I.1.3. 1997-2003 : La Province Orientale à
l'ère des guerres dans la guerre
L'ère des rébellions est sans doute l'une des
phases remarquable de la violence politique dans l'histoire politique de la
République Démocratique du Congo en général et de
la Province Orientale en particulier. Une situation à dimension multiple
où plusieurs acteurs entrent en jeu. Elle est caractérisée
par la prolifération des rébellions nées du RCD ou contre
ce dernier, comme le Mouvement de Libération du Congo (MLC). Aussi, elle
est marquée par des affrontements armés entre les forces
alliées aux mouvements rebelles entre elles et contre le gouvernement de
Kinshasa; c'est ainsi que nous parlons de guerres dans la guerre.
Nous pouvons, de manière chronologique présenter
quelques batailles qui survinrent du fait des tensions entre les armées
alliées au RCD et entre ses différentes factions de la
manière ci-après :
- Le 22 mai 1999 à Kisangani;
- Le 7 juin 1999 à Kisangani;
- Du 17au 19 août 1999, guerre dite de trois jours à
Kisangani;
- Le 5 mai 2000, guerre dite d'un jour et à Kisangani;
- Du 5 au 10 juin 2000, guerre dite de six jours à
Kisangani ;
- Janvier 2002, à Isiro (des hommes de Mbusa attaquent
ceux de Lumbala) ; - Octobre 2002, Mambasa et Epulu (Coalition MLC/RCD-N vs
RCD-K/ML) ;
- Fin 2000 - début 2001, plusieurs affrontements à
Bafwasende entre d'une part
les hommes de Mbusa, ceux de Lumbala et entre d'autre part
ceux-ci et des
hommes du RCD-Goma ;
- L'enlisement de la situation militaire en Ituri est aussi
à mettre à l'actif de ce jeu macabre de positionnement et de
crise de leadership entre les alliés rwandais et ougandais et entre les
acteurs locaux congolais.
A cela, il faut ajouter les expéditions punitives
organisées à travers quartiers, avenues et villages environnant
les grands centres et cités de la Province Orientale ainsi que la ville
de Kisangani. Pendant ce temps, l'étranger est maître de terrain
et soutenu dans sa besogne par les élites locales.
Mais, les trois derniers affrontements de Kisangani marquent
la phase scissipare du RCD en plusieurs autres souches parentes avec le
concours et la complicité de mêmes alliés rwandais ou
ougandais selon le cas. Ainsi s'élargit l'arbre
généalogique des mouvements rebelles ayant un même
ancêtre interne, l'AFDL, et les mêmes parrains, le Rwanda et
l'Ouganda. Et au lieu de parler simplement du RCD, nous allons
dorénavant ajouter une épithète à ce mouvement pour
le distinguer des autres qui portent la même dénomination que lui
comme pour confirmer leur filiation et fratrie.
En effet, suite à un malentendu bien manigancé
et instrumentalisé par les alliés ougandais sur l'éviction
du Professeur Ernest Wamba dia Wamba de la tête du mouvement au
début de 1999. Ce dernier est exfiltré de Goma par des troupes
ougandaises au mois de mai de la même année puis transporté
à Kisangani où il crée avec Antipas Mbusa Nyamwisi le
RCD-Kisangani (RCD-K).
Wamba dia Wamba manipule la lassitude de la population de
Kisangani et son aversion à l'égard des troupes rwandaises en
annonçant son rapprochement avec Kinshasa et sa volonté à
vouloir négocier. Ce qui lui vaut un ralliement massif de nombreuses
personnalités et le soutien exprimé lors de ces
différentes tentatives de meetings de la population boyomaise
nostalgique du pouvoir de Kinshasa. Il installe une administration
parallèle au camp des contingents ougandais de la Sotexki où sont
recrutés et formés cadres universitaires et jeunes
désoeuvrés pour une éventuelle armée du RCD-K. Son
Gouverneur, le Professeur Walle Sombo Bolene alias Gouverneur Magnifique, un
Topoke, rivalise d'ardeur et de provocation avec le Gouverneur du RCD,
Théo Baruti Ikumaiyete, un Lokele103.
