A. DES PARTICULARITÉS DU RÉGIME
L'organisation institutionnelle du régime
constitutionnel de 1987 ne crée pas les conditions d'un régime
parlementaire classique. En outre, le régime s'est aussi
éloigné, à bien des égards, du schéma
classique d'un régime présidentiel. D'où, son
caractère hybride et le signe de son originalité. On pourrait
même tenter d'affirmer qu'il s'agit, dans une certaine mesure, d'un
régime sui generis.
Le régime parlementaire organise l'équilibre des
Pouvoirs Exécutif et Législatif en organisant leur collaboration
et en dotant le Gouvernement et les Assemblées de moyens d'action
réciproques dans le souci d'être toujours en accord étroit.
Si, chemin faisant, cet
accord vient à manquer, il peut être rapidement
rétabli par modification de la composition politique des
Assemblées ou du Gouvernement136.
De son côté, le régime présidentiel
organise l'équilibre entre les deux grands Pouvoirs politiques de l'Etat
en cantonnant les deux organes dans l'exécution de leurs tâches
spécifiques. Ils sont assurés de demeurer en fonction pendant
toute la durée préfixée de leurs mandats en évitant
qu'ils ne disposent, les uns par rapport aux autres, des moyens d'action
décisifs137.
La Constitution de 1987 a institué un Pouvoir
Exécutif bicéphale, composé d'un Gouvernement
collégial et solidaire, et d'un Président de la République
avec dissociation entre la fonction de Chef de l'Etat et celle de Chef de
Gouvernement. Le Président de la République fait office de Chef
de l'Etat, alors que le Premier Ministre fait fonction de Chef de Gouvernement.
Ce schéma paraît correspondre aux canons classiques du
régime parlementaire. Cependant, le Président de la
République est en même temps élu au suffrage universel
direct. Or, cette modalité est une caractéristique fondamentale
du régime présidentiel.
Du reste, on a pu constater que le régime
constitutionnel de 1987 établit un Gouvernement de type parlementaire et
un Président de type présidentiel sans, pour autant, lui accorder
les pouvoirs considérables généralement
conférés à un Président dans ce type de
régime138. Son mode d'accession au pouvoir lui garantit une
légitimité populaire au plan national et un fondement
démocratique sans conteste. Pourtant, la capacité de jouissance
et d'exercice du pouvoir réel lui échappe au profit d'un Chef de
Gouvernement qui vient concurrencer son autorité.
L'initiative des lois appartient concurremment au Pouvoir
Exécutif et à chacune des deux (2) Assemblées. Le Premier
Ministre et les Ministres bénéficient du droit d'entrée
aux Assemblées pour venir soutenir les projets de lois et les objections
du Président de la République.139 Cependant, le champ
d'action du Parlement dans la procédure législative paraît
sans bornes. En conséquence, la collaboration constante du Gouvernement
avec les
136 Voir PACTET 2000, op. cit., page 142.
137 Idem, p. 142.
138 Prenons en exemple le système constitutionnel
américain, prototype du régime présidentiel. Le
Président des Etats-Unis détient des pouvoirs
considérables sans commune mesure à ceux conférés
au Président de la République dans le système
constitutionnel de 1987.
139 Art. 161, Constitution de 1987.
Assemblées sur le plan législatif, trait
distinctif du régime parlementaire, est juridiquement mal
assurée.
Comme il a été susmentionné, en
régime parlementaire, quand l'accord étroit devant exister entre
le Gouvernement et les Assemblées vient à manquer, il peut
être rapidement rétabli par modification de la composition
politique des Assemblées ou du Gouvernement. Or, de ce point de vue, on
a pu constater un déséquilibre flagrant dans le régime
constitutionnel de 1987. L'Exécutif et le Parlement, à proprement
parler, ne disposent pas de moyens d'action réciproques. L'une ou
l'autre des deux (2) Assemblées peut renverser le Gouvernement par le
vote de la motion de censure, alors que le Président de la
République est démuni de l'arme de riposte de la dissolution.
Donc, en cas de conflit irréductible entre la majorité au niveau
de l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées et le Gouvernement, les
constituants de 1987 ont proposé la voie « royale » de la
modification de la composition politique du Gouvernement pour rétablir
l'accord entre les deux (2) organes.
Selon le professeur émérite Pierre PACTET :
« Tout régime parlementaire peut être défini, pour
l'essentiel, comme un régime dans lequel le Gouvernement doit disposer
à tout moment de la confiance de la majorité parlementaire
»140. Toutefois, il a pris le soin d'ajouter un peu plus
loin141 que « la dissolution constitue une contrepartie
nécessaire à la possibilité qu'a l'Assemblée de
mettre en cause la responsabilité politique du Gouvernement et, par
conséquent, un facteur précieux de l'équilibre des
pouvoirs recherché par le régime parlementaire ».
D'ailleurs, à ce propos, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER
ont dit constater une divergence doctrinale142.
Tenant compte de tout ce qui précède, on peut
admettre que le régime constitutionnel de 1987 comporte beaucoup
d'éléments de rattachement au régime parlementaire au
point qu'on ne puisse penser qu'il s'agit d'un régime
présidentiel. Néanmoins, s'il se rapproche beaucoup plus du
régime parlementaire que du régime présidentiel, on ne
peut pas d'emblée, avec véhémence et d'un ton doctoral,
avancer que le régime en question répond bien à
l'orthodoxie du régime parlementaire classique. Donc, c'est le cas de
dire que l'agencement institutionnel du régime ne conduit pas
automatiquement à le considérer ni comme un régime
parlementaire classique ni comme un régime présidentiel. C'est
d'ailleurs cette difficulté pour
140 Ibidem, P. 144.
141 Ibidem, P.145.
142 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 105.
le classer dans l'un ou l'autre schéma classique qui
explique autant de controverses dans la littérature juridique se
rapportant à cet objet d'étude.
|