B. SES COMPÉTENCES ET LEURS LIMITES
Contrairement aux Assemblées parlementaires, les
attributions du Président de la République sont limitativement
fixées par la Constitution.88 Sans toutefois négliger
quelques prérogatives spéciales que lui accorde la Constitution,
nous nous en tenons ici, prioritairement, à ses compétences
politiques, diplomatiques et militaires.
Ses compétences
politiques
Le Président de la République choisit le Premier
Ministre. Néanmoins, il est tenu de le choisir au sein du parti de la
majorité, c'est-à-dire un membre du parti de la majorité
parlementaire.89 Donc, si celle-ci relève d'un autre courant
politique que celui auquel appartient le Président de la
République, ce dernier peut être obligé de choisir comme
Premier Ministre une personnalité dont la vision se trouve aux antipodes
de la sienne, surtout dans l'éventualité où cette
majorité serait homogène. A ce moment, le Premier Ministre serait
le
86 Donc, il n'est pas immédiatement
rééligible, c'est-à-dire qu'il ne peut pas se porter
candidat à sa propre succession. Et, il est de la sorte, en
réaction au présidentialisme traditionnel et cela favorise
également l'alternance politique.
87 Cette notion est empruntée à Olivier
DUHAMEL. Voir Olivier DUHAMEL 1991, p. 135.
88 Article 150 de la Constitution de 1987.
89 Constitution de 1987, art. 137.
chef d'une majorité parlementaire hostile à la
politique souhaitée par le Chef de l'Etat.90 En un mot, c'est
la majorité qui impose au Président de la République un
Premier Ministre.
Toutefois, il peut arriver qu'aucun parti n'ait la
majorité au Parlement. A ce moment, le Président de la
République est tenu de choisir un Premier Ministre « en
consultation avec le Président du Sénat et celui de la Chambre
des Députés ». Ici, le Président de la
République paraît disposer d'une plus grande marge de manoeuvre.
Mais, dans la pratique, et surtout si la configuration du Parlement
présente la réalité d'une mosaïque, le
Président de la République devra s'assurer que le Premier
Ministre choisi dispose de la confiance du Parlement. Or, dans cette situation,
le Président de la République devra montrer toute sa mesure dans
l'art difficile de la négociation, vu la multiplicité et la
divergence des intérêts politiques.
Dans les deux cas susmentionnés, le choix doit
être ratifié par le Parlement. Ce qui met le Parlement au centre
du choix du Premier Ministre. Le Président de la République n'a
que le pouvoir de lui proposer le nom d'une personnalité.91
Qui plus est, constitutionnellement, le Président de la
République n'est pas autorisé à révoquer le Premier
Ministre qu'il a pourtant « choisi »92.
Le Chef de l'Etat participe au choix des membres du Cabinet
ministériel du Premier Ministre.93 Il assure la
présidence du Conseil des Ministres.94 Il dispose d'un droit
de message au Parlement.95 Il dispose d'un droit d'objection, un
droit très limité.96 Il peut convoquer le Parlement en
session extraordinaire.97 Enfin, il dispose d'un droit d'amnistie en
matière politique.98
90 Cependant, pour ne pas seulement
considérer le simple cadre constitutionnel du régime, nous devons
faire remarquer, vu le multipartisme en Haïti, qu'il devient difficile
pour un parti de disposer de la majorité parlementaire. Depuis
l'institution de la Constitution de 1987, quand une majorité arrive
à être dégagée, elle est composite, hormis le cas de
la 47e Législature. Or, ce statu quo tend à
relativiser les risques de cohabitation au sens propre du terme. D'ailleurs,
les élections de Mai 2000 ont été largement
contestées par la majeure partie de la classe politique. « A
quelques heures du dépouillement, les bulletins se ramassent
déjà à la pelle près du BEC de la rue Pavée.
» Voir Le Nouvelliste du Lundi 22 Mai 2000, no 35 960
et celui du Mardi 23 Mai, no 35 961.
91 Cependant, quand il y a concordance entre les deux
majorités -ce qui est difficile vu le multipartisme- le Président
de la République joue un rôle plus actif.
92 Art. 137-1, Constitution de 1987.
93 Article 158 de la Constitution de 1987.
94 Art. 154, Constitution de 1987.
95 Art. 151, Constitution de 1987.
96 Voir les articles 121, 121-4, 144 de la
Constitution de 1987.
97 Voir les articles 105 et 106 de la Constitution de
1987.
98 Art. 147, Constitution de 1987.
Ses compétences diplomatiques et
miitaires
La Constitution reconnaît au Chef de l'Etat le pouvoir
spécial (treaty making power) de négocier99
et de signer les traités internationaux100. Cependant,
l'organe interne investi souverainement de l'autorité pour s'engager
définitivement et solennellement au nom de l'Etat à les
exécuter c'est l'Assemblée Nationale. D'où le pouvoir
d'approbation ou de rejet de cet organe en cette matière. Le
Président de la République soumet les traités à la
ratification de l'Assemblée Nationale et l'instrument de ratification,
le cas échéant, se présente sous la forme de «
décret de ratification »101.
Le Chef de l'Etat dispose du droit de
légation.102 Mais pour la nomination des Ambassadeurs et
Consuls généraux, l'arrêté de nomination est pris en
Conseil des Ministres et après approbation du Sénat.
Le Président de la République est le Chef
nominal des Forces armées et participe au choix du Commandant en Chef
des Forces armées. « Il déclare la guerre,
négocie et signe les traités de paix », mais il lui
faut préalablement l'approbation de l'Assemblée Nationale.
Des prérogatives
spéciales
Le Président de la République, aux termes de
l'article 136 de la Constitution de 1987, veille au respect de la Constitution,
mais il ne pas saisir, en cette qualité, le juge constitutionnel pour
lui demander de statuer sur la conformité d'une loi ou d'un
traité international à la Constitution. Cet article fait de lui
un gardien de la Constitution, mais cette dernière ne lui en donne pas
les moyens.103
99 Donc, «le pouvoir de désigner les
plénipotentiaires et leur délivrer les pleins pouvoirs».
Voir Nguyen Quoc Dinh 2002, op. cit., page 128.
100 Art. 139, Constitution de 1987.
101 Voir les articles 139 et 276-1 de la Constitution.
102 Droit pour un Etat d'envoyer auprès d'autres Etats
ou de recevoir de ceux-ci des représentants diplomatiques ; dans le
1er cas, on parle de droit de légation actif, dans le second
de droit de légation passif .Voir CORNU 2007, op. cit., page
539.
103 Toutefois, d'aucuns diraient que le Président de la
République joue son rôle de gardien de la Constitution à
travers son droit d'objection, puisque, entre autres, la promulgation atteste
que la loi a été régulièrement
délibérée et votée. Donc, si le Chef de l'Etat
estime que la loi est inconstitutionnelle, il a le droit de demander une
nouvelle délibération de cette loi. Ce raisonnement est
très logique, mais, comme il a été déjà
indiqué, le droit d'objection du Président de la
République est un droit très limité.
Il veille également à la stabilité des
institutions, mais il ne dispose pas du droit de dissolution même en cas
de conflits irréductibles entre le Gouvernement et les Assemblées
parlementaires.
De plus, comment assure-t-il le fonctionnement régulier
des Pouvoirs publics ? A ce sujet, nous faisons observer qu'en France, lorsque
le fonctionnement régulier des Pouvoirs publics constitutionnels est
interrompu, le Président de la République dispose des pouvoirs
exceptionnels de l'article 16 de la Constitution de 1958 et du recours au
référendum.104
§ 2.- LE GOUVERNEMENT : RESPONSABILITÉ ET
INSTABILITÉ
Le Gouvernement forme avec le Président de la
République les deux composantes du Pouvoir Exécutif. Cet organe
collégial et solidaire dont la mission est de « conduire la
politique de la Nation » procède du Parlement et le Conseil
des Ministres est sa principale instance de réunion politique. Il est
composé du Premier Ministre dont l'influence politique est à
géométrie variable (A), des Ministres et des Secrétaires
d'Etat (B).
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