103 Le choix par les différents mouvements de ces deux
personnalités natives de la Province Orientale et tous deux
ressortissants du Territoire d'Isangi appartenant aux deux ethnies rivales est
stratégique. Il exploite à la fois la position « dominante
» ou les ressentiments existants (lire Bolinda wa Bolinda, De l'impact
du conflit TopokeLokele sur le développement du territoire d'Isangi.
Recherche d'antidotes sociologiques,Thèse en Sociologie
(inédite), FSSAP, UNIKIS, 2000 et pour le même auteur, De la
compétition identitaire des Topoke et Lokele face aux exigences du
développement du Territoire d'Isangi, Mémoire de DES en
Sociologie (inédit), FSSAP, UNIKIS, 2000 pour mieux cerner la nature des
rapport entre Lokele et Topoke), l'importance numérique (les
ressortissants de ces deux ethnies étant vraisemblablement les plus
présents en politiques que ceux des autres ethnies de la Province dans
la ville de Kisangani), l'histoire, l'activisme des jeunes de ces deux ethnies
(les associations Bana
Même la suite de choix des autorités du RCD-Goma n'a
suivi que cette logique de recherche d'assise populaire.
Nous assistons à des pugilats verbaux et
l'instrumentalisation des ressentiments ethniques anciens orchestrés par
les élites politiques en compétition. Le domaine de la Sotexki
s'est mué en un Etat contigu dans un sous Etat (l'«Etat/RCD»)
au sein de la RDC sous la surveillance des ougandais. Le summum de ce jeu de
ping pong entre alliés s'observe quand, le 17 août 1999, les
troupes rwandaises secondées de leurs alliés congolais du
RCD-Goma lance l'assaut sur le QG avancé en ville du RCD-K.
Le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD),
ayant entamé l'occupation de la Province Orientale le 11 août 1998
par la prise de Bunia est parvenu à prendre Kisangani le 23 septembre
1998. Il est antérieur à toutes les factions rebelles qui ont
fulminé entre 1998 et 2001 en RDC. Un mouvement rhizomique du fait des
discordes observées dans la gestion des intérêts rwandais
et ougandais.
Guerre débutée avec les allures d'une
insurrection/mutinerie non organisée et sans structure politique le 2
août 1998. Car, pendant près de trois semaines, après la
défaite militaire lors de son raid sur Kitona au Bas Congo, la
première apparition médiatique des porte-parole militaires du
groupe armé n'intervint que le 20 août 1998, après
l'échec de l'opération aéroportée au Bas-Congo aux
portes de Kinshasa. Colette Braeckman a aussi écrit sur ce
sujet104.
Nkoko Lipambala pensait de ces mutisme et absence des cadres
politiques dans les premiers jours de l'existence du mouvement
politico-militaire RCD qu'en réalité cette guerre n'était
pas conçue pour une rébellion mais plutôt pour un coup de
force. Car, les porte-parole du mouvement n'ont été
présentés à la population que trois semaines après
le déclenchement de la guerre. Cependant, les textes qui
régissent le
Etats-Unis, Katamoto, Chine Populaire, Les Bourgeois, etc. ont
pour membres, majoritairement des jeunes natifs Lokele, Topoke et leurs autres
alliés d'Isangi).
104 C., Braeckman, Op. Cit., 354
RCD attestent que sa création est antérieure au
déclenchement des hostilités, c'est-àdire le
1er août 1998105.
Il a été déploré sous la gestion
de certaines entités de la Province Orientale par le RCD: brimades,
viols, vols, pillages, raquettes, prédation des ressources naturelles,
violations des droits humains, musellement des libertés publiques,
manipulation et instrumentalisation des ressentiments ethniques, etc.
