III.2.2. La nomination : art de contrôle/occupation
de l'espace politique
Pour placer leurs auxiliaires, les mouvements rebelles, les
groupes armés ethniques et les milices ont, avec une prévalence
extrême sur le recrutement démocratique, abondamment nommé
les élites autochtones de la Province Orientale. La nomination a
joué un rôle important dans la circulation des élites
politiques et a modelé la compétition politique. Le fait pour le
mouvement détenteur du pouvoir de procéder au remplacement ou au
recrutement de ses auxiliaires par nomination a accentué l'expression
des tactiques observées antérieurement ; notamment :
l'ethnicité, la ruse, la marginalité /
automarginalité...Car, la nomination dépendant aussi des humeurs
et attitudes des hommes du pouvoir (c'est-à-dire, des détenteurs
de ce dernier) et non des hommes au pouvoir (une catégorie
composée des auxiliaires locaux).
246 I246 J.-F., Bayart, L'Etat en Afrique [...]
Op. Cit., p. 211.
247 La lutte pour la démocratisation dans la vie
politique de la Province Orientale était déjà, avant le
surgissement des rébellions, milices et autres groupes armés,
policé par les luttes de partis politiques d'opposition menés par
l'UDPS. Aussi, le rôle de la société civile dans
l'éveil de la conscience politique collective est très important
à souligner ici. Et, la mobilisation de ses acteurs lors de ces
élections a été très bénéfique pour
certaines élites avec lesquelles elle entretenait des accointances
fonctionnelles. Il n'est point surprenant après cette explication, de
découvrir l'appartenance de plusieurs des élites élues
à l'issue de ces élections aux associations de la
société civile.
Dans un contexte de crise et de violence politique
caractéristique de la période de guerre, la gouvernance a
été sujette à des tâtonnements et des tiraillements.
La recherche hégémonique en ce temps de guerre où les
alliés étrangers s'opposent et se combattent se
révélant aussi concurrentielle et conflictuelle.
L'émergence des élites politiques a aussi suivi la même
modalité. C'est dans cette configuration que les détenteurs du
pouvoir politique, surtout pendant la période de 1998-2003, ont
massivement usé de la technique de nomination.
Parce que la «promotion» politique se fait
désormais à l'aune du militantisme, de la ruse, des accointances
mystiques, etc., les élites ont déployé ce qu'elles
avaient de plus séculier, en terme de ressource, le sexe. Il nous a
été révélé248 que la
majorité des cadres du RCD/Goma ont eu, pour conserver et/ou se voir
promettre un poste politique supérieur, à entretenir chacun une
seconde femme Tutsi rwandaise. La promotion du canapé ou du lit n'est
plus seulement l'affaire des femmes249. Il faut être
allié du détenteur de pouvoir étranger pour
prétendre au pouvoir politique ou le conserver.
La conversion de la loyauté sociale en atouts
politiques exigeant le renouvellement régulier de l'élite locale,
en application de la proverbiale tactique de «diviser pour
régner». Ainsi s'est manifestement opéré la
mobilité/mobilisation des élites politiques en Province Orientale
de la période étudiée. Nous pouvons ici relever quelques
exemples de ce propos : les nominations des gouverneurs de la Province
Orientale (Jean Pierre Lola Kisanga, Théo Baruti Amisi Ikumaiyete, Walle
Sombo Bolene, Mathias Decuvi Dz'x,...) entre 1998 et 2003 et de toutes les
élites nommées gouverneurs/commissaires de district de l'Ituri
suivent la même logique.
248 Par plusieurs personnalités membres du RCD/Goma
interrogées sur l'implication de donation/offre des femmes (ou seulement
des mariages de fait) tutsi («congolaises»/rwandaises).
249 Les stéréotypes sociaux et les pratiques
réelles justifient le fait que certaines femmes doivent leurs promotions
du fait des facilités sexuelles qu'elles accordent à certaines
autorités. Nous retrouvons ici la résurgence des alliances
matrimoniales comme vecteur de relation politique.
|