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La conférence de rédaction comme outil d'auto-régulation et espace de communication organisationnelle

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par Anicet Laurent QUENUM
Université Cheickh Anta Diop de Dakar - UCAD - DESS 2004
  

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CHAPITRE I

I. LA CONFERENCE DE REDACTION

1.1 La conférence de rédaction : espace de confraternité et de vérité

La conférence de rédaction est une instance professionnelle des journalistes appartenant à un même service de l'Information. Elle constitue l'une des marques distinctives des rédactions qui utilisent justement cette instance professionnelle à des fins de structuration, de cohésion et de gestion des ressources intellectuelles et humaines. La conférence de rédaction offre, en outre, le moyen à toute Rédaction de tester sa capacité d'organisation et de dialogue internes.

Lieu d'échanges, arbre à palabres, espace de prise de décisions, forum de retrouvailles, de communion et de défoulement. La conférence de rédaction est tout cela à la fois ! Autant on y discute de sujets sérieux et graves, autant on s'attarde sur des vétilles. Autant on y prononce des sentences, autant on y décerne des satisfecits. Ainsi, rares sont les conférences de rédaction qui se terminent sur une note grave. Les journalistes ayant eux-mêmes l'art de ces pirouettes qui leur permettent de se frayer des portes de sorties heureuses même au terme des conférences de rédaction les plus houleuses et les plus heurtées.

En fait, à bien y regarder, la conférence de rédaction est à la fois un espace de confraternité, de convivialité et de vérité. Là-dessus, les avis sont convergents à en juger par les propos de Henri Assogba de Radio-Bénin, qui souligne le partage de joies et de peines à travers le contact permanent et les exigences du travail en équipe. Ce que ne dément pas son confrère Serge Mathias Tomondji, rédacteur en chef technique du quotidien Adjinakou lui aussi très sensible au fait qu'on y passe beaucoup de temps

ensemble et qui souligne : « dans une rédaction de presse, il n'y a pas de barrière étanche entre les diverses sections. Le rédacteur en chef n'est pas et ne se comporte pas comme le chef d'un Bureau ou d'une Division administrative qui traiterait ses collègues avec une certaine distance. Dans la presse, on peut très bien avoir des débats houleux en conférence de rédaction et se retrouver l'instant d'après, autour d'un café ou d'une bière».

Supposée être la chose la mieux partagée dans le monde des médias, la tenue régulière des conférences de rédaction se révèle moins évidente à l'épreuve. Tenir une conférence de rédaction relève parfois de la croix et la bannière. S'ils sont assez nombreux à en admettre le principe, c'est dans la pratique, hélas, que s'observent les plus grandes défaillances.

La conférence de rédaction est en principe quotidienne. Elle peut prendre une dimension plus élaborée, plus solennelle dans certaines circonstances particulières : lendemain d'un remaniement ministériel, paralysie de l'administration publique et privée pour fait de grève, rencontre internationale d'importance ou conférence au sommet, en période électorale où une répartition plus rigoureuse des tâches est indispensable. Des consignes professionnelles plus fermes sont données aux différents reporters envoyés sur le terrain. Mais plutôt que d'en faire une exigence ponctuelle ou événementielle, les rédactions gagneraient à systématiser ce rituel dont les effets ne se mesurent qu'en termes d'avantages. Et cela confirme tout le bien que Henri Assogba, journaliste à la Radiodiffusion nationale du Bénin, pense de la conférence de rédaction : « la crainte de se faire remonter les bretelles par des collègues ou d'être toujours indexé comme celui qui collectionne les fautes professionnelles amène à faire plus attention dans l'exercice

quotidien de la profession. A terme, on obtient une plus-value de qualité des prestations »

De même, c'est à l'occasion des conférences de rédaction que le journal prend forme aussi bien dans son contenu que dans sa forme. Le calibrage du journal est aussi l'un des objectifs de la conférence de rédaction. Toutes ces étapes assurent une appropriation collective des éditions du journal qui devient ainsi l'oeuvre de chacun et de tous. Mais, paradoxalement, les conférences de rédaction ne font pas toujours le plein des effectifs en position de travail. Elles n'ont pas beaucoup de succès malgré toute la peine que se donne la Rédaction en chef pour rallier le maximum de confrères à sa cause, allant parfois jusqu'à recourir à des méthodes coercitives.