Les rapports des alliés (rwandais et ougandais) aux
différents mouvements sont révélateurs de la nature
même de l'Etat congolais. Un « res nullius » à la
portée de tout conquérant qui sait allié argent et pouvoir
politique. Les alliés s'opposant chaque fois que l'intérêt
des élites politiques congolaises était en jeu et vice versa. Les
alliances se font et se défont au gré des humeurs et des
circonstances. Par conséquent, la Province a subi le choc de ces
rapports tendus et instables. Les guerres civiles, les confrontations
armées entre troupes étrangères en terre congolaises de la
Province Orientale, des répressions de tous genres et des
exécutions sommaires extrajudiciaires témoignent de cet
état de chose. Ceci a débouché, en Province Orientale, sur
une escalade sans précédent dans l'histoire de
l'Afrique106. Les guerres dites de un, trois et six jours de
Kisangani sont à l'actif de ces pays et des mouvements rebelles
respectifs qu'ils appuyaient. Aussi, les désaccords entre
différents groupes ont débouché sur des guerres dans la
guerre.
Nous assistons ainsi, du fait de ces discordes, à
l'émergence du Mouvement de Libération du Congo (MLC), du
Rassemblement Congolais pour la Démocratie - Kisangani/Mouvement de
Libération qui devint au début de 2006, Rassemblement des
Congolais pour la Démocratie du Congo-Kinshasa/ Mouvement de
Libération mais
105 Nkoko Lipambala, La problématique de la nature
des rapports entre les différents mouvements de rébellion et
leurs alliés. Expérience de la ville de Kisangani de 1996
à 2000, Mémoire de Licence (inédit), SPA, FSSAP,
UNIKIS, 1999-2000, p.33.
106 Pour la première fois, les Etats africains ont
utilisé le territoire d'un autre Etat indépendant et souverain
pour se faire la guerre en prenant des centaines de milliers des populations
civiles en otage et détruisant des structures sociétales et des
vies humaines. C'est à raison que cette guerre fut qualifiée par
plusieurs commentateurs de la première guerre du monde d'Afrique.
garda le même sigle (RCD-K/ML), RCD-National (RCD-N) et les
différents groupes armés de l'Ituri.
Jean Pierre Bemba Gombo, le chef du MLC, arrive à
Kisangani au mois de septembre 1998. D'abord annoncé comme membre du
RCD, ce dernier, prend des contacts avec quelques cadres de la ville et
l'idée de créer son propre mouvement voit le jour avec le soutien
des Ougandais comme il le dit lui-même dans l'ouvrage autobiographique de
sa guerre107.
Le Mouvement de Libération du Congo est
créé à Kisangani au mois de septembre 1998. Il inaugure
vraisemblablement l'ère des dures épreuves pour la Province
Orientale et ses populations civiles ; car les alliés multiplient des
coups bas et intrigues au point que le front rebelle devient un marché
concurrentiel rentable où les élites se dévoilent et
rivalisent d'ardeur dans les aller-retour à travers les capitales
rwandaise et ougandaise à la recherche «d'emploi». Nous avons
en annexe une photo de Mbusa Nyamwisi saluant tout respectueusement, le
«faiseur des roitelets congolais», Paul Kagame à l'occasion de
l'un de ses multiples périples à Kigali.
Ce mouvement rebelle fait ses débuts politiques
à Kisangani où il recrute ses premiers cadres et hommes de
troupes sous la supervision ougandaise108. Cette situation a
entraîné des arrestations de nombreuses personnalités ayant
été en contact avec Jean Pierre Bemba Gombo, en l'occurrence
Monsieur Pierre-Hubert Moliso Nendolo Bolita alors Procureur de la
République à Kisangani en 1999, par les services du RCD et
détenu secrètement au Camp Ketele. Cette situation a
provoqué des remous dans la ville et le mouvement a plié sous la
pression pacifique des élites politiques et de la société
civile boyomaises.
