L'agroforesterie en Aquitaine
État et prospective
par Beno»t GAYAUD
Mémoire de sciences politiques
Master Forêt et développement
durable
Septembre 2009
Ë rendre inexact :
Ç Les forêts précèdent les peuples,
les déserts les suivent. È
R. de Chateaubriand
Remerciements
Merci aux personnes qui ont permis ce travail en me permettant de
consulter leur documentation et en m'accordant leur temps. Qu'elles soient ici
remerciées :
Le SSPA : Fr. Gaby, F. de Fabrègues, l'IPHB : D.
Hervé, le CRPF : A. Berton et J. Touyarou, l'ONF : Y. Béague, P.
Mousset, le comité de programmation pour la montagne basque, la Chambre
d'agriculture, J.M. Billac
et ceux ici non cités : participants croisés aux
assemblées générales, réunions, etc.
Une mention particulière pour Florence Gaby pour m'avoir
permis d'arpenter le monde forestier des Pyrénées atlantiques.
Sommaire :
I. Introduction : 4
II. Histoire : 8
Au XIX° siècle : 9 Au XX°
siècle : 10 Au XXI° siècle : 11
III. Le statut de l'agroforesterie : 13 Technique :
14
L'arbre : 14
Les cultures : 15 Administration et politique : 17 Le
nÏud cadastral : 17
Au niveau communautaire : 19 En France : 20
Representations : 21
IV. Typologie : 23
Les Landes : 24
Un sylvopastoralisme landais ? 25 En montagne :
27
Au Pays Basque : 29
Dans le Bearn : 29
V. Perspectives : 35
I. Introduction :
Code Rural (en vigueur au 1 septembre 2009) :
<< Article L311-1
Modifié par Ordonnance n°2005-1127 du 8 septembre
2005 - art. 7 JORF 9 septembre 2005
Sont réputées agricoles toutes les
activités correspondant à la ma»trise et à
l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal
ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au
déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées
par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de
production ou qui ont pour support l'exploitation. Les activités de
cultures marines sont réputées agricoles, nonobstant le statut
social dont relèvent ceux qui les pratiquent. Il en est de même
des activités de préparation et d'entra»nement des
équidés domestiques en vue de leur exploitation, à
l'exclusion des activités de spectacle.
Les activités agricoles ainsi définies ont un
caractère civil.
Toutefois, pour la détermination des critères
d'affiliation aux régimes de protection sociale des non-salariés
et des salariés des professions agricoles, sont
considérées comme agricoles les activités
mentionnées respectivement aux articles L. 722-1 et L. 722-20.
>>
L'énoncé vise un cycle biologique de
caractère végétal, l'absence de réponse concernant
le statut de la forêt pose un problème qui mérite
d'être soulevé.
La sylviculture pourrait faire partie de l'agriculture mais en
conservant les spécificités qui tiennent à la
temporalité du cycle, à sa nature particulière concernant
les travaux, à tout ce qui se tient sous le terme de sylviculture.
Depuis la formulation du souhait de Descartes
l'humanité se montre en progression pour se rendre << comme
maître et possesseur de la nature >>1, alors
même qu'il est grand temps selon d'autres de passer un nouveau cap et
changer notre rapport à la dichotomie Nature/Culture qui perd de sa
pertinence2. Cette division datant des Lumières est
historique donc dépassable. Elle s'essoufflerait aujourd'hui en raison
du progrès technique qui rend poreuses les frontières entre la
Nature et la Culture. Les faits de Nature ne lui sont plus exclusivement
propres : la manipulation génétique, les travaux sur la
reproduction, les greffesÉ montrent que l'on peut tromper ses lois.
1 René Descartes, Discours de la méthode, 6°
partie
2 voir le tableau page suivante. Philippe Descola,
Par-delà nature et culture, Gallimard, 2006
Il est donc possible de dépasser ce paradigme et de
s'affranchir de certains clivages qui en découlent et enferment dans une
alternative trompeuse, qui opposerait une action de l'homme
intrinsèquement négative à l'égard de son
environnement face à une Nature qui ne saurait être que
bienfaitrice et idéale.
Figure 1 : Les 4 modes de représentation
ontologiques (Philippe Descola, Pardelà nature et culture) :
En attendant la rupture il est possible d'adopter une approche
plus pragmatique. On peut juger de chaque action de l'homme sur son
environnement en mesurant son impact. Ce
premier pas pour se défaire des préjugés
peut se révéler surprenant même dans les lieux
oül'homme ne semblerait pas présent :
En Amazonie << l'abondance des sols
anthropogéniques et leur association avec des foréts de palmiers
ou de fruitiers sylvestres suggèrent que la distribution des types de
forét et de végétation résulte en partie de
plusieurs millénaires d'occupation par des populations dont la
présence récurrente sur le méme site a bouleversé
le paysage végétal. [É] Si bien que la nature amazonienne
est, en vérité, fort peu naturelle, mais peut au contraire
étre considérée comme le produit culturel d'une
manipulation très ancienne de la faune et de la flore. [É] Les
conséquences de cette anthropisation sont notamment un taux de
biodiversité plus élevé dans les portions de forét
anthropogéniques que dans les portions de forét non
modifiées par l'homme 3. È
Ainsi il faut relativiser le caractère naturel du
moindre espace qui nous para»trait ananthropique et dont la
virginité semble être moins un a priori que de découler
d'une démonstration.
Il reste à savoir quels outils employer pour mesurer
l'impact des hommes sur leur environnement, savoir à quel point un
espace est anthropisé. De multiples systèmes de mesures existent
aujourd'hui et il est donc possible d'aborder la question sous de multiples
angles : le taux de biodiversité, l'empreinte écologique, le
bilan carbone, le bilan énergétique, etc.
3 Descola Philippe, Les Lances du crépuscule, Plon, coll.
<< Terre Humaine È, 1993
Dans l'exemple fourni par Philippe Descola les groupes humains
en question, les Achuar4, pratiquent l'essartage. Il consiste
à couper le bois puis brialer le végétal restant pour
fertiliser le sol et ensuite cultiver des arbres fruitiers et des cultures
annuelles. Ainsi, d'une pratique qui est aujourd'hui décriée par
l'impact négatif qu'elle aurait sur l'environnement, la destruction
d'une biocénose, il ressort finalement qu'elle est
bénéfique et a généré un des lieux les plus
riches en biodiversité5. Le problème résultant
non pas de la pratique de l'essartage, ou des cultures sur briilis, mais tenant
à la démographie des populations concernées.
La démographie est un des problèmes les moins
discutés aujourd'hui alors qu'il est devenu la norme de se
réclamer du développement durable6. Et celle-ci en
constitue un facteur central dans la mesure oü l'impact d'une population
sur son environnement se mesure en fonction de la qualité et la
quantité des ressources dont il recèle, pour lesquels il existe
une batterie d'instruments de mesure, mais aussi de l'importance
numérique de la population en question. Il s'agit d'étudier les
deux composantes d'une équation ; celle de l'équilibre entre les
groupes humains et leur environnement : une influence neutre ou
bénéfique des premiers sur le second.
Ë titre d'exemple, en France le Ministère de
l'écologie retient Ç 12 indicateurs phares >> du
développement soutenable. Ceux ayant trait à la population
concernent l'espérance de vie et le taux de dépendance
vieillesse7. Il n'existe rien sur la pression démographique
exercée par une nation. Au contraire, la fécondité et
l'enfantement sont régulièrement en tête des journaux et
constituent une fierté nationale toujours
rétribuée8.
En Europe le problème de l'utilisation des sols se pose
aussi9. La dévolution de ceux-ci à l'urbanisation,
l'agriculture ou la forêt est par essence une question politique. Ici le
problème intègre une dimension supplémentaire avec la
propriété et la multiplicité de propriétaires,
publics et privés, les activités qui occupent ces surfaces et qui
peuvent être très différentesÉ On trouve des
pratiques similaires aux peuples d'Amazonie qui peuvent mêler agriculture
et sylviculture. Elles existent depuis longtemps mais n'ont aujourd'hui plus
cours.
4 Tin des quatre groupes appartenant aux Jivaros, situés
à la frontière entre le Pérou et l'Équateur
5 Philippe Descola, Ç Ë qui appartient la nature ?
>> p.2 : Ç Peu importe que ces usages, de l'horticulture
itinérante sur brCilis en milieu forestier à la création
de bosquets sacrés à la périphérie des villages,
aient souvent été à la source de la biodiversité
élevée que les agronomes et les forestiers constataient sans en
comprendre les causes. >>
6 On pourra lui préférer le qualificatif de
soutenable, plus proche de la traduction de 'sustainable' du rapport Brundtland
(1987), notion déjà présente dans l'ordonnance de Brunoy
de Philippe VI (1346) à l'art.4 Ç Les ma»tres des eaux et
forêts enquerront et visiteront toutes les forez et bois et feront les
ventes qui y sont, en regard de ce que lesdites forez se puissent
perpétuellement soustenir en bon estat >>
7 Le rapport entre la population retraitée et la
population active
8 Tine famille, selon le Code de l'Action Sociale et des
Familles, peut prétendre à la Médaille d'honneur de la
Famille française, de bronze, d'argent ou d'or pour une fratrie de 4, 6
ou 8 enfants et plus.
9 Densité de 70 hab./km2, Asie 90
hab./km2, Afrique 33 hab./km2, Amérique 20
hab./km2, Océanie 4 hab./ km2
Elles sont regroupées sous le terme d'agroforesterie
bien que recouvrant des pratiques diversifiées. Elle peut être
définie comme l'exploitation des terres en associant des arbres et des
cultures ou des animaux10.
Dans le cadre de l'Aquitaine, région éminemment
forestière et offrant une diversité de situations du plateau
Landais au Pyrénées, on peut s'interroger sur la pertinence de
vouloir réactiver ce genre de pratique. Cette attitude
réactionnaire est-elle souhaitable et quels avantages permet-elle ?
Ces pratiques seraient pertinentes dans le cadre de politiques
d'aménagement du territoire en plaine comme en milieu montagneux.
L'action commence par déjouer les méfiances et
combattre les idées reçues. Vient ensuite le temps de la
réalisation avec la mise en place de projets selon le type de milieu.
10 DUPRAZ Christian et LIAGRE Fabien, Agroforesterie : Des arbres
et des cultures
On trouve une définition plus institutionnelle, celle
de l'ICRAF organisation internationale n'agissant pas en Europe et en
Amérique du Nord : 'Agroforestry is a collective name for land-use
systems and technologies, where woody perennials (trees, shrubs, palms,
bamboos,
etc.) are deliberately used on the same land management unit
as agricultural crops and/or animals, either in some form of spatial
arrangement or temporal sequence. In agroforestry systems there are both
ecological and economical interactions between the different components'.
(ICRAF, 1993)
|