B. PROBLEMATIQUE ET REVUES BIBLIOGRAPHIQUES
La mangrove est définie par Blasco
(1991) et cité par Véga (2000) comme une
forêt de palétuviers se développant dans la zone de
balancement des marées des régions littorales intertropicales,
pouvant se maintenir localement jusqu'à 32° Nord et 28° Sud
sous l'effet de courants marins chauds. Selon Véga
(2000), Spalding (1997) estime qu'elle colonise dans ces
régions près de 75% des côtes et deltas, avec une surface
pouvant être évaluée à 182.000 km2.
Tomlinson (1986) cité par Véga
(2000) répartit la mangrove en deux zones biogéographiques
distinctes et caractérisées par une biodiversité
végétale particulièrement faible. L'aire orientale ou
pacifique inclut la mangrove des côtes est-africaines jusqu'à
celle de l'Asie et de l'Australie [Véga, 2000]. Elle
compte environ soixante (60) espèces arborées strictement
inféodées à ce milieu. L'aire occidentale ou atlantique
dans laquelle se situe le delta du Saloum comprend selon
Véga et al. (2000), des espèces de mangrove des
côtes atlantique et de la côte pacifique américaine. Sa
richesse spécifique est moindre puisqu'elle ne regroupe que sept (07)
espèces arborées que sont : Avicennia
germinans et A. schaueriana
(Avicenniaceae), Rhizophora
mangle, R. racemosa et R.
harissonni (Rhizophoraceae)
Laguncularia racemosa et Conocarpus
erectus (Combretaceae)
[Véga, 2000].
Le développement de la mangrove est tributaire de la
température de l'air (température moyenne du mois le plus froid
supérieure à 16°C) et la présence de zones littorales
protégées et peu profondes [Arnaud, 1997 ;
Lee, 1999]. Pool (1977) et
Amarasinghe (1992) cités par
Véga (2000) ont montré que la position des
écotones entre milieu marin et terrestre de l'écosystème
mangrove fait qu'il est soumis à de nombreux facteurs limitant tels que
: la durée d'exondation et d'inondation, la salinité des eaux et
l'hydromorphie du substrat. Dans ces conditions de vie difficiles, seules les
espèces ayant développé des mécanismes d'adaptation
divers (racines échasses, pneumatophores, mécanismes de
régulation du sel) ont pu subsister [Cantera et
Arnaud, 1997] cités par Véga
(2000).
La mangrove était considérée autrefois
comme un milieu hostile et inutile, ce qui était à la cause de sa
dégradation et sa destruction sous l'effet de l'anthropisation
[Ramirez-Garcia et al. 1998] cité par
Véga (2000) mais des travaux récents ont
montré son intérêt tant au niveau socioéconomique,
de par sa grande production de bois et l'abondance de sa faune
(crustacés, poissons etc.) [Doyen et al. 1985 ;
Ndour, 2005] qu'au niveau écologique, pour son
rôle important dans les chaînes trophiques côtières,
dans la protection des côtes contre l'érosion marine, et pour sa
sensibilité aux variations du niveau des mers [Doyen et
al. 1985 et Ndour, 2005]. DIOUF (1996)
atteste que la richesse trophique de l'estuaire du Sine-Saloum est issue
principalement de la mangrove qui joue le rôle de zone de frayère,
de nourricerie, d'habitat,
de reproduction et de la promotion du développement des
poissons. Il a affirmé en même temps que la présence d'une
mangrove luxuriante favorise une richesse spécifique et des effectifs
élevés des poissons de par son rôle d'enrichissement
trophique des milieux, de la protection contre la prédation et la
diversification des types d'habitats.
De nos jours, beaucoup de programmes de recherche
s'intéressent à l'écosystème mangrove, que ce soit
en vue de sa restauration et de sa conservation ou bien de façon plus
globale, pour la compréhension de son fonctionnement tant au niveau
national qu'international.
Au Sénégal, le delta du Saloum constitue la
région la plus septentrionale occupée par une haute mangrove dans
l'ouest de l'Afrique [Dupuy et Verschuren,
1982] cités par Ndour (2005). Giffard
(1974) cité par Ndour (2005), confirme la disparition
des reliques de la végétation de mangrove signalée par
Chaudreau (1916) en Mauritanie mais, qui sont encore
signalés dans le delta du fleuve Sénégal où
Chambonneau avait noté en 1677 la présence d'une
épaisse et haute mangrove [Chamard et al. 1999].
Trochain (1940) a par ailleurs témoigné de la
disparition de la végétation de mangrove des cuvettes du N'diael,
par la découverte de pneumatophores subfossiles, confirmant ainsi
l'existence de mangrove notée par Chambonneau sur le
fleuve Sénégal [Ndour, 2005].
Les autres localités du Sénégal où
l'on rencontre encore la mangrove sont : la Somone, JoalFadiouth, l'estuaire du
Saloum et le fleuve Casamance [Ndour, 2005]. Les formations de
mangrove y sont dominées par Rhizophora
harissonii, R. mangle et R.
racemosa (Rhizophoraceae)
[Marius, 1981 ; Diop, 1986] et
Avicennia africana
(Verbénaceae). A ces deux familles qui
constituent l'essentiel des formations de mangrove s'ajoute celle des
Combrétaceae représentée par
Conocarpus erectus et Laguncularia
racemosa [Ndour, 2005]. Il apparaît ainsi
que les mangroves du delta du Saloum, à l'instar des mangroves de
l'Afrique de l'ouest sont caractérisées par une pauvreté
floristique par rapport aux mangroves de l'Afrique orientale
[Ndour, 2005].
Les espèces du genre
rhizophora et Avicennia
sont principalement rencontrées en peuplements purs dans la zone du
delta du Saloum, mais l'étendue de ces peuplements diminue de plus en
plus sous l'effet des facteurs naturels (déficit pluviométrique,
érosion, salinité, attaque par des parasites) et anthropiques
(coupes de bois, construction des routes et des barrages, pression
foncière etc.) [Ndour, 2005 ; JICA,
2004 ; UICN, 2006]. Soumaré et al.
(1992) atteste d'une diminution des surfaces de mangrove sur la base d'une
comparaison d'images satellitaires de 1976 à 1991. Cette
régression de la mangrove est liée à la salinisation et
à l'acidification des sols favorisés par le déficit
pluviométrique [Bovin et al. 1985]. Il s'ajoute
à ces principales causes de dégradation, la perturbation des
régimes hydriques
responsables de la submersion [Diop et al.
1989] et de la sédimentation [Marius et al. 1992]. Mais
aussi, la rupture de la flèche de Sangomar qui protégeait la
mangrove de la zone du delta du Saloum des perturbations mécaniques de
la houle constitue une cause relativement importante de la régression
des espaces de mangrove du Sénégal [Ndour,
2005]. Cependant, bien que la végétation de mangrove
régresse en certains endroits, une régénération
naturelle a été signalée par divers auteurs tels que :
Marius (1984), Doyen et al. (1985),
Diop et al. (1997), et Ndour (2005).
Balla Dieye (2007) a démontré d'une
régénération de 4,15 à 10,6% pour une
régression de 8.5% par étude d'images satellitaires Landsat
(1972, 1979 et 1999) et Spot (1986, 1990, 1997, 2001 et 2003). Il a
localisé cette régénération sur les bordures des
mangroves dans les tannes humides alors que la régression est
concentrée dans la périphérie nord-ouest de l'estuaire du
Saloum.
La prise de conscience de la régression des espaces de
l'écosystème mangrove du Sénégal en
général et du delta du Saloum en particulier, s'est
matérialisée au cours de ces deux dernières
décennies par diverses actions de reboisement. Kaly,
(2004) atteste que les premiers essais de reboisement réussis et connus
remontent en 1994 à Somone, avant de s'étendre dans le delta du
Saloum les années suivantes mais seulement sur une seule espèce
de palétuviers (le Rhizophora mangle).
Le reboisement de la mangrove du delta du Saloum peut
être scindé en deux catégories suivant les phases de
réalisation. La première catégorie est celle de la
première phase qualifiée d'expérimentale et
caractérisée par un manque de technicité, une mauvaise
maîtrise de la qualité du substrat, la promotion d'une seule
espèce de palétuviers avec des taux de réussite allant de
faibles à moyens pour la plupart des plantations
[Diedhiou, UICN, 2006]. La deuxième
catégorie est celle correspondant à la deuxième phase de
réalisation marquée par une bonne acquisition
d'expériences en terme de technicité et de maîtrise de la
qualité des substrats ainsi que la diversification des espèces
caractérisée par l'introduction d'Avicennia
avec des taux de réussite généralement
appréciables [Diedhiou, UICN,
2006].
