CHAPITRE I
I. LA CONFERENCE DE REDACTION
1.1 La conférence de rédaction : espace de
confraternité et de vérité
La conférence de rédaction est une instance
professionnelle des journalistes appartenant à un même service de
l'Information. Elle constitue l'une des marques distinctives des
rédactions qui utilisent justement cette instance professionnelle
à des fins de structuration, de cohésion et de gestion des
ressources intellectuelles et humaines. La conférence de
rédaction offre, en outre, le moyen à toute Rédaction de
tester sa capacité d'organisation et de dialogue internes.
Lieu d'échanges, arbre à palabres, espace de
prise de décisions, forum de retrouvailles, de communion et de
défoulement. La conférence de rédaction est tout cela
à la fois ! Autant on y discute de sujets sérieux et graves,
autant on s'attarde sur des vétilles. Autant on y prononce des
sentences, autant on y décerne des satisfecits. Ainsi, rares sont les
conférences de rédaction qui se terminent sur une note grave. Les
journalistes ayant eux-mêmes l'art de ces pirouettes qui leur permettent
de se frayer des portes de sorties heureuses même au terme des
conférences de rédaction les plus houleuses et les plus
heurtées.
En fait, à bien y regarder, la conférence de
rédaction est à la fois un espace de confraternité, de
convivialité et de vérité. Là-dessus, les avis sont
convergents à en juger par les propos de Henri Assogba de
Radio-Bénin, qui souligne le partage de joies et de peines à
travers le contact permanent et les exigences du travail en équipe. Ce
que ne dément pas son confrère Serge Mathias Tomondji,
rédacteur en chef technique du quotidien Adjinakou lui aussi
très sensible au fait qu'on y passe beaucoup de temps
ensemble et qui souligne : « dans une rédaction de
presse, il n'y a pas de barrière étanche entre les diverses
sections. Le rédacteur en chef n'est pas et ne se comporte pas comme le
chef d'un Bureau ou d'une Division administrative qui traiterait ses
collègues avec une certaine distance. Dans la presse, on peut
très bien avoir des débats houleux en conférence de
rédaction et se retrouver l'instant d'après, autour d'un
café ou d'une bière».
Supposée être la chose la mieux partagée
dans le monde des médias, la tenue régulière des
conférences de rédaction se révèle moins
évidente à l'épreuve. Tenir une conférence de
rédaction relève parfois de la croix et la bannière. S'ils
sont assez nombreux à en admettre le principe, c'est dans la pratique,
hélas, que s'observent les plus grandes défaillances.
La conférence de rédaction est en principe
quotidienne. Elle peut prendre une dimension plus élaborée, plus
solennelle dans certaines circonstances particulières : lendemain d'un
remaniement ministériel, paralysie de l'administration publique et
privée pour fait de grève, rencontre internationale d'importance
ou conférence au sommet, en période électorale où
une répartition plus rigoureuse des tâches est indispensable. Des
consignes professionnelles plus fermes sont données aux
différents reporters envoyés sur le terrain. Mais plutôt
que d'en faire une exigence ponctuelle ou événementielle, les
rédactions gagneraient à systématiser ce rituel dont les
effets ne se mesurent qu'en termes d'avantages. Et cela confirme tout le bien
que Henri Assogba, journaliste à la Radiodiffusion nationale du
Bénin, pense de la conférence de rédaction : « la
crainte de se faire remonter les bretelles par des collègues ou
d'être toujours indexé comme celui qui collectionne les fautes
professionnelles amène à faire plus attention dans l'exercice
quotidien de la profession. A terme, on obtient une plus-value de
qualité des prestations »
De même, c'est à l'occasion des
conférences de rédaction que le journal prend forme aussi bien
dans son contenu que dans sa forme. Le calibrage du journal est aussi l'un des
objectifs de la conférence de rédaction. Toutes ces étapes
assurent une appropriation collective des éditions du journal qui
devient ainsi l'oeuvre de chacun et de tous. Mais, paradoxalement, les
conférences de rédaction ne font pas toujours le plein des
effectifs en position de travail. Elles n'ont pas beaucoup de succès
malgré toute la peine que se donne la Rédaction en chef pour
rallier le maximum de confrères à sa cause, allant parfois
jusqu'à recourir à des méthodes coercitives.
