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Déviances scolaires et controle social à  Yaoundé: Essai d'approche Sociologique du quotidien des jeunes à  l'école

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par Mahamat ABDOULAYE
Université de Yaoundé I - DEA Sociologie 2009
  

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IV - METHODOLOGIE

La méthodologie comprend à la fois le modèle théorique de la recherche, les méthodes de collecte et d'analyse des données.

IV.1. Insertion théorique

Les cadres théoriques dans lesquels l'ethnographie de l'éducation s'abreuve, se définissent à la fois négativement par leur rejet des approches déterministes et fonctionnalistes héritées de Durkheim et Weber, notamment et affirmativement par l'adoption d'un corpus de concepts édifié sur la prise en compte impérative de l'activité quotidienne. C'est entre ces deux grands paradigmes que s'opère le choix d'une théorie explicative pour aborder le sujet.

IV.1.1. Le «positivisme dogmatique » ou la sociologie des abstractions et de l'homme rationnel

Les sciences sociales «classiques » inscrivent leurs données sélectionnées dans un système d'intelligibilité basé sur la présence implicite d'un certain nombre d'a priori théoriques, l'imposition de cadres logiques au monde réel et l'assimilation des corrélations en véritables causes qui surestiment la qualité ordonnée et déterminée de la vie sociale (Boudon, 1989). Avec la quête Durkheimienne pour percer le fait social dans «ses caractéristiques typiques » (Durkheim, 1973 : 131) ou encore la démarche de Weber pour qui « seule une partie finie de la multitude infinie des phénomènes possède une signification » (Weber, 1965 : 156), la vision sociologique de l'objet typique et pertinent implique un tri radical entre ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas. De plus, il est impératif de regarder l'objet en tant qu'il est homogène c'est-à-dire partagé par les membres du groupe ou de la collectivité.

Les faits sociaux sont constitués selon Durkheim par «les croyances, les tendances, les pratiques du groupe pris collectivement » (Durkheim, 1993 : 9). Ces faits sociaux considérés «comme des choses » (ibid.), c'est-à-dire «détachés des sujets conscients qui se les représentent » (ibid. : 28) sont même doués « d'une puissance impérative et coercitive en vertu de laquelle ils s'imposent à lui (l'individu) » (ibid. : 4). Par ailleurs, les conduites des personnes sont placées sous les signes de la rationalité et de la régularité. Nous avons à faire ici à un homme « qui délibère et qui choisit entre les valeurs en cause, en conscience et selon sa propre conception du monde » (Weber, 1965 : 123). Dans cette vision, la raison des hommes prédomine même si, Weber s'objecte au moins deux contre-arguments. Il est bien sûr question ici des comportements traditionnels et affectuels « situés absolument à la limite, et souvent au-delà, de ce qu'on peut appeler en général une activité orientée significativement » (Weber, 1971 : 22).

La seconde auto-objection concerne l'état de conscience dans lequel une activité se déroule concrètement, non pas en pleine conscience et clarté, mais «dans une obscure semi-conscience ou dans la non-conscience » (ibid. : 19). Et si Weber se défend d'un « préjugé rationaliste » et revendique seulement « un moyen méthodologique » (ibid. : 6), le parti-pris rationnel prend le dessus :

« La façon la plus pertinente d'analyser et d'exposer toutes relations significatives et rationnelles du comportement, conditionnées par l'affectivité et exerçant une influence sur l'activité, consiste à les considérer comme des ``déviations'' d'un déroulement de l'activité en question construit sur la base de la pure rationalité en finalité » (ibid. : 6).

Bref, force est de constater que cette sociologie décrit des types généraux et des hommes moyens, rationnels, déterminés par des faits sociaux.

IV.1.2. Le jeu possible dans les limites, selon Bourdieu

Pour l'auteur, il n'est pas plus question de considérer les pratiques comme une reproduction automatisée du système, «une réaction mécanique directement déterminée » (Bourdieu, 1972 : 178). La médiation de l'habitus est introduite en tant qu'ensemble de dispositions produit à partir des conditions sociales et productrices de pratiques. L'objet sociologique, collectivement partagé, résulte de la dynamique entre trois niveaux : les pratiques telles qu'elles sont générées par l'habitus tel qu'il est lui-même produit par les structures objectives. Cette dynamique rendue possible par l'habitus défini comme «principe générateur durablement monté d'improvisations réglées » (ibid. : 179) autorise les stratégies possibles de l'individu à partir de ses dispositions acquises socialement : capacité d'invention, sens du jeu, logique de l'à peu près ou du flou...

D'une certaine façon, l'individu éliminé par le structuralisme est réintroduit par Bourdieu non pas vraiment en tant que sujet mais en tant qu' «agent agissant » (Bourdieu, 1987 : 23). Au final, les idées sociologiques de Bourdieu proposent contre la vision d'une totalité collective indépendante des individus, une théorie du mode de génération des pratiques qui restent toutefois enfermées «dans des limites inhérentes aux conditions objectives dont elles sont le produit et auxquelles elles sont objectivement adaptées » (Bourdieu, 1976 : 18).

IV.1.3. La sociologie du quotidien : vers une approche intégrée du social

La sociologie du quotidien a pris son essor dans les années 60 et s'intéresse à la manière dont les individus mènent leur existence au jour le jour, aux temporalités qui organisent la vie sociale, aux modes de réalisation des unités sociales, aux façons dont les individus s'associent (Akoun et Ansart, 1999 : 562). Les divers cadres théoriques qui servent de référence à la sociologie de la vie quotidienne se fondent sur le postulat «de la non réductibilité de l'acteur aux lois du système » (Berthelot, 1990 : 80). Du reste, deux approches théoriques ont été retenues pour la saisie et la compréhension du sujet. L'interactionnisme symbolique d'une part, et l'ethnométhodologie d'autre part.

