Chapitre 2 : l'équilibre des obligations entre
les parties.
Le dynamisme du marché reposant sur l'idée de
circulation, la propriété ne doit pas être figée. On
perçoit donc l'opposition fondamentale entre la conception juridique
créatrice de la propriété considérée comme
absolue et la conception économique, la première reposant
essentiellement sur la liberté de la non-exploitation et le droit direct
sur l'oeuvre de la propriété, la seconde exigeant l'obligation
d'utilisation de ce droit, ce qui diminue l'aspect protecteur du droit moral
sur le terrain d'un contrat portant une cession explicite ou
implicite169.
L'idée du marché va limiter la liberté du
commandité sous l'influence de l'idée du marché, aussi
elle va demander des conditions renforçant la logique de
l'investissement et assurer l'équilibre des intérêts entre
les deux partie dans le contrat.
Section 1 La restriction du droit absolu du
créateur.
En ce qui concerne la propriété industrielle, le
créateur n'ayant pas la qualité d'auteur, il n'a pas les
caractéristiques uniques du droit moral170. Il est soumis
dans ses relations contractuelles aux règles du contrat d'entreprise,
ces règles obligent l'entrepreneur en vertu du contrat à faire ou
à ne pas faire sous la contrainte de l'exécution forcée ou
l'astreinte.
Pour cette raison, et compte tenu de notre étude
concernant la spécificité du contrat de commande dans la
propriété intellectuelle, nous allons à présent
discuter les contraintes relatives au contrat de commande dans sa
spécificité, en laissant de côté les cas dans
laquelle nous appliquons les règles du contrat
d'entreprise171.
Sous-section 1 - la restriction conventionnelle.
Le commanditaire exprime de façon plus ou moins
précise ce qu'il attend du contrat. Jusqu'à quel point admettre
qu'il dicte ses volontés ? On s'est demandé si, en son principe,
l'intervention d'un tiers, serait-il cocontractant, n'était pas
incompatible avec le droit d'auteur dans la mesure où l'activité
du créateur postule l'indépendance et la maîtrise du choix
créateur. A l'appui de cette thèse, l'argument du droit moral de
l'auteur avait notamment été
169 ABELLO Alexandra, FRISON-ROCHE Marie-Anne : Droit et
économie de la propriété intellectuelle, L.G.D.J,
2005. P. 4.
170 Ce droit donne l'auteur la possibilité de refuser
l'exécution de contrat sans contrainte de l'exécution
forcé
171 L'obligation essentielle de l'entrepreneur
d'exécuter la prestation qui lui a été demandée en
respectant les modalités convenues. Alors les parties dans le contrat
peuvent préciser le délai de l'exécution, source
fréquence de litiges et la nature de l'obligation, de moyen ou de
résultat. Par conséquent, le commandité est invité
à respecter les clauses de contrat.
mis en avant. Mais, comme l'a rappelé la cour de
cassation, cette prérogative ne préexiste pas à
l'oeuvre172, car le code de la propriété
intellectuelle investit l'auteur de droits du fait de sa création. C'est
donc lorsqu'elle prend forme, même si elle n'est pas définitive,
que naît le droit moral173.
A- Les obligations acceptables par rapport de sa
nature.
Le contrat peut-il faire naître des contraintes de
nature à brider l'élan et l'inspiration créatrice du
commandité ? La cour de cassation l'a admis à propos d'une
commande d'oeuvre audiovisuelle pour laquelle l'auteur peut « au
préalable librement consentir par convention à limiter sa
liberté de création et s'engager en particulier à
obéir aux impératifs d'une commande » 174.
Alors, les obligations vont-elles à l'encontre de
l'activité créatrice et de la nécessaire
indépendance qui doit y présider ?
La réponse mérite d'être nuancée car
Il existe une variété de clauses définissant la commande
à créer.
Des clauses générales peuvent laisser au
commandité une liberté totale de création en ne
précisant que le type d'oeuvre à créer.
Des clauses précises limiteront en revanche la
liberté de création du commandité. Le commanditaire peut
en effet imposer au commandité un certain nombre de contraintes. Outre
le type, le format, le sujet ainsi que la manière de le traiter peuvent
être imposés au commanditaire au moment de la conclusion du
contrat.
Le contrat détermine donc le degré de la
liberté de création et d'immixtion du commanditaire dans
l'exécution de l'oeuvre.
C'était reconnaître que la création peut
exister quoique réalisée dans un cadre contraint. Il est,
dès lors, naturel que le commandité qui accepte la commande en
respecte les obligations. Sa position d'auteur ne le soustrait pas à la
règle de la force obligatoire des contrats175.
Point de vue jurisprudentiel.
Les directives ne doivent pas entraver de façon
significative le créateur, car alors la convention pourrait être
frappée de nullité. De quelle façon apprécier cet
excès ?
172 Cass. 1er civ, D, 8 novembre 1989, n°
87-10.440.
173 S DENOIX DE SAINT MARC: P. 199.
174 Cass, 1er civ, D, 7avril 1987, n°
85-12.101, Bulletin 1987 I N° 124 p 93 (En l'espèce, l'état
Gabonais avait passé commande à une société de
télévision d'un film sur le Gabon destiné à en
assurer la promotion et publicité. Une clause du commanditaire. Les
auteurs avaient négligé de le consulter. Le fait était
compréhensible, car leur reportage était assez critique sur le
Gabon. Reprochant une constante volonté de dénigrement et des
images tendancieuses, l'état gabonais soutenait que l'oeuvre
était sans rapport avec ce qui avait été convenu).
175 S DENOIX DE SAINT MARC : P. 204.
Le degré de précision de l'oeuvre imposé
au commandité par le commanditaire peut-il être
considéré comme abusif ? Certaines conventions déterminent
avec soin l'oeuvre à créer, jusque dans les formes, proportions,
volumes, matériaux. La validité de ces accordes ne semble pas
remise en doute, le commandité y ayant consenti librement176.
Dans l'affaire de la sculpture commandée à l'artiste SCRIVE, le
contrat indiquait « la hauteur, la dimension et l'espacement de ses
divers éléments, le tout devant être exécuté
en plastique armé coloré »177.
Souvent, ces précisions ne font que reprendre des éléments
tirés des projets ou propositions émanant exclusivement du
commandité, au moment de la conclusion du contrat, auxquels le
commanditaire donne son aval178. Mais quand bien même celui-ci
interviendrait dans la description de l'oeuvre future, le contrat ne serait pas
pour autant ébranlé.
Tout au contraire, la contrainte pèse de façon
manifestement abusive lorsque le commandité est soumis à des
rythmes de production insupportables. Les juges ont estimé
qu'une convention imposant une cadence de production excessive était
frappée de nullité absolue179.
M. SAVATIER souligne à quel point le contrat
reflétait jusque dans ses termes et son langage le mépris pour
l'art que pouvait avoir le marchand. << Il est inadmissible que, dans les
obligations d'un artiste, l'esprit soit expressément réduit
à une valeur marchande. Négliger le reste, c'est oublier que la
loi y voit le principal du contrat »180. Dans une autre
affaire, les juges ont décidé que « la cession des
oeuvres futures par un peintre est licite dès lors qu'elle est
limitée dans le temps et qu'elle ne s'accompagne pas d'exigences
incompatibles avec le droit moral de l'artiste »181. C'est
donc au cas par cas que le juge se penchera sur l'équilibre entre
liberté de création et attentes du commanditaire, sachant que la
jurisprudence n'est pas très abondante en la matière. Le fait
peut être mis sur le compte de l'absence de réel conflit. Il
arrive aussi que ce genre d'incidents trouve une issue à l'écart
de la voie contentieuse, sur le terrain de la transaction.
B- Les obligations acceptables par rapport de sa
qualification.
La considération que Le logiciel, spécifique et
développé par un prestataire pour être utilisé par
un client, est juridiquement un contrat d'entreprise. Même
l'étendue des obligations devra être définie dans les
clauses du contrat, et toutes les prestations associées au logiciel,
telles que maintenance, formation, conseil, etc. peuvent être
analysées comme des contrats
176 CA Paris, 11 juin 1997, RIDA, n°174, octobre 1997, P.
255.
177 TGI Paris, 14 mai 1974, RIDA, 1975 P. 219.
178 S. STROMHOLM : P. 320, n° 178.
179 << Comme contraire aux principes qui régissent
la propriété intellectuelle, une telle convention entravant ainsi
la liberté créatrice du commandité, tenu à
respecter un rendement déterminé, ce qui est de nature à
compromettre gravement la qualité de son oeuvre, sa réputation et
son avenir ».CA Aix, 23 février 1965, D. 1966, P. 166. SAVATIER.
RTD com. 1965.
180 SAVATIE René : Le droit de l'art et des lettres. R.
Pichon et R. Durand-Auzias1953. N°. 168. P. 122
181 Cass. 1er civ, 19 janvier 1970, D. 1970. J.
483.
d'entreprise. Une telle qualification nous dit que le contrat
peut comporter des clauses prévoyant l'étendue des droits
accordés : soit la totalité des droits au profit du client, ce
qui correspondra à une cession de droits incorporels ; soit une partie
des droits accordés au profit du client, ce qui pourra correspondre
à une concession de droits incorporels assimilable à un
louage.
Le législateur a diminué la protection du
commandité en soumettant le contrat de commande de logiciel aux droits
communs, tant que nous somme sur le terrain du contrat d'entreprise,
l'entrepreneur dans ce contrat doit respecter les conditions du contrat sans
aucune liberté de création.
