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Enjeux et limites de l'évaluation du contrat urbain de cohésion sociale

( Télécharger le fichier original )
par Audrey Vigignol
Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de Lille - Master 2 Mention Aménagement, Urbanisme et développement des territoires 2009
  

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CHAPITRE 3 : IAUL - Ville de Fontaines-sur-Saône

L'évaluation du Cucs, - 99 - Année universitaire 2 008-2 009
un outil d'aide a la prise de décision ?

En effet, pour identifier le champ d'application du prochain dispositif, l'évaluation doit s'extraire des limites territoriales du Cucs et identifier les besoins d'autres territoires sensibles. Evaluer le Cucs et apprécier son champ d'application conduisent indirectement à anticiper la prochaine géographie prioritaire et à s'intéresser à d'autres territoires non concernés par le dispositif évalué. D'une posture évaluative, on passe à une démarche prospective. Cet encrage de l'action politique sur des territoires évolutifs déplace l'objet de l'évaluation. De l'appréciation d'une politique menée, l'évaluation tend vers un diagnostic de la politique à mener.

Par ailleurs, au niveau local, dans le contexte d'une importante opération de rénovation urbaine, avec 50% des familles relogées dans la ville, il semble évident que les effets de l'action des politiques de la ville (Cucs et Programme de rénovation urbaine) se ressentent au-delà des territoires prioritaires. L'évaluation s'est donc quelque peu émanciper de cette territorialisation.

Ainsi, l'évaluation du Cucs de Fontaines sur Saône ne s'est pas portée uniquement sur les deux seuls territoires prioritaires. Si, de manière évidente, les quartiers de la Norenchal et des Marronniers, sont au coeur de l'évaluation, celle-ci, notamment dans sa partie statistique sociodémographique s'est étendue vers d'autres territoires sensibles, mais non répertoriés au titre de la politique de la ville.

Les deux ensembles HLM La rive et Château Roy en bord de Saône, et le centre bourg constitués d'habitats anciens privés, de logements sociaux et d'un hôtel accueillant des réfugiés, ont été l'objet d'un travail statistique.

Figure 1 0 : Périmitres sensibles de Fontaines-sur-Satine, Source : IGN-Scan 25, figuration : A. Vigignol

Le travail statistique, effectué à la marge de l'évaluation a permis de donner les bases de réflexion pour la proposition d'une nouvelle géographie dans le cadre des futures négociations. Ainsi, la commune souhaite maintenir le niveau de priorisation des deux quartiers politique de la ville et, à la vue des poches de pauvreté présentes dans le centre et sur les bords, elle veut proposer de labelliser ce périmètre.

Figure 11 : Geographie prioritaire de Fontaines-sur-Satine desir~e pour le Cucs 2 009-2 011, Source : IGN-Scan 25, figuration : A. Vigignol

La négociation de la géographie prioritaire engage d'importants enjeux en termes de financements et de moyens déployés. Ainsi, au delà d'éloigner l'évaluation de ses objectifs initiaux, l'anticipation de la nouvelle géographie peut influencer fortement les résultats produits dans le cadre de l'évaluation du Cucs.

En effet, l'évaluation du Cucs confondue avec la géographie prioritaire légitime l'investissement institutionnel qui a été effectué au sein du quartier et sa poursuite dans le prochain dispositif. Dès lors, l'évaluation perd en indépendance et en objectivité. Elle ne peut afficher des résultats démontrant une situation très positive sur le territoire. Elle doit légitimité l'investissement institutionnel qui a été engagé et qui doit être renouvelé. L'évaluation du Cucs est alors soumise au risque de manipulation pour assurer la continuation des crédits et limiter le désengagement des financeurs dans le prochain contrat.

En terme de démarche évaluative, il semble complexe de discerner ce qui résulte des actions menées dans le cadre du contrat, des politiques ordinaires et des évolutions du contexte sociodémographique. C'est la forme même de la politique da ville qui interroge les possibilités d'une évaluation pertinente. Le millefeuille institutionnel et la transversalité de son action limitent la lisibilité des résultats et donc de leur reversement

dans la décision politique. La structure institutionnelle de la politique de la ville engage un décalage permanant entre les ambitions immodérées d'évaluation et des moyens modestes. Par ailleurs, l'évaluation de la politique de la ville, parce qu'elle s'intéresse à un champ d'application évolutif, la géographie prioritaire, est avant tout un outil prospectif que réellement une analyse de l'efficacité des moyens engagés aux vues des résultats produits.

