CHAPITRE II
II. QUELQUES FONDEMENTS ETHIQUES DE
L'AUTOREGULATION
La pratique professionnelle fait appel à un certain
nombre de règles morales. Ce métier, écrit Gérard
Ponthieu, ne saurait se justifier en dehors d'une éthique. Le
développement d'une presse responsable et de qualité accompagne
la vie démocratique ; l'une et l'autre cheminent de pair; elles ne
peuvent grandir l'une sans l'autre »31 Raison pour laquelle, la
plupart des confrères sont d'accord pour que soit intégré
à tout projet d'assainissement de la profession, une action de
réhabilitation de quelques valeurs cardinales que sont : la promotion de
la rigueur et de l'honnêteté par l'exemple,
l'équité, la probité intellectuelle, l'objectivité,
la responsabilité sociale, l'esprit d'équipe, la juste
motivation, etc.
2.1 La ponctualité
L'adage bien connu nous apprend que la ponctualité est
la politesse des rois. Qui donnera le bon exemple ? Les ministres
chargés de prononcer les discours d'ouverture des nombreux
séminaires qui se succèdent au quotidien ? Et pourquoi pas le
chef de l'Etat attendu à la cérémonie d'ouverture d'un
colloque international ? Serait-ce trop lui demander? A force d'être des
témoins de la ponctualité au sommet, il est possible que les
journalistes qui sont tributaires du programme des officiels finissent eux
aussi par prendre le bon pli dans l'hypothèse que la ponctualité
puisse être aussi contagieuse que le retard. Mais, entre-temps,
peut-être faudra-t-il penser à instituer dans les
Rédactions, des primes à la ponctualité.
31 G. PONTHIEU, Le métier de journaliste en
30 questions-réponses, GRET, 1998, p. 17
2.2 L'honnêteté
Pouvoir dire les choses telles qu'elles sont. Tel est le
minimum à exiger d'un journaliste. Si l'objectivité est un
idéal hors de portée comme l'on semble l'admettre
désormais sous tous les cieux, les journalistes devraient en revanche
tenir l'honnêteté pour une valeur élevée dans leur
pratique professionnelle. A certains égards, elle paraît
d'ailleurs moins abstraite que l'objectivité et pourrait dans
l'entendement d'un professionnel de l'Information, correspondre au respect du
principe du caractère sacré des faits. Restituer les faits sans
état d'âme, sans parti pris et ne pas chercher à donner
à un événement plus ou moins de valeur qu'il n'en a,
constituerait en tout cas de bonnes prémices pour la pratique de
l'honnêteté.
Ainsi, l'honnêteté dans le métier voudrait
qu'un journaliste chargé d'assurer la couverture médiatique d'un
meeting politique ne soit jamais tenté de faire croire à
l'opinion publique le contraire de ce dont il a été témoin
parce qu'il serait d'un bord politique adverse. S'il a découvert une
salle comble, qu'il ne tente pas de faire croire à l'opinion publique
que cette salle en question a eu du mal à se remplir.
L'honnêteté lui recommande en pareille circonstance, de ne pas
faire des omissions volontaires sur des détails significatifs et de ne
pas occulter à dessein des déclarations supposées
contraires à ses intérêts ou convictions à lui tout
seul.
De même, s'il arrive que pour une raison ou pour une
autre, un journaliste nourrisse quelque antipathie à l'endroit d'un
acteur de la vie politique nationale, il se doit de ne pas en faire porter le
préjudice à ce dernier à travers le traitement qu'il fera
de l'information recueillie.
S'il se trouve aussi que le reportage qu'est appelé
à couvrir un journaliste est commandité par un personnage avec
qui il a des relations conflictuelles, il est hors de question qu'il veuille se
servir de cette contingence comme une occasion de vengeance.
L'honnêteté, entre autres exemples, serait aussi la faculté
qu'aurait un journaliste de reproduire un réquisitoire fait à
l'occasion d'une conférence de presse contre sa corporation. Il laissera
le soin à ses confrères et à ses auditeurs de s'en faire
une opinion. Cette dimension de l'honnêteté renvoie le journaliste
à son code de déontologie qui lui interdit d'user de sa plume, de
son micro ou encore de sa position de faiseur d'opinions pour régler des
comptes ou pour se faire justice.
Toujours en vertu de l'honnêteté, un
élément d'archives ne sera pas présenté comme un
élément d'actualité. De même, un journaliste
honnête ne passera pas outre la volonté d'un interviewé en
restituant dans les colonnes de son journal ou dans une émission
radiotélévisée, une information obtenue « off the
record » (hors micro).
2.3 Le sens de la responsabilité
sociale
Cette notion de la responsabilité sociale du
journaliste semble avoir été bien campée par le
journaliste sénégalais Mame Less Camara à qui nous
empruntons la métaphore que voici: «les médias sont
comparables à des routes et peuvent, à ce titre, servir aussi
bien de lieux de passage à des bus d'écoliers qu'à des
chars de combat. En clair, les médias incarnent une neutralité
telle que leur usage appelle de la part des journalistes une bonne dose de
conscience morale» 32De cette métaphore, on peut retenir
cette vérité bien établie selon laquelle les médias
ne sont bons ou mauvais que par rapport à l'usage qu'on en fait et par
rapport aussi à la conscience de ceux qui les manipulent.
Raison pour laquelle, l'autorégulation est une option
pleine de risques si l'on n'est pas sûr d'avoir affaire à des
journalistes mûrs et pénétrés d'une certaine
éthique de la communication qui préserve les meurs, la
dignité, les droits humains, la stabilité sociale, le droit
à la différence, la paix collective, etc. Car, si la
communication a pour vocation première d'informer, il est important que
cette information puisse permettre à chacun de conserver et de faire
agir sa liberté d'appréciation par rapport à une
situation. Le cas de la Radio « mille collines » lors du
génocide rwandais est encore frais dans nos mémoires pour nous
convaincre de la nécessité d'une démarcation radicale
à opérer entre l'information tout court et l'information à
des fins de mobilisation, de manipulation ou de subversion.
Et c'est justement à ce sens du discernement qu'invite
le professeur Oumar DIAGNE, directeur du CESTI, qui plaide pour un journalisme
qui donne du sens à l'activité informationnelle : « quand
une information, bien que vraie, vérifiée et vérifiable,
risque de déstabiliser la nation au sens profond du terme, ou de
compromettre fatalement l'ordre républicain, il serait inintelligent de
la livrer en toute légèreté... »33. De
même que toute connaissance n'est pas profitable, toute
vérité n'est également pas bonne à dire. Il y a
d'abord la façon dont elle est dite et ensuite l'intentionnalité
de la personne qui l'a dit par rapport au bien de la société. A
ce sujet, Communio et progressio signale que « la bonne
volonté et les intentions pures, bien qu'indispensables à la
morale journalistique, ne suffisent pas. Les communicateurs sociaux doivent
traiter l'information en se préoccupant avec la même rigueur de
son contenu que de la manière dont elle est transmise au public. Les
différences de cultures, de traditions, de sensibilités
33 Article sur « Journalisme et Développement
» in Quaderni, n° 36, 1998, p.39
doivent être respectées.» 34 Car, en
définitive, à quoi servirait l'information la plus croustillante
si elle doit finalement mettre en péril la République?
C'est sûrement là l'un des plus gros défis
de l'autorégulation qui, a priori, se fonde sur le principe que les
journalistes, au sein de leurs Rédactions, seront assez sages et
perspicaces pour choisir et décider ce qui est bon à savoir par
l'opinion publique et qui, par ailleurs, protège les équilibres
institutionnels et sociaux ainsi que les intérêts de la
République et du citoyen.
2.4 Quid de l'intégrité morale?
C'est sûrement la solution la plus simple que de faire
comme tout le monde pour ne pas avoir à trop déranger les autres.
Du moins, cela est tentant. Mais, heureusement, les modèles
d'intégrité, même s'ils sont assez rares existent encore et
l'on peut citer l'exemple de cet ancien rédacteur en chef de
Radio-Bénin (1998) qui a su retourner à l'envoyeur un billet de
5000 FCFA qui accompagnait un communiqué de presse dans le but d'en
faciliter la diffusion. Il l'aurait accepté qu'il aurait non seulement
trahi son code d'éthique mais il aurait également
créé un manque à gagner à l'Office de Radio et
Télévision du Bénin (ORTB) qui dispose d'un service de
Relations Publiques chargé de facturer et d'encaisser les
bénéfices générés par certaines prestations
de Radio-Bénin.
Seulement, à un moment où tous les
repères sont en péril, il est difficile de prêcher la
vertu, même si les esprits les plus sages enseignent qu'il n'y a du
mérite que dans ce qui est hors du commun. Alors, refuser un perdiem sur
le lieu d'un reportage doit-il entraîner pour son auteur railleries,
inimitiés et menaces? Si oui, faut-il aller vers la solution
conventionnelle qui consiste à faire comme tout le monde? Autrement,
que
34 UCIP, Pour une société de
communication, Editions Cana, 1981, p.55
faire si le droit à la différence heurte trop de
sensibilités et vous met en quarantaine dans votre propre corporation ?
A ces questions, il ne saurait avoir de réponses écrites. A
chacun selon sa conscience!
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