136 CONCLUSION
Comprendre comment s'est fait la circulation des élites
politiques pendant les différents guerres et conflits armés
récurrents qui ont marqué l'histoire politique nous a
amené à centrer notre travail autour de l'intitulé
«Guerres et circulation des élites politiques en
Province Orientale de la République Démocratique du Congo. 1997-
2003».
Nous avons tenté de cerner les contours
socio-historiques et politiques de la mobilité /circulation des
élites politiques en Province Orientale avec comme
révélateur principal la violence politique. Une violence
alimentée par l'instrumentalisation de l'ethnie, l'intervention des
forces externes et la collusion des intérêts et tactiques des
acteurs locaux à l'assaut du pouvoir politique et à la captation
de l'Etat ainsi que du contrôle des ressources économiques. Cette
violence n'est pas absurde ni même gratuite. « Elle suit les
logiques des acteurs et de ce fait, elle est porteuse de messages sociaux et
politiques250. »
Les élites politiques, nous l'avons vu, forment un
ensemble d'agents particulièrement actifs dans le fonctionnement de la
société, surtout dans le domaine du politique. Leurs diverses
contributions à l'action historique peut revêtir plusieurs formes
(violentes, douces quant elles appliquent la ruse et la fourberie, ethniques et
ethnopolaires, etc.). Il a fallu les analyser dans les contextes de la violence
politique pour s'imprégner de leurs capacités à
s'approprier l'espace politique et les privilèges que ce dernier
procure.
D'où notre préoccupation à
procéder à une relecture de la quotidienneté de l'action
politique par les acteurs agissant dans leurs rapports internes et externes
verticaux et horizontaux sous-tendus par l'histoire. Nous nous sommes
penché à
déceler le rôle structurant de cette violence
politique à l'espace politique Province Orientale.
L'hypothèse principale de cette étude est que la
violence politique contribuerait à la circulation des élites
politiques en Province Orientale.
Au lieu de ne voir que destructions, déchirements et
bilans macabres dans la géochronologie251 locale de la
violence politique caractéristique de la Province Orientale de la
période observée (1997-2003), tous ces maux en étant bien
sûr les conséquences patentes, nous y avons décelé
le déploiement/redéploiement des élites politiques en
Province Orientale. Car, les nouveaux acteurs entrent en jeu sans pourtant
effacer ou éliminer totalement les anciens de la scène politique.
Quelques allers-retours des acteurs d'hier et d'aujourd'hui dans l'occupation
de l'espace local252 sont observés dans la mobilité
des élites politiques en Province Orientale.
Nous avons recouru à la sociologie historique. Car, il
nous a fallu découvrir les «corrélations qui permettent
davantage de comprendre les comportements des acteurs chargés de valeurs
et de culture»253. Le recours à l'histoire n'a pas ici
consisté à établir l'authenticité des faits
marquants de l'existence d'un personnage; mais plutôt, comme le
précisent Michel De Coster, Bernadette Bawin-Legros et Marc Poncelet,
«de lire et d'apprécier, à travers de simples récits
de vie de personnes, les facteurs qui ont empêché, freiné
ou, au contraire, favorisé leur ascension à des positions
sociales (politiques ajoutons-nous) diverses254. Il a fallu
considérer les événements dans leur temporalité
respective mais liée ; afin de repérer, d'une part, les
éléments structurant les crises et d'autre part, la
continuité sans perdre de vue les ruptures et les
changements255 intervenus dans la géochronologie de ces
événements.
L'analyse de contenu nous était d'un louable soutien
dans le traitement des données
251 Nous empruntons ce concept de C., Thibon, Art.
déjà cité, p. 3
252 Maindo Monga Ngonga « Par-delà les crises et les
guerres, réinventer le quotidien » in Maindo Monga Ngonga, Des
conflits locaux à..., Op. Cit., p. 291.
253 G., Hermet et alii. Op. Cit. 261
254 M. De Coster, B., Bawin-Legros et M., Poncelet, Op.
Cit., p. 224.
255 Maindo Monga Ngonga, Des conflits locaux à..., Op.
Cit., p. 294.
récoltées par la documentation, l'interview non
directive et l'observation participante.
Nous avons été obligé de faire recours au
pluralisme théorique pour l'analyse des données. Que cela ne
donne, en effet, l'impression d'un certain amalgame
épistémologique dans la connaissance scientifique
développée tout le long de cette réflexion. Loin de
là aussi toute tendance de « cacophonie scientifique », la
pluralité paradigmatique et théorique dans notre étude
procède de la nécessité de répondre à la
complexité du politique dans un univers émaillé par la
violence politique tel que le notent Michel De Coster, Bernadette Bawin-Legros
et Marc Poncelet : « aucun paradigme en soi ne peut avoir le
privilège de tout expliquer.256 De ces paradigmes et
théories nous pouvons relever : les théories élitistes, le
paradigme de la quotidienneté emprunté à Michel De Certeau
et Erwin Goffman, celui de l'habitus de Bourdieu, etc.
Il est intéressant de remarquer qu'il nous a
été indispensable de trancher entre les tenants de
l'homogénéité de l'élite politique et ceux de
l'hétérogénéité/pluralité des
élites. Une controverse déjà ancienne, a permis de
formuler les enjeux les plus fondamentaux de ce problème notamment du
point de vue de la logique démocratique. A la vision dite polyarchique
(ou pluraliste), soucieuse de souligner les spécificités de
chaque composante s'oppose une thèse moniste qui postule la convergence
profonde d'intérêts de toutes les fractions dirigeantes
associées à l'exercice du pouvoir257. Notre choix
était plutôt porté sur la pluralité des
élites politiques258.
Les urnes en temps de guerre par lesquelles le suffrage
universel d'une démocratie atypique a été exercé,
les nominations nombreuses et permanentes des autorités auxiliaires
(élites politiques en Province Orientale) ont servi des modalités
par lesquelles les mouvements rebelles et groupes armés divers ont
été mobilisées à l'aune des multiples tactiques
exploitées à la fois par les alliés et les élites
politiques locales. Ces tactiques ont été nombreuses ; celles
retenues dans cette étude pour les illustrer sont : La violence
politique, la politique du ventre/«ventrocratie », la
256 M. De Coster, B., Bawin-Legros et M., Poncelet, Op.
Cit., p.102.
257 P., Braud, Sociologie politique (manuel de),
7ième édition, Paris, LGDJ, 2004, p. 567.
258 Cf. infra.
marginalité/automarginalité,
l'ethnopolarité, la haine, la ruse, la xénophobie. Aussi, le sexe
comme ressource politique a été épinglé comme
tactique politique.
Ces tactiques exploitées à la fois par les
élites politiques entre elles dans leurs actions de recherche
hégémonique et à travers les différents mouvements
rebelles et les milices qui ont marqué l'histoire de la Province
Orientale entre 1997 et 2003.
Nous avons fourni, à travers les lignes qui
précèdent, moult efforts pour comprendre, analyser,
découvrir et expliquer les relations causales existant entre les guerres
et la circulation des élites politiques en Province Orientale.
Dès lors, il a été judicieux de voir qui ont fait
l'histoire, comment ils l'ont faite et comment ils se sont mobilisés.
Nous nous sommes aperçu, dans notre étude, de la pesanteur de la
violence politique dans la reconfiguration de l'espace politique Province
Orientale. Cette
259
dynamique illustre l'analyse de Mark Duffield et d'autres,
selon laquelle les nouvelles guerres en Afrique ne devront pas être
comprises tant comme une marche en arrière vers une sorte de barbarisme
ou un chaos destructeur, mais également comme des occasions pour des
élites locales et des seigneurs de la guerre de relier leurs entreprises
« au centre technologique de la société
métropolitaine ». Le commerce des diamants, de l'or et des autres
ressources naturelles par des réseaux criminels a aussi contribué
à un repositionnement des acteurs politiques et économiques sur
le plan global. Ainsi, la guerre en Ituri semble avoir contribué au
développement de ce que Duffield appèle un « emerging
political complex.»
Tout au long de ces pages nous avons vu les élites
politiques se redéployer et circuler du fait de la violence politique.
Certaines élites politiques ont profité de la guerre et d'autres
non, les anciennes élites reviennent en scène le temps d'une
éclipse. Ainsi, nous pouvons dire que nos hypothèses de
départ ont été confirmées. Cette circulation s'est
faite à travers des guerres civiles internes (celles opposant les
factions rebelles ou les groupes armés interethniques entre eux) et des
guerres extérieures (c'est-à-dire
impliquant certains Etats de la région contre la RDC) avec
des repliements identitaires, ethniques ou régionalistes
manipulés par les acteurs en compétition.
Cette étude, qui s'insère dans l'ordre de
l'inachevé, est perfectible et ne prétend en rien avoir
analysé avec exhaustivité la question de la violence politique et
de la mobilité des élites politiques en Province Orientale.
Certains aspects aussi intéressants non élucidés par nous,
méritent de l'être par des recherches ultérieures. Il
s'agit entre autres des aspects touchant au réseautage entre les acteurs
locaux et les acteurs étrangers, la communication politique ou les
liturgies politiques des élites politiques pendant les guerres, la
survivance ou la capacité de se maintenir en politique des élites
politiques (analyse de la longévité des élites en
politique) ainsi que l'analyse des facteurs d'enrichissement des élites
de la guerre (une sociologie des élites basée sur les
trajectoires socio-économiques).
Ce travail a certes bénéficié, de
près ou de loin, de l'apport de plusieurs savants et personnes de bonne
foi ; à eux tout le mérite qu'il porte. Nous en sommes nous
même comptable des faiblesses et insuffisances.
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