69 Bemba Gombo, Op. Cit., pp. 18-47, 95-150. 108
Ibidem, pp. 18-19.
Le MLC et les Ougandais contrôlent, en reprenant des
positions aux rwandais et au RCD, tout le district du Bas-Uélé,
une grande partie du Territoire de Banalia109, le Haut
Uélé et progressent en Equateur.
En même temps, tandis que Jean Pierre Bemba Gombo et
Antipas Mbusa Nyamwisi se disputaient l'or du Haut-Uélé, Roger
Lumbala s'emparait du diamant de Bafwasende.
Un rappel important mérite d'être fait à
ce niveau sur le comportement des troupes rwandaises. Pendant leur
première intervention en RDC, ces troupes se sont plusieurs fois
livrées aux brimades et pillages. Se considérant comme
maîtres110 sur un territoire conquis, les militaires rwandais
n'ont pas hésité à piller véhicules, immeubles,
biens meubles, argents et équipements industriels qu'ils rapatriaient
directement au Rwanda. Tous ces comportements ont attisé l'aversion de
la population congolaise de la Province Orientale contre les Rwandais et ont,
par conséquent, alimenté le ressentiment des habitants de la
Province Orientale contre le RCD.
Soulignons que l'aversion caractéristique et explosive
que connut la Province Orientale contre les Rwandais entre fin 1996 et fin 1998
à l'occasion des guerres de l'AFDL et du RCD est la résultante
d'une instrumentalisation bien orchestrée par les élites locales
mobutistes. Sans les nommer, les élites appellent à la vigilance
contre les «R ou Roméo ou encore zolo mulayi/puwa
murefu111». Les délations et les chasse-àl'homme
dont ont été victimes certains sujets Rwandais ou
non112. Même pendant la
109 Seule une partie du Secteur Bamanga, de PK 18 au PK 52 sur
la route Banalia, qui est sous contrôle du RCDGoma et des rwandais.
110 Les rwandais qualifiaient avec une facilité
déconcertante tous les congolais, civils ou militaires, de
«Wajinga» ce qui signifie «villageois»,
«ignorants», «dupes» et plus fort encore,
«imbéciles». Aussi, ils ont été plus
considérés comme prédateurs que leurs homologues
ougandais. Nous estimons que c'est en réaction à ces multiples
brimades que la population de Kisangani a semblé adhérer aux
tentatives de déstabilisation du pouvoir du RCDGoma par le RCD-K.
111 Pour signifier Rwandais ou long nez.
112 En janvier, février, mars 1996 quand l'AFDL
menaçait de prendre la ville de Kisangani, les étudiants
instrumentalisés et voire les voyous de Mangobo, Tshopo et Kabondo se
sont attaqué à tout celui qui avait des traits
phénotypiques Tutsi et ont même confondu dans leur besogne
certaines personnes, Bantoues de surcroît, aux Rwandais. Le fils du
Professeur Obotela Rachidi (Topoke de la Province Orientale de son
état), Mme Brigitte Akamba (Soko de Basoko en Province Orientale), Mbuyi
Tshibwabwa (Luba du Kasaï occidental), pour ne citer
poussée militaire du RCD, la chasse aux Rwandais a
été systématique sous l'AFDL. Pire, il ne s'agit plus ici
des bandes des jeunes voyous et des étudiants endoctrinés
instrumentalisés ; il s'agit de la Police, de l'ANR et du renseignement
militaire qui opèrent pour traquer les «R» à Kisangani
et dans plusieurs autres cités de la Province Orientale dont Buta,
Isiro, Bunia, Banalia, Bafwasende, etc.113.
Par ailleurs, de la part de la population de la Province
Orientale, la tendance xénophobe contre les ressortissants Rwandais est
tributaire du comportement des militaires Rwandais.