Manifestement, les conférences de rédaction sont boudées par certains journalistes pour diverses raisons objectives ou subjectives. C'est en effet l'un des rares lieux où le journaliste subit la sanction de ses pairs; un moindre mal par rapport à une décision de justice qui peut marquer à jamais la carrière !

En décrivant la typologie des questions mises en débat à la conférence de rédaction, Claude Agossou, journaliste de Radio-Bénin, cite des cas qui en réalité sont es plus courants :

- un du confrère qui rate un reportage en ignorant les faits les plus marquants ; - un confrère qui, lors d'une interview se laisse écraser par son interlocuteur.

En effet, un reportage mal écrit, un commentaire partial, une interview fade ou encore un magazine déséquilibré n'échappe pas à la critique voire à la sentence de la conférence de rédaction. C'est donc une instance redoutée par tous ceux-là qui sont allergiques à la contradiction, mais aussi par ceux qui estiment avoir d'autres chats à

fouetter, quoique son pouvoir ne dépasse guère celui d'un <<tribunal d'honneur », plus apte à honnir qu'à punir. C'est ce caractère symbolique du pouvoir de sanction de la conférence de rédaction que Godefroy Chabi, journaliste à Radio-Bénin, tente de restituer en indiquant qu' << on y formule des critiques touchant au contenu professionnel. Ces critiques sont formulées par des journalistes en direction de journalistes et ne sont accompagnées d'aucune purge au sens classique du terme mais fonctionnent plutôt comme des dispositifs visant à améliorer le travail dans sa globalité au sein de la Rédaction ».

Seulement, cette notion de <<tribunal d'honneur » ne semble pas du tout convenir à certains confrères. Jacques Philipe da Matha, ancien directeur général de l'ORTB, est de ceux-là et il s'en explique : << ...ce n'est que le cadre où se conçoit le journal; le cadre où les journalistes d'une Rédaction discutent du contenu du journal de la veille et arrêtent les grandes lignes du journal du jour. Il ne s'agit nullement d'un tribunal qui prononce des arrêts ».

Hélas, aussi longtemps que des confrères se complairont dans une attitude de boycott, ce serait un leurre d'espérer améliorer la qualité des conférences de rédaction. Car, ainsi que cela se doit, la conférence de rédaction est l'affaire des vivants et non des fantômes. D'où cette relation évidente entre l'absentéisme obstiné de la majorité et la banalisation des conférences de rédaction et leur déclin tant dans le principe que dans leur teneur.

Le rédacteur en chef le plus doué et le plus ingénieux du monde ne parviendra jamais tout seul, à faire rayonner une conférence de rédaction si autour de lui, se trouvent des collaborateurs plutôt décidés à déserter le forum et pire, à battre campagne contre cette instance. Question de bonne foi: la meilleure attitude à recommander à tous ces

« ennemis » et autres fuyards de la conférence de rédaction, c'est la sagesse et le retour à la raison. Entre la nécessité pour eux de se convertir aux bonnes habitudes et la perspective trop illusoire de réussir à faire décréter le caractère facultatif de la conférence de rédaction, la cause est pratiquement entendue. Bien au contraire, la conférence de rédaction à Radio-Bénin a plutôt de beaux jours devant elle. Du moins, si cela ne tenait qu'à la volonté de Jacques Philippe da Matha, ancien directeur général de l'ORTB qui trouve de nombreuses vertus à cette instance professionnelle en indiquant notamment que « la conférence de rédaction favorise une ouverture d'esprit, élargit l'horizon des connaissances, crée la convivialité, favorise la modestie, l'humilité, l'affirmation de soi et la reconnaissance des autres ».

1.2 La conférence de rédaction pour y laver le linge sale

Invariablement, l'ensemble des confrères sondés ont été unanimes à citer la conférence de rédaction comme meilleure approche en matière d'autorégulation au sein des Rédactions. Et ce n'est point exagéré de l'assimiler à une machine à laver le linge sale en famille. Le témoignage de ce confrère de Radio-Bénin, Maurice Mahounon, ne fait que corroborer cette thèse: « Un jour, j'ai demandé à un collègue d'enregistrer son reportage pour l'édition du soir. Il a refusé et il s'est ensuivi une vive discussion entre nous. Le différend a été porté devant la conférence de rédaction qui a arbitré et tranché le contentieux après avoir permis à chaque collègue d'émettre son avis sur la question». Dans cette même veine, il ajoute : « un autre jour, deux collègues voulant coûte que coûte faire le même reportage se sont retrouvés nez à nez sur le terrain et cela a dégénéré. C'est en conférence de rédaction qu'un terrain d'entente a été trouvé et les deux collègues se sont mutuellement présenté des excuses ».

En clair, laver le linge sale en famille, c'est aussi permettre aux journalistes de faire leur cuisine interne, de se flageller, de s'auto-flageller et de s'amender entre les quatre murs de la Rédaction, un peu comme dans un couvent. Cette manière de faire a ceci d'élégant qu'elle permet de ne pas exposer le collègue en faute à un blâme extérieur ou à la risée de l'opinion publique ; mieux, elle permet de faire l'économie d'un recours aux instances classiques et officielles de régulation telles que l'Observatoire de la déontologie et de l'éthique dans les médias (ODEM) et la Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication (HAAC). A titre d'illustration, voici un témoignage rapporté par un confrère de Radio-Bénin: « il s'agit d'un collègue qui a perçu les frais de mission pour une enquête de terrain et qui s'est contenté de pondre son reportage dans les quatre murs de sa chambre. L'impair a été découvert in extremis avant diffusion. Certes, le public n'a pas été informé de ce bidonnage mais l'intéressé a été sermonné et s'est vu obligé d'aller réellement sur le terrain ».

Il n'y a donc aucun doute là-dessus, la conférence de rédaction est un puissant moyen d'autorégulation même si la coopération attendue des journalistes n'est pas toujours au rendez-vous, notamment de la part de ceux-là qui sont allergiques à la critique. Question d'humilité ou de sociabilité ? Question de bonne foi ? Voici en tout cas l'interprétation qu'en fait Serge Mathias Tomondji, rédacteur en chef technique au quotidien Adjinakou : « certains n'acceptent que du bout des lèvres le fait que le linge qui était sali, est finalement lavé et propre. Mais cela relève tout à la fois de l'éducation de chacun, de sa capacité à transcender la situation qui a sali le linge pour ne considérer désormais plus que le linge ».

Pour démontrer que tout n'est pas toujours rose en matière d'autorégulation, Serge

rédaction, un des rédacteurs en chef a essuyé un acte caractérisé d'insubordination. L'un des journalistes de la Rédaction s'emporta de façon véhémente contre le rédacteur en chef qui s'insurgeait contre le fait que les papiers28 ne tombaient pas à temps et critiquait la propension des membres de la Rédaction à ne faire du zèle que sur les reportages perdiemisés29. Malgré les injonctions d'un autre des rédacteurs en chef du journal qui dirigeait du reste la conférence de rédaction, le journaliste refusa de présenter ses excuses à son supérieur. Il aura fallu 24 heures et une autre conférence de rédaction ainsi que l'ultimatum de se séparer de ce journaliste s'il n'obtempérait pas, pour que celui-ci daigne enfin se plier. Mais, à la vérité, il n'a fait que sacrifier à une formalité d'excuses, sans conviction, puisqu'il n'avait pas arrêté de s'interroger sur le tort qu'il avait commis ». Résultat des opérations, poursuit le confrère: « le linge a été lavé, mais sera-t-il jamais encore propre, notamment entre ces deux principaux acteurs de l'épisode ? Rien n'est moins sûr. Mais, pour positiver l'autorégulation, on pourrait simplement penser comme Magatte DIOP de la RTS-Kaolack30 qu'en la matière, il n'y a pas mieux que le dialogue, la discussion franche et sans détours et le débat sincère.

1.3 Sursaut de professionnalisme sous régime de concurrence

Qu'on ne s'y méprenne pas, les années de monopole de la presse d'Etat sont révolues ; ces années de tranquillité où les journalistes n'avaient pas à se fouler la rate pour meubler leurs éditions: les séminaires et autres communiqués officiels suffisaient à organiser l'hypertrophie de la page nationale, laquelle pouvait être complétée par quelques nouvelles étrangères triées sur le volet. Mais depuis la fin des années 80, force est de reconnaître que, la concurrence aidant, les conférences de rédaction sont rentrées dans une nouvelle dynamique de professionnalisme et d'émulation à Radio-

28 entendre par « papiers » les articles, selon un jargon très journalistique

29 c'est une allusion aux reportages juteux, dont la couverture donne lieu à des enveloppes ou autres largesses

30 station régionale de la Radio-télévision du Sénégal à Kaolack

Bénin. Ainsi, la logique ancienne où le journaliste attendait que l'information vienne jusqu'à lui a cédé la place à une quête plus offensive de l'actualité dans un espace où l'audience est à la fois fonction de célérité, d'exhaustivité et de la fiabilité.

Bref, il aura fallu ce nouvel environnement concurrentiel pour relancer le sens de l'imagination et de l'investigation des journalistes de la presse officielle qui ont dû réapprendre à se servir de la conférence de rédaction comme cadre d'expression, de réflexion et de gestion collective des défis. Elle permet de sauver une édition dépourvue de tout compte-rendu de séminaire et autres activités officielles, de la banalité et de la platitude. C'est souvent grâce aux conférences de rédaction que, parties de rien du tout, des équipes en position de journal ont réussi à donner de l'éclat et un écho spectaculaire à certaines éditions. Il en va de même pour les éditions dominicales où, a priori, l'actualité est réduite à sa plus simple expression. La solution : une conférence de rédaction sérieusement animée, une équipe volontariste, quelques idées lumineuses, un peu de perspicacité, des moyens techniques adéquats et le « miracle» devient possible!

Dans ces conditions, pourquoi ferait-on de la participation aux conférences de rédaction, un devoir facultatif ? Le préjudice pour les rédactions en serait incommensurable en termes de laisser-aller et de légèreté professionnelle. Chacun y viendrait le jour et à l'heure de son choix et donnerait à chaque édition du journal parlé un contenu intéressé au mépris, il faut s'y attendre, de toute déontologie.

Autrement dit, on ne fera jamais assez confiance à un directeur de journal en lui laissant un blanc-seing en ce qui concerne la gestion du contenu d'une édition. Du moins, si le sérieux, la bonne foi et la conscience professionnelle d'un confrère le permettent, il sera possible de lui faire confiance de façon incidente sans cependant

jamais ériger ce type de dérogation en système de gestion des journaux écrits ou parlés.

1.3.1 La gestion du temps

Les conférences de rédaction les plus réussies ne sont pas les plus longues. La qualité d'une conférence de rédaction ne se mesure pas à sa durée et est encore moins fonction du nombre d'interventions enregistrées. L'interminable est la spécialité des indécis, selon le mot de Emil Michel Cioran. Nuance tout de même : il est arrivé que certaines conférences de rédaction aient duré plus de trois heures sans que cela n'ait été particulièrement lassant. Mais en vérité, il s'agit plutôt là de l'exception. Les allées et venues intempestives suivies des craquements des portes sont un baromètre assez fiable de la chute de l'intérêt et des facultés de concentration des participants. Pour des raisons d'efficacité, on gagnerait à faire court. Pour l'ensemble des confrères à qui il a été demandé de fixer la durée raisonnable d'une conférence de rédaction, les réponses s'inscrivent toutes dans cette tendance : « trente minutes! Mais s'il y a suffisamment de choses à dire et si l'actualité est vraiment dense, elle peut aller rigoureusement à quarante cinq minutes et pas plus ».

Autant le dire : certaines conférences de rédaction censées être passionnantes au regard par exemple de l'ordre du jour deviennent désespérément insipides et sans relief de par la volonté délibérée des participants eux-mêmes qui, pour divers motifs, se braquent délibérément dans une politique du mutisme. Cette pratique est monnaie courante dans une Rédaction où prévaut un malaise avoué ou inavoué et qui se traduit par une attitude quasi généralisée de collègues qui déclinent les uns après les autres toute offre de parole de la Rédaction en chef. Ainsi, point de discussion, point

d'opinions à émettre et le débat se meurt faute de "débatteurs". Au rédacteur en chef de comprendre et d'aviser...

Les plus diseurs ne sont pas les grands faiseurs. Ceux qui ont tenu le plus longtemps le crachoir ne seront pas forcément les plus entreprenants au moment de la répartition des articles à produire pour l'édition de 13 heures. Hélas, un journal ne peut pas bâtir son audience sur la capacité à remuer des idées ou sur la loquacité in vitro de ses animateurs ou rédacteurs. Certes, les papiers de fond (analyses et commentaires) qui sont les plats de résistance à servir aux auditeurs sont supposés faire l'objet d'échanges internes à l'occasion de la conférence de rédaction. Mais là ne s'arrête pas le processus. Le plus dur reste à faire tant qu'on n'a pas trouvé la plume rare qui accoucherait du commentaire tant attendu qui ferait mouche...

A défaut de candidats volontaires, il revient au rédacteur en chef de désigner et dans le pire des cas, de s'offrir pour assumer la charge et bien souvent pour donner l'exemple. Moralement, il a quelque part le devoir de ne jamais baisser la garde là où les confrères adoptent un profil bas ou se débinent. Mieux, en pareille conjoncture, il a plutôt un défi à relever : réussir là où les autres ont échoué. Cela en rajouterait à son « grade ». Heureusement, il y en a qui ont réussi à jouer très honorablement cette partition ; tel ce rédacteur en chef qui, pour enseigner par l'exemple, a pris l'initiative d'assurer lui-même le reportage à chaud du braquage d'une banque de la place et la prestation fut digne de celle d'un chef.

En somme, la conférence de rédaction reste un concentré de la vie de la rédaction. Elle
est encore plus un lieu de ralliement, un creuset professionnel quant on sait que
certains confrères, pour cause de programmation non concordante, pourraient passer

deux semaines sans se rencontrer. La Rédaction en chef profite de ces occasions pour redécouvrir et réévaluer les performances mais aussi le moral de la troupe.

Par ailleurs, l'on ne saurait oublier que la Rédaction est une mini cité avec tout son kaléidoscope de tempéraments, de comportements, de sensibilité et d'aspirations. Chacun y vient avec son histoire personnelle. Sont alors condamnés à y cohabiter des modérés et des extrémistes, des médiateurs et des pyromanes, des indécis et des convaincus, des conseillers et des moralisateurs, des « raseurs de murs » et des vedettes, des taciturnes et des trublions, des légalistes et des arrivistes, etc.

Preuve qu'il faut un peu de tout pour faire une Rédaction de presse où la race des mégalomanes ne passe non plus inaperçue. Ces derniers veulent à tout prix tirer une gloire personnelle de la présentation des éditions-phares du Journal parlé ou télévisé dont ils finissent par faire un monopole. Ainsi, dans une Rédaction de presse au Bénin, tout le monde s'est étonné de l'obsession avec laquelle un « doyen » ayant toujours marqué une indifférence pour la présentation du journal, ait un beau jour, exercé une sorte de pression sur ses jeunes confrères pour se voir céder les commandes de l'édition principale. En fait, ce jour n'était pas très ordinaire pour la presse, puisque le nouveau président élu prêtait serment. Eh bien et comme cela crève l'oeil, chacun aura compris que l'édition de ce jour-là devrait avoir un écho exceptionnel et conférer à son directeur, plus de gloriole et de mérite que d'habitude. Seulement, à vrai dire, la gêne voire le dépit de ses confrères est venu de ce que, derrière l'acte de ce doyen, il y avait en réalité moins le souci de bien faire que la prétention de se mettre en valeur et de marquer un grand coup pour lui-même et pour ses « galons ».

1.4 Les sanctions

1.4.1 La fameuse demande d'explication : l'épouvantail !

Dans bien des cas, son effet ne va pas plus loin qu'une simple formalité vis-à-vis d'un fautif qui sait a priori qui ne court aucun risque. La rapidité et la désinvolture avec lesquelles on la remplit, indique bien que cet instrument a perdu sa valeur coercitive.

Et si l'on vous la jetait au visage ? Ce serait évidemment un affront. Et après, qui lavera cet affront ? Autant ne pas trop se fier à l'autorité supérieure qui peut louvoyer pour une raison que vous ne cernerez peut-être jamais. De là proviennent toutes les désillusions du rédacteur en chef qui finit par réaliser qu'en fait, il ne pèse pas bien lourd dans la machine de répression ou le « conseil de discipline » des organes de presse.

Le manque de réaction appropriée de la part de la hiérarchie affaiblit dangereusement celui qui inflige la demande d'explication et érode son autorité qui déjà ne tient qu'à peu de choses. Alors, mieux vaut se garder d'abuser de cette sanction au risque de se ridiculiser. Car, le fétiche que l'on a l'habitude de sortir tous les jours finit par perdre son caractère mystique. Ainsi en est-il de la demande d'explication qui pose en fait tout le problème d'un fouet qui, à défaut de faire mal, amuse et va jusqu'à annuler l'obligation de contrition chez le fautif.

1.4.2 La Rédaction en chef: quel pouvoir de sanction ? Quelle autorité en définitive ?

Souvent condamnée à jouer sur l'esprit de confraternité et de conciliation pour maintenir la barque et sauver son « strapontin », la Rédaction en chef joue son autorité. Laquelle autorité est d'autant plus limitée que celle-ci ne peut exécuter aucune initiative de sanction sans s'en référer elle-même à ses supérieurs hiérarchiques. Mais là n'est pas

le drame si l'on sait que toute administration fonctionne selon le principe des sanctions graduées suivant le niveau de hiérarchie. Ce sont plutôt les risques de disgrâce et de désaveu de la part de l'autorité supérieure qui sont « mortels » pour une Rédaction en chef. Et n'allez pas croire que le pire désaveu soit forcément verbal ou public. Loin de là ! Chaque fois qu'un rapport de la Rédaction en chef concernant l'un de ses administrés est classé sans suite, cela équivaut à une humiliation pour qui croyait sévir mais qui en réalité n'en détient pas le pouvoir.

Parallèlement, il est tout aussi évident que la bonhomie, l'esprit de compromis poussés à l'excès peuvent rendre une Rédaction ingouvernable. Et c'est justement là où le serpent se mord la queue, puisque le cas échéant, l'autorité hiérarchique sera la première à lui demander des comptes. Or, la fermeté sans les moyens de la fermeté ne peut finalement conduire qu'à une impasse. Ainsi devient-on, à s'y méprendre, le dindon d'une farce tranquille.

Interrogés sur l'autorité dévolue à leur rédacteur en chef, les confrères de Radio-Bénin se rangent dans deux camps distincts. Pour les uns, « cette autorité est insuffisante et mérite d'être renforcée surtout lorsqu'il arrive que le rédacteur a affaire à un collaborateur qui se trouve être le protégé politique d'une autorité ou d'un supérieur hiérarchique ». Dans l'autre camp, par contre, l'on estime qu'il faut se garder de tout autoritarisme et pour cause: « trop d'autorité inhibe voire tue l'initiative. Ce qu'on attend d'un rédacteur en chef, c'est qu'il soit un leader; qu'il ait de l'entregent pour faire faire les travaux par les collègues, avec enthousiasme et volonté ».

Abordant la question d'un point de vue plus général, Emmanuel Sotinkon, rédacteur en
chef Enquêtes et Dossiers du journal Adjinakou, adhère plutôt à l'idée que « le
rédacteur en chef est le personnage clé de toute Rédaction. C'est le commandant en

chef qui a sous sa tutelle une troupe. A ce titre, il faut lui obéir, parfois sans discussion. Quant à son autorité, la question n'est pas de la renforcer ou pas, puisqu'il revient au rédacteur en chef de savoir en user sans abuser ».

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote