A. DISPROPORTION ENTRE SON ÉLECTION ET SON
AUTORITÉ POLITIQUE
Le régime constitutionnel de 1987 emprunte au
régime présidentiel l'institution d'un Président de la
République élu au suffrage universel direct. Ce mode de scrutin
pour l'élection du Président de la République est
fixé à l'art. 134 : « Le Président de la
République est élu au suffrage universel direct à la
majorité absolue des votants. Si celle-ci n'est pas obtenue au premier
tour, il est procédé à un second tour. »
Son mode d'élection lui assure, sans conteste, un
fondement démocratique et une légitimité populaire au plan
national :
> 1- Il n'est pas élu par un collège
électoral mais directement par le Peuple.81
> 2- Le corps électoral82 n'est pas
défini d'une manière restrictive : Tout Haïtien ayant
atteint sa majorité électorale peut, en principe, se
prononcer.
> 3- Pour être élu, la majorité
absolue des suffrages exprimés (soit plus de la moitié des
suffrages exprimés) est nécessaire, majorité exigeant des
conditions plus difficiles à réunir que la majorité
simple. Si cette majorité n'est obtenue par aucun candidat à
l'issue du premier tour, il y a ballottage et il est procédé
à un second tour. Donc, le Président de la République est
élu au scrutin majoritaire uninominal à deux tours.
Ce mode de désignation, par son caractère
largement représentatif, devrait lui conférer une autorité
politique considérable. Il reçoit la consécration
populaire, alors que le Premier Ministre reçoit la confiance des
Assemblées élues. C'est ce qui fait du Chef de l'Etat
l'élément politiquement irresponsable de l'Exécutif.
Puisqu'il est titulaire d'un mandat politique qu'il tient directement du
Peuple, il n'a à répondre de l'exercice de ce mandat ni devant le
Parlement ni devant une instance juridictionnelle. Ainsi, n'a-t-il pas besoin
de la
81 Il n'en a pas été toujours ainsi.
Le premier Président de la République à être
élu au suffrage universel direct est le Général Paul
MAGLOIRE le 8 Octobre 1950 en vertu du décret du 3 Août 1950. La
Constitution de 1950 (art. 88) allait ratifier cette élection et
entériner le principe. Idem., p.444.
82 Le corps électoral peut se définir
comme l'ensemble des personnes qui bénéficient juridiquement du
droit de vote, c'est-à-dire du droit de participer aux élections
à la fois au plan national et au plan local. Voir HAMON, TROPER 2003,
op. cit., page 461.
confiance du Parlement pour garder son poste et demeurer en
fonction pour la durée de son mandat.
En effet, la Constitution de 1987 admet le principe de
l'irresponsabilité du Président de la République, mais il
s'agit d'une irresponsabilité politique. C'est cette
irresponsabilité du Chef de l'Etat qu'exprime la procédure du
contreseing dans le cas de l'exercice des pouvoirs partagés du
Président de la République. Par la formalité du
contreseing, le Premier Ministre et les Ministres responsables endossent la
responsabilité des actes du Chef de l'Etat devant les Assemblées
parlementaires.83
Si, comme on vient de le voir, le Président de la
République est irresponsable politiquement, sa responsabilité
pénale n'est, par contre, guère discutable. En effet, en
matière pénale, le Président de la République ne
bénéficie pas plus qu'un simple privilège de juridiction.
C'est ainsi que le Président de la République est passible de la
Haute Cour de Justice « pour crime de haute trahison
ou tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de ses fonctions
».84 Or, la notion de haute trahison est
une notion juridiquement fluctuante. En conséquence, les parlementaires
peuvent lui attribuer un contenu largement politique.
De plus, le Président de la République n'en est pas
moins responsable civilement, puisque la Constitution ne le fait pas
bénéficier d'une immunité civile.
En clair, de ce point de vue, le Président de la
République n'est pas un personnage intouchable. Son
irresponsabilité politique est une conséquence logique de sa
légitimité populaire, du fait qu'il incarne et représente
l'Etat85 et du fait de sa faible participation à l'exercice
du pouvoir réel. Cependant, il reste et demeure pénalement et
civilement responsable.
Par ailleurs, lors des élections
présidentielles, les votants ne font qu'investir le candidat à la
présidence de leur choix d'un mandat. En Haïti, la durée du
mandat présidentiel est de cinq ans (5 ans). Dans l'esprit de
réduire la tentation de garder le pouvoir, le mandat
83 Article 163 de la Constitution de 1987.
84 Art. 186, al. 1er de la Constitution de 1987.
85 Donc, il doit être tenu à
l'écart des luttes politiques.
présidentiel est renouvelable une seule fois et
après un intervalle de cinq ans (5 ans) au moins.86
Encore en réaction au présidentialisme
traditionnel, le calendrier des échéances électorales est
chaotique, c'est-à-dire que le cycle électoral est
irrégulier en ce sens que le Président de la République,
les Sénateurs et les Députés ne sont pas élus pour
la même durée. Qui plus est, la Chambre des Députés
est renouvelée intégralement chaque quatre ans (4 ans), alors que
le renouvellement du Sénat se fait par tiers (1/3) tous les deux ans.
D'où, une véritable « arythmie électorale
»87.
Tout l'enjeu politique réside dans le fait que cette
« arythmie électorale » laisse place à de forts risques
de non-concordance entre les majorités parlementaire et
présidentielle. Or, en cas de cohabitation, l'influence du
Président de la République va être davantage
tempérée ou simplement minimisée par la
prépondérance du Premier Ministre.
|