A. LE PARLEMENT : L'ÉPICENTRE DU POUVOIR
POLITIQUE
Tenant compte de l'organisation institutionnelle du nouveau
régime constitutionnel de 1987, on peut avancer que le Parlement est
sinon une institution-clé, du moins l'organe central du pouvoir
politique dans le système constitutionnel haïtien.
En effet, le cadre constitutionnel confère au Parlement
un rôle de premier plan dans l'exercice du pouvoir politique. Il demeure
entendu que, pour réduire l'influence du Président de la
République et ainsi faire échec au présidentialisme
traditionnel, des pouvoirs importants sont accordés au Gouvernement dans
le cadre du bicéphalisme exécutif institué par la
Constitution de 1987. Toutefois, il n'en demeure pas moins vrai que tout
Gouvernement est en principe celui du parti de la majorité parlementaire
dans le régime constitutionnel de 1987.
Par conséquent, le Gouvernement n'est que le reflet de
la configuration du Parlement. Un Parlement dominé par un parti
disposant de la majorité dans chacune des deux Assemblées pourra
facilement accorder sa confiance pour l'investiture d'un Gouvernement. Dans ces
conditions, le programme politique du Gouvernement aura été celui
du courant majoritaire au Parlement. A contrario, un Parlement «
mosaïque », au sein duquel aucun parti ou groupe ne dispose de la
majorité, accordera plus aisément sa confiance à un
Gouvernement de coalition reflétant les courants divergents et multiples
qui s'affrontent aux Assemblées. En peu de mots, le Gouvernement, quel
que soit le cas de figure considéré, procède du Parlement
dont il reçoit également l'investiture.
En plus de faire procéder le Gouvernement du parlement,
la Constitution de 1987 accorde à ce dernier des pouvoirs
quasi-illimités en vue de contrôler minutieusement l'action
gouvernementale :
> 1- Il contrôle l'exécution du programme
politique pour lequel il a accordé sa confiance ;
> 2- Il peut même questionner ou encore interpeller le
Gouvernement en entier ou un des ses membres sur les faits et actes de
l'Administration131 ;
> 3- Il contrôle l'exécution du budget qu'il a
voté ;
> 4- Il dispose d'un pouvoir général
d'enquête.
Par suite, pour rendre effectives les compétences
susmentionnées, l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées
parlementaires peut valablement renverser le Gouvernement si celui-ci ne
disposerait plus de sa confiance.
Quant au Président de la République, son pouvoir
de nomination, en majeure partie, est teinté de l'influence et du
contrôle du Parlement. C'est le cas dans la procédure de
nomination des juges de la Cour de Cassation ; sa liberté de choix est
limitée par le Sénat. Le Président de la République
est le Chef nominal des Forces Armées132, coresponsable avec
le Premier Ministre de la défense nationale133 et joue un
rôle d'importance dans la diplomatie haïtienne. Toutefois, ce n'est
qu'après l'approbation du Sénat que le Président de la
République est habilité à nommer le Commandant en Chef des
Forces Armées, celui de la Police, les Ambassadeurs et les Consuls
Généraux. Ajouter à cela, il faut aussi l'approbation du
Sénat pour nommer les Conseils d'Administration des Organismes
autonomes.
De plus, il lui faut l'approbation de l'Assemblée
Nationale pour déclarer la guerre à une puissance
étrangère ennemie. Même en temps de crise grave, il ne peut
pas décider de l'opportunité de l'état de siège. Il
dispose, certes, d'une compétence constitutionnelle exclusive pour
négocier et signer les traités, conventions ou accords
internationaux ; mais, un dernier examen, par l'Assemblée Nationale, de
ces instruments juridiques internationaux est constitutionnellement
nécessaire avant que l'Etat soit juridiquement et «
définitivement » engagé.
Le Président de la République ne peut, en aucune
façon, mettre fin, avant son terme normal, au mandat des parlementaires.
Or, le Sénat, érigé en Haute Cour de Justice, peut,
131 Art. 129-2, Constitution de 1987.
132 Art. 143, Constitution de 1987.
133 Art. 159-1, Constitution de 1987.
éventuellement, mettre fin prématurément
au mandat du Président de la République en le destituant. C'est
qu'en dépit de son irresponsabilité politique, le
Président de la République encourt une responsabilité
pénale « pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou
délit commis dans l'exercice de ses fonctions » et est
passible de la Haute Cour de Justice. La procédure de mise en
accusation, procédure d'impeachment dans le système
américain, est engagée par la Chambre des Députés.
Le Sénat, de son côté, érigé en H.C.J.,
après avoir été régulièrement saisi, statue
sur les faits reprochés au Président de la République.
De surcroît, on peut même présumer une
responsabilité du Président de la République en dehors de
l'exercice de ses fonctions. La Constitution n'empêche pas qu'il puisse
être librement poursuivi devant les tribunaux ordinaires pour les actes
ne relevant pas de l'exercice de ses fonctions. Le régime de la
responsabilité pénale du Président de la République
devant la H.C.J. prend en considération seulement les actes accomplis
dans l'exercice de la fonction présidentielle. Le Président de la
République ne bénéficie pas d'une immunité
juridictionnelle concernant les actes accomplis hors de l'exercice de la
fonction présidentielle. Donc, constitutionnellement, il peut être
attaqué devant une juridiction ordinaire pendant le cours du mandat
présidentiel pour les actes ne relevant pas de l'exercice de ses
fonctions. Or, quoi que les parlementaires soient passibles des tribunaux de
droit commun, il faut quand même, nonobstant les cas de flagrance,
d'abord engager la procédure de la levée des immunités.
En dernier lieu, le champ d'action du Parlement, dans le cadre
de l'exercice de sa fonction législative, ne fait quasiment pas l'objet
de limitations. Le constat est le même tant au niveau du domaine
législatif qu'au niveau de la procédure législative.
Tenant compte de tout ce qui précède, il va sans
dire que le Parlement est un véritable lieu de pouvoir, sinon le
siège réel du pouvoir. Pourtant, il souffre d'une carence
d'encadrement juridique.
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