3.3.
Le tragique passage de la tradition a la modernité
« Il s'en suit une littérature à la
fois tragique et comique où les motifs du monde qui s'effondre [...] ou
du pleurer-rire [...] s'interpellent, en de multitudes variantes, d'un bout
à l'autre du continent » (Denise Coussy).
Comme Denise Coussy que nous venons de citer l'a
expliqué dans son paratexte sur La littérature africaine
moderne au sud du Sahara (2000), la littérature jaillit par une
certaine célébration et une dérision où les lieux
et les gens tentent de fonctionner en symbiose entre sacré et
profane.
On remarque alors le passage tragique de la tradition à
la modernité dans Noces sacrées. Cette dualité
affecte évidement le verbe et on voit de plus en plus le classicisme
bien tempéré des premières oeuvres s'imprégner de
la vivacité de l'expression populaire moderne mais aussi des
complexités du discours littéraire actuel.
Selon Coussy, il existe des « jeux de miroir (qui)
autorisent l'Afrique à donner enfin d'elle même l'image complexe
mais cohérente qui lui a été si longtemps
dénié» (2000 : 21).
Badian a, dans son roman Noces
sacrées, fait subtilement un retour sur le passé pour
tenter de comprendre les causes de l'anomie actuelle qui se fait remarquer dans
sa société.
Dans les temps reculés, la forêt était le
lieu sacré par excellence, celui de l'initiation, des noces
sacrées chères à Seydou Badian. Dans tout le roman, on
remarque que c'est dans la forêt que les jeunes apprennent à
survivre et c'est là qu'on leur transmet les règles et les
interdits de la chasse mais aussi les mystères des plantes et des
herbes.
Le tragique se trouve à ce niveau, car après la
perte de ces lieux chers, le drame est grandissant. C'est pourquoi on lit
dans Noces sacrées : « On a violé
notre sanctuaire ? [...] Manque de sérieux, manque de vigilance peu
soucieux des traditions » (NS : 86).
Plus l'ère coloniale affiche un mépris pour la
tradition, plus les conséquences sont nombreuses. Dans la nature
désacralisée, les animaux miraculeux sont aussi nombreux :
« Mademoiselle Baune souleva un sac sous le lavabo et
découvrit un gros serpent noir avec des reflets
métalliques». (NS : 108).
Baune s'écria « c'est
étrange » (NS, 108). Souvent le malheur se prédisait
par les animaux de la nature. Besnier fut aussi la
cible: « Perdreaux, tourterelles et engoulevents s'envolaient
devant eux pour se poser plus loin, toujours sur le chemin »
(NS : 116). En fait, le lieu sacré est violé dans le
roman Noces sacrées.
Sans toutefois expliquer et citer tous les extraits, où
les animaux prennent place dans le roman, nous pouvons dire que les tourments
de Besnier sont représentés par les animaux qui saccagent tous
les lieux que fréquente l'anti-héros après avoir commis un
sacrilège contre les dieux en enlevant N'tomo.
C'est dans cette ligne que Jacques Chevrier écrit
à propos des romans de Seydou Badian :
« Il n'en va malheureusement pas de même dans
la ville, contrepoint de la brousse, où les personnages de Seydou Badian
[...] découvrent avec stupéfaction un monde dans lequel le
mensonge, la tricherie [...] semblent avoir définitivement
supplanté les vertus traditionnelles» (1981 :6).
Où se situe alors le drame dans tout cela ? Le
drame est que, avec la désacralisation du sacré, et la violation
des interdits, les Africains sont arrivés à des drames dus aux
interdits violés. Ceci c'est évidement dans le cadre de
l'analogie avec d'autres oeuvres qui complètent cette
désacralisation. Le tabou déjà violé, les guerres
fratricides, tribales et interétatiques étaient possibles. C'est
ce qu'ont décrit beaucoup de romans africains comme Ville
cruelle de Mongo Beti, Un poème dans la poche, un fusil dans
main de Emmanuel Dongala, ...
D'une part, il y a des romans qui parlent des heurts et des
drames de la vie coloniale, d'une autre, les révoltes se dressent contre
les régimes dictatoriaux qui ont tété sur le sein des
Blancs et qui n'avaient plus le sens du sacré. C'est à ce niveau
que le passage de la tradition à la modernité a été
tragique. Ainsi, la violation du sacré a été une base pour
le tragique peint dans beaucoup de romans africains. Et dans Noces
sacrées, Jules a subi les coups de ce drame: «Jules s'est
suicidé» (N.S.:138).
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