3.6.
La recherche du paradis perdu
Dans la saison d'anomie, Besnier est dans le chancre de la
dégradation spirituelle, ce qui l'amène à la recherche du
paradis perdu. La punition est éternelle. Comme Orphée qui a
voulu pénétrer la vie des enfers et le secret de son amante
Eurydice aux enfers, Besnier lui aussi tombe dans cette ambiance du mythe de la
connaissance. Ayant échoué, il est à la recherche du
paradis perdu, alors que les dieux ne lui en donneront jamais la garantie.
Ce titre de Marcel Proust que nous avons même reproduit,
évoque cet emblème mythique qui ne se retrouve jamais. C'est
maintenant que Besnier se rend compte de son tort, de son mal. En face des
Africains, il commit un tort grave en ignorant que les dieux sont le patrimoine
culturel marqué pour un Africain. C'est cette réification dans le
commun, qui a causé des fléaux encore présents en
Afrique.
Comment est-ce que Besnier recherche son paradis perdu ?
Lui-même le stipule : « je souffrais, réduit
à mes dimensions. Je n'étais plus libre. J'étais en
quarantaine parmi mes collègues » (N.S. : 30).
Besnier devient aussi comme un Africain. Les malheurs qui
l'accablent l'obligent à « consulter quelques grands
Maîtres dont Fotigui » (N.S. : 140). Pour retrouver son
paradis perdu, Fotigui lui conseille : « Retourne N'tomo,
apaise les dieux et quitte le pays. Si N'tomo ne revient pas malheur à
toi, tu perdras l'esprit » (N.S. : 140).
L'extrait suivant résume la complication de la vie de
Besnier qui sert de leçon aux destinataires
européens : « Malheur à toi [...], tu perdras
d'abord les esprits, la vie ensuite » (N.S. : 140). Besnier a
compris qu'il n'est pas possible de tromper les dieux en détournant le
malheur sur les autres : « D'ailleurs comme il y avait
toujours quelqu'un dans la case où se trouvait N'tomo, votre ami Besnier
ou sa fiancée, Monsieur Jules comprit qu'il pouvait réussir ce
qu'il voulait » (N.S. : 141).
Il conçut alors, en dépit des mises en garde,
l'idée d'éliminer Besnier. Il a cherché à agir par
personnes interposées : « [...] le gardien Nantouma, le
commandant ou les domestiques. Il croyait ainsi détourner la
malédiction vers un de ceux- là. Malheureusement pour lui, on ne
peut pas tromper les dieux » (N.S. : 141).
Une note de pessimisme pour Besnier marque sa recherche
problématique du paradis perdu :
« Chacun y vient par ses propres voies, j'allais
dire par ses propres moyens. Votre ami Besnier [colonial] y est venu en jouant
...Je serai heureux [...] de vous revoir lorsqu'ils vous enseigneront les lieux
qui existent entre le destin de l'homme et les jours» (N.S. :
143).
Bref, Besnier est victime avec Jules, d'un monde qu'ils ont
rendu eux-mêmes problématique. C'est dans cette même
perspective du manichéisme narratif adopté par Badian
(consciemment ou inconsciemment) que Delcroix et Hallyn, disent en opposant le
moderne et le traditionnel magnifié : « Nous
risquerions plus d'une fois d'antidater le monde moderne ; le prix des
textes est de nous faire assister de très près à sa
genèse » (1987 : 265).
Dans tout ceci, c'est l'observation attentive et
méthodique de ce que l'on peut appeler « société
du texte » qui nous sert à déceler les
éléments prouvant la recherche du temps perdu. La
société du texte où vit Besnier nous aide également
à faire une investigation psychocritique des protagonistes.
|