La notion d'efficience des marchés financiers trouve
ses origines dans la célèbre thèse de Bachelier en
190025 qui étudie le lien entre l'évolution des cours
en bourse et la marche au hasard. Afin d'expliquer les raisons pour lesquelles
les cours sur les marchés financiers sont impossibles, il a
effectué une série de travaux empiriques. Bachelier était
en avance sur son temps puisque les autres études sur le comportement du
cours des actions n'apparaissent qu'au début des années 60 avec
des auteurs comme Samuelson26 [1965].
Les principales références sur l'efficience des
marchés financiers sont sans doute les articles de Fama27
[1965, 1970,1991]. Il a marqué le début de la littérature
moderne sur le sujet en définissant un marché efficient comme
un
25 Bachelier L. (1900) « Thèse de la
spéculation» thèse de doctorat de sciences
mathématiques, Annale de l'Ecole Normale Supérieure,
3e série, T. 27. En Anglais « theory of speculation
», in cootner, P. (ed.), the Random Character of stock Market Prices,
Massachusetts Institute of Technology Press, Cambridge, MA, A964.
26 Samuelson P.A. (1965) «The Proof that
property Anticipated Prices Fluctuate Randomly», Industrial Management
Review, n°6, PP.41-49.
27 Fama E. (1965) «The Behavior of Stock Market
Prices», Journal of Business, 38, Janvier, PP. 34-105.
Fama E. (1970) «Efficient Capital Market : II»,
Journal of Finance, Décembre, 25, PP 338-417. Fama E. (1991) «
Efficient Capital Market : II », Journal of Finance, Décembre, 46,
PP. 1575- 1618.
marché sur lequel les cours reflètent
intégralement l'information disponible. Par ailleurs, il a
distingué trois formes de l'efficience informationnelle des
marchés financiers correspondant à trois niveaux d'informations
progressives : la forme faible, la forme semi-forte et la forme forte. Depuis
plusieurs autres définitions de l'efficience informationnelle sont
apparues. Parmi ces différentes définitions, les plus
fondamentales sont celles de Jensen28 [1978] et de
Beaver29[1981].
1. Efficience informationnelle des marchés
boursiers.
Dans cette sous-section, nous tentons de fournir une
définition complète de l'efficience informationnelle des
marchés financiers en nous intéressant sur les différents
degrés d'efficience tels qu'ils ont été définis par
Fama. Nous abordons en suite la problématique posée par la
présence d'initiés sur les marchés boursiers et l'impact
de leurs opérations sur l'efficience informationnelle. La question
relative sur les conséquences de telles opérations sur la
liquidité des marchés boursiers sera abordée dans la
deuxième section de ce chapitre.
1.1.Définitions.
Fama (1970) définit un marché efficient comme
un marché sur lequel les cours reflètent instantanément
l'ensemble des informations disponibles, c'est-àdire les
conséquences des événements passés, présents
et les anticipations sur les événements futurs. Il admet
plusieurs hypothèses pour une efficience totale du marché
financier.
· Les coûts de transaction (les commissions et les
taxes doivent être nulles) ;
· La gratuité et la disponibilité des
informations pour l'ensemble des investisseurs ;
· Les investisseurs doivent maximiser l'utilité
espérée de leur richesse ;
· Les investisseurs doivent être dans une situation
de concurrence.
28Jensen M. (1978) « Some Anomalous Evidence
Regarding Market Efficiency », Journal of Political Economy, n°
6(2/3), PP. 95-101.
29 Beaver W.H. (1981) « Market Efficiency
», The Accounting Review, Vol. 56 (1) PP. 233-7.
La théorie de l'efficience des marchés implique
qu'il est possible de prévoir les variations des cours car l'ensemble
des informations est intégré dans le cours affiché. En
d'autres termes, le cours affiché pour chaque actif financier sur un
marché efficient est à tout moment une estimation de sa valeur
intrinsèque. La valeur intrinsèque d'un titre est
déterminé par les qualités et les caractéristiques
propres de l'entreprise et non par la manière telle qu'elle est
estimée par les intervenants sur le marché.
