II - 5 Développement des filières
laitières dans les pays du Maghreb
Dans les trois pays du Maghreb, les filières
laitières sont aujourd'hui plus que jamais soumises à des
impératifs d'approvisionnement des populations et surtout à des
contraintes macro-économiques liées aux programmes d'ajustement
structurel qui y sont appliqués. Il s'ensuit que nombre des mesures
initialement prévues, à l'instar de celles pour toutes les autres
filières des produits alimentaires de première
nécessité, sont en voie d'être relativisées et
même les objectifs initiaux corrigés [KYDD et THOYER, 1993 ;
CHEMINGUI et DESSUS, 1999]. Mais c'est surtout au Maroc et en Tunisie, qui se
sont les plus résolument engagés dans un processus de production
locale de lait, que les répercussions de l'ajustement structurel
risquent d'être les plus ressenties, puisqu'en Algérie la
politique d'importations va se poursuivre.
Au Maroc, les pouvoirs publics, en accord avec les principales
parties concernées par la production bovine (associations
d'éleveurs et les transformateurs du lait) ont déjà
entamé une phase de réflexion sur l'avenir du secteur laitier,
à la lueur des derniers développements évoqués plus
haut, dans ce qui a été appelé « nouveau plan
laitier », et dont les grandes lignes devraient orienter la
filière jusqu'à 2020 [MADRPM, 1998b]. Ainsi, à l'horizon
2020 et sur la base d'une estimation de la demande en produits laitiers
déterminée par les prévisions de croissance
démographique et de variation des habitudes alimentaires, il est attendu
d'avoir un besoin de près de 3,7 milliards de litres par an, soit 3,7
fois plus que le niveau de production actuel. Ceci serait nécessaire
pour satisfaire les besoins d'une population de 40 millions d'individus pour
moins de 30 millions en 1999. La production marocaine devrait ainsi
connaître un rythme d'accroissement annuel de plus de 6 % alors
qu'elle n'a crû qu'à un rythme de 2,3 % de 1975 à
1998, à l'époque de la pleine apogée des mesures
prévues par le plan laitier, avant l'application des mesures de
désengagement de l'Etat, prévues par le programme d'ajustement
structurel. Néanmoins, les décideurs tablent sur une nouvelle
dynamique qui serait due à une politique plus ciblée vers
l'intensification de la production en régions propices à
l'élevage (surtout les périmètres irrigués et
à un degré moindre les zones d'agriculture pluviale
« favorables »). Ceci passerait par la concentration des
efforts financiers vers les zones laitières, afin de garantir l'adoption
par les éleveurs de tout le bagage technique nécessaire à
l'extériorisation du potentiel des vaches importées, telles
l'insémination artificielle, la rationalisation de l'affouragement des
bovins, l'amélioration génétique... Toutefois, il est
légitime à ce stade de se questionner sur la réelle
portée de ces prévisions, lorsqu'en parallèle les pouvoirs
publics ont gelé leur niveau d'intervention dans le secteur de
l'élevage bovin, et surtout lorsqu'à partir de 2010, les
protections tarifaires relatives aux produits agricoles seront levées
[KYDD et THOYER, 1993]. En fait, il semblerait qu'à l'instigation des
bailleurs de fonds internationaux, l'Etat prône une politique de
compétitivité de l'élevage, à l'image de la
révision globale de la politique agricole antérieure qui
consistait à garantir la paix sociale parfois au prix de subventionner
l'inefficacité. Cette tentative, certes louable, car visant à
lutter contre les manques à gagner, risque cependant de rester lettre
morte, si elle demeure uniquement liée au domaine du technique et si
elle ne s'appuie pas sur une « réforme des affaires du monde
rural plus drastique » [AKESBI, 1997].
En Tunisie, ce sont de mêmes déterminants de
politique économique qui conditionnent le devenir du secteur agricole.
Sur la base des recommandations des bailleurs de fonds pour plus de
libéralisation et d'ouverture de l'économie du pays [CHEMINGUI et
DESSUS, 1999], la production laitière est appelée à se
professionnaliser et à devenir plus compétitive. Des
avancées significatives ont été accomplies à ce
niveau, notamment par le fait que des élevages d'élite aient
été constitués. Ainsi, DJEMALI et BERGER [1992] citent
l'expérience tunisienne d'étables spécialisées en
lait qui ont été créées et qui atteignent des
niveaux de production nettement plus élevés que ceux des petits
éleveurs. De même, RONDIA et al. [1985] relatent
l'exemple d'une expérience menée dans le Nord de la Tunisie pour
implanter, moyennant tout un arsenal de techniques importées, un atelier
laitier intensif exploitant près de 100 vaches. Après plus de 10
ans d'expérience, ce projet démontre la viabilité
économique de la production laitière, mais il dévoile
surtout que cette spéculation est très vulnérable face aux
variations climatiques et qu'avec un laisser-aller même temporaire, les
fruits de plusieurs années de capitalisation peuvent être perdus.
Par rapport à la situation marocaine, un net clivage
entre le Nord de la Tunisie aux potentialités de production
fourragère et le Sud aride a favorisé la spécialisation en
élevage laitier dans la partie Nord, à l'exception de quelques
ateliers laitiers qui se sont développés dans les oasis pour
répondre à une demande locale. Mais la forte dépendance
des élevages vis-à-vis des aléas climatiques et surtout
face aux variations des prix des intrants (aliments concentrés
importés surtout !) reste la caractéristique principale des
élevages tunisiens. Elle pose de sérieuses questions quant
aux perspectives de ce type d'élevage, surtout dans un contexte
où les pouvoirs publics négocient l'ouverture du marché
aux marchandises importées, et aussi dans une conjoncture où,
après les efforts productivistes, la recherche d'un lait de
qualité est devenue un objectif affiché [ABAAB, 1999].
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