CHAPITRE II
II. SOURCES DE CONFLITS / DYSFONCTIONNEMENTS
D'ORDRE
DEONTOLOGIQUE
2.1 L'attaché de presse en question
2.1.1 Attaché de presse du ministre ou du
ministère ?
L'exercice de la fonction d'attaché de presse donne
parfois lieu à des dérapages dommageables à l'image du
journaliste lui-même et à sa profession. Hormis le fait que
l'opinion au sein de sa propre corporation lui est largement
défavorable, l'attaché de presse doit aussi affronter et
démentir par son comportement professionnel, les nombreuses idées
reçues qui font de lui un banal valet du ministre. C'est dire à
quel point l'on ne vend pas cher l'étoffe de l'attaché de presse
dans l'environnement des médias africains. Et il y a bien une cause
à cela...
En réalité, le mal provient de ce que, un
certain goût immodéré de l'affairisme, l'arrivisme, la
vénalité, l'immaturité, la légèreté,
la faiblesse de caractère, le manque de personnalité, ont
contribué à dévoyer une fonction qui, comme toutes les
autres, ne vaut que ce que valent ceux qui l'exercent.
Alors, il est évident qu'un excès de
servilité et de courbettes ne peuvent qu'à terme, fragiliser et
crétiniser l'attaché de presse. Le cas échéant, le
journaliste y perd toute autonomie de pensée et d'action, à la
limite prêt à s'effacer devant la volonté de son
maître. C'est cette déviance poussée à
l'extrême qui a engendré au sein de la corporation, la race des
attachés de presse -coursiers et porteurs de valisettes. Bref, des
journalistes à tout faire qui poussent si loin leur degré de
soumission à leur ministre
ou président (d'institution) au point que l'on en vient
à se demander s'ils sont « attachés à la personne
» de ce dernier ou s'ils sont au service du ministère qui les
emploie. Dans certains cas, la nuance n'est pas évidente ; il y a comme
une confusion délibérément entretenue par quelques
attachés de presse qui y trouvent leur compte.
Curieusement, dans l'euphorie de la jouissance des avantages,
les AP ont tendance à oublier que leur prospérité est
éphémère est surtout tributaire de la
longévité ou non du patron. Qu'il s'agisse d'un ministre ou de
tout autre haut fonctionnaire de l'Etat, rien n'est éternel et son
fauteuil éjectable peut basculer le temps d'un revers électoral,
et du jour au lendemain, l'AP pourrait se retrouver sans attache. Et justement,
cette incertitude du lendemain, cette angoisse de l'infortune peut faire de
l'AP, un homme trop pressé ou carrément arriviste selon les
cas.
De cela peuvent découler les pires excès qui
donnent à penser que les chances d'exercer honnêtement, en toute
droiture et dans les règles de l'art, la fonction d'attaché de
presse relève d'une gageure. Seulement, la tendance un peu facile
à fulminer sans discernement contre les AP et à les loger tous
à la même enseigne est préjudiciable à ceux qui ont
peut-être encore la faiblesse de croire à la pureté de
cette fonction qui relève fondamentalement des relations publiques. Sa
pratique éveille moins de polémiques, de suspicions et de
malaises lorsqu'elle est exercée en dehors du cadre des
rédactions de presse.
2.1.2 Ce qu'on y gagne : les privilèges, l'ouverture
au monde...
Il est clair que le journaliste qui accepte la
responsabilité d'attaché de presse ne le fait pas pour les
beaux yeux de son maître. Toute peine mérite salaire dit-on. Mais
c'est moins le salaire que les faveurs et les largesses d'un patron
généreux qui font les
beaux jours d'un attaché de presse. Selon l'humeur du
ministre ou du président, l'attaché de presse est gratifié
de divers biens, à commencer par les fameux ticketsvaleur ou bons
d'essence et Dieu sait que ça dépanne !
Autres avantages : les missions et les voyages qui
représentent le moyen par lequel un journaliste devenu attaché de
presse, peut multiplier par dix ou vingt ses chances de visiter les cinq
continents de la planète. Alors, ce serait à peine
exagérer que de percevoir la fonction d'attaché de presse comme
une porte d'entrée du journaliste dans la mondialisation. Car,
par-delà les considérations matérielles, il y a le niveau
de culture qui s'en porte mieux pour peu que l'on sache s'ouvrir à
l'essentiel. Un attaché de presse passionné de best-sellers sur
la littérature moderne ou friand de bouquins scientifiques rares saura
faire de ces voyages une aubaine pour étoffer et garnir à l'envi
sa bibliothèque. Pour un journaliste, cela a du prix!
Par ailleurs, à force d'arpenter les couloirs des
grands centres de décision, mais aussi à force de tutoyer les
hommes politiques, l'attaché de presse devient le témoin d'une
foule de situations qui lui permettent de mieux appréhender la
réalité du pouvoir et se faire une opinion sur ceux qui nous
gouvernent. Autant de choses qui peuvent contribuer à son
mûrissement personnel. Aussi, faut-il ajouter que l'attaché de
presse, à travers ses pérégrinations, a la latitude
d'enrichir admirablement son carnet d'adresses et même de pouvoir serrer
la main à quelques « grands » de ce monde. C'est une belle
manière de faire oeuvre utile : entretenir un réseau de
relations, précieuse richesse qui peut servir au-delà de la
carrière.
2.1.3 Ce qu'on y perd : la dignité
L'attaché de presse est en principe un acteur
incontournable dans l'action promotionnelle des ministères et
institutions. Son utilité devient plus visible à l'occasion des
tournées et missions de son patron mais aussi chaque fois que ce dernier
doit intervenir dans les médias. L'attaché de presse joue les
médiateurs en période de crise en négociant l'accès
de son patron aux médias. Les moins chanceux ou les plus
zélés sont en plus appelés à rédiger des
communiqués, contre-communiqués et droits de réponse et
même à rédiger et à proposer au ministre, une revue
de presse quotidienne. Ainsi, les périodes d'effervescence politique ou
de crise sociale sont très éprouvantes pour l'attaché de
presse qui n'a droit au répit que lorsque l'orage est passé. En
attendant que son ministre se décide à sortir de sa
réserve pour répondre officiellement aux éventuelles
attaques de la presse, l'attaché de presse est parfois contraint d'aller
au charbon avec ce que cela implique comme risques de compromission pour un
journaliste.