La distinction de l'efficience donnée par Fama a
été souvent critiquée30. On lui reproche
principalement l'impossibilité dans la pratique de respecter les
hypothèses ci-dessus. L'accès à l'information est
généralement coûteux et, en plus, chaque transaction
d'achat ou de vente nécessite le paiement de commissions et de taxes.
Plusieurs auteurs ont donc tenté de donner une définition plus
élaborée ou au moins complémentaire à celle de
Fama.
Jensen [1978] décrit un marché efficient en
terme d'absences de profit d'arbitrage, c'est-à-dire qu'il
considère que dans un marché efficient, il est impossible de
réaliser des profits positifs en échangeant des informations. Le
terme « profits » désigne les rentabilités
ajoutées pour le risque, nettes de l'ensemble des coûts. Dans un
tel cas, les cours reflètent l'information jusqu'au point ou le
bénéfice marginal lié à l'utilisation d'information
n'excède pas les coûts marginaux d'information et de transaction.
Cette définition utilise une notion que l'on appelle « l'efficience
économique ».
Beaver [1981] définit le concept d'efficience par
rapport à l'ensemble des signaux donnés par le marché. Il
considère qu'un marché est efficient par rapport à un
signal si la configuration des cours des titres est identique à celle
qu'elle aurait été dans une économie où chaque
agent reçoit à la fois le signal en question et des informations
privilégiées. Quant à Latham31 [1986], il
considère que les marchés sont efficients par rapport à
une information bien précise si l fait de révéler cette
information à tout le monde ne changerait ni les cours
d'équilibre, ni la composition des portefeuilles.
30 Pour une synthèse des critiques, voir
Patrick Roger (1988) « Théorie des marchés financiers
efficients et asymétrie d'information : une revue de littérature
», Finance, Janvier, PP 59-97.
31 Latham M. (1986) « Information Efficiency
Market Subsets », Journal of Finance, 41, PP 39-52.
Plus récemment, Malkiel32 [1992] a
synthétisé ces différentes définitions du concept
d'efficience informationnelle de la manière suivante :
« Un marché financier est considéré
efficient s'il reflète complètement et correctement l'ensemble de
l'information pertinente à la détermination des cours.
Formellement, le marché est efficient par rapport à une certaine
catégorie d'information à tous les agents. L'efficience par
rapport à cette information...implique qu'il n'est pas possible de
réaliser des profits ».
Dans la première partie de cette définition,
l'auteur reprend exactement la définition de Fama alors que dans la
seconde partie, il suggère que si les cours ne sont pas modifiés
quand l'information est révélée, le marché est
considéré comme efficient à l'égard de cette
information. Sa troisième suggestion pour définir l'efficience
d'un marché financier est de prendre en compte les profits
résultant de l'exploitation de cette information. La constatation de
rentabilités excessives permet de conclure que le marché n'est
pas efficient par rapport à cette information.
1.2. L'efficience et les coûts de
l'information.
Grossman et Stiglitz (1980) ont pris en compte
l'activité de recherche et de traitement de l'information dans la
définition de l'efficience. Leur analyse repose sur l'hypothèse
fondamentale que le coût ne peut être nul et par conséquent
que les marchés ne peuvent être informationnellement efficients.
Ainsi, ils énoncent : « dans la mesure où l'information
est coûteuse, le cours ne peut refléter de façon
parfaite toute l'information disponible, puisque, s'il en
était ainsi, ceux quidépensent des ressources pour
obtenir l'information ne recevraient aucune
compensation ».
Selon la définition de Fama (1970), le système
des cours est supposé révéler toute l'information relative
à la valeur intrinsèque du titre. Ceci est vrai puisque l'une des
principales hypothèses du cadre analytique de Fama est la nullité
du coût d'information. Pour Grossman et Stiglitz, le coût
engendré par l'activité de recherche et de traitement de
l'information rend impossible la révélation de toute
l'information disponible dans les systèmes de prix.
32 Malkiel B. (1992) « Efficient Market
hypothesis », in Newman P., Milgate M. and Eatwel J.(eds), News Palgrave
Dictionary of Money and Finance, Macmillan, London.
