II - 6 Conclusions : perspectives des
filières laitières au Maghreb
La présente synthèse bibliographique a permis de
voir que les filières laitières des trois pays du Maghreb sont
à une sorte de croisée des chemins en ce début de
troisième millénaire. Ce travail a montré que la
réflexion sur le développement des systèmes
d'élevage dans cette région du monde ne peut que s'inscrire sur
une longue durée, à l'image de ce que BOURBOUZE [2002] intitule
« les temps longs du développement ». En effet, les
trois filières du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie sont
assujetties au défi de l'approvisionnement en lait de populations en
plein essor, et ont à composer avec un environnement économique
différent selon les options de politique générale
poursuivie par les trois pays. Ceci a bien sûr des répercussions
fort marquées sur l'amont de ces filières, notamment sur les
performances des étables. Ainsi, au Maroc, avec le début du
programme d'ajustement structurel, la remise en cause de l'intervention
multiforme de l'Etat dans le processus irrémédiable de
« vérité des prix », a quelque peu
modifié les termes de l'échange pour les éleveurs. Il
s'ensuit que la croissance de la production laitière bovine s'est
essoufflée et les acteurs de la filière lait essaient de
différentes manières de composer avec la conjoncture
actuelle : les industriels amplifient les importations de poudre de lait
après une année délicate, les éleveurs tentent
d'écouler leurs produits à travers d'autres canaux, comme les
points de vente de proximité où ils évitent de donner aux
intermédiaires ce qu'ils considèrent comme le fruit de leur
travail. L'avenir est donc pour le moins incertain, avec en arrière plan
l'éternel poids de l'aléa climatique auquel s'est
juxtaposé ce que d'aucuns n'hésitent plus à qualifier
d'aléa économique [CHICHE, 1995]. Ceci rend donc encore plus
actuelle une évaluation précise des modes de production
laitière en milieu paysan, avec une analyse et une
hiérarchisation des facteurs tant techniques qu'anthropiques qui
affectent les résultats des élevages de bovins laitiers au Maroc,
et que nous nous proposons de mener dans le cadre de ce travail. Cette
tentative interviendrait à un moment crucial où les pouvoirs
publics ont fait part de leurs intentions d'intensifier davantage la production
en ciblant leurs interventions aux seules régions favorables, et il
n'est pas exclu que les résultats de notre travail ayant à la
base une approche de type systémique, puissent contribuer à faire
« remonter vers les décideurs les doléances des
éleveurs, et rapprocher ainsi les sphères de décision de
la réalité du terrain » [LHOSTE et al.,
1993].
En Algérie, sans pour autant être caricaturale,
la situation est nettement plus contrastée, avec à la base le
choix politique des pouvoirs publics de recourir en priorité aux
importations de lait pour satisfaire la demande en produits lactés.
Certes, dans une conjoncture dominée par les variations des prix des
hydrocarbures, l'Etat algérien a aussi initié des projets de
développement de la production laitière locale, pour essayer de
diminuer ce lourd fardeau économique, notamment en tentant
d'égaliser le prix du lait frais avec celui du lait reconstitué.
Mais les derniers déboires financiers de ce pays, dont les exportations
continuent à être dominées par les seuls hydrocarbures,
font que le démarrage d'une production laitière locale
significative dans la couverture des besoins reste hypothétique.
En Tunisie, une évolution comparable à la
situation marocaine a été observée, avec toutefois une
différence notable, en ce sens que ce pays est devenu autosuffisant pour
les niveaux de consommation affichés actuellement per capita.
Là aussi, les interventions de l'Etat ont été capitales,
fondamentalement en rapport avec la mise à la disposition des
éleveurs de concentrés peu onéreux et la définition
d'une politique laitière privilégiant les zones du Nord où
la pluviosité moyenne permet encore une production fourragère
pouvant servir de support à des ateliers laitiers. Toutefois, la
négociation de l'ouverture du marché tunisien aux produits
agricoles étrangers, notamment européens, et la recherche de lait
de qualité, sont autant de facteurs de doute quant à la
réussite des éleveurs laitiers tunisiens à maintenir le
même niveau de croissance de la production.
En définitive, les filières laitières,
avec en amont les éleveurs de vaches, constituent un pan
d'activité agricole fort stratégique au Maghreb, à cause
de la valeur nutritionnelle que revêt le lait et ses
dérivés pour des populations dont les niveaux de consommation
moyens sont encore loin des normes nutritionnelles internationales. Par
ailleurs, l'élevage de bovins laitiers assume dans les trois pays des
rôles de création d'emplois et de revenus très importants
pour la stabilité sociale. C'est dire que, si les bouleversements
macro-économiques qui concernent ces pays ne peuvent qu'induire des
variations des termes de l'échange, il est clair que celles-ci auront
des répercussions directes sur l'organisation de la production. Ainsi,
si au début des années 80, le secteur laitier représentait
une aubaine pour les investisseurs au Maroc, à cause des niveaux de
protection assurés par la politique des prix, ce qui a même
engendré une certaine gabegie [EL KHYARI, 1985], tout tend à
prouver qu'aujourd'hui ce n'est plus le cas. Dans cette évolution, en
partie due aux mesures de l'ajustement structurel, mais aussi à d'autres
causes plus liées au milieu de production (faiblesse et aléa des
précipitations, niveau sommaire de formation des éleveurs,
absence de chaîne du froid...), les éleveurs laitiers au Maroc,
qui ne sont pas moins de 770 000, se doivent de réagir pour survivre.
C'est leur manière de s'adapter face à ce changement de
conjoncture, et ses conséquences sur l'organisation de l'élevage
que nous nous proposons d'étudier au Maroc, dans trois systèmes
agro écologiques représentatifs de la diversité des
situations d'élevage : le système irrigué, à
vocation laitière, le système pluvial favorable, dont les
performances sont liées à la variabilité climatique, et le
système suburbain qui se développe suite à une
augmentation de la demande en lait par les couches urbaines au pouvoir d'achat
plus élevé.
III - Etablissement de typologies d'elevages de bovins
au Maroc
III.1. Etablissement de typologies d'étables au
Maroc : hypothèses et modalités de travail.
III.2. Typologie d'étables laitières dans la
zone suburbaine de Rabat - Salé.
III.3. Production de lait et/ou de viande :
étude de la diversité des stratégies des éleveurs
de bovins dans le périmètre irrigué du Gharb.
III.4. Analyse comparative des systèmes
d'élevage laitier dans la zone suburbaine de Rabat - Salé et dans
le périmètre irrigué du Gharb.
III.5. Synthèse générale des
résultats des typologies d'étables au Maroc
One of the most highly developed skills in contemporary
Western civilization is dissection: the split-up of problems into their
smallest possible components. We are good at it. So good, we often forget to
put the pieces back together again.
The skill is perhaps most finely honed in science. There,
we not only routinely break problems down into bite-sized chunks and
mini-chunks, we then very often isolate each one from its environment by means
of a useful trick. We say ceteris paribus - all other things being equal. In
this way we can ignore the complex interactions between our problem and the
rest of the universe.
Alvin Toffler (1985)
Foreword (page XI) of Ilya Prigogine and Isabelle Stengers
"Order out of Chaos : Man's new dialogue with Nature".
Flamingo, London
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