Bon an mal an, il est du ressort de l'attaché de presse
de rechercher en permanence les moyens par lesquels il doit réussir
à projeter l'image la plus reluisante possible du ministère ou de
l'institution qu'il sert. Et c'est malheureusement cette « obsession de
l'enjoliver » qui l'éloigne des principes éthiques du
journalisme. Car, dans un dossier qui engage la crédibilité de
« son » ministère, il est plutôt rare qu'un
attaché de presse se démène particulièrement pour
rechercher l'équilibre entre plusieurs vérités.
Généralement, c'est celle de son ministre qui fait foi et
autorité. Il est donc clair qu'un attaché de presse ne pourra
jamais avoir la confiance de son rédacteur en chef quand il s'agira du
traitement d'un dossier dans lequel son ministre est trempé.
Les risques de manipulation et de partialité sont
immenses et apportent de l'eau au moulin des partisans de la thèse de
l'incompatibilité entre journalisme et fonction d'attaché de
presse. Et si, le souci d'un traitement équitable de l'information a
amené par exemple, la Haute Autorité de l'Information et de la
Communication du Bénin (HAAC)24 à exclure les
attachés de presse de la couverture médiatique des campagnes
électorales de 1999 et 2001, ces derniers ne devraient pas en rougir.
Bien au contraire, cette précaution les préserve d'une occasion
de chute professionnelle. A signaler d'ailleurs que la mesure concernait
notamment les attachés de presse dont les ministres ou patrons
étaient candidats à la députation ou à la
magistrature suprême.
En vérité, la difficulté, c'est moins la
connaissance de la loi que son respect. Et de ce point de vue, combien
d'attachés de presse se sont fixé des limites dans la
défense des intérêts de leurs maîtres ? Combien
d'entre eux ont assez de maturité et de témérité
pour dire non à un ministre ou un responsable d'institution qui
tenterait de faire d'eux les boucs émissaires d'un montage de
contre-vérités à des fins de manipulation de l'opinion
publique ? Certes, il y en a, mais trop peu nombreux pour justifier
l'exception, pour donner de la voix et faire école. Et pourtant, il
suffira au moins une fois, si cela s'impose, de pouvoir et d'oser dire ce
« non» catégorique qui valorisera sa propre personne et son
métier et bien plus, pour s'offrir l'occasion de donner à un
responsable politique, une leçon d'honneur et de dignité.
Mieux, c'est encore à l'attaché de presse
lui-même de faire comprendre à ses employeurs que son
rôle ne saurait se limiter à déambuler dans les
allées des séminaires pour la gestion des perdiems, encore
moins pour n'assurer que le suivi des
24 La Haute autorité de l'audiovisuel et de la
communication instituée par les articles24, 142 et 143 de la
Constitution du 11 décembre 1990 veille au respect des libertés.
Elle a pour mission de garantir et d'assurer la liberté et la protection
de la presse, ainsi que tous les moyens de communication de masse dans le
respect de la loi. Elle veille au respect de la déontologie en
matière d'information et d'accès équitable des partis
politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d'information
et de communication
photocopies de documents et la ventilation des discours. Ce
n'est point valorisant pour un journaliste. N'empêche, beaucoup de doyens
sont passés par-là et ne le regrettent pas forcément en
faisant la balance entre les servitudes subies et les intérêts
engrangés. C'est à croire que la fonction semble toujours avoir
de longs jours devant elle. Surtout que - et il est bon de le savoir- ce n'est
pas sous tous les cieux que l'attaché de presse est perçu comme
un suspect et traité comme la cinquième roue du carrosse.
2.2 L'attaché de presse et sa
Rédaction
Les Rédactions de la radio et de la
télévision nationales sont les principales pourvoyeuses
d'attachés de presse. C'est dans ce vivier que viennent puiser la
quasitotalité des institutions, les ministères et même la
présidence de la République. Cela suffit à donner de la
légitimité aux attachés de presse qui sont surtout
conscients d'être, après tout, en mission pour l'Etat. Cette
tutelle qui ne dit pas son nom n'en constitue pas moins un bouclier contre les
offensives peu amènes de ceux qui brandissent la menace de
dégager les « AP » de l'effectif des organes de presse pour
les reverser à l'administration à laquelle ils sont «
attachés ». C'est dire à quel point la controverse est vive
entre partisans et adversaires du cumul des genres; la tension se ravive
lorsqu'en période électorale, interdiction est faite aux «
AP » d'en assurer la couverture.
Dans de nombreux cas, la mise à exécution d'une
telle menace enlèverait à ces AP leur pouvoir d'action, leur
opérationnalité, leur efficacité, voire leur raison
d'être. Car, n'oublions pas que c'est leur appartenance aux
Rédactions, leur capacité à influencer certains choix,
leur capacité à tirer profit du pouvoir d'information des
médias auxquels ils appartiennent, qui justifient leur utilité et
déterminent la portée de leurs prestations.
Seulement, plus une Rédaction réunit
d'attachés de presse, plus ces derniers sont en mauvaise posture. Il ne
se passera pas un seul jour sans que le rédacteur en chef n'ait à
se plaindre de leur extrême mobilité dans la mesure où ils
sont appelés presque quotidiennement à répondre à
l'appel sur deux fronts: la Rédaction et le ministère. Deux
obligations qui se concurrencent au détriment des Rédactions
déjà mal loties du point de vue des effectifs. Plus des deux
tiers des journalistes officiant à la Rédaction de la Radio
nationale portent cette casquette d'attaché de presse cumulativement
avec leurs activités de journaliste. Et si l'on en croit Godefroy Chabi,
« cette situation est source de piétinements faits de partis pris
et de coloration dans le travail des intéressés ».