Ils supposent l'existence de deux groupes de
spéculateurs sur le marché, à savoir ceux qui supportent
des coûts pour obtenir l'information (les agents informés) et ceux
qui ne veulent pas dépenser leurs ressources et qui n'observent que les
cours des titres pour s'informer (les agents non informés). Si les cours
des actifs reflètent la totalité de l'information disponible,
nous nous retrouvons dans une situation où les agents non
informés sont capables de déduire de ces prix l'information des
agents informés, et par conséquent leur coût d'information
est nul. Dans un tel cas, les informés se trouvent dans une situation
où ils ne sont pas incités à collecter de l'information,
et par conséquent le marché ne peut pas intégrer celle-ci
et n'est donc pas efficient.
Dans la situation où les cours ne reflètent pas
la totalité de l'information, les informés profitent de
l'avantage procuré par la recherche d'information sans que les non
informés y accèdent. L'explication est toute simple puisque les
cours sont « bruités » et les non informés ne sont pas
capables de savoir lors d'un changement de cours si celui-ci est la
conséquence d'une nouvelle information ou simplement d'un « bruit
».
1.3. Les trois formes de l'efficience
informationnelle et leurs conséquences. La parfaite efficience
informationnelle n'existe pas en réalité. Nous avons pris
l'habitude de la classer en trois degrés bien qui dépendent de
l'information prise en compte depuis le célèbre article de Fama
[1970].
Les décisions d'investissement sur les marchés
financiers dépendent moins des informations pertinentes disponibles sur
le marché, mais du degré d'efficience informationnelle de
celui-ci. Plusieurs raisons expliquent l'importance de cette hypothèse
sur les marchés financiers. La principale se trouve dans la
définition du concept d'efficience informationnelle. Ce dernier
suggère que le cours constitue la meilleure évaluation de la
valeur d'un titre à un moment donné puisqu'il prend en compte
l'ensemble de l'information disponible sur le passé, le présent
et le future. Ce cours indique donc l'utilité d'un titre en
intégrant l'opinion générale des agents.
Dans un tel marché, l'ensemble des
événements prévisibles dont dépendent les cours des
entreprises sont identifiés ainsi que leurs conséquences. De ce
fait, aucun titre n'est sous-évalué ou surévalué.
Les cours des actifs financiers qui sont déterminés sur un
marché efficient permettent de
fournir des indicateurs d'une grande importance sur la
santé des entreprises et permettent ainsi d'aider les investisseurs dans
leurs choix d'investissements. Ainsi, ils assurent une bonne allocation des
ressources en capital.
Fama (1970) propose trois versions de l'hypothèse de
l'efficience des marchés financiers qui font une distinction entre les
ensembles d'information que le prix d'un titre doit incorporer.
o D'abord, il y a l'information sur les prix passés des
titres ; il s'agit là
de la version faible de
l'hypothèse d'efficience : le prix d'une action reflète toute
l'information contenu dans l'histoire passée du prix du titre, et la
conséquence directe de l'hypothèse
faible est l'analyse technique33 ( qui consiste à regarder
essentiellement les prix passés ou des fonctions de ces prix
passés).
o Ensuite, il y a toute l'information publiquement disponible
concernant le titre qui inclut entre autres les rapports
annuels, les analyses techniques et fondamentales disponibles publiquement,
l'information à caractère macro-économique et sectoriel :
c'est la version semi-forte de l'hypothèse
d'efficience car le prix d'une action reflète toute l'information
disponibles et la conséquence d'une telle
hypothèse est toute analyse basée sur l'information publique
(analyse fondamentale34).
o Finalement il y a l'information publique y compris
l'information privée ou
privilégiée ou celle provenant d'initiés de
la compagnie qui a émis
le(« insider information ») ; il s'agit de la
version forte de l'hypothèse
d'efficience ; le prix d'une action reflète alors
toute l'information disponible qu'elle soit publique ou privée et la
conséquence de l'hypothèse forte est
que toute possibilité de gains inexploités sera
éliminée.
33 L'analyse technique est fondée sur
l'hypothèse que les mouvements antérieurs des cours ont tendance
à se reproduire. Ce qui implique qu'il est possible de prévoir
les retournements de tendance ou de les identifier en utilisant uniquement des
données historiques.