Précisons tout de même que l'entrée du RCD
à Kisangani n'a pas été du tout aisé comme cela fut
le cas de celle de l'AFDL. Tout a commencé par la résistance de
certains jeunes de la Tshopo à la tentative de vol par des militaires
rwandais alliés au RCD d'une mini Jeep de marque Suzuki Vitara des
Prêtres du Sacré Coeur de Jésus de la paroisse Saint Joseph
Artisan de la 10ème avenue Tshopo le 26 août 1998. Les
coups de balles de sommation de ces assaillants ont été
l'élément déclencheur des soulèvements en cascade
des populations à travers toutes les communes de Kisangani qui ont du
coup refusé de coopérer avec le RCD pendant plus de deux
semaines. Il a fallu faire intervenir des élites de la place pour une
acceptation du mouvement. Les nominations des autorités municipales et
provinciales répondaient surtout à une volonté de
légitimation114.
Bien avant cela, il faut signaler la résistance
opposée par des éléments de la Police d'Intervention
Rapide (PIR) et quelques éléments ex-FAZ (entendez ici les
anciens des Forces Armées Zaïroises) stationnés à
l'aéroport de Bangboka en attente de leur évacuation vers
d'autres localités. Cette résistance a aussi connu l'appui des
que ceux-là, n'ont eu la vie sauve que grâce
à l'intervention musclée des voisins ou amis de bonne foi.
Plusieurs personnes demeurent jusqu'à ces jours
portée-disparue.
113 Faits vécus par nous et confirmés par nos
entretiens avec trois anciens Bourgmestres des communes de la ville de
Kisangani en mars 2007, juillet 2008 et juillet 2009.
114 Un « commandant » rwandais nous déclarait
en 1999 à Kisangani que la résistance de la Population boyomaise
avait déjoué tous leurs calculs et les avait décidé
à opérer, alors qu'il ne fut planifié ainsi, le
recrutement des élites locales pour diriger les institutions
provinciales, urbaines, communales, etc. Ce dernier regrettait le fait que
plusieurs recrues « occasionnelles » du RCD n'avaient
intériorisé son idéologie.
éléments restés au « Camp de
rééducation », si non de réduction ou de
concentration, de BASE115 (sous la conduite du Gouverneur Jean Yagi
Sitolo à la première tentative de ralliement à la
rébellion du RCD par certains officiers rwandais ou d'expression
rwandophones présents à Kisangani avec l'appui du bataillon PM et
la complicité de certains officiers congolais le 4 août 1998.
Selon une certaine discrétion d'un cadre du RCD-Goma,
les massacres survenus le 14 mai 2002 avaient eu aussi comme leitmotiv, le
règlement de comptes à ces policiers qui s'opposèrent au
basculement de camp de la ville de Kisangani en 1998. Car, de nombreuses
victimes de ces événements étaient des policiers et des
jeunes de Mangobo et Tshopo, deux communes qui s'étaient farouchement
opposées au RCD à ses débuts. La commune de Kabondo avait
aussi vaillamment résisté, notamment en bloquant l'accès
à l'aéroport et, pendant longtemps, de nombreux quartiers
n'étaient pas accessibles aux forces de l'ordre. Les autres faits
n'étant que des épiphénomènes d'une rancoeur bien
enracinée116.
Ces différents événements politiques de
l'histoire politique violente de la Province Orientale ont essentiellement
marqué les habitants de la Province Orientale au point d'avoir
façonné les hommes politiques et influencé leurs agir
politiques.
I.2. Les zones de turbulence en Province
Orientale
La Province Orientale, comme la plupart des provinces de l'Est
de la RDC, a été le théâtre des affrontements
militaires de la part des divers groupes armés. C'est ainsi qu'on y
trouve plusieurs foyers de turbulence. Mais en raison de leur
intensité,
115 Un centre d'entraînement militaire connu sous cette
appellation installé sur le PK 10 de la route Ituri
116 Nous devons ces propos d'un cadre du RCD-Goma
interrogé par nous dans le cadre de l'enquête que nous avons
menée sur ces événements au mois de mai 2002 en
qualité d'acteur de la société civile. Propos recueillis
à Bukavu, en avril 2003. On peut également lire utilement,
à propos de nombreuses tueries survenues à Kisangani sous le RCD,
les rapports des ONGDH suivantes parues entre 2000 et 2002 : Lotus, Groupe
Justice et Libération, Amis de Nelson Mandela, Groupe Kisangani pour la
Paix, Paix Sur Terre...
nous avons pu retenir les foyers du district de l'Ituri et celui
du territoire de Bafwasende dans le district de la Tshopo117.
Nous voulons plancher sur les zones chaudes en termes de
violence politique en Province Orientale pendant la période en
observation. En effet, nous tentons de répondre au questionnement
suivant : quels conflits et crises majeurs situés localement ? Quels en
sont les causes et enjeux ? Qui en sont les acteurs principaux locaux et
alliés nationaux/étrangers (individuels ou organisationnels) ?
Voici quelques questions qui guident cette sous section.
I.2.1. Ituri
Le plus peuplé de quatre districts que comprend la
Province Orientale, l'Ituri demeure jusqu'à ces jours le
théâtre quotidien des affrontements des seigneurs de guerre qui y
font leurs lois. Dans cette section, il est question de la présentation
du District de l'Ituri, consistant à dresser un bref historique de
conflits interethniques qui l'ont secoué entre 1999 et 2003 ainsi
qu'à identifier les différents groupes et acteurs
impliqués dans ces conflits.
I.2.1.1. Brève historique du conflit
Dans cette sous-section, il ne s'agit nullement de nous
étendre sur le conflit en Ituri, mais d'en dégager les grandes
lignes, d'une part, et de comprendre l'ampleur de ce conflit interethnique dans
la mobilité des élites politiques de cette partie de la Province
Orientale, d'autre part.
L'Ituri a pendant longtemps été une zone de
conflit entre les deux principaux groupes ethniques habitant les Territoires de
Djugu et d'Irumu à savoir, les Lendu et les Hema, tant il est vrai que
quand des peuples de traditions et cultures différentes
117 Signalons tout de même que le Territoire d'Ubundu
avec ses maï maï a aussi connu la violence. Nous ne le classons pas
dans cette étude ; car la «résistance» populaire ou le
phénomène maï maï n'ont pas eu les mêmes effets
que dans les entités retenues. Les districts du Bas-Uélé
et du Haut-Uélé avec des groupes étrangers qui
sévissent n'ont pas vécu l'organisation des populations en forces
d'autodéfense locales.
entrent en contact par la conquête, la colonisation et
le jeu des missionnaires ou des agents commerciaux, un affrontement entre ces
deux manières d'être peut engendrer les effets les plus
divers118. Les premiers étaient des agriculteurs et les
seconds des éleveurs.
Selon plusieurs sources dont Dominic Johnson119,
« les groupes ethniques Lendu et Hema se sont pendant longtemps
opposés dans cette région de 3,5 millions d'habitants, se
disputant les terres et le pouvoir politique.» Déjà en 1911,
les Lendubindi (Ngiti) tuèrent le Grand chef Hema, Bomera et plusieurs
des siens à Gety en réaction aux exactions de ces derniers dans
cette région qu'il venait récemment de
conquérir120.
Comme l'explique alors un rapport de l'International
Crisis Group121 (ICG), « les Lendu et les Hema occupent
les terres les plus fertiles et les plus riches en ressources minières
d'Ituri».