IV.1.3.1. L'interactionnisme symbolique

Le terme interactionnisme symbolique (symbolic interactionnism) est attribué à Herbert Blumer. Celui-ci appartient à la seconde génération de l'Ecole de Chicago, dont il va, avec Everett Hugues, perpétuer la tradition.

Celle-ci recouvre à la fois les enseignements de Thomas et de Park1(*) et ceux d'un philosophe, Georges H. Mead (1965) privilégiant, dans la construction de la personnalité et des rapports sociaux, les communications interindividuelles. Entre 1930 et 1940 sera formée au département de Chicago une nouvelle génération de sociologues, notamment Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss..., dont les oeuvres, à partir de la moitié des années 50, construiront le courant moderne de l'interactionnisme symbolique (Berthelot, 1991 : 96). L'approche interactionniste symbolique, postule qu'il existe bien un ordre culturel normatif, mais celui-ci est intériorisé par les individus dans un processus d'interaction qui les conduits à construire leur identité. L'interactionnisme refuse une conception hypersocialisée de l'homme et insiste sur l'autonomie dont disposent les individus. La société est dont envisagée comme un ordre interactionnel.

Dans une déclaration princeps de l'interactionnisme symbolique, Blumer soutient que l'homme ne réagit pas aux choses, mais au sens que ces choses prennent pour lui. L'individu vit dans un environnement symbolique et pas seulement naturel. Rien n'est donc accessible au sociologue s'il ne pénètre dans cet univers de sens. Mead parle de «symboles signifiants» (Mead, 1963), dans la mesure où deux ou plusieurs acteurs lui accordent une même signification. Il ne s'agit pas de retracer dans le cadre de ce travail, les grandes orientations de l'interactionnisme symbolique à partir des travaux de George H. Mead, d'Herbert Blumer ou d'Howard Becker, mais de toujours reconnaître dans l'interaction de personnes, une «vision du monde » et un certain degré de liberté. Le sujet n'est pas un être sous totale influence, parfait dans son adéquation au réel social ou dans son rejet. La réflexivité, qui suppose un jeu plus subtil, n'implique pas d'abord un acte intellectuel, mais un sentiment d'existence, permettant de faire de l'humour, de tourner en dérision, et en même temps de s'impliquer sérieusement dans ce qui se passe.

Pour Simmel (1986), l'individu, toujours en quête d'un accomplissement, n'est pas un être amorphe qui n'est informé que par le social. Son agir fondamental réside dans la recherche tâtonnante d'un sens, dont on ne peut délimiter le contenu à l'avance. Très souvent, il reconnaîtra après coup que ce qu'il a découvert était vraiment ce qu'il cherchait. Ainsi se crée un jeu de connivence et de distance entre l'individu et le social.

Si notre société légitime essentiellement des pratiques de sur-représentation de l'ordre (classements, performances, évaluations, etc.), l'autre force en oeuvre dans la compréhension de l'entreprise d'éducation des corps vivants est celle qui le désorganise et prend en compte la part irréductible du désordre qui l'anime (Balandier, 1988). Ce qui suppose des focalisations sur des détails, des événements, des jaillissements, des improvisations, des transgressions comme autant de modes d'opérations ou schémas d'action occultés par une rationalité désormais dominante dans nos sociétés qui se complexifie et réoriente les liens sociaux au jour le jour. Ceci est rendu possible par le quotidien qui « s'invente avec mille manières de braconner » (De Certeau, 1990 : XXXVI). Ces manières de faire permettent aux individus de se réapproprier l'espace organisé par les techniques de la production socioculturelle. Elles posent des questions analogues et contraires à celles que traitait Foucault dans son ouvrage Surveiller et punir (1975). Analogues puisqu'il s'agit de distinguer les opérations quasi-microbiennes «qui prolifèrent à l'intérieur des structures technocratiques et en détournent le fonctionnement par une multitude de tactiques articulées sur les détails du quotidien » (ibid. : XL). Contraires, puisqu'il ne s'agit plus d'identifier comment la violence de l'ordre se mue en technologie disciplinaire mais « d'exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus pris désormais dans les filets de la surveillance » (ibid. : XL). Dans le quadrillage d'une économie, ces pratiques d'appropriation considérées comme des indicateurs de créativité se condensent dans une marginalité qui « n'est plus celle de petits groupes, mais une marginalité massive » (ibid. : XLIII). Tout cela donne la possibilité de croire fermement à la liberté buissonnière des pratiques comme autant de micro différences là où tant d'autres ne voient qu'obéissance et uniformisation. Tactiques silencieuses et subtiles qui s'insinuent dans l'ordre imposé, le détournent comme autant de ruses et de parades venues « d'immémoriales intelligences » (ibid. : XIV), enracinées dans le passé de l'espèce, dans les lointains du vivant. Ces performances opérationnelles relèveraient de savoirs très anciens, nommés métis par les grecs. Bref, comme le dit si bien De Certeau,

«Mille pratiques inventives prouvent à qui sait les voir, que la foule sans qualité n'est pas obéissante et passive, mais pratique l'écart dans l'usage des produits imposés, dans une liberté buissonnière par laquelle chacun tâche de vivre au mieux l'ordre social et la violence des choses » (De Certeau, 1990).

Ces mille pratiques, comme nous le verrons par la suite, jaillissent durant le cours, vécu par les élèves à la fois comme moment d'imposition d'un ordre pédagogique rationnel, technique, sérieux, et en même temps, espace de liberté pour des corps hédonistes, des vagabondages corporels.

A rebours donc des analyses notamment de la sociologie des inégalités scolaires qui se contentent de penser le système éducatif comme une «boîte-noire » qui produit la reproduction, l'analyse interactionniste peut être d'un apport capital pour forcer l'entrée dans la boîte afin de saisir de manière concrète et par l'analyse des interactions, le processus à l'oeuvre dans les établissements scolaires d'enseignement secondaire.

Il s'agit dès lors de prendre en considération dans le cadre de cette recherche la situation vécue des institutions scolaires camerounaises, sa dramatique même, et plus encore ses composantes et ses à côtés.

L'objectif de cette approche vise à voir quelles sont les procédures par lesquelles les acteurs scolaires analysent, inventent, réalisent leurs interactions, et comment ils définissent leur situation et génèrent ainsi en permanence leurs activités communes (Coulon, 1987, cité par Beitone et al. 2000 : 113).

En somme, cette recherche entend focaliser les investigations sur la simple banalité quotidienne, sur les faits familiers, anodins, sur tous ces «petits riens » ou encore sur tous ces «poubelles de la réalité sociale » qui font la trame de l'existence communautaire des acteurs éducatifs (et qu'ils ne perçoivent pas toujours) mais qui, en transparaissant d'une manière parfois sporadique, sous-tendent de formes significatives de socialité scolaire grâce auxquelles ils construisent leur histoire de tous les jours, dans un présent toujours réinventé (J. Nzhié Engono,  2001 : 72). Tant il est vrai que la tâche de la sociologie est, non pas d'entretenir les constructions sociales, mais bien d'observer la création permanente des normes, les rationalités des agents et les méthodes par lesquelles ils définissent leur situation.

IV.1.3.2. Le détour par l'ethnométhodologie

L'ethnométhodologie est un courant de sociologie qui s'est développé pendant les années 1960 dans les Universités de Californie à partir de l'enseignement dispensé par les deux principaux chefs de ce courant : Harold Garfinkel et Aaron Cicourel. Le terme d'ethnométhodologie a été utilisé pour la première fois par référence à ce que l'on appelle l'ethnoscience, vocable qui désigne les méthodes et les savoirs profanes utilisés par les gens pour gérer leurs pratiques sociales. L'ethnométhodologie est l'un des courants sociologiques qui pousse le plus loin la mise à distance nécessaire à l'appréhension des « allant de soi » comme résultats d'une construction sociale déterminée (Berthélot, 1991 : 103). Elle n'est pas, est-il besoin de le rappeler, une méthodologie spécifique à l'ethnologie, mais une approche sociologique qui permet d'interroger du dedans l'arbitraire ou dans les termes ethnométhodologiques, l'indexicalité des manières d'être et de faire des membres d'une société donnée.

A l'opposé de Durkheim, les ethnométhodologues postulent que les faits sociaux sont les produits «de l'activité continuelle des hommes, qui mettent en oeuvre des procédures, des règles de conduite, bref une méthodologie profane qui donne sens à ces activités. » (Coulon, 1993, cité par Ruano-Borbalan, 1998 : 87).2(*)

Dans cette perspective, la réalité sociale n'est donc pas une réalité préexistante, elle est créée en permanence par des acteurs à travers des accomplissements pratiques, c'est-à-dire des activités quotidiennes qui se déroulent en continu. Par conséquent, le seul objet de la sociologie est l'étude des ethnométhodes, c'est-à-dire «des méthodes ordinaires, indigènes, quotidiennes, mises en oeuvre par chacun pour donner un sens aux situations » (de Queiroz et al, 2000 :112). Cette préoccupation de la sociologie pour le champ essentiel du social qu'est « le quotidien », ce retour sur la vie de tous les jours se justifie tout d'abord par le fait que :

« La vie sociale qui est le lieu scénique de toutes les relations sociales et les rapports sociaux, autrement dit, de la dynamique sociale, reste « d'emblée quotidienne » ; ensuite parce que, de façon conséquente cette vie sociale, en se fondant ainsi sur le quotidien - qui est « ce qui fait la trame de l'existence journalière, les ris et les pleurs, les émotions et les silences, les routines et les inventions, cette « condition humaine » qui est le lot commun des uns et des autres » (J. Nzhié Engono, 2001 :71)

Cette méthodologie profane que Garfinkel a appelée «raisonnement sociologique pratique », permettra, de saisir les interactions entre les acteurs sur la scène sociale. Nous nous intéresserons ici au sens de ces interactions scolaires en essayant de replacer les comportements dans les stratégies des personnes en situation. L'analyse de l'interaction se doublera par conséquent d'une analyse de la situation, c'est-à-dire du contexte dans lequel cette interaction prend place. Aussi ferons-nous référence à l'analyse constructiviste dans son approche boudieusienne, afin de saisir «la genèse sociale d'une part des schèmes de perception, de pensée et d'action qui sont constitutifs de (...) l'habitus, et d'autre part des structures sociales, et en particulier des (...) champs et des groupes » (Bourdieu, 1987 : 147). Selon la vision constructiviste, les réalités sont appréhendées, non pas comme des produits de l'extériorité ou de la contrainte mais comme constructions historiques et quotidiennes des acteurs sociaux individuels et collectifs. Ceux-ci, comme le souligne Norbert Elias, loin de subir les faits sociaux, participent plutôt, comme sujets et non comme objets, à travers les pratiques et les interactions de la vie quotidienne, à la production, à la reproduction, à l'approbation, à la transformation, à l'invention des formes sociales (Elias, 1991, 1993, cité par Nga Ndongo, 2003 :40). Il s'agit dès lors, au travers de cette approche, de voir comment les interactions scolaires sont déterminées par une double dimension objective et subjective.

Ainsi le choix de cette approche s'inscrit-il dans la mouvance des esprits qui voudraient faire réapparaître le sujet face aux structures et aux systèmes, la qualité face à la quantité, le vécu face à l'institué (Balandier, 1983). La sociologie du quotidien nous permettra de découvrir à partir d'un effort de compréhension la signification que les acteurs scolaires assignent à leurs actes.

C'est donc cette vie banale dans les établissements d'enseignement secondaire, avec sa part de théâtralité, ses enjeux, ses émotions partagées, pour être plus précis, ce «monde intersubjectif de la vie quotidienne » (Schütz, 1986 :183), qui tend à occuper dans les recherches sociologiques une place qui fut un temps tenue par la communauté3(*), que la sociologie du quotidien entend rendre compte.

V - COLLECTE DES DONNEES

Pour mener à bien le travail d'observation, un champ d'analyse et une unité d'observation ont été circonscrits, des instruments de collectes de données ont été définis.

V.1. Champ d'analyse

Les investigations qui seront entreprises dans le cadre de cette étude portent sur les stratégies de résistance et les pratiques déviantes de personnes en situation scolaire et couvrent la jeunesse scolaire d'enseignement secondaire de l'espace éducatif national, à savoir les lycées et collèges publics de la capitale politique du Cameroun, Yaoundé. Parce que les interactions élève-institution scolaire se déroulent autour des établissements scolaires, ceux-ci sont pris comme terrain d'enquête. Leur position dans la capitale politique, fait d'eux, des établissements symboliques. Le caractère symbolique de ces établissements résulte du fait qu'ils sont situés en zone urbaine dotée d'une hétérogénéité culturelle. La ville draine une mosaïque de populations venues de tous les horizons du Cameroun. Il y a donc une sorte de brassage culturel et une représentativité plus grande de presque toutes les couches sociales, ethniques et culturelles du Cameroun

Au sein des établissements ici concernés, il existerait donc entre les individus, des échanges interpersonnels, interculturels et intra culturels susceptibles d'engendrer de nouveaux modèles comportementaux et l'ouverture à une autre manière de percevoir les attitudes et les comportements déviants à l'école qui sont vivement réprimés.

Notre unité d'analyse qu'est l'école, en tant qu'établissement, peut donc être saisie comme lieu indiqué d'interactions sociales dans la classe, des incidences perturbateurs, des stratégies et pratiques des élèves, des professeurs et des parents sociaux.

V.2. Échantillon de l'étude

Cette recherche ne s'inscrit pas dans la perspective légitimant le recours aux inférences et aux corrélations statistiques ; il s'agit davantage d'approfondir la connaissance des interactions scolaires car, « les faits sociaux sont des accomplissements pratiques ». « La conviction centrale des études constitutives de l'école est que les « faits sociaux objectifs », tels que l'intelligence des élèves, leurs performances scolaires, ou comme l'organisation de la classe, s'accomplissent dans les interactions entre enseignants et élèves, proviseurs / directeurs et enseignants, les familles et l'institution scolaire...

Il n'est plus utile de tenir compte de la représentativité de l'échantillon ou de prévoir un nombre important de répondants

«Lorsqu'on utilise ces méthodes non standardisées, entretiens non-directifs ou entretiens structurés [comme c'est le cas ici], il est utile d'interroger un très grand nombre de sujets. La lourdeur de l'analyse rend difficile l'exploitation systématique d'un nombre important d'entretiens » (Ghiglione et Matalon, 1991 : 50).

Dans cette perspective,

«Essayer de constituer un échantillon `'représentatif `' de la population étudiée n'a guère de sens puisque, de toute façon on ne fera pas d'inférence globale (...) Ce qui est important, c'est de s'assurer de la variété des personnes interrogées, et vérifier qu'aucune situation importante pour le problème traité n'a été omise » (Ibid. : 51).

Le phénomène étudié ici fait ainsi intervenir des acteurs divers de la communauté éducative : les élèves, les enseignants, les dirigeants, les personnels administratifs d'appui, les parents d'élèves, les milieux socioprofessionnels.

V.3. Les instruments de collecte des données

Par volonté d'une requête systématique des faits pour cette étude, à savoir le recueil des informations sur la vie quotidienne dans les établissements d'enseignement secondaire, ainsi que les stratégies institutionnelles des enseignants et des élèves, les perspectives qui guident leurs actions, les cultures dans lesquelles s'enracinent leurs conduites, nous utiliserons, pour collecter les données, les techniques classiques dans les sciences sociales (Laburthe-Tolra et Warnier, 1992 : 372) : l'observation participante, l'observation directe, l'observation documentaire, les conversations de terrain, l'entretien non structuré.

L'observation participante est au coeur du dispositif de la recherche ethnographique en général (en ethnologie comme en sociologie). Les conversations spontanées de terrain, d'une part, les entretiens, plus ou moins structurés, d'autre part, sont des techniques complémentaires.

· Les conversations de terrain

Le sociologue ou l'ethnographe rencontre les gens, parle avec eux, se mêle à leurs conversations, interroge parfois, demande des éclaircissements après avoir assisté à un événement particulier (une leçon de classe, un rituel...). Ces demandes d'informations prennent en général la forme de conversations banales. Car, au début d'un travail de recherche, dans une institution notamment, on a continuellement besoin d'information du genre : `` où puis-je obtenir telles informations ? Dans quelles conditions ? Auprès de qui ?

· L'entretien non structuré

Le présupposé fondamental de l'entretien non structuré est que sa dynamique interne, son déroulement libre, va faire surgir une vérité. Ce déroulement va déterminer aussi les questions de l'enquêteur : il devra se laisser porter par le fil de conversation. Alors que dans la situation générale d'observation participante, la situation à explorer est déjà structurée, dans l'entretien ethnographique, il y a mise en place d'un dispositif particulier de rencontre, qui est le dispositif propre à l'entretien, et c'est à l'intérieur de ce dispositif construit que nous avons tenté de lasser jouer la spontanéité de l'enquêté.

Dans la perspective ethnographique qui est la nôtre, les conversations sont tenues, pour reprendre Wood (1986), au sein des établissements, dans la rue, au terrain des sports, pendant les périodes de classe, en récréation, aux heures de pause, à la fin d'une journée de cours. Et cela va des bavardages en salle des professeurs ou au bar du coin jusqu'aux discussions ad hoc à propos d'événements immédiats (une leçon qui vient de s'achever, une initiative récente en matière de politique éducative, tel problème de discipline avec les élèves) jusqu'aux échanges avec les élèves pendant la recréation ou dans les cantines. Il y a eu aussi les entretiens organisés par avance, ceux-ci avaient plutôt un caractère plus formel.

· L'observation directe à l'école

Les techniques d'observations directes sont des modes d'enregistrement, par notes descriptives ou analytiques, d'actions ou d'observation perçue sur le terrain dans un contexte naturel (Nga Ndongo, 1999 : I ; 300) comme le souligne Durand et al ; l'observation

« Demeure souvent un préalable obligé pour construire une bonne enquête par entretiens ou par questionnaire (...) les techniques d'observation se rapprochent finalement du travail ethnographique qui requiert une longue familiarité avec le terrain, la prise de notes, l'attention à l'imprévu, la constitution d'une grille d'observation afin de classer les données » (1994 :307)

Il sera donc mis à profit le produit des observations effectuées dans les établissements scolaires où sont mis en oeuvre les faits banals, les ``adaptations secondaires'' susceptibles de contribuer à la construction des faits éducatifs, des phénomènes de déviance scolaire, dotés d'une signification, et permettant d'identifier les stratégies et les résistances déployées non pas seulement par la jeunesse scolaire, mais aussi par les enseignants ou encadreurs et les familles.

Cette observation permet de mieux cerner la façon dont professeurs, élèves et familles vivent et interprètent les processus scolaires.

· L'observation documentaire

L'utilisation de matériaux écrits est un complément utile de l'observation. On peut considérer certains documents comme des instruments quasi-observationnels prenant la place des chercheurs sur les lieux ou dans les temps où il est difficile, voire impossible, d'être présents en personne. Parfois même, ils peuvent constituer le corpus de données le plus important pour une recherche.

Cette observation s'avère ainsi nécessaire, car elle permet de tirer, des documents de diverses natures, les informations relevant des messages émis par les acteurs sociaux impliqués dans l'interaction scolaire.

- Documents officiels : ce sont les extraits de règlement intérieur des établissements, la loi d'orientation de l'éducation au Cameroun, les résolutions des états généraux de l'éducation, les registres, les emplois du temps (horaires), les documents confidentiels concernant les élèves, les manuels scolaires, les périodiques et les revues, les émissions radiophoniques, les archives et statistiques, les tableaux d'affichage, les lettres officielles, les documents d'examens, les fiches de travail, ...

Les extraits de règlement intérieur des établissements, la loi d'orientation de l'éducation au Cameroun, les résolutions des états généraux de l'éducation ont fait l'objet d'analyse.

L'observation et la description des classes nécessitant l'obtention des informations plus précises, nous avons utilisé donc des documents produits par l'école pour réunir une plus grande quantité d'informations sur les élèves. Les documents officiels les plus important dans la vie scolaire sont peut-être ceux qui concernent directement l'enseignement : les cahiers de textes, les programmes, les livres d'exercices, la documentation relative aux tests et examens, entre autres.

- Les documents personnels : ce sont les journaux intimes, les cahiers de brouillon des élèves, les lettres et les notes personnelles. Les productions personnelles des élèves, surtout celles qui contiennent un aspect personnel important, ont fourni des indications très valables sur leurs opinions et attitudes par rapport à toute une gamme de thèmes, des informations utiles sur l'expérience vécue.

VI - ANALYSE DES DONNEES

Du point de vue sociologique, du contexte institutionnel et de ses conséquences sur les possibilités de la réussite scolaire, on constate la persistance de travaux quantitatifs et d'analyses critiques. Ils restent néanmoins de peu de ressources pour comprendre les nouveaux phénomènes. Raison pour laquelle nous optons plutôt pour une méthode d'analyse essentiellement qualitative pour se démarquer des études macro-sociales et statistiques de la reproduction et des inégalités. A l'opposé d'une sociologie de l'éducation qui analyse un «système », l'orientation ethnographique de l'école ici choisie permet de décrire par des méthodes qualitatives les menus faits de la vie de l'école.

La démarche adoptée ici, ainsi qu'on peut s'en rendre compte, se veut donc compréhensive. Ceci, pour nous conformer aux exigences d'une anthropologie nouvelle. La saisie de la légitimité de l'approche compréhensive en sociologie aujourd'hui passe par un détour épistémologique à l'école philosophique appelée «herméneutique du social ». Il s'agit ici dans cette exigence d'un «renouveau méthodologique » dont le mode d'expression, en se référant aux formes significatives de «l'être-ensemble », ouvre la voie à une véritable réflexion philosophique sur le social (Nzhié Engono, 2001 : 13).

Elle procède par l'interprétation des actions humaines dans le souci de construire leur sens ainsi que leur motif car «toute conduite humaine présente une intelligibilité intrinsèque qui tient au fait que les hommes sont doués de conscience et accordent des significations à leurs actes » (Donégani, 1997 : 159). De ce fait, il est possible de rendre le comportement intelligible en dégageant par reviviscence le motif auquel il obéit, étant donné que l'interrogation véritablement propre aux sciences sociales réside dans le dévoilement des significations de ces actes et non dans la prévision des conduites (Zambo Belinga, 2004 : 96).

Pour parvenir à cette fin, les informations recueillies ont fait l'objet d'une «analyse de contenu de type structural ». Celle-ci désigne : « Un certain nombre de techniques qui tentent de passer du niveau atomique d'analyse à un niveau moléculaire, et axent leurs procédures, même à un plan très élémentaire, sur les liens qui unissent les composants du discours, plutôt sur ces composants eux-mêmes » (Bardin, 1977 : 278).

Cette technique d'analyse permet d'interpréter le contenu latent des communications verbales. Elle permet aussi d'accéder aux significations implicites des documents, des faits et des gestes observés. Cette technique prétend atteindre des modèles de significations latents, organisant la construction mentale de la réalité chez les acteurs (herméneutique collective) ou des structures formelles définissant des matrices inconscientes de production de sens (l'analyse structurale). Autrement dit, l'analyse de contenu structurale permet le dépassement du contenu manifeste des communications analysées pour atteindre, grâce à une analyse au second degré, le contenu latent, les sens implicites, le non-dit, le caché, qui contiennent la vérité du réel (Afané, 2004).

Cet outil d'analyse s'intègre donc bien à notre travail qui se veut une entreprise de dévoilement, de démystification et de démythification. Il permet ainsi de mettre en relief les représentations, les aspirations, les motivations et stratégies des différents acteurs de la société scolaire.

L'analyse de contenu structurale a, en outre, favorisé la reconstitution des mentalités, des manières d'être, en un mot de l'imaginaire des différents acteurs en présence. C'est ainsi que nous avons procédé à l'analyse des communications, formelles (par exemple, injure, blague, geste, tenue vestimentaire, parlure...).

VII - DEFINITION DES CONCEPTS

L'une des règles fondamentales du travail sociologique, comme le stipule Durkheim (1988 : 34), est de définir l'objet de sa recherche, afin que l'on sache de quoi il est question. Ainsi, afin d'éviter toute confusion ou méprise future dans la meilleure compréhension des pages qui suivent, il convient d'élucider de manière aussi rigoureuse que succincte chacun des concepts suivants : déviance scolaire, contrôle social, jeune, ethnosociologie.

Déviance :

La déviance renvoie au non-respect des modèles idéologiques et comportementaux institutionnellement agréés. En fait, sachant que toute collectivité sociale est associée à un répertoire de représentations et de comportements explicitement ou implicitement prescrits, recommandés, désapprouvés ou prohibés, donc à des normes plus ou moins contraignantes, plus ou moins nouées à des sanctions positives (approbation tacite, éloge, récompense...) ou négatives (signes de réprobation, raillerie, demande d'excuse ou de réparation, châtiment corporel...), la déviance peut se définir (par opposition à la conformité) comme transgression des normes, violation des interdits, manquements aux obligations ou du moins adoption de postures contrevenant aux usages, esquivant ou défiant les injonctions des autorités, déjouant les attentes de l'entourage.

La déviance scolaire dans cette étude sera donc comprise dans ce sens inspiré de la définition de Goffman comme le mécanisme d'adaptation secondaire que les élèves mettent en place pour infléchir le règlement de l'institut scolaire sans en perturber le fonctionnement. Ce sont ces «manières d'agir, de penser et de sentir » qui cherchent à outrepasser les règles fixées par l'administration dans leur rapport à la socialité.

Contrôle social :

Dans les règles de la méthode sociologique, Durkheim fait des contrôles sociaux une donnée inhérente à toute organisation sociale.

Aujourd'hui, dans la littérature sociologique anglo-saxonne, les analyses du « social control » sont nombreuses et le mot a été abusivement transcrit en français : le contrôle social. Or, comme l'écrit Gurvitch : les difficultés et les désaccords que provoquent le terme et le problème de contrôle social sont accrus par le fait que dans les langues européennes continentales le mot « contrôle » suggère un moindre degré d'intervention. Si en anglais le sens courant du mot control est celui de pouvoir, puissance, domination, autorité, dans toutes les autres langues européennes, « contrôle » signifie surveillance, vérification, inspection, activité de contrôler seulement (Gurvitch, 1947 : 273). Sans doute, le mot anglais correspond-il mieux au contrôle social dont il est d'ailleurs peut-être, à l'origine, une traduction.

Le contrôle social est donc le fait, pour une personne ou une institution, d'exercer une surveillance sur des activités et d'en vérifier la conformité à des normes. Toutes les institutions et organisations sociales exercent, par des moyens divers, des formes de contrôle sur les activités individuelles et collectivités. Celles-ci disposent pour amener les individus à vivre leur civilisation, à participer à l'opinion et aux attitudes collectives, à partager les normes et les valeurs des groupes, à remplir correctement des rôles sociaux et à respecter les moeurs.

Le règlement intérieur constitue l'un de degré dans les instruments de régulation sociale, qui sont liés aux mécanismes étudiés dans cette étude. De fait, c'est le Règlement Intérieur d'un établissement scolaire qui établit le cadre de vie collective, afin de faciliter l'épanouissement, de créer les conditions favorables aux études et de parfaire l'éducation morale et civique ; il prescrit l'obligation pour chaque élève de participer à toutes activités correspondant à sa scolarité et d'accomplir les tâches qui en découlent.

Pour la plupart des règlements intérieurs, les chapitres qui portent sur l'échelle des sanctions prévoient celles applicables aux élèves en cas d'absence répétée : " pour les retards répétés, les flâneries, convocation des parents ; pour 5 à 10 absences, traduction en conseil de discipline ; pour mauvais comportement (maquillage à outrance, renvoie temporaire de l'école ; pour vols, coups et blessures, passage en conseil de discipline". Pour ce qui est des interdictions,  les actes brutaux, les brimades intellectuelles, morales et corporelles qui portent atteinte à la liberté, à l'amour propre sont prohibés.

Jeune scolaire :

La sociologie, empruntant à l'usage courant le mot « jeune », a hérité de son ambiguïté. « Jeune » peut être utilisé, en effet, pour qualifier un individu ou désigner un groupe social. Appliquée à un individu, la qualité de « jeune », indépendamment de son âge, l'oppose à « vieux » comme « débutant » ou « nouveau » à « ancien », mais elle peut à l'inverse définir approximativement son âge, en l'opposant à « enfant » et « adulte ». Dans cette acception, «jeunesse » désigne alors le «temps de la vie entre l'enfance et la maturité » (Dictionnaire Le Robert, 1995 : sv « jeunesse ».

Elle peut enfin, quel que soit son âge, lui attribuer les «caractères propres à la jeunesse », c'est-à-dire ceux qui sont associés aux «nouveaux », aux «débutants », ou à cet âge de la vie (crédulité, ingénuité, naïveté, intolérance, intransigeance, etc.). Ainsi, «les jeunes » désignent l'ensemble de ceux qui présente la qualité de «jeune » dans l'une au moins des trois acceptions proposées : la définition du groupe «jeunesse » se déduit de celle de l'individu «jeune ».

La réflexion sociologique sur la qualité de «jeune » s'est orientée, pour l'essentiel, dans deux directions : la double opposition «jeune »« enfant » et «jeune » / «adulte » et l'opposition «jeune » / «vieux ». Dans la seconde perspective, on tente de rendre raison de l'opposition «jeune » / «vieux » sous ses différentes formes («nouveau » / «ancien », «novice » / «expérimenté », «moderne » / «dépassé », «prétendant » / «détenteur », etc.) et en différents «lieux » de l'espace social (familial, travail), espace social tout entier (Mauger : 1989 : 26).

La jeunesse dans ce travail sera ainsi appréhendée dans sa déclinaison sociologique comme «la cellule la plus psychologiquement délicate et fragile du tissu social » (Nga Ndongo, 1987 : 29). Par jeunesse scolaire ici, nous incluons tous les jeunes lycéens et collégiens fréquentant les institutions scolaires et secondaires de la ville de Yaoundé. Nous nous intéresserons uniquement aux adolescents, c'est-à-dire aux enfants dont l'âge varie entre 12 et 25

En tout état de cause, l'intérêt particulier qui est accordé aux jeunes tient principalement à l'immaturité réelle ou supposée d'une catégorie sociale qui est une étape cruciale de l'évolution de la personne humaine.

Pour l'essentiel, la notion de jeunesse a partie liée avec la modernité. En suivant les travaux fondateurs des sociologues américains des années 1950, on peut la caractériser par deux grands traits. Le premier d'entre eux est la relative anomie : la jeunesse n'est ni l'enfance, ni l'âge adulte, ni la dépendance, ni l'autonomie. C'est le temps du moratoire, de l'expérimentation d'une certaine liberté : l'incertitude est encore accrue par l'affaiblissement de contrôle social.

D'une certaine façon, le temps de la jeunesse est relativement «dangereux ». Mais, par ailleurs et en sens contraire, il est aussi celui d'une contrainte d'investissement dans l'avenir. Dans la mesure où le statut s'acquiert plus qu'il n'est hérité, les jeunes sont donc cette catégorie sociale à qui il est demandé de s'engager dans des études et des formations professionnelles afin de construire, dans leur présent, leur statut d'adulte. De ce point de vue, l'expérience juvénile est fortement liée à l'école qui distribue les «expériences » des individus. La jeunesse est donc à la fois dominée par la liberté du moment et par la nécessité de se projeter dans l'avenir (Akoun et Ansart, 1999 : sv «jeunesse »).

Il s'agit donc en fait, d'observer dans les lieux de la socialisation scolaire que sont les institutions scolaires de second degré (lycées et collèges), le caractère «social », la sociabilité des scolaires, ce que la formule significative de Maffesoli nomme «la socialité vivante », qui recouvre toute la dynamique des modalités sociales qui naissent derrière les comportements déviants des jeunes scolaires, dans ses manifestations les plus quotidiennes et les plus routinières.

Ethnosociologie :

Nous qualifions la perspective qui est la notre dans la déviance scolaire d'ethnosociologique. Nous devons à Nga Ndongo (1975), à Erny (1981, 1991) et à Lapassade (1991) le terme d'ethnosociologie, utilisé pour caractériser la démarche de recherche soucieuse de transposer à la sociologie, le maître dispositif méthodologique de l'ethnologie, à savoir l'étude directe de la vie sociale. Attentive aux pratiques observées in situ, l'ethnosociologie ainsi définie entreprend donc de lier au mieux les singularités du terrain et les énoncés d'ordre plus général, en précisant ce que les uns doivent aux autres.

L'intérêt de cette recherche qui se veut ethnosociologique est donc autant animé par le souci de ne pas traiter séparément la structure et les activités structurantes (Coulon, 1988, cité par Beitone et. al. 2000 : 113) que par l'ambition de mener une étude sociologique de l'ethnos dans les établissements scolaires secondaires, c'est-à-dire «le savoir quotidien de la société (le savoir de sens commun), en tant que connaissance de tout ce qui est à la disposition d'un membre ».

VIII - PLAN DE L'ETUDE

Ce travail comprend essentiellement deux grandes parties d'égale importance qualitative.

La première partie traite exclusivement, en quatre volets, des questions d'ordre théorique et paradigmatique. Elle porte sur le cadre conceptuel qui présente les considérations d'ordre général et théorique sur la question de la déviance, du contrôle social en rapport avec l'institution scolaire. Elle pose la déviance scolaire comme une transgression, socialement perçue, de règle, des normes en vigueur dans l'institution scolaire. C'est un comportement remettant en cause à la fois les normes scolaires et la cohésion du système éducatif. Dans cette division nous essayons de montrer comment, dans certaines circonstances, l'organisation scolaire peut favoriser chez certains individus l'adoption de comportements qui seront qualifiés de déviants, plutôt que l'adoption d'une conduite conformiste, si l'on s'en tient à la conception fonctionnaliste de la déviance. De ce point de vue, et en se plaçant à l'échelle des institutions scolaires à Yaoundé, on peut comprendre que certains comportements dits déviants soient le fait de certains acteurs scolaires (les jeunes), non pas à cause de vagues «tendances » biologiques qui leur seraient particulières mais, plus simplement, parce que ces formes de comportements découleraient, en quelque sorte «naturellement », de la situation sociale dans laquelle ils se trouvent. Mais, une lecture interactionniste de ce phénomène en révèle bien vite les limites théoriques, et montre plutôt que la déviance n'est ni naturelle, ni biologique, ni physique, mais elle est de nature sociale. Non pas simplement parce qu'elle s'inscrit dans un système social en tant que transgression de normes, mais parce que créée par l'universalisation de ces normes, imposées par les entités sociales dominantes. L'école crée la déviance puisqu'elle édicte des règles et définit le «degré de liberté » possible à l'intérieur de ces règles.

Toujours dans la perspective de balisage théorique de l'étude, il s'est agit aussi de situer dans une analyse théorique plurielle, l'institution scolaire, pour mettre en lumière les différentes approches de cette institution ; il a été également question de dresser un tableau synoptique du système éducatif camerounais et de la relation éducative pour en présenter l'organisation.

La deuxième partie constitue une sorte d' «administration de la preuve », pour ainsi dire, à nos hypothèses de recherche. Elle porte sur les données collectées. Subdivisé également en quatre volets, cette partie appréhende les formes de socialité scolaire de façon concrète, à partir de quelques cas observés, notamment, des «adaptations secondaires » qui permettent précisément de dégager l'axe de la socialité vivante chez les jeunes scolaires de Yaoundé. Ainsi ont été récapitulées les modulations de la déviance parmi la jeunesse scolaire, les nouvelles formes de dynamiques quotidiennes de participation scolaire et de socialité prégnante qui se reconstruisent derrière le « brouhaha » des établissements scolaires à Yaoundé.

Quoi qu'il en soit, la déviance scolaire étant un phénomène extrêmement complexe et évanescent et ayant des ramifications dans de nombreuses branches de l'activité sociale, il devient par là même, comme le dirait Marcel Mauss, un « phénomène social total ». Dès lors, il serait pour le moins hasardeux, sous prétexte de respecter le plan de l'étude, pour reprendre Nga Ndongo (1999), d'embrigader notre réflexion dans un cadre trop rigide. Comme le sujet lui-même, notre plan ne se veut, certes pas purement indicatif (ce qui serait contraire à une nécessaire rigueur scientifique), mais plutôt vivant, dynamique, et pouvant, en cas de besoin, souffrir de répétition, voire de redondances non seulement inhérentes à la nature du sujet traité, mais surtout bénéfiques à la clarté et à la compréhension de notre propos.

A l'issue de ces deux parties, nous verrons en conclusions quels enseignements tirer et quelles perspectives dégager pour la recherche.

* 1 Et à travers ce dernier l'inspiration de Simmel

* 2 L'analyse ethnométhodologique qui découle de l'approche interactionniste est l'analyse des façons de faire ordinaires que les acteurs sociaux ordinaires mobilisent afin de réaliser leurs actions ordinaires.

* 3 Cet objet d'étude élu durant plusieurs décennies par les anthropologues

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus