Comme cela a été vu à la section
précédente, les banques n'ont pas pu répondre aux attentes
des entreprises et donc à leur financement.
Dans cette section nous examinons si le marché
boursier peut assurer ce rôle en répondant aux questions suivantes
: quel est l'intérêt de la finance directe (1) ? de quelle
façon peut-elle se substituer à la finance indirecte en raison
d'un système bancaire imparfait ? Cette question est examinée
à travers les liens de complémentarité entre la banque et
le marché boursier (2) ; nous mettons un accent sur l'ultime stade de
développement financier (2.1) et les imperfections sur les
marchés financiers (2.2).
1. Intérêt des marchés boursiers
émergents.
Tout d'abord, la vraie création de richesse ne se
situe pas en Bourse, elle se situe dans les entreprises dans le sens où
l'investissement productif est supérieur à l'investissement
spéculatif en termes de croissance. Il semble donc important de rappeler
que la raison d'être d'un marché boursier est de canaliser
l'épargne vers les entreprises en permettant le développement des
émissions nouvelles d'actions et d'obligations. Le marché
boursier doit également, pour réussir sa mission, attirer
l'épargne stable, celle à la recherche d'un placement à
moyen et à long terme. Le rôle du marché apparaît
très proche de celui des banques. Il s'agit de financer les
éventuels investissements et permettre aux économies d'atteindre
des niveaux de croissance plus importants.
L'intérêt principal des marchés
émergents se situe au niveau de la diversification des portefeuilles
mondiaux (ce qui présuppose une facilité d'accès sur le
marché pour les investisseurs étrangers) et non au niveau des
levées de capitaux pour les entreprises locales. Les placements sur ces
marchés ne sont pas uniquement motivés par des
considérations de rendement mais également par des objectifs de
réduction de risque19. D'autre part, leur
développement n'est pas une réponse évolutionnaire aux
forces du marché mais plutôt le fait des gouvernements, qui ont
joué un rôle actif dans les programmes de privatisations et de
libéralisation des mouvements de capitaux.
Par ailleurs, au niveau macroéconomique, les
marchés permettent d'attirer l'épargne étrangère et
d'aider les pays à devenir indépendants des taux
d'intérêts internationaux qui les exposent à une variation
du montant du service de la dette quand ils sont élevés.
Dans l'analyse des deux modes de financement possibles - l'un
direct et l'autre indirect - la question la plus souvent retenue est de savoir
si l'un des systèmes est supérieur à l'autre. Le mode de
financement est en effet susceptible d'affecter à la fois le volume et
la nature des investissements ainsi que la croissance.
Tout d'abord, la finance par les titres a l'avantage de
garantir des liquidités et de contrecarrer la pénurie de capital
dans les pays où les prêts bancaires sont limités à
certains secteurs où se font des taux d'intérêts
élevés. De plus, on associe le marché à une
meilleure discipline financière des entreprises, les actionnaires et les
groupes financiers ayant un droit de regard et le marché faisant planer
la menace de rachat ou de prises de participations.
Néanmoins, le marché décourage les
investissements à long terme (souvent plus risqués) car les
firmes découragent des rendements financiers à court terme pour
satisfaire les actionnaires. En effet, les relations étroites et
anciennes entre les entreprises industrielles et les banques sont
découragées en présence du marché alors qu'elles
permettent d'effectuer des investissements en recherche et développement
à plus long terme. L'intermédiation financière a
19 Même en diversifiant considérablement
un portefeuille national, il n'est pas possible d'éliminer le risque de
marché. L'adjonction de valeurs étrangères, même
à plus haut risque, à un portefeuille uniquement national
réduit le risque total du portefeuille dès lors que la
corrélation entre ces <valeurs et le marché national est
faible.
l'avantage de réduire le risque concernant notamment
le caractère révocable des engagements.
Si les désavantages de la banque existent, les
avantages du marché n'ont pas été prouvés. Mais, il
existe deux modes de financement étant souvent présents dans une
même économie, la question essentielle est de savoir s'il existe
des liens de complémentarité entre la banque et le marché
?
2. Existe- t-il des liens de
complémentarité entre la banque et le marché ?
L'analyse des liens existant entre la banque et le
marché montre qu'il existe une complémentarité entre la
banque et le marché. Autrement dit, la finance directe a du mal à
se substituer aux financements bancaires dans le sens où
l'efficacité de ces deux types de finance est liée. Le
marché boursier d'un pays n'a de chances de se développer que
s'il existe des structures bancaires adéquates et propres à
soutenir son évolution.
2.1. Ultime stade de développement
financier.
Les tenants de la libéralisation financière
n'opposent pas le développement bancaire et le développement des
marchés financiers.
Les différents indicateurs de développement des
marchés boursiers et des intermédiaires bancaires calculés
par King et Lévine [1996] sont fortement corrélés. En
général, une structure bancaire fragile va de pair avec un
marché peu liquide, étroit, volatil et mal intégré
à l'échelle internationale. Les auteurs concluent qu'il n'y a pas
lieu d'opposer le développement des marchés boursiers à
celui du secteur bancaire; les marchés financiers et les banques offrant
des services financiers différents, ils stimulent tous deux et
indépendamment, la croissance.
