A. LA DOUBLE RESPONSABILITÉ POLITIQUE DU
GOUVERNEMENT
Le principe de la responsabilité politique du
Gouvernement traduit l'obligation pour ce dernier de jouir de la confiance du
Parlement qui, en la lui refusant, le contraint à démissionner.
Donc, lorsque Premier Ministre, Ministres et Secrétaires d'Etat n'ont
plus la confiance du Parlement, ils doivent quitter le
pouvoir116.
En effet, dans le régime constitutionnel de 1987, le
Gouvernement procède du Parlement dont il reçoit
l'investiture.117 Le Gouvernement reçoit,
séparément, l'investiture des deux (2) Assemblées par un
vote de confiance qui sanctionne favorablement la déclaration de
116 Voir idem, page 822, puis GUILLIEN, VINCENT 2001,
op. cit., page 489.
117 Voir les articles 137 et 158 de la Constitution.
politique générale du Premier Ministre. Par voie
de conséquence, les articles 129-2, 129- 3, 129-4 et 156 de la
Constitution organisent la responsabilité du Gouvernement devant les
Assemblées parlementaires. En d'autres termes, le cadre constitutionnel
fait dépendre des Assemblées l'existence et la survie du
Gouvernement. En outre, on comprend bien que la responsabilité, comme
moyen de contrôle, constitue une technique de sanction pour les
Assemblées.
Comme le prévoit la Constitution dans sa lettre et son
esprit, le Gouvernement est responsable à la fois devant le Sénat
et devant la Chambre. Donc, il doit s'assurer d'avoir une majorité de
soutien à la fois au Sénat et à la Chambre. En un mot, le
Sénat, comme la Chambre des Députés, peut engager la
responsabilité politique du Gouvernement par la motion de censure pour
le faire chuter. C'est le cas de dire que le Gouvernement est doublement
responsable sur le plan politique. Dans ces conditions, il est ici question
d'une arme politique redoutable dont dispose le Parlement sur l'action
gouvernementale.
En effet, il n'est pas facile qu'un même parti politique
soit majoritaire à la fois au Sénat et à la Chambre. Il
peut donc arriver que le parti majoritaire au Sénat diffère du
parti majoritaire à la Chambre. Or, la majorité parlementaire
doit soutenir l'action du Gouvernement pour que ce dernier puisse subsister.
C'est cette évidence qui a conduit l'historien Claude MOISE à
avancer : « Quiconque a lu cette Constitution doit savoir qu'on ne
peut gouverner sans une majorité parlementaire.
»118 Qu'adviendrait-il dans l'hypothèse où
le Gouvernement s'assure du soutien de la majorité à la Chambre
et fait face, en cours de route119, à une majorité
hostile au Sénat ?
La réponse est presqu'évidente. Il est
théoriquement possible et constitutionnellement correcte que la
responsabilité du Gouvernement soit mise en cause par la majorité
hostile au Sénat. Donc, quoique soutenu par une majorité
numériquement plus forte à la Chambre, la Constitution ne
l'empêche pas de tomber par la seule volonté de la majorité
numériquement plus faible au Sénat. En clair, il peut arriver que
le Gouvernement soit soutenu par le parti le mieux représenté au
Parlement (parti majoritaire à la Chambre) et fait face en même
temps à l'hostilité d'un parti moins bien
représenté qui peut le faire chuter. Or, les deux
Assemblées ont la même légitimité
démocratique. Peut-on permettre à une minorité de
parlementaires
118 Claude MOISE, Le Pouvoir Législatif dans le
système politique haïtien, 1999, page 121.
119 Suite à un renouvellement partiel du Sénat, par
exemple.
d'imposer sa volonté à une majorité quand
pourtant cette minorité et cette majorité ont le même
fondement démocratique ?
Nous devons aussi faire remarquer que même dans
l'hypothèse où le parti majoritaire au Sénat serait le
même à la Chambre, les jeux ne seraient pas pour autant faits pour
le Gouvernement. C'est que ce parti majoritaire dans chacune des deux (2)
Assemblées devrait faire montre d'une cohésion et d'une
discipline éprouvées.120
Au cas où aucun parti ne disposerait de la
majorité ni au Sénat ni à la Chambre, il peut être
très difficile de doter le pays d'un Gouvernement. Pour être
investi, le Gouvernement devra bénéficier de la confiance d'une
majorité ou coalition composite au Sénat et à la Chambre.
Or, toute majorité composite est, par essence, faible121.
Dans ces conditions, le Gouvernement n'est pas certains de pouvoir «
conduire la politique de la Nation » sans être sans cesse
inquiété par la menace d'interpellation. D'où, sa
responsabilité politique peut être facilement engagée pour
n'avoir pas pu satisfaire aux intérêts divergents et multiples des
partis desquels il tient son investiture.
Qui plus est, une majorité composite ou de circonstance
peut être dégagée, suite à des tractations
politiques, au niveau de l'une ou l'autre des deux Assemblées, sans
qu'on ne puisse arriver à persuader les deux Assemblées de voter
en faveur du choix ou de la politique générale du Premier
Ministre et de son Cabinet. Pour ainsi dire, dans le cas où aucun parti
ne disposerait de la majorité ni au Sénat ni à la Chambre,
le Premier Ministre désigné par le Président de la
République ainsi que ce dernier devront montrer toute leur mesure dans
l'art difficile de la négociation pour arriver à faire en sorte
que le Gouvernement soit mis en place.
Quant à présent, considérons
l'hypothèse dans laquelle un Gouvernement serait soutenu par un parti
majoritaire à la Chambre et qu'aucun parti ne disposerait de la
majorité au Sénat. Dans ce cas de figure, la minorité peut
encore « imposer sa loi » à la majorité. C'est qu'en
dépit du soutien du parti majoritaire à la Chambre, le
Gouvernement devra constamment faire face aux exigences des différents
courants politiques -avec des intérêts divergents-
représentés au Sénat pour pouvoir subsister. En un mot, le
Gouvernement devra constamment négocier.
120 Or, pour ne pas tenir compte uniquement du cadre
constitutionnel, Haïti est jusqu'ici une démocratie
émergente. C'est pourquoi nous n'avons pas encore une culture de parti.
Disons que notre réflexe institutionnel n'est pas encore parvenu
à un stade très développé. Alors, il peut
paraître normal, au stade où nous en sommes, que la discipline et
la cohésion à l'intérieur des partis politiques ne soient
pas une évidence.
121 Voir LEROY 1992, page 51.
En définitive, toutes ces hypothèses montrent bien
la fragilité de la stabilité ministérielle et le poids
réel du Parlement en matière de contrôle de l'action
gouvernementale.
|