3.3 Le registre d'attentes des acteurs

Au-delà des limites engagées par la structure institutionnelle, les acteurs et leur registre d'attentes respectif orientent le processus d'évaluation et le reversement de ses résultats.

Obligation contractuelle, l'évaluation engage plusieurs niveaux d'acteurs dont les formes d'échange et de mobilisation apparaissent très filtrées. Chaque acteur du cadre décisionnel de la politique de la ville, Commune, EPCI, Etat, adopte une lecture différente de l'évaluation et de ses finalités. Ainsi, dans ce cadre de relations interterritoriales peu hiérarchisées, la superposition des différents registres d'attentes opacifie la démarche évaluative, ses méthodes et ses objectifs.

Ce flou méthodologique est renforcé par l'absence de ligne de conduite définie au niveau national. En effet, la circulaire relative à l'évaluation des Cucs indique que « l'évaluation, ses finalités et ses modalités doit s'adapter au contexte local ». Si une telle liberté méthodologique garantie, selon le principe de subsidiarité, la meilleure échelle d'intervention, elle charge le niveau local d'opérer la difficile tâche d'articuler les différents registres d'attentes et de définir lui-même la démarche à adopter et les finalités visées. Moins qu'une évaluation qui s'adapte au contexte local, c'est bien le contexte local qui doit s'adapter à l'évaluation. Au final, l'évaluation, résultat d'une difficile articulation entre les différentes attentes des acteurs, se révèle être incomplète.

Le cadre partenarial donne lieu à trois niveaux de lecture de l'évaluation. Devant cette superposition des registres d'attentes, il n'existe pas de véritable ligne de conduite pour l'évaluation et il revient au niveau local de constituer sa propre méthodologie qui soit consensuelle et dépasse les confrontations des stratégies politiques. Mais le consensus se distingue de l'exhaustivité et l'évaluation, au final, se révèle être incomplète.

3.3.1 Une évaluation partenariale : du local au national, une lecture à trois niveaux

L'évaluation est dans le cas des Cucs, une obligation contractuelle dont les finalités et les modalités doivent s'adapter au contexte local et répondre aux objectifs définis au niveau national.

Extrait de la circulaire du 5 juillet 2007 relative à l'évaluation du Cucs

Ainsi, si l'évaluation s'effectue au niveau local, elle s'établie dans un cadre partenarial entre les trois principaux acteurs de la politique de la ville : la commune, l'Etablissement public à compétences intercommunales et l'Etat. Malgré le cadre contractuel, à chacun de ces trois niveaux d'institutions, correspond trois cultures politiques desquelles transparaissent trois registres évaluatifs distincts. Sous cet angle, ces acteurs impliqués dans la définition et la conduite de la politique de la ville apparaissent comme des « associé-rivaux » qui reprennent, filtrent, et traduisent, selon leur propre registre d'attentes, les résultats de l'évaluation dans les programmes d'action.

3.3.1.1 Le registre d'attente de l'Etat ou l'évaluation comme institutionnalisation du quartier

L'évaluation est née en France sous la forme du RDB du plan. Cette caractéristique originelle marque encore la représentation et la pratique de l'évaluation dans les instances nationales. Ainsi, « l'idée et la pratique de l'évaluation ont depuis longtemps eu partie liée avec l'idée et la pratique de la planification nationale de l'action gouvernementale. C'est parce que le théâtre de bataille s'est confiné au niveau de l'Etat central qu'elle a accouché d'une politique nationale d'évaluation hyper centraliste72 ». Dans le cas de la politique de la ville, l'évaluation se décide ou s'organise au niveau local. Néanmoins, cette posture centraliste de l'Etat se traduit dans sa lecture des finalités de l'évaluation locale.

