I - 2 Recherches systémiques et élevage
bovin laitier
I-2-1 Introduction
La zootechnie a été définie vers le
milieu du XIXème siècle comme « une doctrine
nouvelle de la production animale basée sur les sciences
expérimentales et dont le caractère fondamental consiste
précisément dans la manière de considérer le
bétail en économie rurale » [DE GASPARIN, 1843].
L'ambition était alors de grouper, sous une seule branche scientifique,
toutes les formes du savoir dont les retombées contribueraient à
l'amélioration des performances des élevages. Si à
l'origine, la zootechnie reposait principalement sur les sciences de la vie et
les sciences humaines (sociologie, géographie, économie), ces
dernières années elle s'est focalisée peu à peu
exclusivement sur les disciplines biotechnologiques, n'échappant pas au
mouvement de spécialisation qui marque l'époque [LATOUR, 1995].
Ce développement n'est pas fortuit mais traduit les avancées de
la recherche agronomique dans des domaines telle que la
génétique, la nutrition, la biologie de la reproduction ou la
médecine vétérinaire. Cette tendance a aussi
été massivement soutenue par les impératifs productivistes
de l'après - guerre [BOSERUP, 1990]. Néanmoins, les
conséquences de cette orientation ont rapidement détourné
l'agronomie de sa fonction à appréhender les déboires de
l'agriculture, et partant de la société, car SÉBILLOTTE
[1996] affirme que « plus un seul des problèmes de
l'agriculture ne saurait être isolé du reste de la
société ». Dans le domaine des productions animales, et
de façon similaire, le type de savoirs et de recherches qui devait a
priori aider à en démêler les énigmes,
c'est-à-dire la zootechnie, a été éloigné de
ses préoccupations initiales, à savoir les questions des
élevages et de leur gestion [LANDAIS, 1996a]. Par conséquent,
dans leur majorité, les thèmes de recherche ne proviennent plus
du terrain, mais sont formulés de manière autonome dans les
laboratoires. Ceci a progressivement débouché sur une
incapacité de la zootechnie à synthétiser et à
résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les
acteurs des productions animales et à générer des
solutions en rapport avec leurs pratiques, leurs stratégies et leur
organisation [BÉRANGER et VISSAC, 1993].
De ce fait, récemment, de nombreux chercheurs à
travers le monde ont souligné les échecs des approches de la
zootechnie, dans ses méthodes actuelles, pour résoudre les crises
du secteur de l'élevage, aussi bien dans les pays
développés [VISSAC, 1994 ; LANDAIS, 1996b] que dans les pays
en développement [SCHIERE, 1995 ; GRYSEELS, 1988 ; LE GRAND et
HOCHET, 1998]. Dans ces dernières contrées, de manière
encore plus pressante, la diversité et la complexité des
rôles assumés par les animaux domestiques (épargne, outils
de production, statut social, impact religieux...) rendent encore plus
inadaptés les résultats des dispositifs conventionnels des
sciences animales [ØRSKOV, 1993 ; BRADFORD, 1988] et imposent
l'adoption d'une approche systémique aux questions de l'élevage
[SPEDDING, 1988 ; RUTHENBERG, 1980]. D'ailleurs, de nombreux projets de
développement qui ont fait abstraction de ce type de méthodes, et
qui se sont contentés d'importer des pays tempérés des
modèles de développement « clés en
main » se sont soldés par des échecs [ZWART et DE JONG,
1996]. RUTHENBERG [1980] justifie le recours aux méthodes
systémiques pour l'étude des productions animales en zones
tropicales en invoquant qu'elles représentent bien plus qu'une simple
somme de leurs différentes composantes (animaux, plantes, environnement
social, économique et politique...), étant donné les
nombreuses interactions qui s'établissent entre elles.
De manière plus spécifique, l'élevage
laitier est certainement le type de productions animales où l'approche
systémique est la plus recommandée, en raison de la
diversité des domaines d'intervention des éleveurs de vaches
laitières (production fourragère, élevage, gestion de
différents types d'animaux...) et surtout à cause de l'ampleur de
la filière laitière, de la biomasse végétale
jusqu'aux consommateurs [MEYER et DENIS, 1999]. Par ailleurs, dans les pays en
développement, comme les races locales ont généralement
des aptitudes laitières fort limitées [SYRSTAD, 1990], que la
sélection classique serait trop lente à améliorer [MC
DOWELL, 1981], et face à l'augmentation des besoins en lait, le seul
moyen rapide d'accroître la production est l'importation de vaches des
régions tempérées avec les « paquets
technologiques nécessaires à leur acclimatation »
[CUNNINGHAM et SYRSTAD, 1987 ; FLAMANT, 1991]. Cette option rend encore
plus délicate l'analyse des systèmes de production
laitière [EDDEBBARH, 1991], avec la diversité du matériel
animal qu'elle génère (vaches locales, vaches importées et
leurs différents niveaux de croisements) et qui se traduit par
l'émergence de plusieurs options pour la production [MC INTIRE et
GRYSEELS, 1987] et d'objectifs variables pour les éleveurs, qui
induisent de nouveaux horizons pour la recherche [OLESEN et al.,
2000]. Ceci, dans un contexte d'incertitude pour le maintien d'une agriculture
paysanne dans les pays en développement, notamment la production
laitière qui est généralement entre les mains de petits
éleveurs au sein d'unités familiales, et qui risquent de ne pas
faire le poids face à la libéralisation totale des
échanges de produits agricoles à travers le monde [HAUBERT,
1999].
A la lumière de ces éléments, la
présente synthèse vise en premier lieu à exposer les
champs d'application des recherches sur les systèmes agricoles (RSA),
avec une référence spéciale aux concepts et à la
terminologie en vigueur dans cette discipline, avant de rappeler son
déterminisme historique et ses évolutions. Par la suite, les
applications des RSA aux études sur les productions animales seront
passées en revue, pour évoquer les outils et méthodes des
recherches sur les systèmes d'élevage (RSE), plus
particulièrement sur la production laitière bovine. En dernier
lieu, les atouts et limites de cette discipline pour l'analyse des
systèmes d'élevage laitier seront détaillés.
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