IV-2-3 Analyse des paramètres de production et
de rentabilité de l'étable de la zone pluviale
L'exploitation des données brutes a fait ressortir les
principaux indicateurs techniques de cette étable laitière, la
production laitière totale (PLT), la moyenne économique (ME) :
ME = (PLT / jours de présence des vaches) x 365, et les unités
fourragères lait (UFL) issues des concentrés par vache et par an.
Les quantités d'aliments consommés par les
vaches ont été saisies et converties en UFL sur la base des
valeurs nutritionnelles des aliments utilisés, à partir des
tables publiées par l'INRA [INRA, 1988]. Ceci a été rendu
possible par l'absence de pâturage dans cette exploitation, et par la
disponibilité de documents montrant les consommations de
concentrés durant chaque mois, qui a permis de déterminer le taux
d'inclusion des aliments concentrés dans la ration totale
consommée par les vaches. Le diagnostic de la reproduction a
concerné l'APV et l'IVV moyens.
Comme l'éleveur dispose d'un géniteur, avec
lequel il entend pallier les échecs répétitifs de
l'insémination artificielle, il a été
procédé à un test statistique 2 de Pearson
[DAGNELIE, 1975] pour la comparaison des proportions de réussite de la
monte naturelle et de l'insémination artificielle. Les données
traitées ont concerné 332 actes d'insémination
artificielle et 263 saillies.
Une analyse économique de l'activité de
production laitière a été réalisée durant
chaque campagne agricole, grâce à la détermination du
bénéfice d'élevage dégagé par vache, afin de
préciser une éventuelle relation entre les critères de
conduite technique et les résultats économiques.
IV-2-4 Le troupeau bovin et les variations de ses
performances de production et de rentabilité
Toutes les vaches exploitées sont de race Holstein.
L'analyse de la dynamique des animaux dans les différents ateliers a
permis de décrire la stratégie de l'éleveur. Ainsi, la
vente des mâles est presque totale, à l'exception d'un
géniteur choisi parmi les veaux nés sur l'exploitation. Les
veaux, vendus généralement juste après sevrage,
représentent en moyenne 30 % du total des ventes d'animaux vifs. Les
génisses sont gardées pour le renouvellement du troupeau, leur
vente ne concernant que celles ayant des problèmes de reproduction ou de
conformation. En moyenne, 14 % des femelles sont vendues en gestation et 13 %
sont commercialisées pendant la phase d'élevage de 3 à 12
mois, le reste étant vendu comme vaches de réforme.
Les taux moyens annuels de renouvellement et de réforme
des vaches sont respectivement de 24,0 11,3 % et de 21,4 7,2 %. Il s'ensuit
une légère décapitalisation du cheptel, liée
à une vente plus intense de vaches lors de la campagne agricole à
faibles stocks fourragers, en 1995/1996. Les taux moyens de renouvellement et
de réforme restent en deçà des recommandations pour un
gain génétique maximal en élevage bovin laitier intensif
[ENEVOLDSEN et al., 1996]. Au niveau de cette étable, les
mammites, l'insuffisance de production et les boiteries sont les principaux
critères de réforme (avec respectivement 31,6 ; 24,6 et 21,1
% des cas), suivis des problèmes de reproduction (17,5 %) et des
métrites (5,3 %).
Le travail est entièrement réalisé par
des ouvriers masculins permanents, dont le nombre (10) est resté
constant durant la période d'étude, soit une moyenne de 46 jours
de travail par unité zootechnique et par an, valeur assez semblable
à celle retrouvée dans les étables laitières
étatiques, avec traite mécanique [SRAÏRI et KESSAB,
1998].
La moyenne économique pour l'ensemble de la
période est de 4 916 403 kg de lait par vache et par an, avec un
accroissement constant, témoignant d'une volonté
d'intensification de la production (Tableau 33). La valeur atteint un maximum
en 1996/1997 (juste après la bonne campagne agricole de 1995/1996) avec
5 461 kg. La production annuelle totale est passée de 366 933 kg
(1994/1995) à 397 095 kg (1996/1997), reflètant les nouvelles
options d'intensification (rations alimentaires conformes aux besoins,
sélection plus rigoureuse des génisses de renouvellement). Cette
moyenne est supérieure aux résultats obtenus dans d'autres
élevages intensifs au Maroc (tels que ceux de la frange suburbaine de la
ville de Rabat), car les consommations en concentrés dans ces
dernières sont moins importantes [SRAÏRI, 1999a]. Toutefois, elle
est nettement inférieure aux 6 016 kg de lait par vache par an de
moyenne économique enregistrée dans les élevages de la
société étatique (SODEA), plus intensivement
encadrés et bénéficiant de facilités d'achats de
concentrés [SRAÏRI et KESSAB, 1998].
L'alimentation en concentrés est basée
essentiellement sur la distribution de grains de céréales
(maïs et orge), du gros son de blé, de la pulpe sèche de
betterave, du tourteau de tournesol et accessoirement d'aliments
composés. En moyenne, chaque vache reçoit 4 032 605 UFL
issues de concentrés par an. Les quantités les plus
élevées ont été enregistrées durant
l'année 1995/1996 (4 859 UFL), tandis que la valeur la plus faible a
été observée en 1994/1995 (3 440 UFL). Ces
résultats attestent de la forte influence du climat sur les pratiques
d'alimentation des vaches. Le déficit pluviométrique de 1994/1995
s'est répercuté sur les disponibilités fourragères
durant l'exercice suivant, ce qui explique la valeur maximale de 4 860 UFL
issues des concentrés par vache en 1995/1996.
Chaque kg de lait produit correspond à 0,82 0,15 UFL
issues des concentrés (minimum de 0,67 UFL/kg de lait en 1996/1997 et
maximum de 1,02 UFL/kg de lait en 1995/1996). Ces valeurs illustrent la
très forte dépendance de cette étable laitière
vis-à-vis les achats des concentrés ; la ration à
base de fourrages ne permettant pas de couvrir les besoins d'entretien qui,
d'un point de l'économie de la production, gagneraient à
être couverts par les fourrages grossiers [METGE, 1990].
La proportion des concentrés dans la fourniture
d'énergie dans le bilan fourrager est en moyenne de 72,9 3,5 % (soit
environ ¾ de la consommation énergétique des vaches), ce qui
s'explique en partie par la rémanence d'anciennes pratiques
d'élevage, du temps où l'on subventionnait la production
laitière au Maroc [EL KHYARI, 1985 ; SRAÏRI et KESSAB, 1998].
D'un point de vue financier ces pratiques constituent un très lourd
fardeau pour l'éleveur, mais l'absence d'alternative valable pour
alléger les charges alimentaires (absence de l'irrigation), et surtout
le prestige social conféré par l'élevage de grands
effectifs de bovins laitiers [SRAÏRI et MEDKOURI, 1999] ont pour l'instant
reporté toute réforme des modes de production sur cette
exploitation.
Tableau 33. Variations de l'assolement et de l'alimentation
des vaches de 1994/95 à 1996/97 dans une exploitation laitière de
Ben Slimane.
|
1994/95
|
1995/96
|
1996/97
|
Moyenne
|
|
|
|
|
|
Cultures (ha)
|
|
|
|
|
Vesce-avoine
|
53,7
|
41,6
|
47,0
|
47,4
|
Orge
|
31,4
|
38,4
|
33,9
|
34,6
|
Maïs
|
-
|
-
|
3,1
|
1,0
|
Total
|
85,0
|
80,0
|
84,0
|
83,0
|
Alimentation des vaches
|
|
|
|
|
Moyenne économique
|
4497
|
4789
|
5461
|
4916
|
UFLcc/v/ana
|
3440
|
4859
|
3796
|
4032
|
UFLcc/kg laitb
|
0,77
|
1,02
|
0,67
|
0,82
|
UFLcc/UFLtotalc (en %)
|
68,2
|
73,7
|
76,8
|
72,9
|
a UFL cc/v/an : Nombre d'UFL issues des
concentrés par vache par an.
b UFLcc/kg lait : Nombre d'UFL issues des
concentrés pour chaque kg de lait produit.
c UFLcc/UFL total : Part des concentrés dans
la consommation totale d'énergie.
L'âge moyen au premier vêlage,
déterminé chez 288 primipares, est de 935,3 97 jours (31,2
mois), avec des variations individuelles importantes (de 768 à
1 123 jours). Ces écarts peuvent être dus à
l'alimentation, témoignant d'une mauvaise conduite des génisses
pendant la phase d'élevage et traduisant la priorité
accordée à l'atelier des vaches laitières aux
détriments des autres animaux [HEINRICHS, 1993]. L'alimentation des
génisses devrait être améliorée afin de mieux
dominer leur croissance. L'intervalle entre vêlages (calculé sur
120 observations) est de 405 89 jours (13,5 mois), moyenne qui
concorde avec celle observée dans d'autres étables
laitières spécialisées du Maroc, mais qui reste
supérieure aux recommandations pour un bénéfice par vache
maximal [SCHMIDT, 1989].
Par ailleurs, un test d'indépendance 2
appliqué aux données de la reproduction (comparaison des
résultats de la monte naturelle par rapport à
l'insémination artificielle) a montré que les taux de
réussite de ces deux modes de saillie n'étaient pas
significativement différents (45,6 et 40,9 % respectivement) (tableau
34).
Tableau 34. Test d'indépendance statistique
(2) de la monte naturelle par rapport à l'insémination
artificielle.
Mode d'insémination
|
Fécondation
|
Non Fécondation
|
Total
|
|
|
|
|
Insémination artificielle
|
136
|
196
|
332
|
Saillie
|
120
|
143
|
263
|
Total
|
256
|
339
|
595
|
2obs = 1,30 ;
2théorique, 1 d.l = 3,84 Pas de
différence significative entre mode de saillie
L'arrêt de l'insémination artificielle n'est pas
justifié, même si l'éleveur affirme avoir de
fréquents différends avec les inséminateurs, notamment
suite à leurs nombreux retards et absences. Les échecs des
inséminations artificielles comme des saillies doivent être
plutôt expliqués par des erreurs de détection des chaleurs,
de choix des horaires d'accouplement, ou encore des mortalités
embryonnaires [NEBEL et MC GILLIARD, 1993].