Par ailleurs, l'expérience prouve qu'un secteur
bancaire raisonnablement efficace est nécessaire au développement
des marchés des titres. Tout d'abord, le système bancaire
contribue au développement du marché en fournissant du
crédit aux participants et favorisant ainsi les échanges de
titres et la liquidité du marché.
De plus, les banques ont des acteurs importants sur ces
marchés auxquels on associe souvent une fonction régulatrice.
A l'inverse, un faible système bancaire
nécessitant une restructuration, une recapitalisation contraint le
développement économique et celui du marché. L'effort pour
développer des marchés des titres face à une
infrastructure bancaire, institutionnelle et réglementaire
inadéquate peut entraîner des risques inutiles à la fois
sur les échanges de titres et plus généralement sur le
système financier tout entier à cause des effets
d'entraînement.
Il faut donc en priorité réformer le
système bancaire avant de libéraliser les mouvements de capitaux
et ouvrir les marchés à la concurrence étrangère.
Ce résultat s'oppose à l'analyse de Cho [1986] et de Mac Kinnon
[1973] dans ses premiers écrits.
Partant du résultat de Stiglitz et de Weiss [1981]qui
met en évidence les défaillances du marché du
crédit en situation d'information imparfaite, Cho
[1986] montre que le développement d'un marché
boursier est une condition sine qua non pour
réduire les problèmes de sélection adverse et de hasard
moral et pour assurer une meilleure affectation du capital.
Cependant, Gurley et Shaw [1960] affirment que le
marché boursier ne peut se développer qu'au dernier stade de
développement du système financier. En effet, il ne peut y avoir
de Bourses que si le marché du crédit est totalement
libéralisé de façon à ne plus offrir de
crédits bancaires préférentiels aux grandes entreprises
[Mac Kinnon, 1988]. Ainsi, et contrairement à Cho [1986], le
marché boursier est tributaire des réformes financières et
du développement du secteur bancaire. De plus, le financement par
émission d'actions ne représente qu'une petite part des
activités productives. Dans une étude effectuée dans huit
pays industrialisés, Mayer (1990) conclut que la part du financement
boursier par rapport au financement total des investissements est de moins 5%.
Les choses ont certainement beaucoup évolué en une
décennie mais il est d'une part très difficile de connaître
l'emploi des fonds levés sur les marchés financiers et d'autre
part, il semble qu'effectivement, les grandes entreprises cotées en
bourse utilisent les fonds de leurs actionnaires à d'autres fins que
l'investissement productif. Pour ce dernier, elles
préfèrent s'adresser traditionnellement au secteur bancaire.
En conséquence, il semble que les marchés
boursiers ne puissent pas jouer de rôle significatif dans le
développement des économies africaines notamment le financement
des entreprises africaines.
2.2. Les imperfections sur les marchés
financiers.
Cho [1986] fonde la nécessité de créer
des marchés boursiers sur l'absence d'imperfections informationnelles.
Mais, ce marché ne présente pas moins d'imperfections que le
marché bancaire.
Tout d'abord, et nous l'avons dit précédemment,
le marché financier favorise le court-termisme à l'instar du
système financier anglo-saxon. Amable et Chatelain [1995] affirment que
les investissements prêtent davantage d'attention aux profits et aux
dividendes de court terme qu'aux rendements de long terme. Ce système
financier anglo-saxon contraste avec les systèmes financiers japonais et
allemand qui assurent une intermédiation bancaire privilégiant
les relations de long terme. Par ailleurs, Stiglitz [1989] montre que l'offre
d'actions peut faire l'objet de rationnement. En effet, les nouvelles
émissions d'actions entraînent une baisse importante de la Valeur
du marché de la firme, de telle manière que peu d'entreprises
sont incitées à émettre de nouveaux titres pour augmenter
leur stock de capital.
De plus, les dirigeants des entreprises favorisent les
intérêts des actionnaires et renoncent à émettre de
nouvelles actions. Ils préfèrent recourir à l'endettement
lorsqu'ils ont besoin de nouveaux capitaux.
Au total, Stiglitz et Weiss [1981] prouvent que les
imperfections sur le marché financier peuvent être plus
accentuées que sur le marché du crédit. En effet, il
semble que les dirigeants des entreprises financées par actions puissent
détourner les profits vers des usages privés plus facilement que
les dirigeants d'entreprises financées par dette. Ainsi, l'argument de
Cho [1986] ne tient plus. Le marché boursier ne peut pas se substituer
à un marché bancaire imparfait.
En fait, le développement du marché financier
nécessite le développement du secteur bancaire et n'est pas pour
autant exempt d'imperfections. Sa création n'est souhaitable qu'au
dernier stade du développement financier, une fois que le secteur
bancaire est bien structuré et fonctionne correctement.
Dans le cas de l'Afrique, il apparaît donc inutile pour
le moment d'inciter à la création de tels marchés. Les
entreprises exclues du financement bancaire seront également exclues du
financement par titres. Il serait coûteux et inefficace de forcer les
gouvernements à posséder leur propre marché boursier. Les
efforts doivent en priorité se tourner vers la réhabilitation du
système bancaire.