I.2.4 Application des recherches sur les systèmes
agricoles aux activités d'élevage
La majorité des études des RSA ont
été appliquées ces dernières années aux
systèmes de cultures dans les pays en développement,
initiées par des organismes internationaux tels que l'IRRI
(International Rice Research Institute), le CIMMYT (International Maize and
Wheat Improvement Center), l'ICARDA (International Center for Agricultural
Research in the Dry Areas), le CIAT (Centre International d'Agronomie
Tropicale) ou l'IPGRI (International Plant Genetic Resources Institute),
à un moment où les recherches sur les productions animales sont
restées à un stade moins avancé [ZWART et DE JONG, 1996].
Néanmoins, dans les pays développés, les
préoccupations des zootechniciens et vétérinaires
commencent à se focaliser sur ce type de recherches, face aux crises
récentes du secteur des productions animales (maladies
« technogènes », telles que l'encéphalopathie
spongiforme bovine, manipulations hormonales, surplus de production...) comme
le rapporte LANDAIS [1996b]. Dans les pays en développement, ce genre de
recherche a été mené dès les premières
implantations de colonisation, et visaient pour la plupart à
décrire les systèmes d'élevage et leurs rôles dans
l'organisation sociale de ces régions [COULEAU, 1968 ; LANDAIS,
1990] et à tester les possibilités d'adaptation d'espèces
et de souches plus productives des pays tempérés, notamment les
races laitières [DE JONG, 1996 ; JASIOROWSKI, 1991]. A cet
égard, des écrits récents font état, sans aucune
équivoque, de l'inadaptation des transferts de race allochtones vers des
environnements d'élevage difficile et incitent à focaliser plus
les efforts de développement vers une conduite plus rationnelle des
animaux d'origine locale [AYALEW et al., 2003]
Par rapport aux concepts et objectifs des RSA
précédemment cités, les Recherches sur les Systèmes
d'Elevage (RSE) conservent exactement la même vision globale et le
même souci d'adopter une méthode pluridisciplinaire pour
appréhender le fonctionnement des filières animales [NESTEL,
1984]. Certes, des différences peuvent néanmoins surgir, et elles
sont pour la plupart dues aux caractéristiques propres des animaux et
des modes de leur exploitation. En effet, leur mobilité, leurs multiples
rôles (prestige social, statut religieux, outil de production,
épargne...), la diversité de leurs productions (produits
principaux tels que lait, viandes,... et produits secondaires, tels que fumier
et excréta, abats, peaux...), et les problèmes
d'échantillonnage au sein des unités d'étude, et de
durée des investigations sont autant de points qui peuvent
séparer les approches conventionnelles des RSA des méthodes
à utiliser en RSE [GRYSEELS, 1988 ; AMIR et KNIPSCHEER, 1989].
Néanmoins, les interrelations entre ces deux volets d'étude des
questions agricoles sont trop nombreuses pour justifier de les mener de front
plutôt que de rechercher à les dissocier. C'est ainsi qu'en
élevage de bovins laitiers plus particulièrement, DOBREMEZ et
BOUSSET [1996] insistent sur l'inévitable prise en compte des
résultats globaux de l'atelier des vaches et des cultures, ainsi que de
leur interaction, pour pouvoir effectuer une analyse d'un système de
production laitière. Ceci est valable quel que soit le contexte et
justifie davantage les difficultés des RSE, eu égard à la
parcimonie de la collecte de l'information dans plusieurs régions en
développement [ANDERSON, 1992]. Cet auteur prévoit aussi une
nette amélioration économique des revenus agricoles, si
l'épargne pouvait être réinvestie dans le
développement des ressources fourragères et la santé
animale pour favoriser une interaction dans la valorisation des ressources
produites sur l'exploitation (animales et végétales). Par
ailleurs des similarités peuvent lier élevage et cultures,
puisque les parcelles plantées peuvent aussi assumer une multitude de
fonctions [WILLIAMSON et PAYNE, 1965].
La volonté de développer les systèmes
d'élevage s'est appuyée sur les outils de classification pour
appréhender les leviers d'action afin d'en améliorer les
performances [FRESCO et WESTPHAL, 1988]. Comme déjà
mentionné, les modes de classification considèrent surtout les
accès aux ressources et leurs éventuels changements [HAYAMI et
RUTTAN, 1985]. Dans ce sens, SCHIERE et DE WIT [1993] proposent sur la base
d'une abondante bibliographie, un exemple de classification, sous forme de
matrice à deux dimensions, où la disponibilité en
ressources pour les éleveurs est exprimée relativement par
rapport à un état optimal grâce aux signes
« plus » + et « moins » -, et
représente un premier axe, et où la place de l'élevage est
comparée aux cultures sur le deuxième axe. Par ailleurs, ils
distinguent, pour des raisons de commodité de classement et selon des
travaux antérieurs [BROMLEY, 1992], deux types de systèmes
d'élevage : à haut et à bas niveau d'utilisation
d'intrants exogènes.
Avec ces hypothèses, SCHIERE et DE WIT [1993]
aboutissent à une représentation globale des systèmes
d'élevage, avec des exemples caractéristiques à travers le
monde, tels que figurés dans le tableau 3.
De cette matrice, il apparaît que la tendance à
l'expansion, terme consacré dans la terminologie adoptée par ces
auteurs pour désigner l'investissement de nouvelles terres, est la
caractéristique des zones à fortes disponibilités en
terres, peu productives en l'état, où les formes d'élevage
les plus communes sont la transhumance et à un degré
extrême le nomadisme [BERNUS, 1990].
Tableau 3. Matrice pour la représentation des
systèmes d'élevage.
Tendance
|
Accès aux ressources
|
Importance relative de l'élevage et des cultures
|
|
Terre
|
Travail
|
Capital
|
Elevage
|
Mixte
|
Cultures
|
Expansion
|
+
|
-
|
-
|
Trans-humance
Nomadisme
|
Elevage pastoral : Maghreb
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Céréales extensives
|
Bas Niveau
|
-
|
+
|
-
|
Hors-sol Achats d'aliments réduits
|
Dehesa espagnole
Elevage montagnard
|
Riziculture
Horticulture
|
Intermédiaire
|
-
|
-/+
|
-/+
|
Embouche
Elevage laitier extensif
|
Traitement des pailles
Ley-farming
|
Agro
foresterie
Agriculture biologique
|
Haut Niveau
|
-
|
-
|
+
|
Production laitière intensive
|
Production périurbaine
Production avicole
|
Plantations industrielles
|
D'après SCHIERE et DE WIT [1993]
Les systèmes d'élevage à bas niveau
d'intrants exogènes sont surtout en vigueur dans les régions
carencées en sols fertiles ou dans les zones marginales, notamment
montagneuses. Dans ces types d'élevage une attention toute
particulière est réservée au travail, qui compense en
quelque sorte le faible niveau de capitalisation. ZWART et DE JONG [1996]
mentionnent que la majorité des unités d'élevage dans les
pays en développement, surtout celles détenues par de petits
producteurs, peut être classée dans cette catégorie.
Les systèmes intermédiaires s'érigent
comme une sorte d'alternative aux manques d'intrants dans les exploitations
à niveau d'investissement réduit. Ils s'appuient sur une
thèse d'équilibre des bilans de fertilité au sein de ces
entités [HAYAMI et RUTTAN, 1985]. En d'autres termes, même le
recours à des intrants externes à l'exploitation doit être
considéré comme un transfert de capital qu'il faut neutraliser
par une certaine production. L'un des points de départ du fonctionnement
de ces systèmes est la limitation des facteurs exogènes et
donc l'ajustement des besoins en fonction des ressources disponibles. C'est
dans ce type de système qu'un vaste transfert de technologie, notamment
de biotechnologies [SCHIERE, 1995], a été tenté dans les
élevages laitiers des pays en développement (traitement à
l'urée des résidus de culture, croisements avec des races
locales, micro-irrigation de fourrages...). Néanmoins, les attitudes des
éleveurs des pays en développement vis-à-vis du recours
à ces rudiments de technologie restent fort mitigées, car ils
doivent constamment intégrer dans leur calcul la gestion du risque
économique [COUTY, 1989].
Les systèmes d'élevage à haut niveau
d'inputs exogènes sont par essence les élevages laitiers des pays
développés. Ils compensent la rareté des terres de
pâturage par le recours forcé aux fertilisants, aux
médicaments et même aux aliments pour le bétail. La valeur
monétaire de ces intrants est généralement basse par
rapport à celle des produits et du travail, ce qui explique souvent leur
sur-utilisation, allant même jusqu'à compromettre la
viabilité de ces systèmes (pollution par les nitrates,
excédents de production...).
Pour conclure sur l'opposition latente qui sépare les
systèmes d'élevage laitiers en pays développés
à ceux des pays en développement, BRAND et al. [1996]
ont proposé un schéma récapitulatif et simplifié
qui permet de mieux appréhender les niveaux où interviennent ces
différences (figure 1).
* Contraintes religieuses, culturelles et
socio-économiques
|
C
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* Population humaine
|
*Gestion A
|
|
* Superficie agricole
|
* Disponibilité des intrants
|
* Obligations de travaux en commun
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*Maladies
|
* Associations paysannes (coopératives)
|
*Disponibilité
alimentaire
|
|
* Taille du groupe familial
|
* Productivité Type de fermes
|
|
|
* Accès aux bois de chauffe
|
Lait, viande
Animaux de renouvellement
|
|
?
|
* Besoins en combustibles
|
* Flux monétaires, Revenus
|
|
|
* Accès aux pâturages communautaires
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* Demande du consommateur B
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* Taxes et intérêts
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* Force de traction, fumier
|
* Accès aux marchés
|
|
* Prix en post - récolte
|
|
|
* Conditions climatiques
|
* Stabilité politique
|
* Qualité et type de cultures et de sols
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D'après BRAND et al. [1996]
Figure 1. Représentation simplifiée des
différences entre les systèmes agricoles monofonctionnels des
pays développés (parties A et B) et les systèmes agricoles
plus extensifs et multifonctionnels des pays en développement (partie C
à ajouter à A et B).
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