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L'agroforesterie en aquitaine

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par Benoà®t Gayaud
Université Bordeaux IV - Montesquieu - Master forêt et développement durable 2009
  

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II. Histoire :

Il convient de faire un retour en arrière et de chercher les racines de l'agroforesterie pour mieux en mesurer l'intérêt. Et c'est à l'aube des civilisations qu'il faut remonter, aux premiers temps de l'agriculture.

La coexistence des arbres et des activités agricoles ou pastorales semblent ne pouvoir être datée. L'avantage d'associer les deux ayant été remarqué très tTMt. Avant la lettre l'agroforesterie existait, de fait. On peut déjà en trouver des formes primitives au néolithique qui rappellent l'essartage aujourd'hui encore pratiqué :

Ç Dès le néolithique (a partir de 12 000 ans avant le présent), l'homme a pratiqué deux types d'agricultures. Ce fut d'abord une agriculture légère de jardin (a proximité des habitations) ou de décrue (terrains alluvionniés des bords de rivière). Puis ce fut une agriculture d'abattis-brülis dans les formations boisées ou herbeuses dès que les activités de culture ou d'élevage prirent de l'ampleur. L'abattis-brülis en milieu boisé consiste a pratiquer une éclaircie plus ou moins complète d'une parcelle forestière en abattant arbres et arbustes, puis a laisser sécher ces débris végétaux afin de les brüler et de semer dans le sol rendu disponible. Ce sol forestier, fertile et vivant, bénéficie en outre des minéraux nutritifs contenus dans les cendres. Mais la biologie de ce sol mis a nu évolue très rapidement, sa fertilité abandonnée après une ou deux saisons de culture, et la méme opération répétée un peu plus loin. Ç C'est le principe de l'agriculture itinérante. »11

La parcelle devient ensuite une sorte de jachère qui va recréer un peuplement forestier.

Plus proche de nous, les populations antiques de la Méditerranée associaient la vigne, les oliviers à d'autres cultures. Les romains pratiquaient, notamment, l'arbustra dont on trouve le détail dans le Livre III du De re rustica de Palladius. Il y détaille comment l'on fait pousser la vigne dans les arbres, utilisant son pouvoir grimpant :

Ç De la taille de la vigne unie aux arbres.

Quand une vigne est mariée a un arbre, coupez le premier bois jusqu'au second ou au troisième bourgeon. Ensuite, chaque année, laissez cro»tre un peu de bois a travers les branches qui élancent toujours un fouet vers la cime de l'arbre. Ceux qui visent a la quantité du vin, dirigent plusieurs fouets a travers les branches ; ceux qui songent a la qualité, font courir les sarments vers la cime. Couvrez de sarments les grosses branches ; mettez en peu sur les petites.

Voici comment on taille la vigne unie aux arbres. Coupez tous les anciens sarments auxquels a été suspendu le fruit de la première année, et laissez les nouveaux, après avoir élagué les tendrons et les surgeons inutiles. Mais ayez soin de délier et de relier annuellement la vigne pour la rafra»chir. Disposez les branches des arbres tuteurs de manière que l'une ne suive pas la direction de l'autre. Dans un terrain gras, choisissez un ormeau de huit pieds de haut ; dans un terrain maigre, un ormeau sans branche qui ait sept pieds. Dans un sol exposé a la rosée et aux brouillards, les branches de l'arbre tuteur seront dirigées par la taille au levant et au couchant, afin que ses flancs nus étalent toutes les parties de la vigne aux rayons du soleil.

Faites en sorte que les vignes ne soient pas trop fournies sur les arbres. Quand ceux-ci viendront a manquer, remplacez-les par d'autres. Maintenez les branches plus bas dans un terrain en pente, plus haut dans un sol plat et marécageux. N'attachez pas a l'arbre les rameaux fertiles avec un osier dur, de peur que ce lien ne les

11 Torquebiau Emmanuel, L'agroforesterie : des arbres et des champs, p.16

coupe ou ne les use. Sachez bien que le sarment ne revét de fruits que la partie qui dépasse la ligature, et qu'il réserve la partie inférieure pour donner du bois l'année suivante. »12

Ë la même époque mais dans une civilisation classée comme barbare, chez les Gaulois, on pratique le sylvopastoralisme. La Gaule est < chevelue È mais c'est en fait une capillarité clairsemée, les forêts sont des zones avec quelques arbres à l'hectare, des terres pour les moutons en pâture. Ils sont utilisés pour leur laine, le cuir.

Les forêts ressemblent moins à nos contemporaines qu'à < des landes piquetées d'arbres È en raison de ce primat du mouton13.