JICA/JAFTA (2005) a classé pour sa
part les reboisements de mangrove du delta du Saloum en quatre (04)
catégories en fonction des moyens utilisés à la
réalisation de la plantation. Elle distingue : des plantations
réalisées à travers des campagnes des services
administratifs (Eaux et Forêts/Parcs Nationaux) principalement dans les
régions insulaires ; des plantations réalisées à
l'initiative des populations à l'exemple du groupe des femmes de Djirnda
; des plantations réalisées sous la direction des ONG à
l'exemple de FIOD qui a incité le reboisement de 240 ha dans trois (03)
villages de 1997 à 2001 par apport d'une importante
aide en nature ; et enfin des plantations
réalisées avec l'aide des Organismes comme UICN, WAAME, OCEANIUM
et CAREM depuis 1995.
Rien que pour la période de 1995 à 2001,
JICA/JAFTA (2005) a dénombré en total 420 ha de
terres reboisées par les ONG (UICN, WAAME et CAREM) dans 49 villages du
delta du Saloum. Cependant, il est à noter que les actions de ces ONG
ont été pour la plupart concrétisées grâce
à l'appui des organisations villageoises à l'exemple des
Comités de Plage créés par l'UICN à partir de la
deuxième moitié des années 1990 dans les régions
insulaires, et, les Comités Villageois pour la Réhabilitation de
la Mangrove (CVRM) créés à partir du milieu des
années 1990 par WAAME [JICA/JAFTA, 2005]. Ces CVRM sont
principalement implantés dans 35 villages du bassin du Saloum. Ces
plantations réalisées en guise de réponse aux effets des
changements climatiques ont fait l'objet de plusieurs travaux d'étude
d'impact tant au plan écologique que socioéconomique
commandités par divers institutions (UICN, OCEANIUM, JICA, WAAME etc.).
Cependant, leurs impacts en termes de séquestration de carbone
atmosphérique n'ont jamais été évalués.
Le présent rapport porte sur le suivi évaluation
de la séquestration de carbone atmosphérique par les plantations
de mangrove de l'UICN. Il assure la continuité de la recherche
d'informations sur l'utilité sociale, écologique et
environnementale des reboisements de mangrove dans la RBDS. Une première
étude réalisée par Diédhiou,
UICN (2005) a permis de montrer au plan des impacts que
quelques années après la réalisation de ces plantations,
les impacts écologique et socioéconomique sont nombreux comme en
témoigne la réapparition des espèces jadis disparues ou en
voie de disparition comme les Tympanotonus des
vasières « paco-paco », les crevettes, les huîtres et,
le développement des activités génératrice de
revenus comme l'apiculture, la cueillette des crevettes, des harches.
Cependant, en rapport avec le protocole de Kyoto
(PK, 1997), aux recommandations de Bali
(2008) et à l'importance des forêts dans la séquestration
du carbone, les impacts des plantations de mangrove du delta du Saloum en
termes de séquestration de carbone atmosphérique reste encore
à évaluer. C'est dans cette optique que, l'UICN (Bureau national
du Sénégal) s'est engagée dans l'évaluation de la
quantité de carbone stockée par ces dites plantations de
mangrove.
En somme, la confirmation de l'hypothèse d'une forte
séquestration de carbone par les plantations de mangrove, pourrait aider
à affiner et varier l'argumentaire des programmes de restauration et de
conservation des zones de mangrove. Par ailleurs, la valorisation des
informations devrait aussi être une source supplémentaire de
motivation des populations dans la restauration des formations de mangrove. A
ces deux aspects incitatifs, il s'ajoute un besoin
de démontrer la pertinence des plantations de mangrove
par rapport à la problématique d'adaptation aux changements
climatiques. C'est dans cette dynamique, qu'un contrat de stage a
été signé entre l'UICN et l'ISE pour la conduite de cette
étude. Les principaux objectifs de cette étude sont :
o la Connaissance de la dynamique des reboisements de
mangrove,
o l'Estimation de carbone de la biomasse sur pieds et
recherche des régressions aiométriques correspondantes
enfin,
o la Recherche des intérêts de
l'élaboration des projets de séquestration de carbone par le
biais des reboisements de mangrove.
L'aboutissement de ces différents objectifs d'étude
nécessite l'utilisation d'un certain nombre de méthodes et de
matériels de mesure et de calcul mais aussi de pratiques
appropriées.
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