B. L'ABSENCE CONCOMITANTE DU DROIT DE DISSOLUTION DES
ASSEMBLÉES
Sous le régime constitutionnel de 1987, la dissolution
du Parlement ou de l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées est
prohibée.122 Donc, Députés et Sénateurs
sont assurés de demeurer en fonction jusqu'à la fin de leur
mandat, nonobstant les cas de cessation anticipée de mandat
limitativement fixés par la Constitution.123
En effet, d'un côté, chacune des deux
Assemblées peut prendre l'initiative de renvoyer le Gouvernement. Le
vote de la motion de censure au niveau d'une des deux Assemblées sur une
question se rapportant au programme ou une déclaration de politique
générale du Gouvernement entraîne, ipso facto, la
démission en bloc de ce dernier. De l'autre côté, aucune
des deux Assemblées n'a à craindre la menace de la dissolution.
Comment alors empêcher les cas de renvoi fantaisiste de Gouvernement ? La
question de la stabilité ministérielle a-t-elle été
une préoccupation pour les constituants de 1987 ?
Les régimes dans lesquels l'Assemblée qui peut
renvoyer le Gouvernement peut aussi être dissoute assurent une certaine
stabilité du Gouvernement. C'est que face à la peur de voir la
responsabilité politique du Gouvernement engagée, le Chef de
l'Etat, membre de l'Exécutif, peut menacer la dissolution sinon pour
freiner, du moins pour limiter les cas de renvoi fantaisiste de
Gouvernement.
Tenant compte de ce qui précède, l'on peut
avancer que le droit de dissolution détenu par le Chef de l'Etat ferait
contrepoids au pouvoir de renvoi du Gouvernement que détient chacune des
deux (2) Assemblées. Donc, à défaut de cette
réciprocité de moyens de pression, on est en plein dans un
déséquilibre monumental entre les deux Pouvoirs politiques du
régime.
Une Assemblée parlementaire sur laquelle le Chef de
l'Etat dispose d'un droit de dissolution réfléchira à deux
fois avant de prendre la décision de renvoyer le
122 Art. 111-8.
123 Art. 130.
Gouvernement124. Autant dire qu'elle devra faire
preuve d'une extrême prudence dans le maniement de l'arme politique de la
censure, sous peine d'être dissoute. A contrario, rien
n'empêche à une Assemblée parlementaire, sur laquelle ne
pèse pas cette pression politique, d'exiger « du n'importe quoi
» au Gouvernement en le menaçant d'interpellation. Dans ces
conditions, n'est-on pas en droit de parler d'une certaine dictature
parlementaire en Haïti ?
C. L'INEFFICACITÉ DES MÉCANISMES
INSTITUTIONNELS DE RÈGLEMENT DE CONFLITS
Le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif
sont les deux Pouvoirs politiques du régime constitutionnel de 1987.
D'une manière générale, le Parlement
délibère et contrôle des actes très souvent
préparés et exécutés par le Pouvoir
Exécutif. Ces deux Pouvoirs de l'Etat sont donc distincts l'un de
l'autre et sont chargés de fonctions différentes. Ils sont «
indépendants » l'un par rapport à l'autre ; pourtant, ils
sont appelés à collaborer l'un et l'autre en vue de la bonne
marche de l'Etat. D'où, des risques de conflits entre les deux Pouvoirs
politiques de l'Etat. Quand ces conflits surviennent, comment les
résoudre de manière institutionnelle ?
Le régime politique institué par la Constitution
de 1987 laisse place à des risques de conflits assez
élevés entre les Pouvoirs Législatif et Exécutif.
Pourtant, les mécanismes institutionnels de règlement de conflits
mis en place par la Constitution de 1987 laissent à désirer.
