I.2.2 Terminologie et concepts des recherches sur les
systèmes agricoles
Dans toutes les sociétés humaines, les animaux
domestiques représentent richesse et / ou pouvoir. La relation
étymologique entre les termes « animaux »,
« capital » et « épargne » a
été relevée dans plusieurs langues [RENFREW, 1994] comme
le montre le tableau 1. Ces similitudes linguistiques peuvent être
expliquées par le rôle fondamental des herbivores dans la
transformation de la biomasse végétale issue de l'énergie
solaire en produits de haute valeur ajoutée pour la
société [ODUM, 1971], quel que soit son niveau de
développement.
Malgré la large gamme de systèmes agricoles qui
se sont constitués à travers le monde, les animaux domestiques y
représentent le plus souvent un atout, plus particulièrement pour
les agriculteurs ayant accès à de vastes superficies leur
procurant des ressources fourragères pour leurs troupeaux. Cependant,
avec l'accroissement continu des mises en culture, explosion
démographique oblige, une forte pression sur les terres à
pâturage, communautaires comme privées, s'est manifestée
[JODHA, 1986 ; HARDIN, 1968]. Dès lors, les éleveurs ont
compensé ce manque en intégrant de plus en plus de résidus
de cultures dans les rations de leur bétail [SCHIERE, 1995]. De ce fait,
une multiplicité de systèmes d'élevage s'est
constituée, tant par la diversité des modes d'affouragement des
animaux que par la quantité d'espèces exploitées et des
niveaux d'intensification [SPEDDING, 1988].
Tableau 1. Quelques exemples de liens linguistiques entre
les mots « cheptel » et
« richesse ».
Cheptel (Français)
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Dérive du latin « caput »
qui veut dire tête, c'est-à-dire nombre d'animaux
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Cattle (Anglais)
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Lié au mot capital à travers la racine latine
« caput »
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Kassiba (Arabe)
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Du verbe « kassaba » qui veut
dire thésauriser, gagner
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Ganado (Espagnol)
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Participe du verbe «
ganar » qui veut dire gagner,
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Vieh (Allemand)
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En relation avec « fehu » en
Vieux Saxon qui suggère richesse et bétail
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Byoto (Polonais)
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A partir du vieux slave « bydo »
qui veut dire posséder. La relation entre la possession et le troupeau
est typique dans différentes langues slaves
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Définie comme étant « une combinaison
raisonnée d'éléments ou de parties interdépendantes
et interactives qui se comportent de manière à réaliser un
objectif précis via la transformation d'intrants en produits
terminaux », la notion de système de production agricole a
été récemment adoptée par les agronomes [MIRHAM,
1972 ; LE MOIGNE, 1984]. Cependant, cette définition, avec tous ses
corollaires, n'a pas arrêté précisément l'objet
d'étude des RSA, qui seraient plus une attitude ou une perspective de
recherche qu'un type d'investigations [BYERLEE et TRIPP, 1988]. Ce domaine
d'études scientifiques continue donc de souffrir d'un étalage
confus de définitions, de méthodologies et d'objectifs, qui
justifient de maintes tentatives de formalisation [MERRILL-SANDS, 1986 ;
FRESCO et WESTPHAL, 1988]. Néanmoins, d'un avis commun, les RSA ont pour
point de départ une vision similaire à celle que se ferait un
agriculteur en essayant d'améliorer ses résultats :
compréhension de ses pratiques et action à un niveau concret et
multidisciplinaire, au niveau de l'exploitation agricole [LANDAIS, 1996a ;
BYERLEE et al., 1982]. NORMAN [1980], et plus tard TRIPP [1991] vont
au delà de cette considération pour mentionner que face à
l'urgence d'améliorer les résultats des petites exploitations,
notamment dans les pays en développement, les RSA ont eu le
mérite d'entamer leurs investigations en postulant que « tout
changement agricole planifié doit être organisé autour de
la compréhension des conditions et des priorités des
agriculteurs ». Pour cet auteur, il est plus qu'important de se
focaliser sur l'exploitation agricole en tant qu'objet d'études, ce qui
impose de considérer la totalité des interactions qui lient ses
différentes composantes (Tableau 2).
Tableau 2. Classification des interactions au sein d'un
système de production agricole.
Type d'interaction
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Exemples
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Interactions entre cultures
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Interaction dans l'espace
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Interactions liées aux associations de cultures
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Interaction dans le temps
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Effets des précédents culturaux liés aux
résidus, à la fertilité et aux mauvaises herbes
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Interactions entre cultures et élevages
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Utilisation des ressources fourragères et des
résidus par les animaux
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Recyclage des effluents d'élevage comme fertilisants des
cultures
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Utilisation des animaux pour la traction
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Compétition et
synergie des ressources
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Conflits pour l'utilisation de la force de travail entre
cultures, élevage et activités non - agricoles
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Compétition pour l'utilisation de l'eau entre fourrages et
cultures vivrières
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Atteinte des multiples objectifs des foyers ruraux
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Choix entre types de cultures et d'élevage et
itinéraires techniques pour gérer le risque
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Production et stockage de grains et de denrées animales
pour contrebalancer les effets des carences saisonnières
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D'après BYERLEE et TRIPP [1988]
Au préalable d'une recherche sur les systèmes
agricoles et d'élevage, il faut clarifier la terminologie en vigueur et
les concepts de cette discipline [HART, 1982]. Ainsi, le mot
« système » peut renvoyer simultanément
à l'énumération des unités (composantes) qui le
constituent [ODUM, 1971 ; SHANER et al., 1982], tout comme il
peut désigner les modes d'interaction de ces parties [RUTHENBERG, 1980].
Par ailleurs, l'adjectif « agricole » véhicule avec
lui toute la diversité des activités du monde de l'agriculture,
comme l'horticulture, la foresterie, l'aquaculture, le maraîchage ou
l'élevage. C'est pourquoi, les chercheurs sur les systèmes
agricoles sont contraints de s'imposer des limites, constituant un
réductionnisme qui va à l'encontre de la vision globale
prônée par la RSA. L'urgence d'établir ces limites comporte
alors deux inconvénients : le danger de sous-estimer les
retombées d'un système donné sur les autres, ce qui
empêche d'appréhender ses réalisations globales [CONWAY et
BARBIER, 1990], et la difficulté de se fixer un
référentiel d'étude aussi bien dans l'espace que dans le
temps. Par exemple, pour les études sur les systèmes
d'élevage, plusieurs chercheurs considèrent le troupeau comme
unité de base [ROELEVELD et VAN DEN BROEK, 1999], mais rien
n'empêche de reporter l'effort d'analyse au cheptel d'une région
ou d'un pays [HART, 1982]. L'agrégation de systèmes peut aller au
point extrême où toute la planète Terre peut être
représentée sous forme d'un seul système [HOPKINS et
WALLERSTEIN, 1992].
Avec les considérations précédentes, les
RSA se posent comme un agrégat d'une gamme d'études
multidisciplinaires relatives aux systèmes de production agricole.
SIMMONDS [1986], en essayant de dresser une classification des voies
empruntées par la RSA, distingue les RSA au sens strict du terme (RSA
sensu stricto), des RSA pour le développement et la
vulgarisation, et de la recherche pour le développement de nouveaux
systèmes de production. La première, dont le but est une analyse
profonde des systèmes agricoles à des fins académiques
(SIMMONDS [1986] pense qu'elle sert surtout de contexte à des
doctorats), consiste en une compilation des informations et données
issues du terrain [MERRILL-SANDS, 1986] suivie d'une phase de
développement de concepts et de méthodologies de recherche.
L'objectif est alors de comprendre les systèmes de manière
induite, puisqu'à partir d'un grand nombre d'observations, des lois
générales sont élaborées. En revanche, les deux
autres visent, en plus d'une phase de description grâce à
l'utilisation d'enquêtes [LABE et PALM, 1999], la modélisation des
systèmes pour la compréhension de leur organisation, suivie
parfois du test de nouvelles hypothèses pour leur évolution.
SIMMONDS [1986] soutient que ces deux genres d'approche des
RSA sont un moyen pratique de tester la viabilité
socio-économique des hypothèses de la recherche avant de
recommander leur vulgarisation. TRIPP [1991] en rappelant les priorités
des RSA pour la diffusion de méthodes pour le développement des
petites exploitations du tiers-monde estime que celles-ci doivent
nécessairement emprunter le protocole suivant :
- diagnostic des pratiques des exploitations agricoles et de
leurs problèmes ;
- planning d'un programme expérimental ;
- test de technologies alternatives ;
- évaluation des résultats ;
- développement et vulgarisation de
recommandations.
Une des principales finalités des RSA est de
préparer minutieusement le terrain au développement de leur objet
d'étude. Or, le développement des systèmes agricoles est
globalement déterminé par les relations y liant demande et offre
de biens matériels. Elles expriment l'accès à la
technologie et aux valeurs fondant un système [HARRIS, 1988]. Aussi, le
développement peut-il se présenter sous diverses apparences,
résultat de changements combinés des ressources disponibles ou de
la demande. Le mot « développement » se
définit comme une évolution vers une croissance naturelle avec
différenciation et passage par différentes étapes. Il
n'implique donc pas nécessairement une direction irréversible
vers un but plus évolué [CROTTY, 1980]. Les ressources
impliquées dans un processus de développement agricole sont
généralement de trois ordres : la terre, le travail et le
capital [BONNEVIALE et al., 1989]. Elles induisent des
phénomènes d'offre et de demande qui se concrétisent dans
les termes du marché. Ceux-ci déterminent l'accès aux
ressources. Par ailleurs, l'évolution d'un système est aussi
conditionné par les innovations qui peuvent s'y exercer et qui
génèrent des changements dans ces modes de régulation,
notamment technologiques et institutionnels.
L'ajustement des fonctionnements des systèmes suite
à une perturbation dans les termes de l'offre ou de la demande en
intrants a été largement documenté par GRIGG [1982]. Cet
auteur impute à trois principales causes les évolutions des
systèmes agricoles :
- l'accroissement de l'exploitation des ressources en sols,
soit par intensification des pratiques ou par la recherche de nouveaux espaces
pour l'agriculture ;
- les changements dans les habitudes de consommation, qui
induisent aussi des modifications dans les modes de production ;
- l'introduction de technologies et d'innovations qui sont
porteuses de changements.
Des réflexions précédentes
découlent les nombreuses tentatives de classer les systèmes
agricoles [RUTHENBERG, 1980]. Généralement, les classifications
retiennent deux types de critères, qui sont les variables qui
déterminent le comportement du système (variables de structure
tels que le climat, les types de sol) et les variables qui montrent les choix
stratégiques des acteurs qui y évoluent (pratiques
d'élevage, type d'agriculture...).
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