II - 2 Cadre naturel de l'agriculture et de
l'élevage au Maghreb
LERY [1984] distingue, dans les trois pays du Maghreb, deux
grands ensembles géographiques, mais dont l'étendue est
très variable :
- la partie nord, qu'il dénomme Maghreb proprement dit
et qui est méditerranéenne et subtropicale, représentant
le « pays utile ». Elle couvre près de 8 millions de
ha au Maroc et constitue 9 % de la superficie totale de ce pays, pour 6,5
millions de ha et 2,7 % de la superficie de l'Algérie, et pour 3,2
million de ha soit 18 % de la superficie totale en Tunisie ;
- au Sud, le Sahara, ou vaste étendue
désertique, pratiquement impropre à l'agriculture
intensive ; domaine quasi-exclusif des élevages nomades, à
l'exception de rares îlots de verdure représentés par les
oasis.
D'un point de vue du relief, le Maghreb est essentiellement un
pays de hautes terres qui s'abaisse progressivement vers l'Est. Les plaines
sont généralement encadrées par des chaînes
montagneuses (Rif, Moyen Atlas et Haut Atlas au Maroc, Hodna et Nememcha en
Algérie et montagnes de Gafsa en Tunisie). Le relief est, en Afrique du
Nord, un facteur fondamental des diversités régionales et des
contrastes qui opposent parfois des pays voisins [BALTA, 1990]. Les montagnes
jouent ainsi un rôle essentiel dans la répartition des
activités agricoles et pastorales, et donc dans l'organisation sociale
et même politique du territoire [COULEAU, 1968]. Ce sont aussi des
réservoirs d'eau, car elles alimentent les sources et surtout elles
envoient dans les plaines les eaux de ruissellement. A cet égard, le
Maroc est particulièrement favorisé avec les chaînes de
l'Atlas exposées aux pluies atlantiques [AZZAM, 1990].
Globalement, il est donc possible de distinguer trois grands
types de régions géographiques, potentiellement utilisables
à des fins agricoles, dans les trois pays du Maghreb :
- les plaines et collines telles les plaines atlantiques
au Maroc (Gharb, Doukkala, Loukkos), avec une intense activité agricole
surtout depuis le Protectorat français, les plaines continentales du
Maroc délimitées par le Moyen Atlas (Tadla) le Rif (Saïss)
et le Haut Atlas (Haouz), et les plaines du Maroc oriental qui
représente le 1/8ème de la superficie du pays mais qui
ne nourrissent que le vingtième de sa population en raison de la
sécheresse chronique qui y sévit, ou encore en Algérie,
les plaines du Hodna, les hautes plaines de l'Ouest,
caractérisées par de la céréaliculture extensive,
les hautes plaines constantiniennes, le Tell occidental sec, les plaines du
Chélif, la plaine de Annaba, et en Tunisie, le Tell du Nord Est, et le
pays de la Medjerdja ;
- les zones montagneuses et de piémont, qui au Maroc
se résument principalement aux chaînes de montagne du Rif, des
Moyen et Haut Atlas et de l'Anti Atlas, et qui correspondent en Algérie
à l'Atlas saharien de l'Ouest, les monts des Ksour, le Djebel Amour, les
monts des Ouled Naïl, les monts du Hodna, de l'Aurès et des
Nememcha et le Tell occidental et à l'extrême est, l'Atlas tellien
de Annaba, tandis qu'en Tunisie il s'agit du Tell et à un degré
moindre du domaine de la Haute Steppe ;
- les zones d'agriculture oasienne, qui constituent de
véritables systèmes agricoles intensifiés, mais
très vulnérables [FLORET et PONTANIER, 1982], dont la
participation à la valeur ajouté du secteur primaire reste
faible, notamment eu égard à leur éloignement des grands
centres de consommation, mais qui peuvent être de véritables
pôles de développement locaux [CLOUET et DOLLE, 1998] .
Le climat, au Maghreb, est un des facteurs clé pour
saisir l'évolution des systèmes agraires et leur adaptation aux
contraintes environnementales. Etant donné les larges variations intra
et inter annuelles du climat que les trois pays connaissent, les
résultats du secteur agricole sont très contrastés
d'année en année, et ceci induit une forte dépendance du
secteur agricole vis-à-vis des caprices climatiques [BEDRANI et
al., 1997 ; AMRI, 1991]. Ceci se répercute même sur les
équilibres financiers de ces pays, plus particulièrement le
Maroc, et le rend à la merci des aléas climatiques [AKESBI,
1991]. L'Afrique du Nord est en effet une zone de contact et de lutte entre les
masses d'air d'origine arctique et les masses d'air tropicale, ce qui se
traduit par une pluviosité très intermittente [ISNARD, 1978].
Ainsi, les années se suivent sans se ressembler et les moyennes des
températures et surtout des précipitations n'ont pas de
signification (Tableau 7). Or, le climat domine tout, commandant le
régime des cours d'eau, et surtout le type et le rythme de vie agricole.
Malheureusement, jusqu'ici, cette variabilité du climat a très
peu été prise en compte dans les planifications des
schémas de développement agricole, tout comme elle a largement
été occultée des préoccupations de la recherche
agronomique. PLUVINAGE [2002], écrit à juste titre qu'au Maghreb,
« la question de fond de la science agronomique, c'est que les
manières de raisonner issues de l'agriculture des pays
tempérés sous-estiment très largement l'aléa
climatique ».
Tableau 7. Variations des précipitations au
Maroc : cas des stations de Rabat et de Beni Mellal.
Année
|
90-91
|
92-93
|
94-95
|
96-97
|
98-00
|
02-03
|
Moyenne (90-03)
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Précipitations (mm)
|
|
|
|
|
|
|
|
Rabat - Salé
|
566
|
313
|
337
|
728
|
462
|
503
|
469 124
|
Béni - Mellal
|
403
|
188
|
143
|
479
|
359
|
379
|
336 186
|
|
Source : MADRPM [2003]
C'est pourquoi, face à la variabilité
climatique, notamment des régimes pluviaux, les trois pays du Maghreb se
sont lancés dans des programmes d'irrigation. En effet, au Maghreb,
l'eau est de loin l'agent de fertilité numéro un, quelle que soit
la nature des sols [CORBEELS, 1997]. Et même dans les régions
où il pleut assez, il a fallu aménager des ouvrages d'art pour
parer à l'irrégularité des eaux, car le Maghreb ne dispose
pas de fleuve, comme le Nil en Egypte, et souvent le débit de ses cours
d'eau se réduit à presque rien en période estivale, au
moment où les besoins d'irrigation sont à leur niveau maximal
[BOUZAIDI, 1991 ; DURAND-DASTES et MUTIN, 1995].
Les politiques d'irrigation au Maghreb revêtent
généralement deux aspects distincts :
- petite et moyenne hydraulique qui consiste à
lutter contre les eaux nuisibles et à construire des barrages
d'épandage des eaux de crue ;
- grande hydraulique, consacrée à
l'édification de barrages, de réservoirs, et d'installations de
transport et de distribution d'eau dans les périmètres irrigables
ou dans les agglomérations urbaines.
Ainsi, au Maroc, la politique dite du « million
d'hectares irrigués », initiée à
l'Indépendance du pays en 1956, a permis d'équiper près de
1 004 000 ha en près de 30 ans. En Tunisie, près de 250 000 ha
sont actuellement irrigués, et en Algérie les terres
irriguées occupent près de 449 000 ha.