Cette rivalité entre les deux tribus est historique. En
effet122 , «comme au Rwanda et au Burundi, les nilotiques et
plus principalement les pasteurs Hema avaient eu la priorité à
l'éducation de la part des missionnaires catholiques et ensuite
étaient employés pour diriger l'administration locale et
superviser les ouvriers agriculteurs Lendu dans les plantations ainsi que dans
les mines. Après l'indépendance, les Hema n'étaient pas
seulement les mieux placés pour récupérer les plantations
laissées par les colons belges, mais aussi avaient les ressources
intellectuelles, politiques et financières afin de manipuler le
régime de Mobutu à leur avantage et accroître leur
domination économique sur les deux territoires.» C'est ainsi par
exemple que «les conflits locaux fonciers importants ont
périodiquement éclaté (1966, 1973, 1990, 1997)
118 S.C., Versele & D., Van DE Velde-Graff,
«Marginalité ou marginalisation ? Accident ou fonction?»,
in Revue de l'Institut de Sociologie, n° 1-2, Bruxelles,
Editions de l'ULB, 1976, p. 41.
119 J., Dominic, «shifting sands: Oil exploitation in the
rift valley and the Congo conflict», in Pole Institute Report,
2003, p.19. Ce rapport a été traduit de l'anglais par nous.
120 Remo Lo-Lozube Poru Anda, Op. Cit.,
p. 48.
121 International Crisis Group « Congo crisis: Military
intervention in Ituri» in ICG Africa Report,
n° 64, du 13 Juin 2003, p. 2.
* Traduction du document assurée par nous à l'aide
du traducteur en ligne de TV5-Monde.
122 Ibidem, pp.2-3.
entre les propriétaires terriens Hema et les
communautés Lendu qui se sont sentis désavantagées et
marginalisées123.»
Depuis longtemps, ces deux tribus rivales ont cohabité
dans un climat de violence mutuelle et les petits moments de trêve furent
des occasions pour les deux d'affûter leurs armes respectives et
reprendre avec la violence dès que l'opportunité se
présente. Les conflits y surgissent de manière intermittente. La
plupart du temps, les affrontements ont lieu lorsque l'autorité centrale
de l'Etat était affaiblie.
C'est dans ce contexte que se présente l'épisode
des violences en Ituri. Depuis 1999, les conflits se sont progressivement
étendus à tous les territoires du district et virtuellement
à toutes ses communautés. Dominic Johnson rapporte124
: «Selon un rapport de l'Association Africaine des Droits de l'Homme
(ASADHO), le conflit direct a commencé en Avril 1999 quand un
propriétaire terrien Hema, Singa Kodjo, appuyé par les forces
ougandaises, expulse les squatters* Lendu de sa propriété
près de Kpandroma.
Le 19 Juin 1999, les troupes ougandaises arrêtent les
participants Lendu qui prenaient part à une rencontre de
réconciliation à Kpandroma. De là suivit une escalade des
tueries avec 200 morts en l'espace de deux jours, principalement des Hema. Le
22 Juin 1999, une politicienne Hema, Adèle Lotsove, était
nommée Gouverneur de la province de Kibali-Ituri, nouvellement
créée par un décret signé par le commandant de
l'armée ougandaise (Ugandan People's Defence Forces, UPDF) en poste en
RDC, James Kazini. Ainsi éclata une guerre
généralisée contre les miliciens Lendu. En Octobre 1999,
une mission des Nations Unies a dénombré 5000 à 7000 morts
et plus de 100.000 déplacés. Adèle Lotsove a
été démise de ses fonctions de Gouverneur par l'Ouganda en
décembre 1999.»
123 J., Dominic, Op. Cit., pp 2-3 (cet
auteur traite longuement et de manière détaillée
l'histoire de la violence ethnique en Ituri)
124 J., Dominic, Op. Cit.,
p.20
* Mot Anglais employé par Dominic Johnson,
désignant une personne sans abri qui occupe illégalement un
logement vacant ou destiné à la destruction. Mais qui, dans le
cadre précis de l'Ituri ou d'ailleurs de la RDC signifie tout
vraisemblablement une personne habitant un immeuble ou un domaine d'autrui sans
son autorisation et cela avec une intention revendicative.