L'évaluation est avant tout, pour les instances nationales, l'élément permettant de redéfinir la géographie prioritaire. Ainsi, il est spécifié que « une fois les résultats restitués et analysés, un temps doit être pris afin de, selon la finalité de l'évaluation, préparer les bases d'une future évolution de la géographie prioritaire qui permette de tenir compte de l'évolution ou de permettre d'organiser un débat prospectif sur les orientations à privilégier pour le CUCS 2010-2012 ou encore repositionner le dispositif73 ».

L'institutionnalisation de la politique de la ville demande toujours plus « d'objet », le territoire prioritaire, et cet objet doit être construit d'un point de vue national. Or, l'évaluation conduit à extraire la dimension de « localité pour faire accéder à la dimension de territorialité », c'est à dire la généralité que confère l'investissement institutionnel sur un lieu qui se trouve décontextualisé74.

L'évaluation du Cucs, selon l'Etat, répond donc à une logique de rationalisation de la territorialisation de l'action plus que d'une rationalisation de l'action. En effet, les grandes orientations de l'Etat, autrement dit les domaines dans lesquels les crédits seront le plus abondants pour la prochaine programmation, sont définies bien en amont de la publication des résultats de l'évaluation. L'Etat ne semble donc par accorder d'importance, dans sa pratique, à l'efficacité de la programmation encourue ces trois dernières années.

Dès lors, l'Etat et ses représentants, considérèrent l'évaluation comme un outil permettant de re-
questionner la géographie prioritaire. Ils sont alors plus attentifs aux indicateurs statistiques produits qu'aux

72 Vincent SPENHAUEUR, Quel développement, quelle professionnalisation de l'évaluation ? Pouvoir locaux, n°38 1998

73 Lettre du préfet, Rhône, 2007

74 Philippe ESTEBE, L'usage des quartiers, Action publique et géographie dans la politique de la ville (1982-1999), L'harmattan, 2004, p29

conclusions issues des instances participatives. L'Etat adopte ainsi une posture évaluative qui correspond, selon les termes du rapport Viveret, à « l'évaluation bureaucratique et technocratique qui insiste sur l'aspect scientifique de l'évaluation75 ».

3.3.1.2 Le registre d'attentes de l'Agglomération ou l'évaluation comme garantie de la rationalisation de l'action et de la cohérence du territoire

A l'échelle de la Communauté Urbaine, le registre d'attente de l'évaluation et de ses usages est différent. Il se caractérise avant tout par la recherche d'une cohérence territoriale au niveau de l'agglomération sans, pour autant, contraindre l'expression des particularités locales.

En terme de discours, Pierre Suchet, responsable du pôle Ville Rénovation Urbaine du Grand Lyon, énonce les objectifs de l'évaluation locale en trois points :

« - Réaliser un bilan des actions, rendre compte de ce qui a été fait sur les territoires,

-Préparer l'après Cucs : nouvelle négociation sur la géographie prioritaire, qualification des futurs territoires pertinents,

- Rendre compte du sens des actions entreprises et aborder les enjeux globaux de l'action sur ces territoires. Préciser ce que les Cucs ont apporté de spécifique sur ces territoires »

En terme pratique, la Communauté Urbaine intervient en appui auprès des équipes locales. La démarche du Grand Lyon est donc très différente de celle de l'Etat. Elle ne donne pas d'injonction particulière sur le traitement de tel thème, telle donnée ou tel indicateur. Au contraire, la Communauté Urbaine laisse les équipes locales définir elle-même leur démarche évaluative, dans un souci de respect des particularités territoriales.

Le Grand Lyon intervient néanmoins dans la conduite des évaluations. Il fournit un appui méthodologique et statistique qui permet, de manière indirecte, de cadrer les évaluations locales. Ainsi, l'Agence d'Urbanisme de Lyon est sollicitée pour la diffusion d'éléments alimentant les évaluations locales (données statistiques infra communales, méthodologie de l'évaluation, etc). Par ailleurs, en interne, le Grand Lyon récence les différentes démarches évaluatives réalisées dans chaque commune.

En analysant le discours et la pratique, il est possible de traduire le registre d'attente de l'Agglomération en deux points :

- c'est un outil de rationalisation de l'action publique. Elle donne l'opportunité de mener un travail

capitalisation des différentes expériences des territoires qui permet de définir la performance des actions et donne les pistes de celles qui peuvent être menées sur les quartiers. Ici, l'agglomération se situe dans le champ évaluatif strict : à partir de l'action menée on réoriente l'action publique.

- C'est un outil de définition du cadre territorial et un élément de négociation pour la prochaine

géographie prioritaire. L'évaluation permet de définir la situation des différents territoires et donne les pistes

75 .

Vincent POTIER et Magali BENCIVENGA, Evaluation des politiques locales, Edition le Moniteur, Paris, 2005

et les arguments pour la négociation de la prochaine géographie prioritaire qui assure, au niveau de l'agglomération, une cohérence de l'action engagée.

3.3.1.3 Le registre d'attentes de la commune : l'évaluation comme instrument de projet

Au niveau du territoire, la logique de projet prime. Ainsi, de manière générale, très rare sont les villes qui ont construit un programme explicite de mobilisation de la politique de la ville et de traitement de la géographie prioritaire76. Cette logique de projet transparait aussi dans la lecture de l'évaluation au niveau communal.

Du fait de sa logique de projet, l'évaluation de la politique de la ville au niveau communal revêt un caractère opérationnel. Au-delà d'une appréciation de l'efficience et de la pertinence de l'action menée, l'évaluation constitue un diagnostic qui met en exergue les actions à privilégier dans le prochain contrat. L'évaluation adopte la forme d'un diagnostic territorial. Elle donne les éléments d'action pour le prochain contrat.

Cette lecture est fortement conditionnée par le statut des élus locaux. A cette échelle, et d'autant plus dans une commune de moins de 10 000 habitants, l'aspect politique est bien plus présent qu'au niveau de l'agglomération et de l'Etat où la logique « technocratique » prédomine. Ainsi, la position « d'offreur » des élus locaux oriente l'appropriation des résultats de l'évaluation. Au niveau communal, un filtrage des résultats de l'évaluation s'opère en fonction de deux critères :

+ l'opérationnalité des résultats

+ l'attraction des actions recommandées.

Dans une logique de projet, seuls des résultats très opérationnels, et non par exemple la réorganisation des services administratifs, sont pris en compte.

Dans une stratégie d'image locale, seules les actions alimentant l'attraction de la ville, tels que la production où le développent d'équipement culturels, l'aménagement d'espaces publics, etc, sont écoutées de manière privilégiée et portées par les élus locaux.

Ces registres d'attentes différents conditionnent la forme de l'évaluation et le reversement des résultats dans l'action publique.

3.3.2 Une évaluation sans ligne de conduite

Obligation contractuelle mais « dont les finalités et les modalités doivent s'adapter au contexte local », l'évaluation doit se définir au niveau de chaque territoire en intégrant les différents registres d'attentes des partenaires. La démarche évaluative est ainsi la « traduction locale de l'injonction centrale qui pose la question sans la résoudre77 ».

Dans ce contexte partenarial et interterritorial, l'évaluation est destinée à une pluralité d'usages : instrument

76 Philippe ESTEBE, L'usage des quartiers, Action publique et geographie dans la politique de la -ille (1982-1999), L'harmattan, 2004

771dem

de définition de la géographie prioritaire, jugement des actions opérées sur le territoire et outil de prospective. Face à tel pluralisme des usages se pose la question des modalités d'évaluation, quelles démarches évaluative adopter ? ; Ainsi que celle des finalités : quels objectifs exactes assigner à l'évaluation ?

3.3.2.1 Pas de démarche évaluative stricte

L'évaluation comprise comme « injonction centrale, qui pose la question sans la résoudre », il revient au niveau local, les Equipes de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale de définir une démarche évaluative qui puisse répondre aux différents registres d'attentes.

Ainsi, si à Fontaines sur Saône le choix a été fait d'évaluer tous les thèmes au travers de 5 méthodes (bilan de programmation, enquête de satisfaction, évaluation statistique, observation des espaces extérieurs, groupe de travail participatif), sur d'autres territoires, l'évaluation s'est déroulée de manière totalement différente.

Dans la communauté urbaine de Lyon même, à chaque territoire prioritaire correspond, presque, une démarche évaluative. Les thèmes évalués, la démarche adoptée (en régie ou via un prestataire extérieur) et les outils utilisés sont différents.

 

Thèmes évalués

Démarche
évaluative

Outils

Economie-
Insertion

Culture

Education

Prevention
de la
delinquance

Habitat

interne

externe

statistique

Enqu8te
habitants

Sollicitation
acteurs
locaux

etude de
cohorte

autre

Fontaines

X

X

X

X

X

X

 

X

X

X

 

X

Vaulx-en- velin

X

 

X

 
 

X

X

 

X

 

X

 

Rilleux la pape

X

 

X

 
 
 

X

X

 

X

 

X

Démarches évaluatives de 3 communes du Grand Lyon78

Dans d'autres agglomérations, la démarche évaluative est totalement différente. Par exemple, la communauté d'agglomérations de Grenoble coordonne toute la démarche d'évaluation au niveau intercommunal.

78 Ces donnees sont issues du travail de capitalisation effectue par le Grand Lyon en date de juin 2009. Elles restent approximatives et peuvent avoir evoluees.

Une telle superposition des démarches évaluative interroge sur deux points. D'une part, elle pose la question de la capacité des équipes locales à définir leur propre démarche évaluative. D'autre part, elle questionne la cohérence de l'évaluation à un niveau plus large.

L'absence de ligne de conduite précise laisse l'initiative au niveau local et assure la prise en compte des particularités territoriales. Néanmoins, dans la mesure où cette évaluation est une obligation, l'implication des acteurs peut questionner. Jusqu'à quel point les acteurs locaux sont aptes à s'imprégner d'une démarche qui leur est imposée ? D'autant plus que cette évaluation sollicite énormément les acteurs locaux. Elle comporte de nombreux enjeux, elle est chronophage et demande une certaine connaissance experte. Les équipes locales ont-elles les ressources, la volonté et la connaissance suffisante pour mettre en place une telle démarche par leurs propres moyens ?

Enfin, devant cette multitude de modalités évaluatives, il apparait complexe d'opérer une lecture globale de l'évaluation des Cucs. S'il est possible de juger, dans toutes les limites que l'on a définies précédemment, de la pertinence/qualité des actions menées dans le cadre du Contrat Urbaine de Cohésion Sociale au niveau locale, il apparait particulièrement complexe, du fait de ce décalage méthodologique, de comparer les Cucs entre territoires et d'effectuer une analyse globale de ce dispositif.

3.3.2.2 Pas d'objectifs clairement définies

Le cadre réglementaire ne fixe pas d'objectifs précis aux évaluations locales. Or, plusieurs finalités peuvent être assignées à cette évaluation, en témoigne les différentes lectures des acteurs développées dans la partie précédente : redéfinition de la géographie prioritaire, jugement de valeur de la pertinence des actions menées ou outils de diagnostic.

Cet absence d'objectifs clairement assignés aux évaluations locales ne serait elle pas la conséquence d'une absence de définition claire des objectifs de la politique de la ville même ? "Les risques d'incompréhension ou de banalisation des actions de la politique de la ville, qui tiennent au déploiement tant géographique que thématique de celle-ci, auraient rendu nécessaire un effort spécifique de définition et d'explicitation des objectifs."

Or les concepts utilisés restent très globaux, comme dans la présentation faite par le CIV du 30 juin 1998 des objectifs de la politique de la ville : "Cette nouvelle ambition pour les villes va se construire autour de quatre objectifs : garantir le pacte républicain sur tout le territoire ; assurer la cohésion sociale dans nos villes ; mobiliser autour d'un projet collectif ; construire un nouvel espace démocratique avec les habitants." En particulier, il n'y a pas d'objectifs quantitatifs affichés au niveau national, en matière de résultat, sauf un objectif très général visant à réduire l'écart entre la situation des populations de ces quartiers et la moyenne nationale.

Lorsque des objectifs sont affichés au plan national, « ils concernent essentiellement les moyens mis en oeuvre, exprimés souvent en termes financiers, mais aussi, par exemple, en nombre d'emplois créés pour les services publics les plus concernés (police, éducation nationale) ou d'actions à mener (nombre de conventions PLH ou de logements réhabilités). Dans certains cas, des objectifs sont proposés dont l'impact sur l'objectif général poursuivi ne peut être mesuré. Il en est ainsi, par exemple, des opérations de

démolition-reconstruction qui peuvent avoir des effets extrêmement différents sur les habitants et sur les territoires selon les conditions de leur réalisation." 79

3.3.2.3 Une évaluation dans le champ de la « coopération-concurrence »

Cette évaluation menée dans le cadre partenariale réunie plusieurs acteurs aux orientations et stratégies différentes. Sans démarche ni objectifs clairement définis, les trois registres d'attentes de l'évaluation rentre dans le champ de la « coopération-concurrence ».

En effet, ces trois registres d'interprétation de l'évaluation révèlent des pluralismes d'intérêts du champ décisionnel qui débouchent difficilement sur de possibles généralisations. Il n'y donc pas opposition mais liaison entre coopération et concurrence dans la mesure où ces trois acteurs et leur registre respectif sont interdépendants. Afin que s'opère un processus de reversement de ces résultats, l'évaluation se doit d'articuler adroitement ces trois attentes et présenter un ensemble de conclusions qui répondent aux attentes de tous les acteurs.

La méthodologie et les finalités de l'évaluation n'étant pas définies de manière réglementaire. Il revient donc aux Equipes de Maitrise d'oeuvre Urbaine et sociale attachées aux territoires de définir la démarche évaluative en prenant compte des différents registres d'attentes. Cela engage les équipes locales à traiter de nombreuses thématiques et à multiplier les outils permettant de réaliser l'évaluation. Au final, la démarche évaluative, dans ce cadre multi partenariale, adopte bien plus les traits d'une démarche procédurale lourde et fastidieuse que d'un outil engageant une véritable dynamique locale, participative et efficace.

3.3.3 Une évaluation incomplète

Les différents registres d'attentes des acteurs attribuent à l'évaluation plusieurs méthodologies et une série de finalités multiples. Pourtant, malgré cette grande déclinaison de lecture, l'évaluation reste incomplète. L'évaluation du Cucs n'érige pas un débat démocratique, ne traite pas des mécanismes internes et n'interroge pas la plus value de la politique de la ville.

3.3.3.1 N'érige pas un débat démocratique

Exercice imposé sans méthodes clairement définies dans un contexte de grande complexité institutionnelle, l'évaluation souffre d'une trop forte technocratisation et d'un manque d'impulsion politique.

79Cour des comptes, La politique de la ville, rapport au President de la Republique suivi des reponses des administrations et des organismes interesses, fevrier 2002)

Plutôt que d'être éléments de débat, d'appropriation, l'évaluation du Cucs semble être, tant pour les décideurs que pour les « techniciens », un exercice imposé procédural et fastidieux. La systématisation de l'évaluation des dispositifs politique de la ville alimente cette désaffection et le caractère procédurier de l'évaluation. Or le volontarisme des décideurs et des commanditaires est une condition nécessaire de la pertinence de l'évaluation en tant que porteuse de débat démocratique. En effet, la demande d'évaluation ne peut être satisfaite uniquement par l'imposition de cette démarche. Pour que le droit de saisine puisse s'exprimer dans de bonnes conditions, et pour que l'évaluation soit réellement appropriée, il faut que la demande d'évaluation soit participative. Le droit de saisine doit donc être doublé d'une contribution effective de ses titulaires aux organes jouant un rôle actif dans le processus d'évaluation80. Or, celle-ci ne peut intervenir dans le cadre d'une architecture trop centralisée et imposée.

3.3.3.2 N'évalue pas le processus

L'évaluation tente d'interroger la pertinence/l'efficacité des actions menées, avec toutes les limites existantes. Néanmoins, si elle interroge les actions, elle ne se penche que trop peu sur les modalités de mise en oeuvre du Cucs, c'est-à-dire ses mécanismes internes, bref, le processus même du dispositif.

L'évaluation des Contrat de Ville 2000-2006 insistait fortement sur la cohérence du pilotage du dispositif. A l'inverse, la circulaire relative à l'évaluation des Cucs délaisse ce point.

Au niveau local, il y a pourtant une approche partielle de l'analyse des processus. Durant les groupes de travail partagés, les acteurs locaux ont fait part de leur avis quant à l'efficacité du partenariat qu'engage la politique de la ville et de la pertinence du mode contractuel. Néanmoins, cet axe n'est pas pointé dans le cahier des charges de l'évaluation locale et est donc peu développé.

Or l'analyse des processus représente une séquence évaluative incontournable pour faire face à la complexité des politiques contractuelles. Elle se centre sur les mécanismes internes d'une politique publique en réopérant les raisons qui poussent à agir. Elle questionne les principales orientations stratégiques et la cohérence des instruments de mise en oeuvre. L'analyse des processus dans le cas de la politique de la ville concernerait tout à la fois la genèse du contrat urbain de cohésion sociale, son articulation avec les programmes de renouvellement urbain, l'intégration de l'architecture au sein du droit commun, la qualité du pilotage, la coordination entre ses différents acteurs et l'implication des habitants.

Une véritable évaluation devrait clarifier de manière nette l'enchevêtrement des procédures et des acteurs engagés dans la politique de la ville.

Le choix de ne pas évaluer ces points peut s'expliquer de deux manières :

- tous les acteurs sont unanimes pour reconnaitre que l'action de la politique de la ville, action territorialisée, partenariale et contractuelle a, depuis longtemps, déjà prouvée son efficacité.

80 Joel BOURDIN, Pierre ANDRE, Jean Pierre PLANCADE, Rapport d'information fait au nom de la Délégation du Sénat pour la planification sur l'évaluation des politiques publiques en France, Sénat, delegation pour la Planification, Paris, 2004

- il est difficile pour les acteurs d'évaluer le processus car cela équivaut à réaliser une auto critique. Les acteurs locaux se sont plus ou moins saisis de la dynamique évaluative dans la mesure où ce sont eux qui ont la légitimité pour évaluer leur propre action et les procédures contractuelles dont ils sont partis prenantes. S'ils peuvent déterminer l'efficacité d'une action, il leur est plus difficulté de juger de l'efficacité de leur propre partenariat.

3.3.3.3 Ne questionne pas la plus value de la politique de la ville

Le registre d'attentes des acteurs ne se situe pas strictement dans le champ évaluatif. L'utilisation des résultats oscille entre un véritable calcul de l'efficience du dispositif et un diagnostic territorial qui s'inscrit dans la perspective d'une prochaine programmation. L'évaluation se présente bien moins comme un regard critique sur ce qui a été fait que comme une démarche avant tout opérationnelle qui met en évidence les besoins et légitime un renouvellement du contrat.

Ainsi, l'évaluation n'interroge pas l'efficacité même de la politique de la ville. En omettant la question des mécanismes de fonctionnement de l'action et ne s'interrogeant pas sur l'apport de la concentration des moyens sur un territoire précis, l'évaluation des Cucs ne permet pas de questionner la plus value de la politique de la ville.

Mais en réalité, il s'avère bien difficile d'évaluer au sens strict du terme cette action publique. Au final, la principale limite pour évaluer un dispositif de la politique de la ville provient de l'objet même de cette action publique. En effet, le la politique de la ville n'est que lecture spatialisée des problèmes sociaux. Cette action publique définie moins un champ d'actions génériques que l'ensemble des facteurs des problèmes sociétaux.

L'essence même de la politique de la ville, un refoulement initial de son objet, explique cette absence d'objectifs clairs qui contraint toute démarche évaluative. Comment évaluer un élément dont on ignore l'apparence souhaitée ? Une politique économique efficace permet une augmentation de la croissance, une bonne répartition des richesses... Mais qu'est ce que serait une politique de la ville efficace ? Une réduction véritable des écarts sociaux inscrits spatialement ? Alors cette action n'aurait plus besoin d'exister. Car l'objet même de la politique de la ville, le quartier, est une construction opérée par cette politique au travers la logique de zonage. Le quartier est bien une représentation de la forme territorialisée de l'ensemble des maux sociétaux. Sans politique de la ville, ils n'existeraient pas de quartiers. Une politique de la ville efficace serait autodestructrice d'où l'impossibilité d'apprécier la plus value de cette action publique. Un dispositif de la politique de la ville efficace est un dispositif qui n'a plus lieu d'être.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus