Section 2 L'obligation d'exploitation à la
charge du commanditaire.
Il est une particularité de la cession, en
propriété intellectuelle, exorbitante du droit commun, qui doit
être marquée et que l'on retrouvera dans l'étude du contrat
de commande : ce n'est pas parce que le commanditaire acquiert
régulièrement les droits qu'il pourra en faire ce qu'il voudra,
en premier en n'exploitant pas et s'assoupissant : il devra mettre l'oeuvre en
valeur : le contrat de commande étant consentie avec charge
d'exploitation pour le partenaire économique188.
A la vérité, les transferts de droit, en
propriété intellectuelle, sont pour la plupart d'essence
fiduciaire, le commandité conservant un intérêt fondamental
à la mise en valeur de la chose189.
Ce qui a de nombreuses conséquences, notamment quant
à l'obligation d'exploitation, la détermination du prix
d'accès à l'oeuvre par le public.
L'art. L.131-3 al. 4 dispose que le cessionnaire exploitera
l'oeuvre « conformément aux usages de la profession >> et
versera une rémunération proportionnelle aux recettes.
Sous-section 1- Le droit d'auteur.
En ce qui concerne le problème de l'existence d'une
obligation d'exploitation de l'oeuvre commandée, à la charge du
commanditaire, il semble qu'il soit lié aux préoccupations
qu'inspirent les intérêts moraux et patrimoniaux des auteurs. Il
est constaté, que le souci dont peut être animé le
commandité. Un point de vue économique dit : « si la
rémunération qui constitue la contrepartie de la cession est
assise sur les recettes, l'absence d'exploitation prive l'auteur de sa
rémunération et son engagement perd sa cause
>>190.
188 P-Y GOUTIER. P. 542.
189V.HASSLER: RTD com, 1984. 581. P-Y GOUTIER : P.
542. 190 A. HUGUET. F.POLLAUD-DULIAN : P.593.
A- L'obligation d'exploitation dans le cadre du contrat
de commande.
Les situations imposant une obligation d'exploitation au
cessionnaire des droits patrimoniaux sont limitées au contrat de
production audiovisuelle et au contrat d'édition191. Elles
ont donc une portée, certes étendue mais qui n'est pas pour
autant absolument générale, car elle est limitée à
ces deux catégories de contrats. A ce sujet. S. STROMHOLM écrit :
<< dans le texte français, l'obligation de publier est un
élément de la définition du contrat d'édition, ce
qui fait échapper à l'application directe des dispositions
susnommées >>192. Donc, toutes les conventions qui ne
contiennent pas de stipulations explicites sur un tel devoir ou ne comportent
pas d'éléments permettant d'y voir une promesse implicite, elles
ne seront pas concernées par cette obligation.
Si l'auteur a, généralement, un
intérêt, à la diffusion de son oeuvre, cet
intérêt n'est protégé par aucune des
prérogatives d'ordre moral dont il dispose. Ainsi, le droit de
divulgation, qui permet à l'auteur de rester maître du moment
où il se sépare de son oeuvre pour la diffuser dans le public, ne
l'autorise pas pour autant à exiger du cessionnaire des droits
patrimoniaux qu'il exploite l'oeuvre193.
S.STROMHOLM écrit : << le créateur
intellectuel qui exécute une commande s'est mis au service d'un but
précis, poursuivi par son cocontractant et connu, normalement, de
l'auteur. S'il est possible de dire qu'il est, à la publication d'un
ouvrage, en quelque sorte le serviteur de l'oeuvre -....- la situation, dans
les cas qui nous occupent, est inverse : c'est l'auteur qui a accepté la
servitude du but, intellectuel ou strictement utilitaire, fixé par son
cocontractant >>194.
Concernant la cession pure et simple, si une cession pure et
simple n'est pas possible, l'obligation d'exploiter du cocontractant de
l'auteur apparaît certaine. Le seul doute susceptible de subsister
concernerait alors le contenu et l'étendue de cette obligation.
Juridiquement : ni la nature du droit
d'auteur français, ni aucune disposition législative expresse
n'exclut tout à fait la conclusion de cessions pures et simples. Or, on
peut penser que si le législateur avait souhaité prohiber ce type
de convention, qui laisse au cessionnaire la même latitude qu'à
l'auteur quant à l'exploitation des droits, il lui aurait
été facile de le faire
191 ALLEAUME Christophe : Conditions requises pour que
l'exploitation d'une oeuvre au sein d'une compilation soit de nature à
porter atteinte au droit moral de l'auteur. La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires n° 3, 18 Janvier 2007, 1085.
192 S. STROMHOLM. P. 277,
193 S.STROMHOLM. P. 281.
194 S. STROMHOLM: P. 401.
en établissant une règle générale
dans ce sens195. Toutefois, une telle stipulation contractuelle
n'est acceptable que si la cession fait l'objet d'une
rémunération forfaitaire, et non proportionnelle.
Constaté aussi qu'il est difficile d'apprécier
de manière exacte le domaine des cessions pures et simples et de savoir
dans quelle mesure et dans quelles circonstances l'auteur pourrait les
consentir. Le cas échéant, les juges seront souvent tentés
de sanctionner de telles conventions pour infraction aux règles d'ordre
public qui s'appliquent aux modèles contractuels voisins comme, par
exemple, le contrat d'édition196.
De ces diverses constatations. S. DENOIX DE SAINT
MARC197 a avancé un point de vue vis-à-vis du contrat
de commande : << Si la cession qui accompagne le contrat de commande
stricto sensu n'entrait ni dans le moule du contrat d'édition, ni dans
celui du contrat de production audiovisuelle, et ne comportait aucune
stipulation relative à l'obligation d'exploitation du commanditaire, il
faudrait, nous semble-t-il, en déduire que celle-ci est implicitement
prévue par les parties ».
B- La justification de l'obligation
d'exploitation.
Le contrat de commande comme un contrat d'exploitation a une
nature assez particulière, car l'auteur reste, en principe,
intéressé au sort de son oeuvre, car il conserve toujours au
moins son droit moral, puisqu'il contracte pour que son oeuvre soit
communiquée au public et que sa rémunération dépend
généralement de l'exploitation.
Ainsi, l'article L.131-4, alinéa 1er pose en
principe que l'auteur doit être rémunéré
proportionnellement aux recettes d'exploitation. A et H-J Lucas
198écrivent qu'il est << dans la ligne » de la
législation sur le droit d'auteur << qu'en principe les
cessionnaires assument, comme tels, l'obligation de mettre en valeur les droits
qui leur sont transmis : ils sont des agents de diffusion et ont le devoir de
ne pas sacrifier les intérêts des créateurs aux leurs. (
.....) La cession au sens de la loi du 11 mars 1957, est essentiellement une
modalité des contrats d'exploitation, un moyen de réaliser la
diffusion, à laquelle sont vouées les oeuvres, qui portent toutes
un message (.....) Il demeure que le cessionnaire, comme tel, ne peut pas en
principe se réclamer de la faculté discrétionnaire
d'exploiter ou non l'oeuvre ».
195 A. Lucas et H.J. Lucas P. 432. N° 520
196 A. Lucas et H.-J. Lucas, Traité de la
propriété littéraire et artistique : 3e éd., 2006,
n° 678 et s.
197 S. DENOIX DE SAINT MARC : P. 242.
198 A. Lucas et H.-J. Lucas, Traité de la
propriété littéraire et artistique : 3e éd., 2006,
n° 678.
Par conséquent, chaque fois que le cocontractant
dispose d'une cession exclusive, il lui incombe une obligation d'exploitation,
nonobstant toute clause contraire. Dans les autres cas, l'obligation
d'exploiter s'impose aussi, chaque fois que la
rémunération est proportionnelle aux recettes199,
faute de quoi l'engagement de l'exploitant est purement potestatif.
Rien n'interdit par ailleurs, d'assortir le contrat qui prévoit une
rémunération forfaitaire, d'une stipulation d'obligation
d'exploiter. Compte tenu des discussions existant sur cette question, l'auteur
a tout intérêt à faire insérer une clause
précisant ou rappelant l'obligation d'exploiter à la charge de
son cocontractant.
Aussi une nouvelle interprétation relève de la
distinction qui est faite entre les éléments essentiels, naturels
et accidentels du contrat. C'est alors la qualification d'élément
naturel qui semble devoir s'imposer, au sujet de l'obligation du commanditaire
d'exploiter l'oeuvre. Ainsi, qualifier l'obligation d'exploiter l'oeuvre
d'élément naturel du contrat de commande lato sensu, conduit
à dire que, sauf manifestation de volonté contraire des parties,
le contrat emporte cette obligation, à la charge du commanditaire,
cessionnaire des droits200.
Qu'il s'agisse de la question de l'obligation d'exploitation,
des clauses de rétraction ou de celles par lesquelles le commanditaire
se réserve la faculté de demander à l'auteur de modifier
l'oeuvre qu'il a créée, un équilibre doit être
recherché entre les intérêts des contractants. Pour sa
part, l'abandon de la liberté de création, à laquelle le
contrat de commande contraint l'auteur, trouve sa contrepartie dans la
nécessité, pour le commanditaire, de respecter cette
prérogative. Dans toutes ces hypothèses, les
intérêts du créateur sont mis en balance avec ceux de son
cocontractant.
Enfin, une partie de la doctrine propose d'ailleurs
d'étendre l'obligation d'exploitation à l'ensemble des contrats
d'auteur dans la loi201.
Sous-section 2 - Le droit de propriété
industrielle. A- La définition de l'obligation
d'exploitation.
Il faut ici distinguer entre l'élément
patrimonial du droit d'auteur et le droit des brevets car
ils n'entretiennent pas la même relation quant à l'obligation
d'exploiter qui se situe à des degrés divers. Dans ces deux
cas, le droit est temporaire, mais la différence est fondée sur
le fait que
199 F. POLLAUD-DULIAN : P. 594.
200 Une telle manifestation de volonté pourrait tout
simplement prendre la forme suivante : « le commanditaire n'endosse aucune
obligation d'exploiter l'oeuvre commandé » S. DENOIX DE SAINT MARC
: P. 243.
201 Ch. Caron, Droit d'auteur et droits voisins : LexisNexis
Litec, 2006, n° 397 ; P.-Y. Gautier, Propriété
littéraire et artistique : PUF, 2007, n° 459
l'on n'est pas obligé d'exploiter son droit de la
même façon. En ce sens, les droits d'auteur seraient une
propriété plus personnaliste que le droit des brevets qui serait
une propriété plus utile.
Il résulte de l'article 2262 du code civil que le droit
de propriété ne disparait pas par la non-exploitation : il est
imprescriptible, alors que les droits de propriété
intellectuelle, et particulièrement les droits de
propriété industrielle, sont soumis à la prescription
extinctive qui suppose la disparition du droit du fait de la non-exploitation
prolongée d'une marque peut mener à la déchéance de
la marque, l'inventeur ou le cessionnaire qui n'exploite pas son invention, il
est aussi menacé par la licence obligatoire, sous certaines
conditions.
B- L'application sur le contrat de commande :
En ce qui concerne le contrat de commande : Normalement le
commanditaire enfin est un cessionnaire ; donc il ne contracte à
l'égard du cédant, aucune obligation d'exploiter. Devenu
propriétaire du brevet, il exploite ou n'exploite pas sous
réserve du risque d'une licence obligatoire.
Il existe cependant des cas où le cessionnaire est tenu
d'exploiter en vertu d'une obligation contractuelle souscrite à
l'égard du cédant. Il en est ainsi lorsque le prix de la cession
est fixé sous la forme d'une redevance proportionnelle au volume de
production. Si le cessionnaire n'exploite pas, alors le contrat de commande
doit être résolu à ses torts.
Mais en l'absence d'une clause de minimum d'exploitation,
l'obligation d'exploiter est une obligation de moyen ; c'est donc au
cédant de prouver la faute du cessionnaire en cas de non exploitation
par ce dernier.
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