Manifestement, leur situation ambivalente donne du fil
à retordre à la rédaction en chef qui se trouve contrainte
d'assumer les défaillances qui en découlent et de gérer
les perturbations que cette même situation engendre au niveau de la
programmation. Evidemment, dans cette gestion des impondérables, il ne
manquera pas de battre campagne pour trouver un remplaçant ou un
suppléant. Mais en cas d'échec, il assumera lui-même et
cela est monnaie courante dans les rédactions à effectif
réduit.
Tel attaché de presse, initialement programmé
à la présentation du journal se retrouve en mission avec son
ministre, tel autre en position de reportage est finalement retenu dans une
session à l'Assemblée Nationale...Voilà autant
d'équations à résoudre de la meilleure façon par la
rédaction en chef, qui, il faut le dire, éprouve beaucoup de
peine à maîtriser cette catégorie de collaborateurs. Et
pourtant, les mêmes rédacteurs en chefs savent que ces
attachés de presse ne sont pas capables que du pire. Ils sont capables
d'user de leurs relations au sommet de l'Etat pour aider les Rédactions
à ouvrir des portes qui se ferment habituellement sous le nez des
journalistes. Ils sont
capables de donner un coup de main à un collègue
qui se plante dans une enquête politiquement sensible. Ils sont en outre
capables de mettre la puce à l'oreille à leurs confrères
dans une situation de rétention de l'information. Alors, est-ce possible
que tout cela n'ait pas un prix?
Nuance tout de même, car si ce mode de fonctionnement de
l'attaché de presse ainsi décrit est très proche de la
réalité béninoise par exemple, il en va autrement dans
d'autres pays de la sous-région comme le Burkina Faso et le
Sénégal où l'attaché de presse n'a pas toujours
pour cadre de travail la Rédaction. Telle semble d'ailleurs la meilleure
formule pour éviter le piège de la duplicité.
Quoiqu'il en soit, on remarque le souci de plus en plus
manifeste chez les confrères de Radio-Bénin de ne pas laisser
confondre le journalisme avec les métiers de la communication et que
Alain ACCARDO dans son ouvrage journalistes au quotidien 25 qualifie
de « nébuleuse allant des attachés de presse aux
publicitaires en passant par les dircom26 et les
journalistes d'entreprise ».
2.3 Le journaliste, la politique et la carte du
parti
Peut-on servir deux maîtres avec une égale
fidélité ? Non, nous répond l'Evangile arguant que l'un
sera aimé et l'autre haï (Mt. 6 / 24). Il en va également
ainsi du journalisme et de la politique qui constituent deux univers
inconciliables. Mieux, nos maîtres nous ont enseigné que les deux
options étaient incompatibles. Mais, ça c'est pour les
théories d'école. Nos organes de presse nous font
découvrir chaque jour d'autres réalités.
L'expérience du terrain n'arrête pas de contrarier cette
leçon des
25 Accardo (Alain), les journalistes au
quotidien, Editions Le Mascaret, Bordeaux, 1995, p.29
26 Dimunitif de « directeur de la
communication»
puristes de la profession. Est-ce pour autant qu'elle n'a pas
été assimilée ? Non, apparemment, la raison ou les raisons
seraient ailleurs.
La sagesse recommande que le détenteur de la carte d'un
parti n'en fasse pas un secret, un jeu de cache-cache au point d'abuser de la
bonne foi de sa Rédaction et de ses confrères. C'est une
responsabilité qu'il faut plutôt assumer avec toutes les
implications professionnelles qui en découlent, à commencer par
l'incapacité temporaire à couvrir les activités du parti
politique dont on est membre. Il serait en tout cas plus responsable de prendre
de la distance par rapport aux événements auxquels se trouve
mêlé son parti politique. Godefroy Chabi de Radio-Bénin ne
le pense pas moins lorsqu'il suggère une alternative qui consisterait
à « isoler momentanément tout journaliste reconnu sous
l'influence des milieux politiques en le destinant à une autre
tâche au sein de la Rédaction de presse ».
Abondant dans le même sens, Serge Tomondji,
précédemment commentateur à Radio Pulsar de Ouagadougou,
propose ce qui lui semble être la solution de sagesse : « mieux vaut
ne confier à cette catégorie de journalistes que des
comptes-rendus qui n'ont pas de grandes conséquences sur la ligne
éditoriale de l'organe ».
Loin de jeter l'anathème sur le journaliste militant
politique, les journalistes interrogés sur cette question
conçoivent qu'au nom de la liberté d'association reconnue
à tout citoyen, le journaliste, lui aussi, puisse s'en prévaloir
pour s'affilier à un courant politique. « Chacun est libre de
militer où il veut, mais que cela ne se reflète pas dans le
traitement de l'information » concède Mme Magatte Diop, chef de
station de la Radiotélévision sénégalaise à
Kaolack, comme pour dire que le cas de la presse béninoise n'est pas
isolé.
Mais, là où le bât blesse et là
où naissent les conflits, regrette Emmanuel Sotinkon, c'est que < le
journaliste membre d'un parti politique est souvent enclin à prendre
parti dans ses analyses, commentaires, reportages, ce qui altère son
obligation de neutralité et d'objectivité ». Et à
Claude Agossou de Radio-Bénin d'ajouter que le vice vient de ce qu' <
il confond l'information et la voix de son maître ». Or, ce genre de
situations, très inconfortables pour l'image des Rédactions,
finissent toujours par mettre le journalistemilitant à mal avec ses
confrères et sa Rédaction qui ne lui pardonnent pas de leur faire
endosser des opinions et des commentaires partisans. Et c'est peut-être
ce genre de déconvenues qui justifient la fermeté de Jacques
Philippe da Matha qui n'y va pas du dos de la cuillère pour trancher le
sort des journalistes-militants-partisans : < ils trahissent la profession.
Ils sont en porte à faux avec la déontologie et l'éthique
de la profession et n'ont pas leur place au sein des Rédactions
».
Une chose paraît désormais sûre, c'est que
<face à l'essor des radios privées, la direction des radios
d'Etat a besoin de professionnels de valeur plus que de militants politiques
»27.
En revanche, s'il doit y avoir pour le journaliste, un
défi encore plus grand que la < neutralité » politique,
cela résiderait certainement dans sa capacité de réaction
professionnelle sous l'emprise des sollicitations partisanes. Ce qui nous
conduirait à partager avec la Société Radio Canada cette
réflexion selon laquelle < ... Le professionnalisme, pour un
journaliste, ce n'est pas tant l'absence d'opinions ou d'émotions que la
capacité de les reconnaître et de s'en distancier, pour
présenter l'information objective» (Société Radio
Canada / Normes et pratiques journalistiques). Et comme pour dire
que le débat sur l'objectivité n'est pas si simple, Henri Assogba
de
27 A.J. TUDESQ, l'Afrique parle, l'Afrique
écoute - Les radios en Afrique subsaharienne, Karthala 20002,
p.90
Radio-Bénin interpelle en ces termes : qui nous dit que le
journaliste qui n'affiche pas ouvertement son appartenance politique traite
« objectivement > l'information ?
2.4 Les journalistes partisans : taupes des
Rédactions
Cette étiquette de «taupe> n'est
malheureusement pas un produit de l'imagination ou une simple boutade pour
enquiquiner les journalistes partisans. Dans la corporation, certains ont fait
de la délation un fond de commerce dans l'unique dessein de gravir au
plus vite les marches de la hiérarchie. Et la condition pour y arriver,
c'est d'être nécessairement à la solde de quelques patrons
influents. Ce qui pourrait laisser croire, à tort ou à raison,
qu'ils n'ont aucun autre atout de réussite, aucune chance
d'émergence professionnelle en dehors de l'allégeance ou du
militantisme politique.
Cette réalité n'est pas propre au journaliste.
On la rencontre dans toute l'administration, mais dans une rédaction de
presse, le phénomène prend une autre dimension. Car, hormis le
fait d'être de véritables empêcheurs de tourner en rond, ils
contribuent à rétrécir le champ d'expression, de critique
et d'action de leurs collègues au sein de la rédaction. Mais il
en sera ainsi aussi longtemps que l'on comptera dans l'effectif des
rédactions des « protégés> ou des «valets>
de ministres, de leaders politiques ou de responsables d'institutions.
Entre deux maux, le bon sens recommande de choisir le moindre.
Ainsi, les journalistes auraient de loin préféré une
menace à leur liberté d'expression venant de forces
exogènes plutôt que cela soit en sous-main l'oeuvre de
délateurs tapis dans leurs rangs. C'est hélas la preuve que l'on
n'est trahi que par les siens. Et en fait de trahison, c'est en
réalité un sacrilège quand on sait à quel point les
journalistes, par essence, sont jaloux du secret de certaines de leurs
conférences de rédaction qui prennent des
allures de conclave. Alors qu'ils tiennent leurs
conférences de rédaction pour un couvent, on comprend que toute
fuite de décision stratégique de ce forum soit de nature à
fragiliser leur pouvoir. Raison pour laquelle les visiteurs et autres
allogènes qui ont tendance à confondre Rédaction et salle
des pas perdus sont vigoureusement rappelés à l'ordre.
En clair, les journalistes ont encore un long chemin à
parcourir pour atteindre l'idéal d'unité et de solidarité
capable de résister à l'épreuve des tentations
pécuniaires, des querelles de clochers, et des rivalités
partisanes avouées ou non. Mais au fond, il s'agit aussi bien d'une
question d'éthique que de maturité et là il convient de ne
pas loger à la même enseigne tous les journalistes partisans.
2.5 La course aux cabinets
ministériels
Les lendemains de scrutins présidentiels ou de
remaniements ministériels sont souvent pénibles pour les
rédactions. En effet, c'est le moment où il faut s'attendre
à une hémorragie du fait de la course aux nominations dans les
cabinets ministériels. Le phénomène est
général et s'observe avec la même acuité dans la
plupart des pays de la sous-région. Les journalistes sont à
l'affût, prêts à mettre en branle leurs réseaux de
relations politiques et d'affinités ethniques pour se faire hisser
à la tête d'un service de communication au sein d'une
entreprise.
C'est aussi la période où la chasse au poste
d'attachés de presse devient très féroce. Mais,
l'alternance à ces postes se fait souvent dans le ressentiment et
l'inimitié lorsque tel confrère doit succéder à un
autre dans un ministère. Cela est perçu comme une manière
de torpiller ses intérêts. Il n'est d'ailleurs pas si rare
d'entendre dire que tel a suscité l'éviction d'un collègue
dans le dessein de pouvoir accéder lui aussi à sa part de
délices ». Il n'en faut pas plus pour se
convaincre de l'immense enjeu que constitue pour les journalistes,
l'accès aux cabinets ministériels. Mais en réalité,
le phénomène est diversement apprécié d'un pays
à un autre. Il est plus dramatisé et décrié au
Bénin qu'au Burkina Faso par exemple où le secteur de la
communication dans la plupart des ministères, est érigé en
direction, à la charge d'un journaliste officiellement nommé en
Conseil des ministres.
2.6 La désaffection des Rédactions et le
rétrécissement des effectifs
Dans l'ensemble des structures qui composent les organes de
presse, les Rédactions passent souvent pour des lieux
stratégiques en raison du pouvoir qui s'y exerce : celui de
l'information. De l'extérieur, ces Rédactions jouissent d'une
auréole de prestige. Mais rares sont les journalistes d'une certaine
ancienneté qui se déclarent volontaires pour y servir. On y
consent trop de sacrifices; on est trop exposé à la sanction
professionnelle et publique. D'où la tentation de passer de l'autre
côté de la rive, non pas seulement par souci
d'altérité mais aussi pour échapper à l'emprise de
la rigueur de fer des rédactions. D'où cette hémorragie
qui caractérise de façon cyclique les services de l'information
et où l'on assiste à la « fuite des doyens ».
