B. LE RÉGIME DES INCOMPATIBILITÉS
Les incompatibilités constituent, aux
côtés des immunités, une modalité de protection du
mandat parlementaire. On pourrait même avancer qu'elles constituent un
gage d'indépendance. Elles permettent, entre autres, d'empêcher
que les parlementaires soient sous le contrôle direct du Pouvoir
Exécutif ou encore de l'Administration qui se situe d'ailleurs dans le
prolongement de ce dernier.
A la différence de l'inéligibilité,
l'incompatibilité joue après l'élection.
L'inéligible ne peut pas être candidat,73 alors que
l'incompatibilité ne vicie pas l'élection. Toutefois, elle impose
dans un délai relativement court un choix74, par l'élu
lui-même, entre le mandat parlementaire et la fonction
déclarée incompatible.
71 Article 114 de la Constitution de 1987.
72 Article 115 de la Constitution de 1987.
73 Les constituants de 1987 ont commis l'erreur de
regrouper, sous la rubrique «des incompatibilités»
des cas d'inéligibilité. Voir les articles 131 et 132 de la
Constitution. « L'inéligibilité c'est une situation qui
entraîne l'incapacité d'être élu. » Voir
GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 302.
74 L'article 25 de la Constitution française
du 4 Octobre 1958 réfère à une loi organique pour le
régime des inéligibilités et des incompatibilités.
Voir l'art. 10 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet
2008 de modernisation des institutions de la Ve République ;
la LOI organique no 2009-38 du 13 Janvier 2009 portant application
de l'art. 25 de la Constitution de 1958 (JORF no 0011 du 14 Janvier
2009).
En Haïti, mises à part quelques dispositions
constitutionnelles éparses relativement aux inéligibilités
et aux incompatibilités, aucune loi n'est venue fixer, jusqu'ici, le
régime des incompatibilités et des inéligibilités.
Donc, le délai pour choisir n'est pas fixé en Haïti,
contrairement au cas français.
En Haïti, le mandat parlementaire est incompatible avec
toute autre fonction rétribuée par l'État,
nonobstant celle d'enseignant75. C'est que la fonction
d'enseignant, même lorsque rétribuée par l'Etat,
échappe à la suspicion de dépendance à
l'égard du Pouvoir Exécutif.
De plus, à l'article 164, les constituants de 1987 ont
jugé utile de rajouter : « La fonction de Premier Ministre et
celle de membre du Gouvernement sont incompatibles avec tout mandat
parlementaire. Dans un tel cas, le parlementaire opte pour l'une ou l'autre
fonction. » Cela, comme pour marquer leur attachement au principe de
droit public de la Séparation des Pouvoirs.
SECTION II.- LE POUVOIR EXÉCUTIF ENTRE
LÉGITIMITÉ POPULAIRE ET CONSÉCRATION
PARLEMENTAIRE
Le Pouvoir Exécutif est l'un des trois (3) grands
Pouvoirs de l'Etat et l'une des deux institutions politiques instituées
par la Constitution de 1987. En grosso modo, il est chargé de
faire exécuter les lois délibérées et votées
par le Pouvoir Législatif.
Depuis l'institution de la Constitution de 1987, le Pouvoir
Exécutif est organiquement constitué du Président de la
République et du Gouvernement : c'est le bicéphalisme
exécutif. Par voie de conséquence, le Pouvoir Exécutif est
exercé à la fois par le Président de la République
et par le Gouvernement comme organe collégial et solidaire ayant
à sa tête un Premier Ministre.76
Le Président de la République est le Chef du
Pouvoir Exécutif.77 Mais, cela n'implique pas la
subordination entre les deux branches de l'Exécutif. A bien comprendre
l'esprit du régime constitutionnel de 1987, l'on se demande même
s'il n'en est pas le Chef seulement de nom78.
75 Article 129-1 de la Constitution de 1987.
76 Article 133 de la Constitution de 1987.
77 Voir les articles 105 et 106 de la Constitution de
1987.
78 Le titre de Chef du Pouvoir
Exécutif est octroyé au Président de la
République peut-être pour rester fidèle à une
vieille tradition constitutionnelle en Haïti qui considère presque
toujours le Président de la République comme le Chef du Pouvoir
Exécutif (en ayant même presque toujours seul l'exercice).
Autrement, est-ce une simple question de préséance ? Si oui, nous
rappelons que le Président de la République est
déjà élevé au rang de Chef de l'Etat dans
le nouveau régime. Nous comprenons et nous avons rappelé le sens
du titre de Chef de l'Etat du Président de la
République. Cependant, nous avouons ne pas saisir l'opportunité
du titre de Chef de l'Exécutif accordé au
Président de la République.
Le Pouvoir Exécutif est certes divisé, mais de
façon déséquilibrée entre le Chef de l'Etat et le
Chef du Gouvernement. En effet, les mécanismes institutionnels au niveau
de la Constitution de 1987 sont montés de manière à
organiser le transfert du pouvoir réel au Premier Ministre, Chef du
Gouvernement. Cependant, depuis l'institution de la Constitution de 1987, la
« pratique » du régime n'a pas semblé illustrer cet
aspect du système politique théoriquement posé.
De plus, les deux branches du Pouvoir Exécutif ne
jouissent pas du même mode d'accession au pouvoir. D'un coté, le
Président de la République est électif, car il est pourvu
par élection79 ; d'où, sa légitimité
populaire. De l'autre, le Gouvernement procède du Parlement. Donc, le
Gouvernement ne jouit pas de la légitimité populaire, mais
reçoit la bénédiction des élus du Peuple, plus
particulièrement de la confiance des Assemblées parlementaires
élues.
Un regard sur les deux composantes du Pouvoir Exécutif,
en l'occurrence le Président de la République (§ 1) et le
Gouvernement (§ 2), aura permis de saisir cette institution politique dans
son essence.
§ 1.- LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE :
UN ARBITRE OU UN CHEF DE CABINET ?
Sous le régime constitutionnel de 1987, le
Président de la République est le premier personnage de l'Etat.
D'ailleurs, le texte constitutionnel consacre solennellement cette
préséance protocolaire du Président de la
République en le surnommant expresis verbis « Chef de
l'Etat ».80 Il représente l'Etat et l'engage. Il a la
responsabilité de l'Etat et de ses intérêts
supérieurs. De plus, il incarne l'Etat dans son existence, sa
continuité et sa permanence. Sa fonction a donc pour fondement l'Etat.
C'est si vrai que l'art. 136 de la Constitution de 1987 précise qu'il
« assure la continuité de l'Etat ».
79 Avec l'élection au suffrage universel
direct du Président de la République, le Parlement n'a plus
l'exclusivité de la représentation du Peuple. De plus, cela
renforce le caractère républicain de l'Etat. C'est que dans un
Etat républicain, le pouvoir politique y est nécessairement issu
de l'élection.
80 Voir l'art. 133 de la Constitution de 1987.
C'est pour la première fois, dans l'histoire constitutionnelle
haïtienne, qu'on élève le Président de la
République à la dignité de « Chef de l'Etat ».
Voir MANIGAT 2000, op. cit., p. 430.
Une prise en compte de son mode d'accession au pouvoir, de son
autorité politique (A) et de ses principales compétences (B) aura
permis de le situer brièvement dans le système institutionnel mis
en place par la Constitution de 1987.
|