Dans une telle conjoncture, l'élevage au Maghreb est
très vulnérable, surtout lors des grandes périodes de
sécheresse estivale [LERY, 1984]. Certes la mobilité est alors un
moyen de contrer les effets néfastes des sécheresses par
l'investissement de nouveaux espaces [BOURBOUZE, 1982]. Mais les
récentes crises des domaines de parcours, liées aux fortes
pressions qui s'y exercent et à leurs politiques de gestion encore mal
définies [ALLALI, 2000], rendent improbables le seul recours aux terres
à pâturages comme facteur de développement d'un
élevage intensif à même de répondre aux besoins sans
cesse croissants d'une population en essor et dont les modes de consommation
évoluent. Dans cette région, les impératifs vivriers ont
toujours fait que les ruminants ont été confinés aux
seules zones impropres à la mise en culture
céréalière, ou à la valorisation des résidus
des cultures, notamment des pailles de céréales [CHERMITTI,
1994]. Il s'ensuit qu'il est impossible actuellement de concevoir des plans de
développement des productions animales uniquement basés sur de
plus intenses prélèvements sur les parcours, tout comme il est
encore plus improbable de compter sur une augmentation des effectifs pour
atteindre une satisfaction des besoins des populations [EDDEBBARH, 1991].
Aussi, l'augmentation des apports fourragers à partir du domaine
irrigué et des sous-produits industriels est-elle devenue
impérative [GUESSOUS, 1991]. Mais l'usage est lorsqu'on parle de
l'élevage au Maghreb, d'insister d'une part sur la rareté des
productions irriguées, dont le résultat est garanti, et d'autre
part sur la faible valeur vénale d'un cheptel trop nombreux et mal
soigné [INRA, 1965]. Ainsi, KHETTOUCHE [1994] énonce que les
obstacles au développement des fourrages au Maroc sont surtout dus
à un milieu humain non favorable. Selon cet auteur, l'agriculteur
marocain considère encore son troupeau comme un moyen d'épargne
qu'il ne songe pas à exploiter intensivement pour en tirer un revenu
régulier. Ce même auteur soutient la thèse que les
pâturages naturels sont peu productifs, car situés sur des sols
pauvres peu arrosés et surpâturés. Or, le
développement des cultures fourragères, en dépit des
rôles cruciaux qu'elles pourraient assurer pour relever le niveau de
performances des élevages, reste entravé par l'état
d'esprit des agriculteurs maghrébins : d'abord assurer les
récoltes de grains, à la base de l'alimentation du groupe
familial [RONDIA et al., 1985].
Dans les plans de développement des zones
irriguées du Maghreb, un intérêt tout particulier a
été voué aux cultures fourragères pour une
valorisation des atouts agronomiques présentés par ces
régions (intégration agriculture - élevage,
amélioration de la fertilité des sols, diversification des
sources de revenus,....) et, surtout, pour contribuer à augmenter les
productions locales en lait [BOURBOUZE et al., 1989]. Par ailleurs,
outre cette amélioration des disponibilités fourragères,
les pouvoirs publics des trois pays ont visé à créer un
noyau de bovins aux potentialités laitières confirmées,
soit par la multiplication de croisements entre bovins locaux et des bovins de
type laitier des pays tempérés, dans le cadre de programme
appelés « croisement d'absorption des bovins de type
local », mais dont les résultats ont été
très controversés [FALAKI, 1995 ; SLIMANE et OUALI, 1991],
soit carrément par l'importation de vaches laitières
réalisant toutes leurs carrières au Maghreb [DJEMALI et BERGER,
1992 ; SRAÏRI et BAQASSE, 2000]. Malgré les multiples mises en
garde récentes relatives aux périls que constituent de telles
politiques quant à la survie des races locales originelles [RODRIGUEZ et
PRESTON, 1997], sans omettre les bilans plus que mitigés des
importations de bétail [ØRSKOV, 1993], ces mesures constituent
actuellement le principal volet d'action des pays maghrébins pour
rehausser le potentiel de production laitière local et essayer d'assurer
un tant soit peu l'autosuffisance en produits lactés. Elles visent aussi
en parallèle à créer de l'emploi en milieu rural et
stabiliser des sources de revenus pour les milliers de foyers qui exploitent
des bovins.
|
|