L'article 206 de la Constitution de 1987 accorde à une
institution dénommée « Commission de Conciliation » le
pouvoir de trancher, entre autres, les différends opposant le Pouvoir
Législatif et le Pouvoir Exécutif. Néanmoins, cette
même institution appelée à trancher les différends
ne juge pas, puisque ce n'est pas l'adoption d'un acte d'autorité qui
consacre son dessaisissement. Ce n'est qu'une commission de conciliation
comme son nom l'indique. Elle est une institution ad hoc
appelée, entre autres, à aider les deux Pouvoirs politiques
à trouver une entente en cas de différends et dans
l'éventualité où elle est saisie. Il
124 A ce sujet, nous rappelons que la dissolution d'une
Assemblée parlementaire fait provoquer des élections
anticipées. Donc, l'enjeu politique est de taille.
revient à la Cour de Cassation de la République
de résoudre le différend par une décision
d'autorité.125
Dans un premier temps, nous examinons la composition de la
Commission de Conciliation, car cela peut aider à évaluer son
degré d'indépendance par rapport aux parties qu'elle
prétend aider à trouver une entente. Ainsi, l'article 206 de la
Constitution donne-t-elle sa composition.
> 1- Le Président de la Cour de Cassation fait
office de Président de la Commission de Conciliation. Nous rappelons que
ce dernier est avant tout un juge de ladite Cour. Or, c'est le Sénat,
Corps du Pouvoir Législatif, qui est chargé de la
présélection des juges à la Cour de
Cassation.126
> 2- Le Président du Sénat et celui de la
Chambre des Députés, en principe deux membres influents du
Parlement, sont respectivement vice- président et membre de ladite
Commission.
> 3- Le Président du C.E.P. ainsi que le vice-
président de la même institution sont membres de ladite
Commission. Nous rappelons que l'Assemblée Nationale, organe non
permanent du Parlement, concourt à la formation du C.E.P. en choisissant
trois de ses neuf membres.
> 4- Enfin, deux Ministres- membres du Gouvernement
procédant du Parlement- désignés par le Président
de la République font office de membres de la Commission de
Conciliation.
En somme, on comprend bien que la probabilité d'avoir
une Commission de Conciliation indépendante du Parlement est
mince127.
Dans un second temps, nous pouvons nous questionner sur le choix
de la Cour de Cassation de la République comme institution
chargée d'adopter, le cas échéant, une décision
125 Art. 111-7, Constitution de 1987.
126 Art. 175.
127 Quand les membres de la Commission de Conciliation ne sont
pas des membres très influents du Parlement, ils tiennent leur pouvoir,
dans une certaine mesure, du Parlement. On peut donc présumer sinon des
conflits d'intérêts, du moins une tendance à se croire
redevable. Cette analyse peut toutefois ne pas être exacte pour ce qui
concerne les deux membres du C.E.P. représentés à ladite
Commission, puisque ces derniers pourraient ne pas être ceux
préalablement choisis par l'Assemblée Nationale.
souveraine pour mettre fin « définitivement »
aux différends opposant Pouvoir Législatif et Pouvoir
Exécutif.
La Cour de Cassation de la République, en dépit
de son prestige et de la place dominante qu'elle occupe dans le système
judiciaire haïtien, reste et demeure une juridiction du Pouvoir
Judiciaire. Alors, comment demander à une partie d'un des trois grands
Pouvoirs de l'Etat d'adopter une décision sans appel qui s'appliquera
aux deux autres grands Pouvoirs de l'Etat en cas de conflit ? Ce
mécanisme, est-il en concordance avec le principe de la
Séparation des Pouvoirs consacré par la Constitution en son
article 59 ?
Prenons l'hypothèse dans laquelle une décision
finale est prise par la Cour de Cassation en vue de résoudre le conflit.
Comment alors s'assurer de son exécution ? Et dans
l'éventualité où aucun des deux Pouvoirs politiques ne
déciderait de saisir la Commission de Conciliation, que risquerait-il de
se passer ?
En effet, la Commission de Conciliation n'est pas le seul
mécanisme institutionnel de règlement de conflits entre le
Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif. Aussi, la
responsabilité politique du Gouvernement permet-elle, classiquement,
d'apporter une solution aux conflits susceptibles de survenir entre le
Gouvernement et la majorité parlementaire128. Toutefois, dans
le régime constitutionnel de 1987, cette méthode institutionnelle
de résolution d'un conflit politique crée plus un
déséquilibre monumental entre le Pouvoir Législatif et le
Pouvoir Exécutif que d'éviter le blocage des institutions.
La responsabilité politique du Gouvernement serait
d'une efficience à toute épreuve pour le règlement des
conflits entre les Pouvoirs politiques en vue de la bonne marche des
institutions politiques du régime, si elle était
contrebalancée par le droit de dissolution des Assemblées. C'est
que cet équilibre exigerait sinon une certaine prudence, du moins une
prudence certaine dans le maniement de l'arme politique de la censure.
En cas de conflit, le Gouvernement saurait que sa
responsabilité politique peut être mise en cause. Le cas
échéant, cela conduirait à la formation d'un nouveau
Gouvernement bénéficiant de la confiance de la majorité.
En même temps, l'Assemblée ayant voté la motion de censure
ou qui projette de le faire saurait qu'elle peut être dissoute. Le cas
échéant, une nouvelle majorité pourrait
éventuellement être dégagée. Ainsi, la
décision de renvoyer un Gouvernement ferait-elle automatiquement penser
au verdict des urnes.
128 Voir PACTET 2001, op. cit., p.145.
Puisque les constituants de 1987 n'ont pas cru utile
d'instaurer cette réciprocité de moyens de pression entre les
Pouvoirs politiques, la responsabilité politique du Gouvernement perd
beaucoup de son importance comme méthode institutionnelle efficace de
règlement de conflits. C'est que l'utilisation de cette arme politique
peut ne pas viser la bonne marche de l'Etat, puisque les parlementaires n'ont
pas à craindre un éventuel arbitrage populaire. Cette situation
peut encore favoriser un bras de fer entre la majorité
présidentielle et la majorité parlementaire ; d'où, un
terrain fertile à crises institutionnelles.
De plus, seulement la menace du vote de la motion de censure
peut conduire un Gouvernement ou un de ses membres à avoir une certaine
propension à oeuvrer dans le sens des intérêts politiques
d'un groupe de parlementaires influents. Or, parallèlement, le
Gouvernement peut éventuellement être soutenu par une
majorité plus forte dans l'autre Assemblée129.
§ 2.- UN PARLEMENT PUISSANT ET UN EXÉCUTIF
« DÉSARMÉ »
A la chute du Président Jean-Claude DUVALIER en 1986,
dominait une tendance au chambardement dans le pays. Le gros du Peuple voulait
tout chambarder. Vu la soif de démocratie et le symbolisme de la
chute130, le Peuple n'a pas voulu que soit possible la restauration
du statu quo ante. C'est le cas de dire que le régime de
dictature des DUVALIER effrayait une bonne partie de la population et a
également laissé des souvenirs troublants.
C'est dans cette perspective que les constituants de 1987 ont
cru devoir, par tous les moyens, tenter d'éviter le retour au
présidentialisme traditionnel dans le souci d'éviter toute
dérive dictatoriale. Dans cette optique, des pouvoirs très
étendus sont accordés au Parlement, alors que le Pouvoir
Exécutif est complètement encadré. La Constitution accorde
des pouvoirs considérables au Gouvernement, branche du Pouvoir
Exécutif, mais elle en fait également le
129 Dans ces conditions, que faire ? D'une part, le
Gouvernement ne peut pas se permettre d'oublier qu'il est soutenu par une
majorité dans une Assemblée. D'autre part, le Gouvernement ne
peut non plus négliger le poids du groupe de parlementaires hostiles
dans l'autre Assemblée, en dépit de leur
infériorité numérique par rapport à sa
majorité de soutien. Il risque donc de balloter, alors que le pays va
mal.
130 La chute du Président Jean-Claude DUVALIER en 1986
n'est pas simplement la chute d'un Président de la République.
Elle a mis fin à une trentaine d'années de dictature des
DUVALIER. De plus, ce devrait être la chute d'un système
politico-idéologique.
Gouvernement du parti majoritaire au Parlement. De plus,
l'esprit du texte constitutionnel trahit une méfiance à
l'égard de la fonction présidentielle.
En somme, le Parlement est sinon le véritable lieu de
pouvoir, du moins l'épicentre du pouvoir politique (A). Or, le Pouvoir
Exécutif, en tant qu'organe du pouvoir politique, ne semble pas
constituer un contrepoids réel et efficace à la toute-puissance
du Parlement (B).
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