Sous-section 2 - La restriction extérieure de
la volonté des parties.
Un certain nombre d'autres éléments peuvent
éventuellement peser sur le créateur dans l'exercice de son
travail et qui, cette fois, trouvent leur source en dehors du contrat de
commande. L'oeuvre doit parfois se plier à des exigences diverses,
respecter les règles d'urbanisme ou le délai de création
ou livraison de l'oeuvre. Elle est parfois prohibée des
prérogatives en raison de sa finalité.
A- Liberté de création et règles
d'urbanisme en général.
L'oeuvre considérée en tant qu'objet
matériel appartient à d'autres catégories juridiques plus
générales. C'est un bien mobilier (pour les tableaux) ou
immobilier (sculpture fixées au sol, création architecturale).
S'agissant d'oeuvres d'art ayant une implantation fixe, il faut se demander si
les règles d'urbanisme ont vocation à s'appliquer. S'agit-il
d'une construction soumise en tant que telle aux règles du permis de
construire ?
L'article L421-1 du code de l'urbanisme prescrit que :
« quiconque désire entreprendre ou implanter une construction
à usage d'habitation ou non, même ne comportant pas de fondations,
doit, au préalable, obtenir un permis de construire ».
B- Liberté de créer et temps de
création.
Si il y a un délai pour réaliser une oeuvre d'art,
si ce délai est raisonnable, le commandité devra
le respecter, sauf arrangement avec son cocontractant, ce qui arrive
fréquemment.
D'une part la jurisprudence dit « est délicat
d'imposer à un artiste de faire une oeuvre dans un temps
déterminé car il n'est pas toujours maître de son
inspiration »182.
182 Trib, civ, Charolles, 4 mars 1949, Gaz. Pal. 1949. 2. 176.
D'autre part la cour d'appel en examinant la clause du
délai dans un contrat de commande a souligné « est
licite le contrat par lequel le créateur s'engage à fournir
périodiquement un nombre déterminé d'oeuvres pendant une
certaine durée »183.
Si le principe d'une obligation contractuelle de créer
dans un certain délai est admis, le procédé de l'astreinte
consistant à impartir un délai sous contrainte pécuniaire
est en revanche exclu184.
Par conséquent, ce n'est pas la volonté des parties
qui détermine le délai ou sa correspondance avec l'inspiration du
créateur, mais c'est le juge de fonds et selon les faits, cas par
cas.
C- La délimitation de l'application du droit de
suite.
L'article L.122-8 al 2 « on entend par oeuvres
originales au sens du présent article, les oeuvres créées
par l'artiste lui-même et les exemplaires exécutés en
quantités limitées par l'artiste lui-même ou sous sa
responsabilité ».
La cour d'appel a définit l'oeuvre originale qui
bénéficie du droit de suite comme « qui a
été créée de la main même de l'artiste, qui
est sa reproduction personnelle ou qui est la reprise par un
procédé technique spécial d'une oeuvre
préalablement et matériellement conçue par l'artiste
lui-même » 185.
La cour rappelle que « dans la mesure où la
loi institue un droit exorbitant de droit commun contraignant la
propriété légitime d'un objet à payer à
l'auteur ou à ses héritiers un droit lorsqu'il l'aliène,
ce droit devrait être interprété strictement
».
Un avis doctrinal après le rejet de cette
décision par la cour de cassation186 va élargir la
définition de l'oeuvre originale « l'oeuvre qui aura
été réalisée à partir des dessins de
l'artiste ou de ses marquettes, selon ses instructions et sous son
contrôle, de telle sorte que dans son exécution même,
l'oeuvre porte l'empreinte de sa personnalité et se distingue par
là d'une simple reproduction »187.
Il est nécessaire de dire que vis-à-vis de
contrat de commande concernant la propriété industrielle,
où le droit moral de créateur ne donne au commandité la
même position protectrice de l'auteur, l'idée du marché
domine ce domaine de la propriété pour qu'elle laisse à la
liberté des parties, le choix de déterminer la nature du contrat
et les obligations
183 CA Paris, 15 novembre 1966, D.1967.483.
184 CA Paris, 4 juillet 1865, DP, 1865. 2. 201.
185 CA Paris, 28 janvier. 1991, RIDA, 1991, P. 141.
186 Cass. 1er civ. 13 octobre 1993, D 1994, jurispr. P. 138.
187 F.GREFFE, P-B GREFFE: P. 373.
conventionnelles conformément au droit commun, sans prise
en compte, de la qualité de créateur.
Par conséquent le contrat de commande, selon sa
finalité, va s'encadrer en deux manières :
1. la commande d'oeuvre qualifié comme une oeuvre
originale, donc le commandité a la qualité d'auteur, on applique
les règles de contrat de commande en droit d'auteur.
2. l'oeuvre n'est pas originale, en ce cas on applique les
règles communes des contrats.
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