B. LE DOMAINE DE LA LOI ET LE CHAMP DE COMPÉTENCES
DU PARLEMENT
Le Sénat et la Chambre des Députés sont
les deux (2) composantes du Parlement. Or, ce dernier est une création
de la Constitution. En conséquence, il va de soi que le Sénat et
la Chambre sont deux (2) organes institués par la Constitution.
La doctrine constitutionnelle française retient l'Etat
et les limites de son pouvoir comme objet de la Constitution et du droit
constitutionnel168. Par contre, dans la Constitution de 1987, les
pouvoirs du Parlement, un organe de l'État, ne lui sont pas
comptés.
En effet, l'article 93 de la Constitution de 1987,
énumérant des attributions de la Chambre des
Députés, dispose in fine que « les autres
attributions de la Chambre des Députés lui sont assignées
par la Constitution et par la loi ».
On en déduit que l'énumération de cette disposition
constitutionnelle n'est pas limitative, puisque d'autres attributions
éparses de la Chambre des Députés peuvent être
trouvées dans l'ensemble du texte constitutionnel et dans la loi. Donc,
toutes les attributions de la Chambre ne sont pas contenues dans l'article 93
de la Constitution de 1987. Elle est fondée à exercer valablement
toutes autres compétences que lui confèrent la
Constitution et la loi.
168 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 22.
De plus, l'article 97 de la Constitution de 1987,
énumérant des attributions du Sénat, dispose in fine
qu'il peut aussi « exercer toutes autres attributions qui lui
sont assignées par la présente Constitution et
par la loi ». On en déduit que pareillement
à la Chambre des Députés, le Sénat est fondé
à exercer valablement toutes autres compétences que lui
confèrent la Constitution et la
loi.
Le terme loi doit être pris, ici, au
sens organique et formel (stricto sensu), c'est-à-dire le texte
émanant du Pouvoir Législatif. Il ne doit pas être compris
comme englobant, ut universi, toutes les règles à valeur
juridique (Constitution, loi ordinaire, règlements, principes
généraux du droit, coutume...). Il y a plusieurs raisons à
cela :
D'abord, le terme loi, en
général, est compris au sens organique et formel, par opposition
aux règlements, mais aussi à la Constitution. C'est en ce sens
que l'on entend en général le mot loi dans la
pratique. En d'autres termes, c'est son sens juridique usuel169.
Ensuite, les articles 93 et 97 in fine
précisent : « par la Constitution et par la
loi ». Par conséquent, s'il s'agissait de la
loi lato sensu, il serait inutile d'invoquer la Constitution, car la
loi au sens large englobe aussi la Constitution170. De plus, la
conjonction de coordination et n'aurait pas sa place.
Par ailleurs, il n'y a pas un problème juridique
particulier le fait que les dispositions des articles 93 et 97 in fine
de la Constitution de 1987 réfèrent à l'ensemble du texte
constitutionnel pour rechercher d'autres attributions du Sénat et de la
Chambre. En ce sens, ces dispositions constitutionnelles invitent à
observer que les attributions du Sénat et de la Chambre sont
éparses, donc non regroupées sous une rubrique
particulière de la Constitution.
Cependant, les deux dispositions constitutionnelles en
question font problème en référant aussi à la
loi pour rechercher d'autres attributions du Sénat et
de la Chambre. Si le Sénat et la Chambre peuvent valablement exercer
toutes attributions que leur assignent la loi, comme le
veulent les articles 93 et 97 de la Constitution, cela suppose
évidemment que la loi peut accorder de nouvelles
compétences au Sénat et à la Chambre. D'où, une
extension du domaine de la loi. En plus de pouvoir mettre en oeuvre la
Constitution, la loi peut aussi étendre les
compétences des organes qu'elle institue, en l'occurrence le
Sénat et la Chambre.
169 Voir CORNU 2007, op. cit., page 560, puis
François TERRE, Introduction générale au Droit,
Précis Dalloz, Paris, 7e éd., 2006, p. 194.
170 Idem, p. 194.
A ce propos, nous rappelons qu'il est de la compétence
du Parlement de faire les lois. Or, le Parlement est composé du
Sénat et de la Chambre des Députés. D'où, la
loi qui peut venir étendre les attributions du
Sénat et de la Chambre aura été votée par ces deux
organes.
Par voie de conséquence, on peut avancer qu'en plus des
attributions expressément constitutionnelles qui leur sont
dévolues, la Constitution de 1987 leur reconnaît implicitement le
pouvoir d'étendre le champ de leurs attributions, donc de leurs
compétences, par voie législative ordinaire. N'est-ce pas leur
accorder la « compétence de leur compétence » ? Pour
l'assignation d'attributions au Sénat et à la Chambre,
y-aurait-il lieu de parler de compétence concurrente du constituant et
du Parlement ? Peut-on véritablement parler de prééminence
hiérarchique de la Constitution sur la loi ? En pouvant élargir
ses attributions, le Législateur paraît être l'égal
du constituant.
D'aucuns pourraient faire valoir que les dispositions
constitutionnelles en question ne concernent que le Sénat et la Chambre
des Députés séparément, mais ne concernent pas le
Parlement comme organe et que l'on n'encoure donc aucun danger puisqu'aucune
des deux Assemblées ne vote seule la loi.
Nous répondons que les deux Assemblées
participent, sur un pied d'égalité, à l'élaboration
et au vote de la loi. Un projet de loi ou une proposition de loi devient loi
quand il ou elle est voté (e) en termes identiques par les deux (2)
Assemblées.171 Elle est ensuite adressée au
Président de la République pour promulgation.172 De
plus, le Sénat et la Chambre sont deux organes d'un même Pouvoir,
en l'occurrence, le Pouvoir Législatif ou Parlement. D'ailleurs, c'est
l'addition du Sénat et de la Chambre qui donne le Parlement. Donc,
accorder un pouvoir extensif à la fois au Sénat et à la
Chambre revient encore à l'accorder au Parlement. C'est ainsi que l'on
admet que le Parlement exerce un contrôle sur l'action gouvernementale,
alors que ce pouvoir de contrôle est accordé au Sénat et
à la Chambre séparément.
Par voie de conséquence, les deux (2) Assemblées
du Parlement peuvent toujours s'arranger pour voter un texte173 en
termes identiques qui aura devenu ipso facto loi, puis
171 Art. 120, Constitution de 1987.
172 Art. 121, Constitution de 1987.
173 Une sorte de proposition de loi
d'auto-habilitation dans laquelle elles se distribuent des pouvoirs,
surtout en cas de vide juridique.
l'adresser au Président de la République qui,
après avoir éventuellement usé de son droit d'objection,
se trouvera dans l'obligation constitutionnelle de la
promulguer.174
De plus, l'initiative de la loi appartient concurremment
à chacune des deux Assemblées et au Pouvoir Exécutif.
Néanmoins, la Constitution, en son article 111-2, met une sourdine
à la portée du droit d'initiative législative
accordé au Parlement en ce sens qu'elle prescrit que l'initiative des
lois de finances est de la compétence exclusive du Pouvoir
Exécutif. Par contre, les constituants de 1987 n'ont pas jugé
utile d'empêcher que l'une et l'autre des deux Assemblées puissent
avoir l'initiative de la loi qui aurait pour vocation de leur donner des
pouvoirs. La Constitution a seulement prescrit que la Chambre et le
Sénat peuvent exercer également les attributions qui leur sont
dévolues par la Constitution et par la
loi.
Bien qu'il ne soit pas évident d'avoir un projet de loi
(donc, d'initiative gouvernementale) prévoyant d'accorder de nouvelles
attributions à la Chambre ou au Sénat, ces derniers peuvent
toujours se proposer un texte en ce sens pour être adopté comme
loi. D'ailleurs, la proposition pourra facilement devenir loi puisque le
Pouvoir Exécutif ne dispose d'aucun moyen de pression effectif sur le
Parlement en matière législative.
En effet, il n'est pas sans intérêt de faire
remarquer que les constituants de 1987 ont accordé uniquement au
Sénat et à la Chambre des Députés ce pouvoir
d'étendre leurs compétences.
D'abord, cette prescription constitutionnelle exorbitante est
rencontrée en deux (2) occasions et en deux (2) endroits
différents.175 La Constitution dresse une liste
d'attributions de la Chambre et du Sénat et précise, expresis
verbis, qu'ils peuvent aussi exercer toutes autres attributions qui leur
sont assignées par la Constitution et par la
loi. Par contre, les constituants ont bien pris le soin de
limiter singulièrement les attributions de l'Assemblée Nationale,
l'organe non-permanent du Parlement, avant même d'en dresser la liste.
C'est l'objet même de l'article 98-2 de la Constitution : « Les
pouvoirs de l'Assemblée Nationale sont limités et ne peuvent
s'étendre à d'autres objets que ceux qui lui sont
spécialement attribués par la Constitution. »
Ensuite, seul le Parlement, c.-à-d. le Sénat et
la Chambre, jouit de cette prérogative d'élargir le champ de ses
attributions par voie législative ordinaire. En effet, il est
clairement
174 Art. 121-4, Constitution de 1987.
175 Voir les articles 93 et 97-3 de la Constitution de 1987.
indiqué dans la Constitution que le Président de
la République n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue la
Constitution.176 D'où, un obstacle à
l'équilibre institutionnel et démocratique du régime.
En somme, le pouvoir constituant originaire a accordé,
par sa ratification du texte le 29 Mars 1987, à un pouvoir
constitué, le Parlement, des prérogatives de législation
illimitées jusqu'à lui permettre de se donner des pouvoirs.
L'effectivité des prérogatives de
législation illimitées du Parlement est assurée, car des
faibles moyens d'action sont accordés au Pouvoir Exécutif sur la
procédure législative.
§ 2.- DES FAIBLES MOYENS D'ACTION DE
L'EXÉCUTIF SUR LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE
La loi est adoptée selon la procédure
législative, c'est-à-dire, l'examen et le vote du texte par
chaque Assemblée.177 Nous retenons cinq (5) étapes
principales dans la procédure d'élaboration de la loi (A). En
outre, la procédure législative ne fait quasiment pas l'objet de
contrôle dans la Constitution haïtienne de 1987. Cette
dernière n'accorde que des faibles moyens d'action à
l'Exécutif sur la procédure législative (B).
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