'infiniment petit »,
c'est-à-dire que l'on se situe à la petite échelle de
détails et de banalités des relations interpersonnelles, pour
analyser ce que les gens font, comment ils réagissent les uns aux
autres, comment se modifient les comportements car, le chercheur ne
considère jamais comme connu ou évident tel ou tel
événement, pas plus que l'importance relative de celui-ci. C'est
aux personnes qui sont étudiées d'en décider.
A partir des éléments de ce que Roy appelle
l'«anthropologie du quotidien », nous pourrons ainsi
identifier les «micro-inventions », c'est-à-dire
les procédures, les raisonnements, les pratiques et les bricolages par
lesquels les acteurs construisent le social et produisent au jour le jour, les
normes sur lesquelles repose l'institution scolaire.
Il y a un besoin de saisir les formes particulières
d'«invention du quotidien » (M. De Certeau et
al., 1994) permettant de découvrir le rôle des acteurs dans
la construction d'une nouvelle civilité scolaire. Nous pourrons donc y
voir l'imaginaire scolaire qui s'avère très utile lorsqu'il
s'agit de comprendre ce qui naît en dehors de la
«normativité scolaire ». Mais pouvons-nous
déceler les dynamiques scolaires dans les représentations lorsque
les théories de la reproduction servent d'arrière-plan pour
rendre compte des pratiques quotidiennes et exprimer les représentations
``spontanées'' qu'elles engendrent ?
A ce sujet, il sera davantage question de rompre avec les
analyses qui ramènent toutes les réflexions vers des
considérations macrosociologiques. Nous éviterons
également l'approche simplificatrice de la sociologie de
l'éducation ancienne qui n'accorde qu'une attention distraite aux
interactions scolaires, à la vie quotidienne dans les
établissements scolaires.
Il s'agit pour nous de s'insérer plutôt dans
l'optique de la ``Nouvelle Sociologie de l'Éducation'' (NSE) selon
laquelle la description des comportements en situation scolaire côtoie
les réflexions sur le sens et sur les mutations contemporaines sous le
prisme des relations symboliques dans les interactions quotidiennes.
Ainsi, feront l'objet d'une attention particulière, les
interactions des acteurs scolaires, les stratégies institutionnelles des
professeurs, des élèves et des familles, les perspectives qui
guident leurs actions, les cultures dans lesquelles s'enracinent leurs
conduites. Et en interaction avec les acteurs sociaux, sera décrite et
analysée la manière dont ils comprennent et construisent leurs
pratiques dans le cadre d'étude qui est le nôtre à savoir
les établissements scolaires, dans leur déclinaison
spectaculaire, en tant que ces objets sont doués d'un sens et d'une
puissance participant des terroirs de la socialité scolaire qui
réclament tous les jours, de plus en plus droit de cité.
En choisissant d'orienter cette étude vers la
manière dont les acteurs scolaires interagissent, nous voudrions ainsi
mettre en lumière les formes de déviances ordinaires qui se
développent quotidiennement dans l'interaction avec la production
sociale des normes. Ce déplacement de regard permettra de mettre
à jour le « malaise » des acteurs
scolaires, tiraillés entre idéaux professionnels, injonctions
administratives et tactiques de survie individuelles.
Cette interaction scolaire au «ras du
sol » jusqu'ici sous-estimée, négligée,
ignorée, voire dépréciée par la sociologie
dominante peut être le socle d'analyse pertinente surtout dans le cadre
d'une société marquée par des «liens sociaux en
mutation » (J. Nzhié Engono, 2005 : 131) et par la
crise de tous ordres : politique, économique, sociale et
culturelle.
En tant que lieu d'apprentissage et de socialisation qui met
en relation les individus, l'institution scolaire peut être d'un grand
intérêt dans la mesure où elle permettrait de lire la
situation éducative au Cameroun, à partir d'une faille :
celle de l'interaction symbolique entre les acteurs scolaires. Dans cette
logique, toute une sociologie de l'éducation camerounaise peut se
révéler.
Dans cette société plurielle, l'école
camerounaise peut-elle se poser en cadre d'interaction symbolique ? La
réponse à cette question laisse percevoir la
nécessité et l'importance qu'il y a à orienter
l'étude des institutions scolaires vers l'observation directe des
interactions et activités pratiques et le refus de les évaluer en
fonction de critères et normes extérieures aux situations ou aux
comptes rendus que peuvent en faire leurs protagonistes.
Il s'agit donc, tout d'abord, d'accorder une place centrale
à l'acteur et à son interprétation de la
réalité, au «sens vécu », sans
pour cela s'interdire d'étudier les «motifs
refoulés » des sujets, ni les «fonctions
latentes » ou pour utiliser l'expression la plus courante,
«la dimension cachée » des discours et des
comportements déviants.
L'effort de conceptualisation et la variété de
notions et arguments qui précèdent tendaient à affiner
l'intérêt que nous portons sur l'objet sociologique à
étudier.
Dans le cadre de cette recherche, il s'agit enfin de
comprendre «l'ici et maintenant » sans oublier les
rapports sociaux, les situations singulières, sans les abstraire d'un
espace social et d'un temps plus large, les trajectoires singulières des
élèves, des enseignants et des familles, sans pour autant
atomiser les individus, les caractères spécifiques de
l'appropriation du savoir sans oublier pourtant que le savoir est un processus
et un produit social, plus généralement, comprendre comment
l'inégalité sociale se produit à travers des situations et
des histoires singulières, culturelles et apparemment neutre
socialement.
En somme, à travers une enquête sur la vie
quotidienne dans les établissements scolaires du second degré,
cette recherche tentera d'éclairer le débat politique et
éducatif ; nous entendons interroger cet espace particulier de
l'expérience scolaire au Cameroun dans le sens de sa
fonctionnalité quotidienne en tenant compte du système
d'interaction, c'est-à-dire du contexte économique, politique,
culturel, social...
Après cette présentation, il s'agit maintenant
de situer la méthodologie qui permettra de cerner le
phénomène que nous étudions.
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