34 Face à l'école chartiste ou
technique, on trouve l'école dite d'analyse fondamentale ou
fondamentaliste. Cette appellation est issue de leur manière de
déterminer la valeur fondamentale des actifs financiers traités
sur le marché. Cette technique consiste à déterminer pour
chaque titre sa valeur intrinsèque. Si le cours du marché est
inférieur (respectivement supérieur) à la valeur
fondamentale, il est possible de réaliser des bénéfices en
prenant une position haussière.
Dans son article de 1991, Fama redéfinit les trois
formes de l'efficience en utilisant trois types de tests empiriques. Ainsi
l'efficience de forme faible devient l'étude de la
prévisibilité des rentabilités ; cette forme d'efficience
est validée par des tests permettant de vérifier s'il est
possible de prévoir les rentabilités futures des titres en se
basant uniquement sur les séries historiques des cours et sur les
dividendes. Par ailleurs, la forme semi-forte regroupe les études
événementielles concernant l'information publique,
c'est-à-dire les tests permettant de vérifier si l'ensemble de ce
type d'information est déjà intégré dans les cours
des titres. Quant à la forme forte, elle regroupe les tests portant sur
l'information privilégiée détenue par certains
investisseurs initiés.
L'étude de la forme forte d'efficience des
marchés financiers a été développée
essentiellement sur le marché boursier américain. Dans un tel
marché, il est impossible de réaliser des profits grâce
à des avantages informationnels privilégiés.
Si l'objectif attendu de cette forme d'efficience est de
savoir si les initiés (ils sont représentés, soit par les
investisseurs qui détiennent une part importante de titres existants
d'une entreprise soit ils font partie des dirigeants de celle-ci), en
réalisant leurs opérations sur la base des informations
privilégiées dont ils disposent, tirent ou non profit
supérieurs à ceux attendus pour le risque encouru, nous nous
interrogeons plutôt sur l'impact de leurs opérations
(d'initiés) sur l'efficience informationnelle des marchés
boursiers.
2. L'impact d'opérations d'initiés sur
l'efficience informationnelle des marchés boursiers.
Dans cette deuxième sous-section, le but est
d'étudier l'impact des opérations d'initiés sur
l'efficience informationnelle. A travers les différentes
hypothèses émises par les auteurs sur la théorie
financière, nous essayons d'en déduire si l'intervention des
initiés peut contribuer ou pas à l'amélioration de
l'efficience informationnelle des marchés boursiers.
2.1. Les opérations d'initiés
peuvent-elles améliorer l'efficience informationnelle des marchés
boursiers ?
Une très vaste littérature traite les
conséquences des opérations d'initiés sur les principales
caractéristiques des marchés boursiers (efficience,
liquidité...).Manne [1966] peut être considéré comme
le précurseur sur la problématique posée à la
réalisation des opérations d'initiés dans les
marchés boursiers. Il affirme que la réalisation de tells
opérations contribue à l'amélioration de l'efficience.
Cette affirmation se justifie par le fait que lorsque les opérations
d'initiés sont permises, les cadres des entreprises exploitent au
maximum leur information privée qui est ainsi incorporée dans les
cours cotés.
Une étude empirique sera menée quelques
années plus tard par Meulbroek [1992] afin de tester l'hypothèse
selon laquelle la présence d'initiés sur un marché
boursier augmente le contenu informationnel des cours. Pour ce faire, l'auteur
utilise une liste des cas d'initiés détectés par la
SEC35 ; il va ensuite montrer que la variation anormale des cours
observée lors de l'intervention des informés représente 40
à 50% de la variation des cours constatée le jour de l'annonce.
Finalement, Meulbroek en déduit que les initiés de par leurs
transactions informées contribuent à la découverte des
vrais prix.
Mais un certain nombre d'auteurs vont remettre en cause les
hypothèses émises par Manne [1966] et Meulbroek [1992] selon
lesquelles la réalisation des opérations délictueuses
permet d'améliorer le contenu informationnel des cours cotés.
Pour Kyle [1985] , si les initiés sont conscients des
conséquences de leurs transactions sur les cours, ils vont adopter une
stratégie d'échange de manière à retarder leur
information et finalement à ne pas la divulguer au reste du
marché. Cette situation va entraîner une diminution de
l'efficience informationnelle des marchés financiers. De façon
identique, Biais et Foucault [1993] vont montrer que si les prix cotés
reflètent une part de l'information privée, alors plusieurs
facteurs limitent cette révélation d'information, notamment le
bruit dû à des chocs de liquidité ainsi que le comportement
stratégique des informés.
Cependant Manove [1989], ainsi que Fishman et Hagerty [1992]
montrent que si les initiés suspectent simplement la présence des
initiés sur le marché,
35 Securities and Exchange Commission
l'hypothèse selon laquelle les opérations
d'initiés améliorent l'efficience informationnelle est remise en
cause et ceci pour les raisons suivantes :
Tout d'abord, pour Manove [1989], lorsque les agents non
informés sont conscients du risque de sélection adverse, ils vont
exiger une prime de risque de compensation, et ceci va nécessairement
engendrer des coûts supplémentaires de liquidité. Manove va
donc conclure en disant que la réalisation d'opérations
d'initiés ne peut contribuer à l'amélioration du contenu
informationnel des cours seulement si les transactions portent sur d'importants
volumes et que de toute évidence l'efficience est meilleure lorsqu'une
information nouvelle est directement communiquée au public plutôt
que par l'intermédiaire du marché.
Ensuite, selon Fishman et Hagerty [1992], la présence
d'initiés sur les marchés peut décourager les non
initiés dans leur recherche d'information ce qui conduit à la
diminution de l'efficience des cours.
Dans une vision beaucoup plus large, Ausubel [1990], montre
que si les initiés sont présents sur les marchés, il y
aura nécessairement une dégradation de la confiance des non
initiés vis-à-vis des marchés ; ceux-ci (non
initiés) prenant en compte les préjudices que les informés
(initiés) peuvent leur causer. Ainsi, lorsque les opérations
d'initiés sont permises, les informés vont tirer profit de
l'information privée qu'ils détiennent sans pour autant rendre
celle-ci publique. Finalement, on arrive à une situation
d'équilibre révélateur d'une manière partielle ;
laquelle conduira les informés à réaliser des
bénéfices aux dépens des autres investisseurs
présents sur le marché. Pour cet auteur la réglementation
de ce type d'opération va obliger les informés à rendre
publique leur information avant de l'exploiter, ce qui va permettre une
augmentation des profits non seulement des non informés mais aussi de
ceux des initiés, l'équilibre devenant alors
révélateur. Finalement, on va aboutir à une situation
où grâce à la réglementation de ces types
d'opérations, les effets bénéfiques seront d'autant plus
importants que l'asymétrie d'information existant entre les
informés et les non initiés est importante.
Restant dans la même logique que celle
évoquée par Ausubel [1990], Bhattacharya et Spiegel [1991] vont
plus loin en affirmant qu'il suffit que les non
informés pressentent la présence
d'initiés sur le marché, pour qu'ils refusent d'effectuer des
transactions compte tenu du risque de sélection adverse. Finalement
l'intervention d'initiés conduit au blocage du marché où
aucune transaction ne se réalise.
En définitive, l'impact des opérations des
initiés sur l'efficience informationnelle des marchés boursiers
n'est pas défini de façon claire et précise par la
littérature théorique, car deux hypothèses s'opposent.
Pour certains auteurs, l'intervention d'initiés
conduit à la découverte de vrais prix et donc améliore
l'efficience informationnelle des marchés boursiers, alors que pour les
autres ces opérations délictueuses vont plutôt
décourager les non initiés à effectuer leurs transactions
car conscients du risque de sélection adverse et contribuer ainsi
à la diminution du contenu informationnel des cours cotés.
L'analyse que nous avons menée concerne l'efficience
informationnelle au sens fort car celle-ci est basée sur la prise en
compte d'informations privilégiée dans les cours des actifs. Les
seuls tests pertinents consistent à déterminer si des
investisseurs initiés sont capables de battre le marché. Il
existe plusieurs difficultés à la réalisation de ce type
de tests compte tenu du manque de données relatives aux
opérations d'initiés dans les pays émergents comme ceux de
l'afrique.
Contrairement aux marchés boursiers des pays
développés, il n'existe aucune source fiable permettant la
réalisation d'étude concernant l'activité boursière
d'investisseurs privilégiés. La seule alternative
opérationnelle pour tester indirectement la forme forte de l'efficience
est la mesure de la performance des gérants de portefeuilles qui sont
susceptibles d'acquérir des informations avant leurs publications. Mais
les marchés boursiers émergents d'Afrique sont encore jeunes pour
effectuer ce genre de tests. Au terme de cette analyse portant sur l'impact des
opérations d'initiés sur l'efficience informationnelle des
marchés boursiers, nous pensons tout de même que les pays
africains doivent réglementer de telles opérations car celles-ci
peuvent avoir des conséquences néfastes sur l'efficience
informationnelle de leurs marchés boursiers même si jusqu'ici les
tests n'y ont pas été réalisés.
Les marchés boursiers émergents d'Afrique d'une
manière générale et particulièrement au sud du
Sahara ne sont pas réglementés comme ceux des
pays développés. Il est de toute
évidence que la présence d'initiés sur de tels
marchés puisse influencer l'influence l'efficience informationnelle qui
déjà souffre du manque de transparence de ces marchés
boursiers.
Contrairement à l'hypothèse émise par
Manne [1966] selon laquelle les opérations d'initiés
contribueraient à l'amélioration de l'efficience informationnelle
des cours cotés, ceci se justifiant par le fait que lorsque ces
opérations sont permises, les cadres des entreprises exploitent au
maximum leur information privée qui est ainsi incorporée dans les
cours cotés, cela semble ne pas être vérifié en ce
qui concerne les marchés boursiers émergents d'Afrique ; ceci
pour des raisons suivante :
o Tout d'abord, il semblerait que les marchés
boursiers émergents d'Afrique ne sont pas efficients compte tenu de leur
manque de transparence d'une part ;
o D'autre part, la corruption qui sévit actuellement
dans ces pays viendrait
simplement aggraver la situation si de telles opérations
sont permises.
Partant de la théorie de l'agence, Brudney [1979] et
Easterbrook [1981], estiment que le fait de pouvoir réaliser des
transactions sur la base d'informations privilégiée, incite les
cadres à retarder au maximum la publication de l'information ; dans le
cadre des marchés boursiers d'Afrique, une telle hypothèse
permettrait aux cadres africains de tirer profit de cette information
privilégiée.
Pour Bagnoli et Khanna [1992], la non interdiction des
opérations d'initiés peut même conduire les gérants
à adopter des stratégies de gestion dont l'objectif n'est plus la
maximisation de la valeur de l'entreprise mais la maximisation des profits que
ces derniers espèrent réaliser sur les transactions qu'ils font
pour leur propre compte sur les titres de leur entreprise.
Dans le cas des marchés boursiers émergents d'
Afrique, nous pensons que les opérations d'initiés doivent
être interdites car compte tenu de la corruption et du manque de
crédibilité de certains dirigeants cadres d'entreprises
africains, ceux-ci chercheraient plutôt à réaliser des
profits de leur information privilégiée aux dépens des non
informés, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les
caractéristiques de marché telles que l'efficience ou la
liquidité et entraînerait même des asymétries
d'informations et des risques de sélection adverse ; ce qui
augmenterait davantage l'impact de telles opérations
sur l'efficience informationnelle des marchés boursiers émergents
d'afrique.
Pour mieux comprendre l'impact des délits
d'initiés sur l'efficience informationnelle des marchés
boursiers, un nombre important de modèles de la microstructure des
marchés financiers étudient la formation des prix dans un
contexte d'asymétrie d'information.
2.2. Formation des cours cotés dans un
contexte d'asymétrie d'information.
Comment peut-on résoudre le problème
d'asymétrie d'information et améliorer le contenu informationnel
des cours en présence d'initiés dans un marché boursier
?
Plusieurs courants de pensée ont essayé de
résoudre ce problème. Grossman [1976] essaie de répondre
à cette question en utilisant les concepts développés par
la théorie des équilibres en anticipations rationnelles. En fait,
Grossman s'attache à montrer que le prix d'équilibre d'un titre
financier peut permettre de résoudre les asymétries d'information
existant entre les initiés sur la valeur du titre et les agents non
informés. Il part d'une intuition simple en supposant qu'un agent
dispose une information lui indiquant qu'une action est
sous-évaluée. Il peut réaliser un gain en plaçant
des ordres d'achat. Mais cet accroissement de la demande va provoquer une
augmentation du prix qui signale au marché que certains agents
considèrent que l'action est sousévaluée.
Si les agents non informés anticipent correctement la
relation qui existe entre le prix et l'information de l'initié, ils
peuvent pour chaque niveau de prix inférer l'information privée
de celui-ci. L'article de Grossman [1976] propose une modélisation
rigoureuse de cette intuition. Il montre qu'il est possible d'obtenir des
équilibres parfaitement révélateurs, c'est-à-dire
tels que les prix reflètent toute l'information des agents
informés36. Il donne ainsi un fondement
36.Grossman montre que le prix d'équilibre
constitue une statistique suffisante de l'information des agents
informés. Ceci signifie qu'un agent qui n'observe que le prix
d'équilibre est en mesure de formuler les anticipations qu'un agent qui
observerait les signaux reçus par chaque initié et qui
disposerait ainsi de toute l'information privée disponible.
micro-économique à la notion d'efficience des
marchés boursiers. Grossman et Stiglitz [1980] montrent que ce
résultat pose un problème lorsque les coûts d'information
supportés par les agents informés sont pris en compte. En effet,
si les prix d'équilibre transmettent toute l'information privée,
les agents informés ne peuvent pas réaliser des profits
supérieurs à ceux obtenus par des agents non informés.
Dans ces conditions aucun agent n'a intérêt à payer un
coût pour s'informer et les prix d'équilibre ne peuvent donc
transmettre aucune information privée.
L'efficience forte est donc incompatible avec
l'équilibre du marché boursier. En fait, Grossman et Stiglitz
[1980] montrent que pour obtenir des équilibres dans lesquels il existe
une proportion non nulle d'agents informés, il est nécessaire que
les prix d'équilibre ne soient pas parfaitement
révélateurs. C'est le cas lorsque certaines variables (par
exemple l'offre totale d'actif risqué) qui influence la
réalisation du prix d'équilibre ne peuvent pas être
observées par les agents non informés. Dans les modèles de
Grossman [1976] et Grossman et Stiglitz [1980], les agents informés
déterminent leur fonction de demande sans tenir compte de leur fonction
de l'information qu'ils révèlent au marché. Ceci revient
à supposer que ces agents ont un comportement concurrentiel puisqu'ils
ne prennent pas en compte l'impact de leurs transactions sur les prix
réalisés à l'équilibre. Deux travaux plus
récents sur la transmission d'information par les prix [Kyle (1985),
Kyle(1989), Gale et Hellewig (1989), Laffont et Maskin (1990)...] abandonnent
l'hypothèse d'un comportement concurrentiel des agents
informés.
Les articles de Kyle [(1985), (1989)] montrent que,
conformément à l'intuition, lorsque les agents informés
sont conscients de leur impact sur les prix, l'efficience informationnelle des
prix est diminuée. Ils soulignent également que
l'asymétrie d'information est un déterminant important de la
liquidité d'un marché. Gale et Hellwig [1989] et de Laffont et
Maskin [1990] reviennent sur le résultat de Kyle en matière
d'efficience informationnelle en montrant que lorsque les agents
informés ont un comportement non concurrentiel, plusieurs
équilibres peuvent être obtenus et que le degré
d'efficience informationnelle dépend dans ce cas de l'équilibre
considéré. Laffont et Maskin [1990] par exemple obtiennent un
équilibre dans lequel toute
l'information de l'agent informé est
révélée et un autre équilibre dans lequel aucune
information n'est révélée par le prix d'équilibre.
D'autres articles Glosten [1989], Bhattacharya et Spiegel [1992], Bossaerts et
Hughson [1991] mettent en évidence que l'existence d'asymétrie
d'information peut conduire à des situations dans lequel le
marché est particulièrement illiquide pouvant conduire même
à une suspension des échanges.
Cette asymétrie d'information peut donc s'expliquer
par le fait que dans un marché boursier certains investisseurs (agents)
détiennent des informations sur les prix des actifs financiers et
d'autres (les non informés) n'ont pas forcément les mêmes
informations. Cette présence d'agents informés (initiés)
peut entraîner des conséquences non seulement sur l'efficience
informationnelle mais aussi sur la liquidité des marchés
financiers.