Sur la période d'étude, le taux annuel de
mortalité des veaux est de 9,6 % en moyenne (compris entre 5,7 % en
1995/1996 et 14,8 % en 1996/1997). Ce paramètre est nettement
supérieur au seuil toléré en élevage laitier, qui
ne devrait pas dépasser 6,0 % et constitue un sérieux frein
à la rentabilité de cet élevage [WOLTER, 1994].
Les proportions du lait (50,5 à 58,5 % du chiffre
d'affaires annuel), des ventes de bovins (veaux, génisses et
réformes) (37,3 %) et du fumier (7,4 %) ont été
relativement constantes sur les trois campagnes étudiées (fig.
25).
Lait
56 %
Bétail
37 %
Fumier
7%
A)
Frais vétérinaires
3 %
Main-d'oeuvre
16 %
Carburant
8 %
Aliments
73 %
B)
Figure 25. Structure du produit brut (A) et des charges
d'élevage bovin (B) dans une exploitation laitière de la zone
pluviale de Ben Slimane.
L'exploitation étudiée, productrice intensive de
lait, est donc également un important pôle de production de
bovins. En dépit de son statut d'étable pépinière
de la province de Ben Slimane, pourvoyeuse en gènes de qualité
pour les exploitations avoisinantes, elle se distingue des étables plus
intensives (SODEA) par une stratégie de diversification des produits
(lait et viande). Ceci est caractéristique d'une adaptation aux risques
de l'aléa climatique, dans la zone de son implantation.
Le chiffre d'affaires total annuel a été peu
affecté (de 1 770 859 à 2 005 805 DH) entre les campagnes
agricoles de 1994/1995 à 1996/1997, les variations enregistrées
étant surtout dues aux ventes de bovins, alors que la production
laitière totale est relativement stable (Tableau 35).
Tableau 35. Rentabilité de la production
laitière au cours des trois années d'étude de
l'élevage de Ben Slimane.
Campagnes Agricoles
|
1994/95
|
1995/96
|
1996/97
|
|
en DH
|
en %
|
en DH
|
en %
|
en DH
|
%
|
|
|
|
|
|
|
|
CHARGES
|
|
|
|
|
|
|
Alimentation
|
1 058 528
|
71,5
|
1 411 677
|
74,7
|
1 231 754
|
72,4
|
Main d'oeuvre
|
264 000
|
17,8
|
264 000
|
14,0
|
264 000
|
15,5
|
Frais vétérinaires
|
18 625
|
1,2
|
56 395
|
3,0
|
25 450
|
1,5
|
Inséminations
|
11 050
|
0,8
|
35 955
|
1,9
|
33 000
|
1,9
|
Carburant et lubrifiants
|
127 777
|
8,7
|
120 661
|
6,4
|
147 515
|
8,7
|
|
|
|
|
|
|
|
CHARGES TOTALES
|
1 479 981
|
100,0
|
1 888 688
|
100,0
|
1 701 719
|
100,0
|
|
|
|
|
|
|
|
PRODUITS
|
|
|
|
|
|
|
Lait
|
1 036 214
|
58,5
|
1 013 255
|
50,5
|
1 110 936
|
56,9
|
Bovins
|
576 245
|
32,6
|
867 750
|
43,3
|
703 050
|
36,0
|
Fumier
|
158 400
|
8,9
|
124 800
|
6,2
|
139 200
|
7,1
|
|
|
|
|
|
|
|
PRODUITS TOTAUX
|
1 770 859
|
100,0
|
2 005 805
|
100,0
|
1 953 186
|
100,0
|
|
|
|
|
|
|
|
Bénéfice total (DH)
|
290 878
|
117 117
|
251 467
|
|
|
|
|
Nombre de vaches
|
82
|
66
|
73
|
|
|
|
|
Bénéfice/vache (DH)
|
3547
|
1761
|
3445
|
La structuration des charges montre une stabilité des
postes de dépenses, avec en moyenne 72,9 % des charges totales pour
l'alimentation des vaches, chiffre très proche de celui des
unités laitières étatiques au Maroc [SRAÏRI et
KESSAB, 1998], dont le niveau de production est nettement plus
élevé. Ces valeurs différent de ce qui est
généralement trouvé en zone tempérée (Europe
plus particulièrement) dans les élevages laitiers (50 à 55
%) [WOLTER, 1994], car les aliments concentrés sont plus onéreux
que les fourrages. La main-d'oeuvre (15,8 %), le carburant et les lubrifiants
(7,9 %) et les frais d'insémination et soins vétérinaires
(3,4 %) représentent les autres charges de production.
Le bénéfice par vache reflète
intensément les variations du bénéfice global, les
effectifs de vaches ne subissant pas de grands changements. Les ventes de
bovins et surtout les intrants mobilisés (aliments) affectent le plus le
bénéfice par vache (2 971 DH en moyenne), ce qui le
place très en deçà des performances de rentabilité
affichées par les étables étatiques (8 242 DH par
vache).
|
|