Cette situation se poursuit au Moyen-âge : on fait pousser la vigne le long des arbres, on fait pa»tre les troupeaux en forêt (cochons pour les glands et même la reproduction avec les sangliers, etc.), les vaches dans les prés vergés (pommiers en Normandie), les champs sont bordés de haies qui servaient à délimiter et protéger la propriété, etc. Des écosystèmes sont en place, ils interagissent et se crée un équilibre biologique dans lequel l'homme prend place et est un acteur important : il cultive son champ, prélève le bois, chasse, pêche, récolte, cueille, etc. Il participe au cycle sans le dominer et sans encore pouvoir modifier cet ordre de manière irréversible.

Dans le même temps les populations croissent et gagnent en terres agricoles et urbaines sur les forêts, on coupe pour cultiver, construire, se chauffer, fabriquer.

Mais la coupe rase totale n'est pas la plus courante, l'arbre restait en place dans les champs. Le défrichement ne faisait pas table rase, on gardait des arbres et on cultivait entre : c'est la pratique de l'essart.

Le Codex vindobonensis, appartenant à la bibliothèque nationale d'Autriche fait état de la vie des campagnes au IX° siècle, il comporte un certain nombre d'enluminures et la majorité d'entre elles montre des pratiques agroforestières (une quarantaine sur cinquante). Elles se font surtout avec des arbres fruitiers.

Plus tard, se développe au XVII° et pendant les siècles suivant le bocage14. Il continue ces pratiques en généralisant les haies.

Au XIX° siècle :

Ces techniques sont utilisées aussi au XIX°, on fait souvent référence à des descriptions de Stendhal. En effet au début de l'été 1837 il parcourt le Rhône, près de sa ville natale, Grenoble, et en décrit les paysages.

En juin il est à Saint-Vallier, au bord du fleuve à hauteur de Grenoble : < Le sol de la rive gauche
du RhTMne, qui suit la grande route de Marseille, est couvert d'une si prodigieuse quantité de cailloux roulés,
qu'el peine laissent-ils voir la terre ; et cependant, sur la gauche de la route, le pays est planté de müriers

12 Palladius, De re rustica, Livre III, Section 6, XII, page 137

13 Andrée Corvol, Ë plus d'un titre, France Culture.

14 Christian Dupraz, Terre à terre, France Culture.

tellement pressés, que les terres ressemblent à un verger, et sous l'ombre de ces arbres le blé croit à merveille.

»15

En aoiat, arrivant de Cras, traversant la plaine de Tullins (Nord Quest de Grenoble), il décrit ces associations de blé et de noyers, qualifiant le paysage comme << comparable aux plus riches du Titien È : << Je ne confois pas la force de végétation de ces champs couverts d'arbres rapprochés, vigoureux, touffus ; et là-dessous il y a du blé, du chanvre, les plus belles récoltes. »16

Qn voit donc l'attrait que peut représenter ce mode cultural du point de vue esthétique, facteur appréciable pour l'oeil averti qu'était Stendhal : << Le genre ennuyeux semble banni de ces belles contrées. »17 Cet aspect est aujourd'hui partie intégrée des politiques d'aménagement. Mais il n'est pas primordial au point de provoquer chez l'auteur une somatisation dont il est parfois sujetÉ18 << J'ai dit au postillon que j'avais un éblouissement, et que je voulais marcher [É] »19

Au XX siècle :

Tout cela se perpétue plus ou moins, en tendant à se perdre au profit de la spécialisation des agriculteurs en raison de la mécanisation.

Un pas décisif va être franchi après la Seconde Guerre mondiale, lors de la reconstruction. Qn assiste à une destruction systématique : c'est la politique d'Edgar Pisani dans les années 60', prolongée par les débuts de la Politique Agricole Commune (PAC). Par la volonté de remembrer, mécaniser et créer des structures agricoles gigantesques (un rêve de Midwest américain ?) il y eut destruction systématique des haies, ruisseaux, des écosystèmes locaux, etc. Ce nouveau modèle agricole provoquant des bouleversements paysagers dans certaines régions, de façon générale, et des ruptures d'équilibres écologiques dont les effets se mesurent à plein aujourd'hui.

Paradoxalement C. Dupraz rapporte que les premiers agriculteurs à se doter de tracteurs furent ceux de la vallée de l'Isère. Ayant pu se constituer un capital avec leurs noyers, ils utilisèrent l'argent de la vente des bois pour s'acheter des tracteurs20.

L'après-guerre est donc un moment particulier oü l'exode rural se réalise et oü naissent de
grandes structures de gestion agricole, des systèmes de reprise et d'agrégation des terres
fonctionnant à plein. Le but premier de cette politique était de permettre une continuité dans

15 Stendhal, Mémoires d'un touriste vol. 1, p.193

16 Stendhal, Mémoires d'un touriste vol. 2, p.122

17 ibid.

18 Le syndrome de Stendhal se manifeste chez des touristes, a priori seulement face aux oeuvres de la Renaissance italienne

19 Stendhal, Mémoires d'un touriste, vol. 2, p.122

20 C. Dupraz, Terre à terre, France Culture

la population agricole en permettant de regrouper des exploitations pour leur assurer une viabilité, mais l'inconvénient est que cette population s'est trop réduite. Pisani ne pensait pas que cette politique irait si loin et le regrette.

Il affirme aujourd'hui que la propriété produit plus, plus de richesse, plus d'emploi lorsqu'elle est plus divisée que lorsqu'elle se trouve trop concentrée21.

Au XXI° siècle :

Il pense qu'aujourd'hui on devrait assister à un retour vers la terre et qu'un demi-tour devrait s'amorcer et engendrer un fractionnement des grandes exploitations : Ç parce que c'est raisonnable et c'est établi, ensuite parce que l'agriculture est sans doute la seule qui soit capable de créer des emplois dans l'avenir. È Il ajoute à l'agriculture l'environnement et des activités complémentaires nouvelles restant à inventer.

La question aujourd'hui est de savoir si l'agriculture peut nourrir le monde. Et son avenir est dans les exploitations de petite taille, en raison notamment de la prise en compte de facteurs écologiques.

Aujourd'hui l'ancien ministre de l'agriculture regrette sa politique22 mais explique qu'il s'agissait de moderniser et aujourd'hui la modernité est dans un retour vers un modèle précédent mais avec les acquis de l'expérience mécanique. Les données ayant changées, la politique doit s'adapter et la modernisation changer de contenu.

Il souhaite que la tendance s'inverse pour retrouver un équilibre forêt/champ, sans souhaiter un retour à l'état antérieur23.

Il y a donc eu une politique importante qui a conduit à la séparation de la forêt et des autres activités agricoles, de manière indirecte. Elle a son origine dans cette entreprise de modernisation mais il y a aussi des décisions impliquant plus directement cette séparation. Cet autre aspect qui accentue cette division est la séparation de la forêt et de l'agriculture au niveau institutionnel, association pourtant pluri-séculière24. C'est d'abord pour la forêt publique (la création de l'ONF en 1966), mais aussi en dissociant les services agricoles et forestiers des personnes privées (CRPF). La forêt est autonomisée, ce qui représente un avantage non négligeable, financée par le Fond Forestier National (FFN), qui ouvre une politique d'envergure. Mais elle n'est donc plus considérée par le politique. Elle ne cesse de descendre dans les organigrammes ministériels successifs, avec parfois quelques remontées.

21 Il prend l'exemple d'un propriétaire de 5 000 ha sans héritier qui chercherai la formule la plus valorisante entre une propriété de 5 000 ha et 100 fermes de 50 ha. La nouvelle fabrique de l'histoire - France Culture

22 Ç Il est évident que j'ai été fasciné par les exigences techniques des tracteurs... È. La nouvelle fabrique de l'histoire - France Culture

23 E. Pisani, La nouvelle fabrique de l'histoire, France Culture.

24 La mention Ç Eaux et forêts È appara»t pour la première fois en France en 1219, dans une ordonnance de Philippe Auguste. Viennent ensuite une organisation afférente, en 1346 dans l'ordonnance de Brunoy, puis toute une législation...

Et la tempête Klaus à remis à jour son absence d'autonomie sur un plan financier, notamment par l'inexistence d'un système d'assurance viable, qui aurait permis de sauvegarder la ressource et absorber le choc de la tempête pour l'ensemble de la filière (stockage et régulation du volume de bois disponible, contrôle des prix, etc.).

Il y a donc tout un contexte de déclin de l'importance du bois : remplacement par le pétrole, l'acier, les plastiques, les produits issus de la chimie, le béton, etc. Il est dépassé dans la construction, l'énergie, etc.

Et la forêt se trouve sous-exploitée, le tissu industriel vieillit, le secteur subit l'influence de la domination étrangère sur les cours du bois, sur les normes, etc.

A cela s'ajoute, dans le Sud Quest, le déclin de l'industrie de la résine, elle aussi dépassée par le pétrole.

La forêt traverse une crise existentielle, bien que le contexte paraisse pleinement favorable et que d'innombrables débouchés et perspectives s'offrent et vont s'offrir à elle.

Figure 2 : Vue aérienne d'installations agroforestières au début du XX° siècle, C. Dupraz, Une agroforesterie francaise

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo