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Guerres et circulation des élites politiques en province orientale de la République Démocratique du Congo

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par Edocin Ponea Tekpibele Masudi
Université de Kisangani - Diplôme d'Etudes Supérieures (DES) 2009
  

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III.2.1. Les urnes dans la guerre, une démocratie atypique 237

Pendant l'odyssée militaire de l'AFDL à travers le pays, les sphères du pouvoir ont été mises en compétition par le jeu «démocratique», car il s'est agi des élections avec pour règlementation qu'un code minimum; dans l'absence totale d'une préparation, pas de règlement électoral , pas de restriction sur les éligibles et les électeurs, pas de secret de vote, la campagne électorale préalable n'est que minimale et dépend de l'initiative de chaque candidat et de sa «base» (qui conduirait à un choix judicieux des électeurs suivant les programmes d'action présentés par les candidats), pas de pluralisme politique (tout le monde devait se dépouiller de son ancienne appartenance politique et devenir, de facto et ex officio, membre du seul mouvement détenteur du pouvoir, l'AFDL ou le MLC, selon le cas.)238, etc.

Car, pour le MLC à Buta et à Banalia où il organisa le même type d'élections mais, pour ce dernier, il emprunta à son parrain ougandais l'élection à la file indienne «queuing system239»... (par laquelle les électeurs devraient s'aligner derrière le candidat de leur choix et après le «bureau de vote» devrait compter les électeurs, de sorte qu'était élu, le candidat qui avait plus des personnes à sa suite). Un mode d'élection qualifié de «à la queue leu leu» par les habitants des zones sous contrôle MLC.

Nous notons avec François Jean et Jean-Christophe Rufin que ces mouvements, comme du reste ceux ployant dans les mêmes contextes et poursuivant les objectifs similaires de lutte contre le pouvoir, sont confrontés à plusieurs contraintes

237 Les électeurs composites regroupés dans des enceintes des municipalités pour les élections des bourgmestres de communes et au stade Lumumba pour ce qui est de l'élection des gouverneur, vice-gouverneur et maire, vice-maire opèrent leurs choix en mains levées. Les candidats sont placés en face des électeurs.

238 Car, l'activité des partis politiques est suspendue, disons, interdite, dans toutes les zones conquises ; Kisangani n'aurait pu faire l'exception.

239 Le queuing system (tous derrière et moi devant), donc «file indienne» où les électeurs sont alignés derrière le candidat de leur choix est un procédé de vote habituellement d'usage en Ouganda, au Kenya.

Lire les ouvrages ci-après pour mieux comprendre la question : G., Prunier & B., Calas, dir., L'Ouganda contemporain, Paris-Nairobi, Karthala-IFRA, 1994, D., Bourmaud, Les élection au Kenya : Tous derrière et moi devant..., Politique Africaine, La corruption au quotidien : Ben Laden, l'Afrique et les Etats-Unis. Les secrets de l'isoloir, Paris, Karthala, n° 83, octobre 2001.

«les mouvements armés doivent en effet résoudre une série de problèmes matériels qui sont pour eux autant de contraintes économiques. [...] lorsque la rébellion s'étend et se perpétue, les acteurs politiques et militaires doivent organisés des circuits économiques pour financer leur lutte et contrôler les populations. [...] Pour atteindre ses objectifs politiques, un mouvement armé cherche, de façon pragmatique, les formes d'organisation qui lui permettent de tirer le meilleur parti des conditions locales et internationales»240.

Ainsi, les élections organisées par l'AFDL en mars 1997 et le MLC en novembre 1999 n'ont pas, comme le penseraient d'autres analystes, constitué un moment régulateur et fédérateur de la société civile et des politiques. Loin s'en faut, il nous semble que ces élections ont, par contre, révélé la fracture qui a toujours existé entre ces deux groupements de la société congolaise. Elles ont aussi traduit les appétits de certains acteurs de la société civile à l'affût d'un pouvoir politique qui s'auréolait de légitimité, d'ambitions développementalistes, et sans compter l'enrichissement facile tel observé chez les «aînés». Ces élections semblent avoir été fondatrices d'un nouveau «contrat social». Car source de légitimité politique pour des nouvelles élites politiques et un nouveau régime qui se réclamait révolutionnaire.

Ceci est prouvé par les nombreuses candidatures des membres de la société civile ainsi que leur élection massive. Car, à Kisangani par exemple, sur les 16 élus de mars 1997, 13 sont issus de la société civile et n'ont pas eu à pratiquer de manière active la politique. Leur activisme étant plutôt avéré et notoire au sein des associations de la société civile.

A Banalia, à Buta et à Bunia, la même régularité s'est observée. Les «hommes du peuple»241 prennent le pouvoir. C'est-à-dire, ces hommes frais, qui sont

240 J., François & J.-C., Rufin, (dir.), Economie des guerres civiles, Paris, Hachette, 1996, Passim

241 La société civile est du reste considérée comme alternative à ce pouvoir corrompu et abject du MPR et de Mobutu. Ses auxiliaires sont conspués par la population et les acteurs de la société civile semblent être les personnalités politiquement vierges et intègres. Et surtout, elles habitent, vivent avec la population et connaissent leurs problèmes de tous les jours contrairement à ces barrons du régime décadent et rebuté. Lors des élections, coutume a été, pour la population, de scander frénétiquement « Mouvancier, mouvancier, mouvancier,...» si tôt

toujours dans le peuple, qui vivent et connaissent les réalités de ce peuple «abandonné» à se prendre en charge et vivant de la solidarité mécanique. Ceux qui n'ont jamais trempé leurs mains dans la saleté de la politique de la Deuxième République honnie et exécrée par la population.

Nous l'avons déjà dit, les urnes dans la guerre postulent d'une forme atypique et originale des élections (Tous les processus devant se dérouler et se terminer en quelques heures seulement et dans une impréparation qui frise la légèreté,...). Il nous a été rapporté242 que cela fut ainsi fait aux motifs d'éviter des fraudes et manipulations des électeurs par certaines personnes ou organisations. Ce qui se lit comme improvisation répondait par contre à l'exigence sécuritaire. La ville venant fraîchement d'être conquise, il y avait de crainte de sabotage ou d'infiltration des éléments ex FAZ.

Malgré tout, les résultats de ces élections ont été un camouflet pour ces élites bannies. Une revanche de la population sur ses affameurs et ceux qui lui ont toujours refusé l'opportunité de se prononcer et de se choisir ses propres dirigeants de manière libre, démocratique et simple. Le choix du peuple a été plus tranchant et a corrigé toutes les prévisions «géopolitiques» possibles par rapport à la «force de conscience du peuple de la Province Orientale de contrôler son espace» tant clamée par les propagandistes du MPR défunt.

qu'un candidat ancien gouvernant ou membre du MPR ou encore reconnu pour ses accointances avec le régime du MPR et certains clients métayers locaux. Cela fut une sorte de disqualification implicite de la course et, il nous semble, une forme de délation collective ou d'information aux nouveaux venus de qui était qui.

Précisons aussi que les acteurs de l'AFDL n'avaient aucunement fait de l'appartenance au MPR un motif d'incompatibilité ou d'inéligibilité. Tout le monde pouvait se présenter devant l'agora et seul le choix du «peuple» tranchait. Et le peuple a tranché : il a, en bloc, rejeté les acteurs du pouvoir défait mobutiste. Sauf une exception confirme cette règle. Il s'agit de monsieur Lokinda, Bourgmestre adjoint du précédent régime à la Makiso qui a gardé son poste dans la même commune. Et à Banalia, Monsieur Lioke Balebandja, Secrétaire Administratif du Territoire de son état qui est placé AT après les élections. Car, nous confiera Exy Bayabo, ATA en Charge de l'Administration et des Finances à l'issue de cette compétition électorale : «Les responsables de l'AFDL ont préféré le Vieux Lioke Balebandja à moi à cause justement de son expérience. Mais, aux élections, c'est moi qui étais plébiscité par le peuple.» Notre entretien avec ce dernier à Kisangani, le 09 septembre 2007.

242 Avant les consultations populaires à la commune de la Tshopo, nous avions demandé à monsieur Mwenze Kongolo, qui dirigeait le Bureau de vote chargé du scrutin dans cette commune, pourquoi les choses ont été ainsi précipitées sans préparation. Nous nous souvenons nous être frotté à l'un des candidats «mouvancier» concernant cette question. Il pensait que moins les consultations étaient préparées, plus ils (anciens du MPR et hérauts du mobutisme) avaient la chance de l'emporter. Encore, la population a prouvé son attachement ou engagement au changement.

Par ailleurs, nous avons aussi remarqué des tentatives de manipulation des résultats de vote par certaines «élites» en leur faveur. Car, la tendance de la victoire des jeunes «élites» et des allogènes se profilait déjà à l'horizon. Les autchtones de Buta, par exemple, insistent auprès du Chairman du MLC, Jean-Pierre Bemba Gombo, pour insérer, sur la liste des candidats, le nom d'un des leurs (Monsieur Lumaliza) qu'ils voulaient comme Administrateur de Territoire.

A Banalia aussi, nous pouvons citer l'implication de la notabilité locale pour éviter non seulement la présence, mais aussi l'élection des allogènes. Les creuseurs ont été mobilisés dans les différentes carrières florissantes243 du territoire pour venir au secours de certains candidats soutenus par les «barrons locaux» maîtres des carrières. Ceci a valu en 1999 l'élection de Monsieur Jean Tongo Bandamali comme Administrateur de Territoire, en 2003 Monsieur Picoro Monewiya Malanga comme Député National pour le compte du MLC. A Bafwasende aussi, la même réalité a été observée. Monsieur Michel Botoro Bodias bénéficia efficacement de la participation des creuseurs des certains foyers miniers (carrières) de Bafwasende pour être élu Administrateur de Territoire.

Les urnes dans la guerre ont favorisé la mobilité ascendante des nouvelles élites issues de la «pluralité géographique, sociologique et historique de l'élite sociale ; qu'ils en soient le reflet et, simultanément, le dépassement »244. Mais, ces consultations en temps de guerre n'ont pas, partout où elles furent organisées (Kisangani, Bunia, Banalia, Buta, Bafwasende, etc.), permis ce que Bayart appelle «la résurgence, à l'occasion des consultations électorales, des sédiments anciens de la classe politique [...] ».245 Pour ces anciens agents et clients du pouvoir mobutiste, la mobilité a été donc descendante.

243 Les carrières Lolima B de Monsieur Picoro Monewiya Malanga et Lolima A de Monsieur Sébastien Mabulunga Ponea, Maï ya Tshopo (Ma Tshopo) de Monsieur Consman Madoli Ndjale. Ces différentes carrières ont été les véritables Etats dans l'Etat avec «lois» et formes d'organisation sociale et furent aussi des réservoirs électoraux intéressants. Des cités surpeuplées et où l'argent et sa poursuite son roi et reine. Ainsi, le mot d'ordre du PDG (Président Délégué Général, qui n'est autre que le propriétaire de la carrière) de la carrière semble être parole d'évangile et suivi à la lettre au risque de se voir, soit refuser d'accès à la carrière, soit bannir de la carrière.

244 J.-F., Bayart, L'Etat en Afrique [...] Op. Cit., p. 211.

245 Idem.

Les élections organisées par les groupes rebelles ont eu une particularité commune : le principe de non exclusivité des candidats, «l'impréparation», absence de restriction aux électeurs quant à leurs qualités. Et, en un certain point de vue, il partage les traits du sens commun.246

Par ailleurs, nous avons décelé à travers ce processus électoral l'intense activisme247 de la Jeunesse de l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (J/UDPS) et des autres partis de l'opposition politique de la Transition de 1990-1996, d'ailleurs, dans la victoire de certains candidats à Kisangani surtout et dans une certaine mesure à Bunia et à Buta. Peut-être, c'est ces apports non négligeables de l'opposition et de la société civile (surtout des églises) qui ont influencé la mobilité ascendante/descendante observée lors des élections dans la guerre. La notabilité due à l'activisme social ou politique au bénéfice de la population semble aussi avoir une incidence dans les résultats observés des élections en temps de guerre.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery