B. L'ABSENCE DE CONTREPOIDS CONSTITUTIONNELS EFFICACES
Dans le régime constitutionnel de 1987, le
système institutionnel retenu se caractérise par la
prééminence du Parlement. A la vérité, il arrive
que les Constitutions accordent une certaine prépondérance
à l'un ou l'autre des organes qu'elles instituent. Néanmoins,
dans les régimes démocratiques dits de Séparation des
Pouvoirs, les compétences accordées aux
Pouvoirs institués sont limitées voire
même contrebalancées. Or, dans la Constitution de 1987, le
Parlement détient des pouvoirs très étendus, voire
illimités, qu'il exerce, pourtant, sans un contrôle efficace.
En fait, il n'y-a pas de drame à accorder des pouvoirs
considérables au Parlement au détriment du Pouvoir
Exécutif, comme moyen de contourner les éventuelles tentatives de
dérive dictatoriale. C'est qu'il est plus facile à un seul homme,
doté d'un pouvoir politique fort, d'instituer le despotisme annihilant
ainsi les libertés fondamentales. Cependant, à trop vouloir
coincer le Pouvoir Exécutif, particulièrement le Président
de la République, les constituants de 1987 donnent l'impression d'avoir
oublié, entre autres, les méfaits du phénomène de
l'obstruction parlementaire, de celui de la paralysie parlementaire ou de celui
de la dictature parlementaire.
Le problème réel résulte du fait qu'en
dépit de l'immensité des pouvoirs accordés au Parlement,
les bornes de ces derniers ne sont pas bien connues. De plus, ils ne sont ni
efficacement contrôlés ni contrebalancés comme le veut la
théorie de la Séparation des Pouvoirs qui postule
l'équilibre des Pouvoirs134, alors que le principe de la
Séparation des Pouvoirs est consacré solennellement par la
Constitution. Comment alors contrebalancer l'influence du Parlement en cas de
dérive ? Peut-on se contenter d'une « vertu »
présumée des élus du Peuple ou doit-on se confier
uniquement à la morale politique ? Dans ces conditions,
l'institutionnalisation du pouvoir politique en Haïti ne perd-t-elle pas
de son sens ?
En effet, les pouvoirs les plus importants et redoutables du
Parlement n'ont pas de contrepartie et ne sont pas rationalisés. Nous
pensons tout de suite au droit de censure des Assemblées parlementaires,
aux prérogatives de législation illimitées du Parlement,
à son pouvoir d'enquête, à la procédure de mise en
accusation du Président de la République ou de tout autre membre
du Pouvoir Exécutif, au pouvoir de contrôle sur nombre de
nominations faites par le Président de la République,
etc.
Pour l'essentiel, au droit de censure ne correspond pas le
droit de dissolution dans le système institutionnel retenu. De plus, en
matière de législation, le Parlement est incontournable.
Pourtant, le Pouvoir Exécutif, quoique ne disposant pas de la
compétence pour adopter des règlements autonomes, ne
contrôle pas la procédure législative.
134 Selon le professeur émérite Pierre PACTET,
il devait résulter de la théorie de la séparation des
pouvoirs un équilibre institutionnel qui constituait le fond même
de la théorie et sa raison d'être. Voir, PACTET 2000, op.
cit., page 114.
Par esprit de synthèse, nous avançons qu'au
regard de la Constitution de 1987, le Parlement peut être
considéré comme l'organe central du pouvoir politique dans le
système constitutionnel haïtien, sinon l'épicentre du
régime. Cependant, en dépit de cette place dominante qu'il occupe
dans l'organisation institutionnelle du nouveau régime, il souffre d'un
déficit à peine voilé d'encadrement juridique.
SECTION II.- LA NATURE ET LA « PRATIQUE » DU
RÉGIME : CONTROVERSES ET DICHOTOMIE
A la lumière des typologies classiques des
différents régimes contemporains, nous faisons des
considérations d'ordre théorique sur la nature du régime
politique institué par la Constitution de 1987 pour essayer de le situer
dans les courants théoriques connus. De plus, dans le cadre de la «
pratique » du régime, nous abordons le problème de la
discontinuité institutionnelle qui, fondamentalement, est la
conséquence de l'instabilité politique et de la faiblesse des
institutions de l'Etat. D'ailleurs, cette absence de continuité
institutionnelle empêche de dire gros sur la « pratique » du
régime en termes de ses apports au cadre constitutionnel proprement dit.
Toutefois, nous avons jugé intéressant d'en parler quand
même, dans la mesure où l'on pourrait se demander si cette
discontinuité institutionnelle ne serait pas aussi une
conséquence d'une éventuelle inadaptabilité ou d'une
éventuelle inapplicabilité du régime.
Pour ce qui concerne la nature du régime, il demeure
entendu que l'on doit se garder de se fermer dans des carcans théoriques
schématisant un idéal type modélisé à partir
de la forme de gouvernement pratiquée en Grande-Bretagne et un
idéal type modélisé à partir du système
constitutionnel américain, puisqu'en effet chaque régime
politique paraît unique135. Toutefois, pour bien poser les
logiques institutionnelles du régime constitutionnel de 1987, nous avons
jugé opportun de faire des considérations académiques pour
pouvoir asseoir notre réflexion sur des bases théoriques et ainsi
la structurer.
Dans cette perspective, nous tâcherons de faire des
considérations d'ordre théorique sur la nature du régime
(§ 1) et nous effleurerons la « pratique » du régime
à travers le problème de la discontinuité institutionnelle
(§ 2).
135 Voir HAMON, TROPER 2003, op. cit., pages 112
à 116, puis ARDANT 2002, page 593.
§ 1.- LA NATURE DU RÉGIME :
AMBIGUÏTÉS ET CONTROVERSES
Parmi les techniques d'organisation des pouvoirs, on distingue
sommairement les régimes de concentration des pouvoirs d'inspiration
totalitariste et les régimes de séparation des pouvoirs
d'inspiration démocratique. La Constitution de 1987, pour sa part,
consacre solennellement le principe de la Séparation des Pouvoirs en son
article 59. Donc, cette disposition constitutionnelle, prise au pied de la
lettre, nous porte à considérer que les constituants de 1987 ont
opté pour un régime démocratique dit de Séparation
des Pouvoirs.
En effet, dans les régimes démocratiques, on
distingue classiquement et à titre principal le régime
parlementaire avec ses diverses modalités ou variantes et le
régime présidentiel. En ce qui a trait au régime
constitutionnel de 1987, force est de constater qu'il s'apparente à un
cocktail ayant cumulé des emprunts au régime présidentiel
et au régime parlementaire. Donc, le nouveau régime de 1987,
n'échappe-t-il pas à la typologie classique des différents
régimes démocratiques ?
Il va sans dire que le régime de 1987 tire une certaine
originalité du fait de son caractère hybride. Pour faire
ressortir cette originalité, nous allons présenter ses
principales particularités (A). De plus, des controverses
relevées dans la doctrine et dans la documentation relative à cet
objet d'étude auront permis de faire la preuve de cette
originalité (B).
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