I.2.3 Déterminisme et évolutions des
recherches sur les systèmes agricoles
Les RSA couvrent un vaste éventail d'activités
du monde rural. Elles induisent donc qu'elles sont implicitement au centre des
préoccupations des agronomes depuis les débuts de l'agriculture.
PONTING [1991] rapporte ainsi que 3000 ans av. J.C., les Sumériens
avaient déjà pris l'habitude de noter tous les changements
liés aux pratiques d'exploitation de leurs systèmes agricoles.
Sous l'Empire romain, des auteurs comme Cato ou Columella s'étaient
aussi livrés à des travaux sur les systèmes de production
de céréales et d'huile d'olive en vigueur dans les
différentes régions [WHITE, 1970]. En Andalousie, l'occupation
arabe a aussi permis d'élaborer toute une documentation en rapport avec
les systèmes agricoles irrigués [GLICK, 1970]. Plus
récemment, lors du XIXème siècle en Europe, les
travaux de Tchayanov en Russie, de Von Liebig et Von Wulffen en Allemagne, ou
de Bakewell et de Young en Grande Bretagne se sont tous basés sur une
approche de type RSA pour analyser les possibilités d'améliorer
la productivité de l'agriculture [HAYAMI et RUTTAN, 1985]. Ces travaux
se justifiaient d'autant plus que des cycles de famine sévissaient alors
et qu'il fallait nécessairement hausser la condition des agriculteurs.
Par la suite, l'expansion coloniale vers les zones tropicales et
tempérées chaudes a eu pour corollaire d'ouvrir de nouveaux
champs d'application aux RSA, dans un esprit fondamentalement dominé par
les grandes écoles de pensée du XIXème
siècle [DE WIT, 1992].
La majorité des travaux des XVIIIème
et XIXème siècles qui ont utilisé une approche
de type RSA ont mis l'accent sur une « vision globale de
l'unité de production agricole », qui sous-entend une
étude holiste de l'exploitation fermière. Ce genre de
démarche s'applique lorsque « le tout est bien plus qu'une
simple addition des parts » [SCHIERE, 1995]. A ce stade, ce concept
s'oppose au réductionnisme des recherches actuelles [LANDAIS, 1996a].
BEETS [1990] mentionne que les pionniers des RSA, au XIXème
siècle, étaient pour la plupart issus du monde agricole, et que
dans leur travaux, ils conciliaient agronomie et économie. SHANER et
al. [1982] ajoutent à ce propos que pour la réussite des RSA
l'intégration des considérations économiques est
primordiale. Ceci conforte donc l'approche multidisciplinaire qu'adoptent les
RSA.
Un autre point central des RSA est la participation des
agriculteurs à ses visées et objectifs. Comme déjà
vu, les premiers défenseurs de ce type de méthodes étaient
pour la plupart eux-mêmes agriculteurs. Par exemple, Young, au Royaume
Uni, avait tracé pour cible à ses travaux la détermination
de la taille optimale pour la viabilité d'une exploitation agricole
[LORD ERNLE, 1961]. De même, les principales avancées dans
l'amélioration génétique des bovins ont été
dues à Bakewell, qui était avant tout éleveur [TROW-SMITH,
1958]. La vision globale de ce genre de travaux n'échappait pas à
leurs réalisateurs puisque, par exemple aux Pays-Bas, l'utilisation de
l'azote en élevage bovin laitier ou encore les premiers essais de
vaccination contre la fièvre aphteuse, ont été
initiés par des éleveurs travaillant en communauté.
Ultérieurement, la participation des éleveurs - agriculteurs aux
programmes de RSA est devenue une des modalités les plus courantes de ce
genre de travaux, dont de multiples aspects ont été
rapportés par FARRINGTON et MARTIN [1988] et par MERRILL-SANDS et
al. [1991]. Ces auteurs mettent l'accent sur la complexité de ce
type d'investigation, notamment en raison du paradigme qui la
précède : aucun développement de ces méthodes
ne peut se faire sans que les concernés y perçoivent un
intérêt, et par essence les intérêts des agriculteurs
sont divergents. Même l'acceptation d'une innovation technologique par un
groupe d'agriculteurs peut se solder par la mise à l'écart d'un
autre groupe encore plus important [BROMLEY, 1992]. Ainsi, en terme de
productions animales, que ce soit pour des techniques d'alimentation du
bétail ou même pour l'amélioration génétique,
les attentes des éleveurs aux ressources en terres limitées
seront totalement différentes de celles des éleveurs disposant
d'un vaste accès aux superficies fourragères ; tout comme
pour les motifs derrière l'importation de vaches laitières des
pays tempérés [SRAÏRI et BAQASSE, 2000]. Par ailleurs, la
notion de durabilité spatiale et temporelle peut aussi totalement
modifier l'évaluation des situations [POSNER et GILBERT, 1991], car le
plus souvent l'agriculteur raisonne à très court terme et
à l'échelle de sa parcelle, ou tout au plus de son exploitation,
tandis que le chercheur en RSA tend à travailler à long terme et
sur des niveaux régionaux [VAVRA, 1996]. Dans le processus de
participation des agriculteurs aux projets de RSA, d'inévitables
interactions et échanges entre chercheurs et agriculteurs
s'établissent, et elles sont primordiales pour définir les
orientations du développement [SCHIERE, 1995]. GRYSEELS [1988] et
LANDAIS [1983] mentionnent à ce sujet que plusieurs choix de leurs
études étaient directement inspirés de discussions avec
les éleveurs et autres acteurs impliqués dans les productions
animales.
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