Guerres et circulation des élites politiques en province orientale de la République Démocratique du Congo( Télécharger le fichier original )par Edocin Ponea Tekpibele Masudi Université de Kisangani - Diplôme d'Etudes Supérieures (DES) 2009 |
0.2. Cadre théoriqueA. Quelques réflexions sur la guerreSelon Théodore Funk-Bretano et Albert Sorel27, la guerre éclate lorsque les Etats n'ont plus une conscience claire de leurs devoirs, une intelligence nette de leurs droits, une notion exacte de leurs intérêts respectifs. Ils n'arrivent plus à une entente commune, ils ne peuvent plus accepter les lois que leur traçait le droit de gens en temps de paix : ils s'y soustraient. La guerre est un acte politique par lequel des Etats, ne pouvant concilier ce qu'ils croient être leurs devoirs, leurs droits et leurs intérêts, recourent à la lutte armée, et demandent à cette lutte de décider lequel d'entre eux pourra, en raison de sa force, imposer sa volonté aux autres. La conception du droit international humanitaire précise qu'un conflit armé existe chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre Etats ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes organisés ou entre de tels groupes au sein d'un Etat28.. Georges Goriely29explique le conflit en relevant la différence entre les conflits nationaux et les conflits sociaux ; point de vue que nous épousons pour expliquer les différents conflits armés et guerres qu'a connus la Province Orientale. Pour lui, les conflits nationaux opposent deux sociétés globales tandis qu'un conflit social oppose deux classes (nous disons plutôt, deux ou plusieurs groupements sociaux30) au sein d'une même société. L'auteur parle ainsi de conflit vertical pour le premier cas et de conflit horizontal pour le second. Il relève également le fait qu'il n'y a pas de limite étroite entre ces deux concepts ; ces deux types de conflits s'entremêlent parfois. De ce qui précède, il importe d'indiquer que la guerre est une activité humaine. En tant que telle, elle est aussi vieille que l'humanité. Certains esprits avisés31 pensent que chez les humains, la guerre est une forme extrême de communication, un commerce dans sa signification profonde ou exacte de mise en commun, de partage et d'échange dans la relation entre crise et conflit. Les armes des nouveaux conflits seraient alors la capacité à trouver et manipuler l'argent, l'influence et l'information. Nous entendons par guerre, ce conflit armé, opposant au moins deux groupes sociaux organisés (les Etats par exemple) ou un groupe organisé à un ou plusieurs entités non étatiques (les rébellions, les milices, les mutins, etc.). Elle se traduit ainsi par des combats armés, plus ou moins dévastateurs, et implique directement ou 28 G., Goriely, 1933 : Hitler prend le pouvoir, Paris, Editions Complexes, Réédition 1999 in http://www.amazon.fr, consulté à Kisangani, le 28 août 2009. Passim 29 Idem 30 Nous évitons dans ce travail l'usage des concepts : classes sociales et groupe social. Nous privilégions plutôt l'usage des concepts «configuration» pour nommer le type d'activité qui réunit des acteurs engagés dans une même compétition, «groupement» pour désigner un ensemble de personnes ayant des intérêts communs mais qui, pour la plupart, ne se connaissent pas. Chaque groupement possède son règlement et ses représentants. Tous ses membres sont interdépendants, bien que certains occupent des positions dominantes alors que les autres occupent des positions dominées. «Communauté» ce concept est réservé pour nommer des ensembles d'individus liés entre eux par des relations d'interconnaissance (comme une famille, un village, un quartier, etc.). Cf. G., Noiriel, Introduction à la socio-histoire, Paris, La Découverte, 2006, p. 7. 31 Lire à cet effet : J.-M., Châtaigner & H., Magro (sous la dir. De), Etats et sociétés fragiles. Entre conflits, reconstruction et développement, Paris, Karthala, 2007 ; J.-P., CHAGNOLLAUD , Intifada : vers la paix ou la guerre, L'Harmattan, 1991 ; B., Lamizet, La communication politique, Lyon, IEPL, 2002-2003 in http://www.univlyon2.fr consulté à Kisangani, le 15 mars 2008. indirectement des tiers suivant une condition et une réglementation connues et respectables (le Jus in bellum). Alors que le conflit armé suppose, lui, la confrontation armée entre les communautés composant un même pays ou deux pays différents. Le conflit armé oppose des groupes des civils. Il est synonyme de guerre civile. Il est indispensable de noter ici que, quelle que soit l'explication retenue pour les justifier, la guerre ou les conflits armés demeurent une entreprise des élites ou des cadres sociaux qui en maîtrisent les tenants et les aboutissants et qui peuvent toujours en retirer profits, avantages et privilèges. Il nous semble obliger de clarifier notre propos sur le concept «élites politiques»32 tant plusieurs auteurs ont, de manière rigoureuse et en des points de vue quelque peu différents, traité de la question des élites politiques ; lesquelles réflexions ont enrichi le débat sur l'élitisme. La circulation des élites en temps de guerre étant la clé de voûte de notre analyse. Précisons de prime à bord que les mots « élites politiques » ont toujours été confondus avec celui d'intellectuel tel que l'entend Paul N'da33: « La qualité d'intellectuel ou de lettré dépend, pour une société donnée, à un moment précis de son histoire, de la quantité existante de lettrés et de manuels. Historiquement, on sait que le seuil de l'intellectualité peut varier : il s'élève des études primaires aux études secondaires et aux études supérieures. Et plus il y a d'intellectuels dans un pays, plus il est difficile d'en devenir un. Bref, la notion d'intellectuel, bien qu'elle paraisse évidente n'en est pas moins difficile à définir alors même qu'on voit celles et ceux qu'elle désigne, ainsi que celles et ceux qui se reconnaissent comme tels. » Il précise en outre que, pour cerner la notion d'intellectuel, il faut s'appuyer sur trois critères : la catégorie socioprofessionnelle, la culture et le rôle. Nous avertissons de notre part avec Eddie Tambwe Bin Kitoko et Anatole 32 Précisons d'emblée que nous employons le concept « élites politiques » et non celui d' « élite politique » au singulier. L'usage du concept Elites au pluriel souligne la diversité et la pluralité des élites. Voir M., Duverger, Sociologie de la politique, Paris, PUF, 1988, p. 216 qui dit aussi un mot sur la nature des sociétés à caractère homogène et à classes viagères. 33 P., N'da, Les intellectuels et le pouvoir en Afrique, Paris, L'Harmattan, Collection Logiques Sociales, 1987, p. 6. Collinet Makosso34 que le mot intellectuel, ici ne se décline pas uniquement dans son sens normatif qui l'oppose à l'ordinaire aux activités manuelles. Dans ces pages, le substantif intellectuel est pris dans son acception spécifique liée à la notion d'engagement. C'est l'acception répandue par la philosophie française, depuis, pour éviter de remonter trop loin dans l'histoire, Voltaire (avec l'Affaire Calas 1762) et Zola (avec l'Affaire Dreyfus 1894). Le substantif intellectuel serait historiquement redevable à ces deux affaires35. Nous retenons les auteurs ci-dessous qui ont traité de la question des élites politiques dans la littérature savante. Nous les regroupons selon la sphère d'analyse respective de chacun. Il s'agit notamment de : |
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