Manifestement, les conférences de rédaction sont
boudées par certains journalistes pour diverses raisons objectives ou
subjectives. C'est en effet l'un des rares lieux où le journaliste subit
la sanction de ses pairs; un moindre mal par rapport à une
décision de justice qui peut marquer à jamais la carrière
!
En décrivant la typologie des questions mises en
débat à la conférence de rédaction, Claude Agossou,
journaliste de Radio-Bénin, cite des cas qui en réalité
sont es plus courants :
- un du confrère qui rate un reportage en ignorant les
faits les plus marquants ; - un confrère qui, lors d'une interview se
laisse écraser par son interlocuteur.
En effet, un reportage mal écrit, un commentaire
partial, une interview fade ou encore un magazine
déséquilibré n'échappe pas à la critique
voire à la sentence de la conférence de rédaction. C'est
donc une instance redoutée par tous ceux-là qui sont allergiques
à la contradiction, mais aussi par ceux qui estiment avoir d'autres
chats à
fouetter, quoique son pouvoir ne dépasse guère
celui d'un <<tribunal d'honneur », plus apte à honnir
qu'à punir. C'est ce caractère symbolique du pouvoir de sanction
de la conférence de rédaction que Godefroy Chabi, journaliste
à Radio-Bénin, tente de restituer en indiquant qu' << on y
formule des critiques touchant au contenu professionnel. Ces critiques sont
formulées par des journalistes en direction de journalistes et ne sont
accompagnées d'aucune purge au sens classique du terme mais fonctionnent
plutôt comme des dispositifs visant à améliorer le travail
dans sa globalité au sein de la Rédaction ».
Seulement, cette notion de <<tribunal d'honneur »
ne semble pas du tout convenir à certains confrères. Jacques
Philipe da Matha, ancien directeur général de l'ORTB, est de
ceux-là et il s'en explique : << ...ce n'est que le cadre
où se conçoit le journal; le cadre où les journalistes
d'une Rédaction discutent du contenu du journal de la veille et
arrêtent les grandes lignes du journal du jour. Il ne s'agit nullement
d'un tribunal qui prononce des arrêts ».
Hélas, aussi longtemps que des confrères se
complairont dans une attitude de boycott, ce serait un leurre d'espérer
améliorer la qualité des conférences de rédaction.
Car, ainsi que cela se doit, la conférence de rédaction est
l'affaire des vivants et non des fantômes. D'où cette relation
évidente entre l'absentéisme obstiné de la majorité
et la banalisation des conférences de rédaction et leur
déclin tant dans le principe que dans leur teneur.
Le rédacteur en chef le plus doué et le plus
ingénieux du monde ne parviendra jamais tout seul, à faire
rayonner une conférence de rédaction si autour de lui, se
trouvent des collaborateurs plutôt décidés à
déserter le forum et pire, à battre campagne contre cette
instance. Question de bonne foi: la meilleure attitude à recommander
à tous ces
« ennemis » et autres fuyards de la
conférence de rédaction, c'est la sagesse et le retour à
la raison. Entre la nécessité pour eux de se convertir aux bonnes
habitudes et la perspective trop illusoire de réussir à faire
décréter le caractère facultatif de la conférence
de rédaction, la cause est pratiquement entendue. Bien au contraire, la
conférence de rédaction à Radio-Bénin a
plutôt de beaux jours devant elle. Du moins, si cela ne tenait
qu'à la volonté de Jacques Philippe da Matha, ancien directeur
général de l'ORTB qui trouve de nombreuses vertus à cette
instance professionnelle en indiquant notamment que « la conférence
de rédaction favorise une ouverture d'esprit, élargit l'horizon
des connaissances, crée la convivialité, favorise la modestie,
l'humilité, l'affirmation de soi et la reconnaissance des autres
».
1.2 La conférence de rédaction pour y laver
le linge sale
Invariablement, l'ensemble des confrères sondés
ont été unanimes à citer la conférence de
rédaction comme meilleure approche en matière
d'autorégulation au sein des Rédactions. Et ce n'est point
exagéré de l'assimiler à une machine à laver le
linge sale en famille. Le témoignage de ce confrère de
Radio-Bénin, Maurice Mahounon, ne fait que corroborer cette
thèse: « Un jour, j'ai demandé à un collègue
d'enregistrer son reportage pour l'édition du soir. Il a refusé
et il s'est ensuivi une vive discussion entre nous. Le différend a
été porté devant la conférence de rédaction
qui a arbitré et tranché le contentieux après avoir permis
à chaque collègue d'émettre son avis sur la
question». Dans cette même veine, il ajoute : « un autre jour,
deux collègues voulant coûte que coûte faire le même
reportage se sont retrouvés nez à nez sur le terrain et cela a
dégénéré. C'est en conférence de
rédaction qu'un terrain d'entente a été trouvé et
les deux collègues se sont mutuellement présenté des
excuses ».
En clair, laver le linge sale en famille, c'est aussi
permettre aux journalistes de faire leur cuisine interne, de se flageller, de
s'auto-flageller et de s'amender entre les quatre murs de la Rédaction,
un peu comme dans un couvent. Cette manière de faire a ceci
d'élégant qu'elle permet de ne pas exposer le collègue en
faute à un blâme extérieur ou à la risée de
l'opinion publique ; mieux, elle permet de faire l'économie d'un recours
aux instances classiques et officielles de régulation telles que
l'Observatoire de la déontologie et de l'éthique dans les
médias (ODEM) et la Haute autorité de l'audiovisuel et de la
communication (HAAC). A titre d'illustration, voici un témoignage
rapporté par un confrère de Radio-Bénin: « il s'agit
d'un collègue qui a perçu les frais de mission pour une
enquête de terrain et qui s'est contenté de pondre son reportage
dans les quatre murs de sa chambre. L'impair a été
découvert in extremis avant diffusion. Certes, le public n'a pas
été informé de ce bidonnage mais l'intéressé
a été sermonné et s'est vu obligé d'aller
réellement sur le terrain ».
Il n'y a donc aucun doute là-dessus, la
conférence de rédaction est un puissant moyen
d'autorégulation même si la coopération attendue des
journalistes n'est pas toujours au rendez-vous, notamment de la part de
ceux-là qui sont allergiques à la critique. Question
d'humilité ou de sociabilité ? Question de bonne foi ? Voici en
tout cas l'interprétation qu'en fait Serge Mathias Tomondji,
rédacteur en chef technique au quotidien Adjinakou : «
certains n'acceptent que du bout des lèvres le fait que le linge qui
était sali, est finalement lavé et propre. Mais cela
relève tout à la fois de l'éducation de chacun, de sa
capacité à transcender la situation qui a sali le linge pour ne
considérer désormais plus que le linge ».
Pour démontrer que tout n'est pas toujours rose en
matière d'autorégulation, Serge
rédaction, un des rédacteurs en chef a
essuyé un acte caractérisé d'insubordination. L'un des
journalistes de la Rédaction s'emporta de façon
véhémente contre le rédacteur en chef qui s'insurgeait
contre le fait que les papiers28 ne tombaient pas à temps et
critiquait la propension des membres de la Rédaction à ne faire
du zèle que sur les reportages perdiemisés29.
Malgré les injonctions d'un autre des rédacteurs en chef du
journal qui dirigeait du reste la conférence de rédaction, le
journaliste refusa de présenter ses excuses à son
supérieur. Il aura fallu 24 heures et une autre conférence de
rédaction ainsi que l'ultimatum de se séparer de ce journaliste
s'il n'obtempérait pas, pour que celui-ci daigne enfin se plier. Mais,
à la vérité, il n'a fait que sacrifier à une
formalité d'excuses, sans conviction, puisqu'il n'avait pas
arrêté de s'interroger sur le tort qu'il avait commis ».
Résultat des opérations, poursuit le confrère: « le
linge a été lavé, mais sera-t-il jamais encore propre,
notamment entre ces deux principaux acteurs de l'épisode ? Rien n'est
moins sûr. Mais, pour positiver l'autorégulation, on pourrait
simplement penser comme Magatte DIOP de la RTS-Kaolack30 qu'en la
matière, il n'y a pas mieux que le dialogue, la discussion franche et
sans détours et le débat sincère.
1.3 Sursaut de professionnalisme sous régime de
concurrence
Qu'on ne s'y méprenne pas, les années de
monopole de la presse d'Etat sont révolues ; ces années de
tranquillité où les journalistes n'avaient pas à se fouler
la rate pour meubler leurs éditions: les séminaires et autres
communiqués officiels suffisaient à organiser l'hypertrophie de
la page nationale, laquelle pouvait être complétée par
quelques nouvelles étrangères triées sur le volet. Mais
depuis la fin des années 80, force est de reconnaître que, la
concurrence aidant, les conférences de rédaction sont
rentrées dans une nouvelle dynamique de professionnalisme et
d'émulation à Radio-
28 entendre par « papiers » les articles,
selon un jargon très journalistique
29 c'est une allusion aux reportages juteux, dont la
couverture donne lieu à des enveloppes ou autres largesses
30 station régionale de la
Radio-télévision du Sénégal à Kaolack
Bénin. Ainsi, la logique ancienne où le
journaliste attendait que l'information vienne jusqu'à lui a
cédé la place à une quête plus offensive de
l'actualité dans un espace où l'audience est à la fois
fonction de célérité, d'exhaustivité et de la
fiabilité.
Bref, il aura fallu ce nouvel environnement concurrentiel pour
relancer le sens de l'imagination et de l'investigation des journalistes de la
presse officielle qui ont dû réapprendre à se servir de la
conférence de rédaction comme cadre d'expression, de
réflexion et de gestion collective des défis. Elle permet de
sauver une édition dépourvue de tout compte-rendu de
séminaire et autres activités officielles, de la banalité
et de la platitude. C'est souvent grâce aux conférences de
rédaction que, parties de rien du tout, des équipes en position
de journal ont réussi à donner de l'éclat et un
écho spectaculaire à certaines éditions. Il en va de
même pour les éditions dominicales où, a priori,
l'actualité est réduite à sa plus simple expression. La
solution : une conférence de rédaction sérieusement
animée, une équipe volontariste, quelques idées
lumineuses, un peu de perspicacité, des moyens techniques
adéquats et le « miracle» devient possible!
Dans ces conditions, pourquoi ferait-on de la participation
aux conférences de rédaction, un devoir facultatif ? Le
préjudice pour les rédactions en serait incommensurable en termes
de laisser-aller et de légèreté professionnelle. Chacun y
viendrait le jour et à l'heure de son choix et donnerait à chaque
édition du journal parlé un contenu intéressé au
mépris, il faut s'y attendre, de toute déontologie.
Autrement dit, on ne fera jamais assez confiance à un
directeur de journal en lui laissant un blanc-seing en ce qui concerne la
gestion du contenu d'une édition. Du moins, si le sérieux, la
bonne foi et la conscience professionnelle d'un confrère le permettent,
il sera possible de lui faire confiance de façon incidente sans
cependant
jamais ériger ce type de dérogation en
système de gestion des journaux écrits ou parlés.
1.3.1 La gestion du temps
Les conférences de rédaction les plus
réussies ne sont pas les plus longues. La qualité d'une
conférence de rédaction ne se mesure pas à sa durée
et est encore moins fonction du nombre d'interventions enregistrées.
L'interminable est la spécialité des indécis, selon le mot
de Emil Michel Cioran. Nuance tout de même : il est arrivé que
certaines conférences de rédaction aient duré plus de
trois heures sans que cela n'ait été particulièrement
lassant. Mais en vérité, il s'agit plutôt là de
l'exception. Les allées et venues intempestives suivies des craquements
des portes sont un baromètre assez fiable de la chute de
l'intérêt et des facultés de concentration des
participants. Pour des raisons d'efficacité, on gagnerait à faire
court. Pour l'ensemble des confrères à qui il a été
demandé de fixer la durée raisonnable d'une conférence de
rédaction, les réponses s'inscrivent toutes dans cette tendance :
« trente minutes! Mais s'il y a suffisamment de choses à dire et si
l'actualité est vraiment dense, elle peut aller rigoureusement à
quarante cinq minutes et pas plus ».
Autant le dire : certaines conférences de
rédaction censées être passionnantes au regard par exemple
de l'ordre du jour deviennent désespérément insipides et
sans relief de par la volonté délibérée des
participants eux-mêmes qui, pour divers motifs, se braquent
délibérément dans une politique du mutisme. Cette pratique
est monnaie courante dans une Rédaction où prévaut un
malaise avoué ou inavoué et qui se traduit par une attitude quasi
généralisée de collègues qui déclinent les
uns après les autres toute offre de parole de la Rédaction en
chef. Ainsi, point de discussion, point
d'opinions à émettre et le débat se meurt
faute de "débatteurs". Au rédacteur en chef de comprendre et
d'aviser...
Les plus diseurs ne sont pas les grands faiseurs. Ceux qui ont
tenu le plus longtemps le crachoir ne seront pas forcément les plus
entreprenants au moment de la répartition des articles à produire
pour l'édition de 13 heures. Hélas, un journal ne peut pas
bâtir son audience sur la capacité à remuer des
idées ou sur la loquacité in vitro de ses animateurs ou
rédacteurs. Certes, les papiers de fond (analyses et commentaires) qui
sont les plats de résistance à servir aux auditeurs sont
supposés faire l'objet d'échanges internes à l'occasion de
la conférence de rédaction. Mais là ne s'arrête pas
le processus. Le plus dur reste à faire tant qu'on n'a pas trouvé
la plume rare qui accoucherait du commentaire tant attendu qui ferait
mouche...
A défaut de candidats volontaires, il revient au
rédacteur en chef de désigner et dans le pire des cas, de
s'offrir pour assumer la charge et bien souvent pour donner l'exemple.
Moralement, il a quelque part le devoir de ne jamais baisser la garde là
où les confrères adoptent un profil bas ou se débinent.
Mieux, en pareille conjoncture, il a plutôt un défi à
relever : réussir là où les autres ont
échoué. Cela en rajouterait à son « grade ».
Heureusement, il y en a qui ont réussi à jouer très
honorablement cette partition ; tel ce rédacteur en chef qui, pour
enseigner par l'exemple, a pris l'initiative d'assurer lui-même le
reportage à chaud du braquage d'une banque de la place et la prestation
fut digne de celle d'un chef.
En somme, la conférence de rédaction reste un
concentré de la vie de la rédaction. Elle est encore plus un
lieu de ralliement, un creuset professionnel quant on sait que certains
confrères, pour cause de programmation non concordante, pourraient
passer
deux semaines sans se rencontrer. La Rédaction en chef
profite de ces occasions pour redécouvrir et réévaluer les
performances mais aussi le moral de la troupe.
Par ailleurs, l'on ne saurait oublier que la Rédaction
est une mini cité avec tout son kaléidoscope de
tempéraments, de comportements, de sensibilité et d'aspirations.
Chacun y vient avec son histoire personnelle. Sont alors condamnés
à y cohabiter des modérés et des extrémistes, des
médiateurs et des pyromanes, des indécis et des convaincus, des
conseillers et des moralisateurs, des « raseurs de murs » et des
vedettes, des taciturnes et des trublions, des légalistes et des
arrivistes, etc.
Preuve qu'il faut un peu de tout pour faire une
Rédaction de presse où la race des mégalomanes ne passe
non plus inaperçue. Ces derniers veulent à tout prix tirer une
gloire personnelle de la présentation des éditions-phares du
Journal parlé ou télévisé dont ils finissent par
faire un monopole. Ainsi, dans une Rédaction de presse au Bénin,
tout le monde s'est étonné de l'obsession avec laquelle un «
doyen » ayant toujours marqué une indifférence pour la
présentation du journal, ait un beau jour, exercé une sorte de
pression sur ses jeunes confrères pour se voir céder les
commandes de l'édition principale. En fait, ce jour n'était pas
très ordinaire pour la presse, puisque le nouveau président
élu prêtait serment. Eh bien et comme cela crève l'oeil,
chacun aura compris que l'édition de ce jour-là devrait avoir un
écho exceptionnel et conférer à son directeur, plus de
gloriole et de mérite que d'habitude. Seulement, à vrai dire, la
gêne voire le dépit de ses confrères est venu de ce que,
derrière l'acte de ce doyen, il y avait en réalité moins
le souci de bien faire que la prétention de se mettre en valeur et de
marquer un grand coup pour lui-même et pour ses « galons ».
1.4 Les sanctions
1.4.1 La fameuse demande d'explication : l'épouvantail
!
Dans bien des cas, son effet ne va pas plus loin qu'une simple
formalité vis-à-vis d'un fautif qui sait a priori qui ne court
aucun risque. La rapidité et la désinvolture avec lesquelles on
la remplit, indique bien que cet instrument a perdu sa valeur coercitive.
Et si l'on vous la jetait au visage ? Ce serait
évidemment un affront. Et après, qui lavera cet affront ? Autant
ne pas trop se fier à l'autorité supérieure qui peut
louvoyer pour une raison que vous ne cernerez peut-être jamais. De
là proviennent toutes les désillusions du rédacteur en
chef qui finit par réaliser qu'en fait, il ne pèse pas bien lourd
dans la machine de répression ou le « conseil de discipline »
des organes de presse.
Le manque de réaction appropriée de la part de
la hiérarchie affaiblit dangereusement celui qui inflige la demande
d'explication et érode son autorité qui déjà ne
tient qu'à peu de choses. Alors, mieux vaut se garder d'abuser de cette
sanction au risque de se ridiculiser. Car, le fétiche que l'on a
l'habitude de sortir tous les jours finit par perdre son caractère
mystique. Ainsi en est-il de la demande d'explication qui pose en fait tout le
problème d'un fouet qui, à défaut de faire mal, amuse et
va jusqu'à annuler l'obligation de contrition chez le fautif.
1.4.2 La Rédaction en chef: quel pouvoir de sanction ?
Quelle autorité en définitive ?
Souvent condamnée à jouer sur l'esprit de
confraternité et de conciliation pour maintenir la barque et sauver son
« strapontin », la Rédaction en chef joue son autorité.
Laquelle autorité est d'autant plus limitée que celle-ci ne peut
exécuter aucune initiative de sanction sans s'en référer
elle-même à ses supérieurs hiérarchiques. Mais
là n'est pas
le drame si l'on sait que toute administration fonctionne
selon le principe des sanctions graduées suivant le niveau de
hiérarchie. Ce sont plutôt les risques de disgrâce et de
désaveu de la part de l'autorité supérieure qui sont
« mortels » pour une Rédaction en chef. Et n'allez pas croire
que le pire désaveu soit forcément verbal ou public. Loin de
là ! Chaque fois qu'un rapport de la Rédaction en chef concernant
l'un de ses administrés est classé sans suite, cela
équivaut à une humiliation pour qui croyait sévir mais qui
en réalité n'en détient pas le pouvoir.
Parallèlement, il est tout aussi évident que la
bonhomie, l'esprit de compromis poussés à l'excès peuvent
rendre une Rédaction ingouvernable. Et c'est justement là
où le serpent se mord la queue, puisque le cas échéant,
l'autorité hiérarchique sera la première à lui
demander des comptes. Or, la fermeté sans les moyens de la
fermeté ne peut finalement conduire qu'à une impasse. Ainsi
devient-on, à s'y méprendre, le dindon d'une farce tranquille.
Interrogés sur l'autorité dévolue
à leur rédacteur en chef, les confrères de
Radio-Bénin se rangent dans deux camps distincts. Pour les uns, «
cette autorité est insuffisante et mérite d'être
renforcée surtout lorsqu'il arrive que le rédacteur a affaire
à un collaborateur qui se trouve être le protégé
politique d'une autorité ou d'un supérieur hiérarchique
». Dans l'autre camp, par contre, l'on estime qu'il faut se garder de tout
autoritarisme et pour cause: « trop d'autorité inhibe voire tue
l'initiative. Ce qu'on attend d'un rédacteur en chef, c'est qu'il soit
un leader; qu'il ait de l'entregent pour faire faire les travaux par les
collègues, avec enthousiasme et volonté ».
Abordant la question d'un point de vue plus
général, Emmanuel Sotinkon, rédacteur en chef
Enquêtes et Dossiers du journal Adjinakou, adhère
plutôt à l'idée que « le rédacteur en chef
est le personnage clé de toute Rédaction. C'est le commandant
en
chef qui a sous sa tutelle une troupe. A ce titre, il faut lui
obéir, parfois sans discussion. Quant à son autorité, la
question n'est pas de la renforcer ou pas, puisqu'il revient au
rédacteur en chef de savoir en user sans abuser ».
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