L'Ouganda est resté maître de l'Ituri pendant
cette période, plaçant à chaque occasion des hommes
à sa solde et obéissant à ses ordres et préservant
ses intérêts (entendez ici à la fois les
intérêts de l'Etat ougandais et de ses hauts officiers en mission
de «conquête»).
Il se pose ainsi avec beaucoup plus d'acuité, la
question des alliances qu'entretinrent les élites congolaises avec leurs
alliés ou protecteurs pendant les périodes des guerres. Ces
élites en quête du pouvoir et des ressources que ce dernier
procure, profitent de l'état de guerre pour se positionner et tirer
chacune, en se ralliant ses frères d'ethnies, l'épingle du jeu.
Ainsi, sont alimentées, barbarie, division, lutte pour le leadership,
bref la violence.
Les élites congolaises sont inféodées et
manipulées par leurs alliés étrangers qui usent
méthodiquement de la tactique de «diviser pour mieux
régner».
C'est alors que : « Pendant plus de quatre ans
passés, un trait constant a favorisé la recrudescence de la
violence. En ce moment, chaque rebelle125 congolais en charge de
l'Ituri a été intronisé par l'Ouganda, ensuite
remplacé par un autre
125 Citons par exemple : Ernest Wamba dia Wamba, Antipas Mbusa
Nyamwisi, John Tibasima Mbongemu, Jean Pierre Bemba Gombo, Mohamed Bule
Ngbangolo, Thomas Lubanga, Yves Kahwa Panga Mandro.
- Wamba dia Wamba arrive à Bunia, le 18 septembre 1999. Il
préside le RCD-K rebaptisé en RCD-K/ML jusqu'à la
reconnaissance par l'Ouganda en mi 2001 de Mbusa Nyamwisi comme leader du
RCD-ML ;
- Mbusa Nyamwisi (quand le RCD-K arrive à Bunia
après sa défaite militaire et politique de Kisangani, il est
nommé par Wamba dia Wamba Administrateur de la Province du Nord Kivu.
- John Tibasima Mbongemu Atenyi est avant tout nommé
Administrateur de la Province Orientale par Wamba dia Wamba. Il devint
deuxième vice président de ce mouvement avant de constituer sa
propre milice ethnique.
- Jean Pierre Bemba Gombo, il est président du MLC. Il
est rappelé par l'allié ougandais pour présider la
structure dont il vient de décider la création en vue de
contourner la division interne de ses pions en fusionnant le RCD-ML et le
Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, le Front de
Libération du Congo (FLC).
- Mohamed Bule Ngbangolo, nommé par le président du
FLC, exerce les fonctions de Gouverneur de la Province de l'Ituri de 2001
à 2002.
- Thomas Lubanga Dylo, est président de l'UPC à
sa création le 15 septembre 2000. C'est lui qui détourne au
profit de l'Armée du Peuple Congolais (APC) quelques combattants du
RCD-K/ML de l'ethnie Hema. Il a été nommé Commissaire
à la Défense par Mbusa Nyamwisi contre qui il s'oppose et dont il
chasse le Gouverneur Jean Pierre Molondo Lopondo.
- Yves Kahwa Panga Mandro, Chef de la chefferie des Bahema
Banywagi. C'est lui qui prit en otage Monsieur Ntumba Lwaba, Ministre des
droits humains du gouvernement de Kinshasa le 20 août 2002 pour
réclamer la libération de Thomas Lubanga ainsi que ses neuf
partisans emprisonnés à Kinshasa. En février 2003, le chef
Yves Kahwa Panga Mandro, fonda son Parti pour l'Unité et la Sauvegarde
de l'Intégrité du Congo (PUSIC) ).,
répondant à ses critères et satisfaisant ses
intérêts particuliers; tous ceux-ci ayant brièvement
dirigé l'Ituri126.»
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