Lorsqu'on a traîné sa « bosse » pendant
vingt (20) ans dans une ou plusieurs Rédactions, il y a un fort risque
de saturation et de démotivation. Pis, la sclérose est là,
ce mal qui affecte les finissants, condamnés à ronger leurs
freins dans un environnement peu incitatif. Cette situation provient de
l'inexistence d'un réel plan de carrière pour les journalistes
dans les administrations qui les emploient. Ainsi, la peur de finir comme l'on
a commencé amène la plupart des anciens à se frayer une
porte de sortie au soir de leur carrière.
Certes, il y en a qui ont fait toute leur carrière dans
les Rédactions mais il est difficile de dire s'ils l'ont fait par amour
du métier, par passion, par résignation ou à défaut
d'un exutoire prometteur. Toujours est-il qu'il est devenu un fait rarissime de
voir des têtes grisonnantes présenter assidûment les
journaux parlés et télévisés. D'aucuns
préfèrent se retirer dans le cadre plus douillet des cabinets
ministériels en attendant que la retraite vienne les y trouver. Les plus
chanceux peuvent avoir comme point de chute des institutions plus honorables
telles que les instances de régulation de la presse, les commissions
électorales, les représentations d'agences non
gouvernementales.
A certains égards, leurs aspirations paraissent bien
légitimes et leur démarche tout à fait
compréhensible dans la mesure où il n'est pas aisé de
demeurer sous ordre jusqu'en fin de carrière. A cette situation, les
doyens préfèrent de loin le refuge ou la consolation d'un poste
de direction parfois même sans aucune visibilité. L'essentiel
étant de trouver l'échappatoire qui permette de tirer son
épingle du jeu. Et entre autres schémas possibles, cela peut
passer par la nomination à un poste de conseiller technique qui
donnerait enfin l'occasion de faire valoir ses expériences et où
l'on peut également espérer détenir tout au moins, un
pouvoir de proposition. De là à rebondir pour un portefeuille
ministériel, ce n'est pas loin tant il est vrai que le journalisme
mène à tout: directeur de cabinet, ministre de la défense,
homme d'affaires... Et peut-être prochainement, chef d'Etat. Pourquoi
pas? Mais, attention à l'arrivisme : l'expérience des ascensions
trop fulgurantes n'est pas toujours enthousiasmante quand l'on songe à
certains retours de manivelles très fâcheux. Evidemment, c'est le
prix à payer par tous ceux qui affectionnent les hauteurs; ils ne
peuvent indéfiniment échapper au risque de se brûler les
ailes.
Seulement, de plus en plus, la tendance évolue dans le
sens de l'auto-valorisation à travers des prestations parallèles.
Ainsi, dans les Rédactions, plus grand'monde ne vit de l'exercice
exclusif du métier de journaliste. Au moins 70% des journalistes,
surtout ceux ayant acquis une certaine ancienneté, monnayent, à
coeur joie, leurs talents à travers des consultations privées,
des activités de formation ou de relations publiques. On n'y gagne pas
une fortune, mais tout au moins, de quoi atténuer la
précarité et le malaise des fins de mois difficiles Mieux, ces
activités parallèles ont eu chez certains, un effet
thérapeutique et psychologique salutaire en les mettant à l'abri
du désoeuvrement et d'une mise en quarantaine professionnelle
très nocifs à la santé psychologique d'un journaliste.
Bref, c'est une alternative pour journalistes en mal de valorisation
professionnelle. Mais, bien évidement, un tel filon n'est porteur et
profitable qu'à ceux qui, professionnellement, ont véritablement
quelque chose (des compétences) à vendre.
2.7 Les pressions et tentations politiques
«Toute forme de censure, directe ou indirecte, est
inacceptable. Toute loi ou pratique limitant la liberté des organes de
presse dans la collecte et la diffusion de l'information doit donc être
abolie. Les autorités gouvernementales, nationales ou locales, ne
doivent pas intervenir dans le contenu des journaux, écrits ou
audiovisuels, ni restreindre l'accès aux sources d'information
».
Cette disposition de l'article 4 de la Charte pour une Presse
Libre approuvée en janvier 1987 à Londres à l'occasion de
la Conférence mondiale sur la censure démontre assez clairement
à quel point la liberté de presse est partout en danger. Et cela
est vrai sous toutes les latitudes, tropicales et occidentales où le
voeu secret de tout pouvoir est de contrôler la presse et d'exercer une
emprise sur ceux qui font et défont l'opinion.
Certes, dans la plupart des pays de la sous-région, les
espaces de libertés se sont élargis à la faveur du courant
démocratique des années 90. Même les organes d'Etat jadis
inféodés, dociles et entièrement dévoués
à la cause de leurs maîtres, ont acquis une liberté de ton
enviable. Evidemment, les conférences nationales qui ont fait le deuil
du dirigisme de l'information sont passées par-là.
Résultat heureux : au Bénin comme au Burkina Faso et au Mali, on
a tourné la page des commentaires dithyrambiques et des pamphlets
révolutionnaires à la gloire des partis uniques et des «
leaders bien aimés ». Le parachutage entre les mains d'un
journaliste d'un réquisitoire politique rédigé dans le
salon du ministère de l'information est aussi une pratique
désormais éculée.
Il n'y a qu'à observer ce regain de professionnalisme
qui permet aujourd'hui à des reporters de résumer voire de
réduire à leur plus simple expression, certaines interventions
« fleuves » du chef de l'Etat. De la même manière, le
mythe qui entourait les audiences du président de la République
est progressivement tombé dans quelques rédactions de la
sous-région ouest-africaine où l'on se contente parfois de
légers commentaires sur images. Ce qui, il y a quelques années,
serait passé pour un délit de lèse-majesté et
blâmé en conséquence. Mais attention, prenons garde de
pavoiser et de tenir pour acquis définitifs ces demi-victoires qui sont
trompeuses et qui cachent souvent la vraie nature de ceux qui goûtent
à l'élixir du pouvoir.
La démocratie a incontestablement rendu à la
presse une part appréciable de liberté. Mais, l'on ne saurait en
conclure que pour autant, le réflexe de la tutelle d'un
côté et le complexe de l'obédience de l'autre ont disparu.
A défaut d'avoir disparu, les pressions politiques se sont faites plus
feutrées mais non moins vicieuses. Les plus flagrantes sont celles qui
émanent de la présidence de la République via le
ministère de
l'Information, la Direction générale et les
directions techniques des organes de presse pour terminer leur course et
s'abattre telle une épée de Damoclès, sur la tête du
rédacteur en chef. Il en va de même de certains ordres pressants
mais anonymes - on en connaît rarement les véritables instigateurs
- que le rédacteur en chef se doit de faire respecter sans protocole. Et
que dire de ces nombreuses injonctions on ne peut plus officielles qui prennent
parfois l'allure de véritables mises en demeure d'embargo sur la
diffusion de telle déclaration d'opposant gênante pour le pouvoir
ou de telle autre révélation de malversations économiques
mettant à mal son image.
Plusieurs journalistes rencontrés ces dernières
années déclarent avoir été fortement marqués
par un certain type de censure édictée du sommet et
appliquée sans concession pour surseoir impérativement à
la diffusion d'une interview obtenue de haute lutte ou d'un reportage / une
enquête sur laquelle le reporter s'est échiné plusieurs
jours durant. Dans de telles situations, on peut facilement imaginer la
frustration du journaliste ; elle est d'autant plus grande qu'il n'a droit
à la moindre explication.
Certains confrères ne sont pas près d'oublier le
coup de fil qu'ils ont reçu de la part de hautes autorités
politiques à la fin du journal. Non pas pour les congratuler mais
plutôt pour les tancer à propos d'un commentaire osé. Ce
qui n'est pas plus anodin que l'abus de pouvoir ou la frilosité qui
poussent certains ministres ou hauts responsables politiques à exiger
d'un directeur d'organe la disqualification d'un journaliste au profit d'un
autre pour la couverture d'un événement lié à leurs
intérêts.
La pression politique, c'est aussi lorsque le directeur, sous
la pression du ministre, cherche à connaître les noms des
invités au débat contradictoire que s'apprête
à animer un journaliste. Le comble est qu'il arrive que cette forme
d'immixtion dans la vie
des rédactions se solde par une modification in extremis
et sans fondement objectif, de la configuration du plateau des
invités.
Chaque journaliste sait que toutes ces pratiques sont
contraires aux normes professionnelles. Mais en fait, que peut-il bien rester
du professionnalisme lorsque la raison d'Etat s'introduit dans une
Rédaction par la grande porte ?
Dans ce métier où l'on a facilement la chance de
voir la même chose et son contraire, le journaliste doit s'attendre
à rencontrer des hommes politiques qui se dédisent du jour au
lendemain. Une interview enregistrée aujourd'hui dans l'euphorie peut
devenir caduque le lendemain simplement parce que l'interviewé, pour des
raisons souvent inavouées, aura décidé de se rebiffer et
parfois prêt à tout donner pour obtenir du journaliste et de sa
Rédaction un embargo sur ladite interview.
En pareille circonstance, que faire? S'accrocher mordicus au
devoir d'informer au nom de l'intérêt public ou faut-il consentir
à faire la volonté de son invité d'infortune. A
l'épreuve, ce genre de dilemme conduit à une double
interrogation. Que gagne-t-on en diffusant et que perd-on en ne diffusant pas
une émission dans de telles conditions? , La plupart des journalistes
Interpellés sur ce cas de conscience ont concédé que
« si les risques de la non diffusion ne sont pas supérieurs au
préjudice causé à l'opinion publique et aux ennuis qui
pourraient en découler pour le journaliste lui-même, autant faire,
la mort dans l'âme, le choix de l'embargo ». Seulement, de ce point
de vue, chaque situation sera traitée comme un cas spécifique. Au
besoin, cet embargo pourrait s'assimiler à une mise au frigo en
attendant une circonstance plus propice. Preuve que dans ce métier,
c'est parfois une qualité que de savoir attendre.
En réalité, cette situation n'est pas
différente du comportement de certains interlocuteurs (hommes
politiques, hommes d'affaires, responsables d'institutions) qui se sont
laissés interviewer allègrement, qui se sont exprimés
passionnément pour ensuite revenir quelques instants après
harceler de coups de fils le journaliste ou son rédacteur en chef en vue
de négocier des arrangements au sujet du contenu de leurs
déclarations. En fait d'arrangements, il s'agit souvent de « sucrer
» quelques extrapolations malheureuses, quelques excès ou encore
certains passages où la langue serait peut-être allée plus
loin que le coeur.
Il est évident que si le journaliste veut à tout
prix servir l'intérêt public, il s'entêtera à
diffuser ou à publier cette interview. Mais si en revanche, il choisit
de jouer les « PoncePilatistes », il n'en fera pas davantage que de
hausser les épaules en signe de résignation tout en sachant qu'il
pourrait subir le procès de la compromission. Mais il ne faudra non plus
écarter l'hypothèse du soulagement et de la
sécurité que pourrait lui procurer l'option de la non-diffusion
si tant est son souci de faire l'économie d'une inimitié ou d'une
adversité dont les répercussions sont souvent
insoupçonnées ; les politiciens, dit-on ont la rancune tenace.
Mais alors, on peut comprendre sans forcément cautionner, que le
journaliste, citoyen comme tout autre, père de famille
éventuellement, ait lui aussi parfois envie de mener une vie tranquille,
à l'abri de toute entourloupette.
Dans un tel cas de figure, les choses paraissent bien plus
faciles à gérer que si l'on a affaire à un journaliste
frondeur sur les bords et réfractaire à toute forme de pression
politique d'où qu'elle vienne. Il en existe, heureusement pour la
sauvegarde et l'avancée des libertés chèrement conquises !
Seulement, il n'est pas évident que dans de tels bras de fer avec la
hiérarchie ou le pouvoir, les rapports de force soient à
l'avantage du journaliste résistant. S'il parvient
à faire triompher les intérêts du métier et obtenir
gain de cause avec ou sans le soutien de ses pairs, sa victoire sera
saluée comme un acte de courage et d'affirmation de
l'indépendance du quatrième pouvoir. Mais côté
carrière, l'expérience a prouvé que ce genre de victoires
sont aussi éclatantes que lourdes de conséquences. Autrement dit,
c'est une médaille qui a son revers en termes de représailles
directes ou indirectes, immédiates ou ajournées, brutales ou
assénées à froid, frontales ou insidieuses.
Ces représailles sont multiformes mais faciles à
répertorier : affectations, rétrogradations, mise en quarantaine,
etc. Mais la plus courante prend souvent la forme de ce qui est
désigné dans le jargon journalistique sous le terme de «
mise au placard ». Jean-Marc CHARDON et Olivier SAMAIN, auteurs du livre
le journaliste de radio ont réussi à décrire le
phénomène dans ses implications administratives : « ... Il
est alors très facile de prendre prétexte d'une expression
malheureuse dans un journal, ou d'une vérité inopportune, pour
neutraliser, le moment venu, n'importe quel journaliste. Dans le service
public, où les organisations syndicales dénoncent
périodiquement ces pratiques, les journalistes concernés ont vu
parfois leur mises au placard s'accompagner de l'octroi d'un titre
ronflant, à l'image d'un cache-misère, voire d'une augmentation
pécuniaire pour compenser le préjudice. Dans le pire des cas, il
n'y a ni l'un ni l'autre. Du coup, la rétrogradation qui s'ensuit n'est
pas forcément visible.
En revanche, le journaliste qui en est victime voit bien la
différence. Il est toujours, soit évincé de l'antenne,
soit remisé dans une plage horaire à faible écoute... A
lui de se soumettre, de se démettre ou d'attendre des jours meilleurs...
».
2.8 Les pressions et tentations
financières
En conquérant à la faveur de l'ouverture
démocratique de réels espaces de liberté et une certaine
indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, les médias
africains n'ont fait que remporter une bataille. La guerre d'affranchissement
vis-à-vis des lobbies financiers, elle, est plus actuelle que jamais et
risque d'être plus longue à gagner. Et voilà remise en
selle toute la question des pressions financières. Elles sont
insidieuses et émanent généralement des pouvoirs d'argent,
intellectuels ou non. Dans l'un et l'autre des cas, ceux-ci s'en servent
à des fins de marchandage, de domination et d'asservissement. Mais il
n'est pas rare non plus que ces pressions financières soient aussi le
fait de parfaits illettrés, en mal de considération qui n'ont
pour tout moyen de pression que leur fortune pour en imposer à des
journalistes, même les plus respectables et les plus huppés.
Quels que soient leur origine et leurs auteurs ou
protagonistes, les pressions financières sont condamnables au regard de
l'éthique journalistique. Elles ne sont pas plus tolérables que
les pressions politiques. Bien au contraire, il est établi que la
dépendance économique est la pire des dépendances. Car,
qui vous tient par le ventre, contrôle votre souffle et vous
régentera à loisir.
2.8.1 Le perdiem ou « communiqué final
»
Dans la pratique courante des journalistes ouest-africains
rencontrés, la forme de libéralités la plus connue est le
perdiem, désigné sous les noms de «communiqué
final» au Bénin et de « gombo » au Burkina Faso. Il est
rentré dans le quotidien de 90 % de journalistes et techniciens qui
n'ont aucune gêne à émarger sur un bout de papier à
la fin d'un reportage pour se faire gratifier de quelques coupures. La pratique
a fini par
légaliser un comportement pourtant contraire à
l'éthique journalistique. Mais gare à vous si, par manque de
tact, vous les affrontez sur ce terrain en donneur de leçon ; les plus
sages vous répondront tout bonnement, à la suite de
Saint-Augustin, qu'il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la
vertu.
D'aucuns considèrent le per-diem comme un dû
dès lors qu'ils se rendent compte que l'événement dont ils
assurent la couverture est financé à travers une rubrique dite
«communication ». Par nature, les journalistes et les techniciens
sont réfractaires à l'idée qu'on se joue d'eux. Ils se
battront becs et ongles pour se faire restituer un droit injustement
confisqué. La conviction que quelques uns, dans la chaîne de
l'organisation, se sont sucrés sur le dos de la presse renchérit
chez cette dernière le sentiment qu'elle a aussi droit à sa part.
Mais, malgré tout, cette presse doit encore parfois revendiquer,
tempêter pour rentrer dans ses supposés « droits ».
D'où cette formule empruntée à un confrère qui
demeure convaincu que « la bouche de celui qui ne parle pas, sentira
». Une manière de rappeler que, celui qui ne risque rien n'a rien
et qu'il suffit simplement parfois d'oser demander pour être servi.
Bref, il n'est pas conseiller de gruger les techniciens et les
journalistes. D'ailleurs, les attachés de presse et autres organisateurs
de séminaires ou de tournées qui se sont risqués à
ce genre d'escroquerie l'ont appris à leurs dépens.
Ce qui est moins compréhensible et franchement
détestable, c'est de tendre la main ou de faire du per-diem un objet de
chantage en brandissant la menace d'un compte-rendu sommaire ou
bâclé. Malheureusement, cette pratique existe et c'est en
connaissance de cause que le code de déontologie de la presse
béninoise en fait mention à travers son article 5 :
« En dehors de la rémunération qui lui est due par son
employeur dans le cadre de ses services professionnels, le journaliste doit
refuser de toucher de l'argent
ou tout avantage en nature des mains des
bénéficiaires ou des personnes concernées par ses
services, quelle qu'en soit la valeur et pour quelque cause que ce soit. Il ne
cède à aucune pression et n'accepte de directive
rédactionnelle que des responsables de la rédaction. Le
journaliste s'interdit tout chantage par la publication ou la non-publication
d'une information contre rémunération. ».
Au-delà du principe ainsi joliment libellé, mais
qui n'émeut pas grand monde, force est de reconnaître que la
pratique des per-diems a encore de vieux jours devant elle, non pas seulement
par la volonté des journalistes, photographes et techniciens mais aussi
par le souci des demandeurs de services (ONG, partis politiques, institutions
officielles et privées, etc.) de structurer et de fidéliser leurs
relations avec ceux-là qui sont capables de faire et de défaire
leur image. Une ONG, un ministère qui n'a pas de bonnes relations avec
les organes de presse en souffrira car, entre deux demandeurs de services qui
sollicitent la presse dans une même tranche horaire, le critère de
préséance ou même de choix risque fort d'être
guidé par l'intérêt. Et là-dessus, les journalistes
et techniciens ne se trompent pas. Si vous les privez de per-diems, ils
finiront par vous coller l'étiquette de « radins » et vous
faire de la mauvaise publicité. Si vous mégotez sur le montant
des per-diems, ils vous déclasseront régulièrement au
profit des partenaires les plus généreux.
Il en découle d'ailleurs que ce ne sont pas toujours
les entreprises les plus performantes, les gestionnaires les plus orthodoxes ou
les hommes d'affaires les plus irréprochables encore moins les hommes
politiques les plus éclairés ou les plus probes qui ont les
faveurs des échos de la presse, mais plutôt ceux qui, simplement,
connaissent le mode d'emploi du pouvoir de la presse.
Chose humaine, le reportage le plus bref ou le plus banal qui
s'est soldé par une distribution d'enveloppes portera ombrage au
tournage le plus pressant qui n'aurait pas eu de retombées
pécuniaires. De même, il est à peine exagéré
de dire qu'avec un budget communication imposant, il est possible pour le plus
impopulaire des dictateurs de mieux faire médiatiser sa
cérémonie d'investiture que celle du démocrate le plus
authentique. Ainsi vont les relations avec la presse et la meilleure des
solutions ne consiste pas forcément à jouer les Saints. Il s'agit
dans bien des cas de jouer utile.
Mais quelle que soit la bouée de sauvetage
financière qu'il apporte, on ne peut occulter le fait que le perdiem
dévalorise énormément le journaliste. Les acteurs de la
vie politique et même ceux de la société civile s'en
servent comme instrument de domination et d'assujettissement du journaliste. Et
quand l'on réalise qu'en fait, ces per-diems ne représentent
parfois que des sommes ridicules, on comprend que la profession ne soit pas
respectée. Mais hélas, tout se passe comme dirait l'autre :
« qui a bu boira ».
2.8.2 Les dons et libéralités : faut-il prendre
?
Question combien sensible! Elle recommande beaucoup de
discernement et de sérénité de la part de ceux qui ont le
courage de l'aborder. Or, j'ai plutôt souvent eu le sentiment qu'on
l'abordait avec hypocrisie et cela ne fait nullement avancer le
débat.
L'argent, les cadeaux et les dons en nature sont les plus
grandes sources de suspicion pour un journaliste. Ils constituent de graves
entraves au professionnalisme et à l'impartialité et
représentent très souvent la porte d'entrée du
discrédit et de toutes les crises de confiance au sein des
Rédactions.
C'est un leurre et une fausse manière de se faire bonne
conscience que de penser qu'accepter les cadeaux constitue un moindre mal par
rapport à l'argent que l'on reçoit. Dans l'un et l'autre des cas,
l'éthique est en cause et rien ne fonde le raisonnement qui voudrait que
si la compromission par l'argent conduit en enfer, celle par les cadeaux et
autres libéralités conduise au purgatoire. La question de fond
étant celui du risque d'aliénation de la liberté
d'expression et de la marge de manoeuvre du journaliste qui se sent redevable
de son bienfaiteur, fut-il de circonstance. A ce sujet, le Code éthique
des Etats-Unis, adopté en 1926 est sans appel, en son article 1 :
«les cadeaux, les voyages gratuits, privilèges ou les traitements
de faveur peuvent compromettre l'intégrité des journalistes et de
leurs employeurs. Il ne faut accepter aucun cadeau de valeur »
Mais, en pratique, combien de journalistes seraient en mesure
de faire fi du devoir de reconnaissance vis-à-vis du politicien ou de
l'homme d'affaires qui l'aura aidé à obtenir une bourse
d'études, à acquérir un véhicule ou à
construire sa villa.
Ces exemples peuvent paraître extrêmes, mais ont
l'avantage de nous transposer du terrain de l'abstrait vers celui du
vécu. En clair, et à moins de vouloir nier l'évidence,
l'argent et les libéralités ont fait leur preuve en tant
qu'instruments « efficaces » d'inféodation, de manipulation et
d'achat des consciences. Et combien de journalistes ne recenserait-on pas ici
comme ailleurs qui doivent leur réussite sociale à ce genre de
compromissions dont ils se sont rendus complices non sans savoir qu'ils
foulaient aux pieds les règles cardinales du métier.
A l'occasion d'échanges informels, nombreux sont les
confrères ayant avoué, qu'en certaines circonstances, il faut
être un homme de caractère pour renifler l'odeur de l'argent et
reculer devant certains appâts de gains faciles. Il n'est pas
donné à tous les
journalistes de tenir bon et de pouvoir raison garder devant
l'argent frais qui vient jusqu'à vous, vous agresser. « Il n'est
pas bon de cracher sur l'argent ; c'est un sacrilège» vous
dira-t-on dans certains milieux et le prétexte est tout trouvé.
C'est dire aussi à quel point notre société africaine
n'est pas entièrement favorable à tout ce qui peut s'apparenter
à une attitude de suffisance ou de mépris vis-à-vis de
l'argent et de celui qui le donne de bonne foi. Malgré tout, la bonne
foi affichée par le donateur n'exclut pas la prudence.
Retenons encore que le procès de la
vénalité est l'un des plus mauvais que l'on puisse intenter
à un journaliste. L'obsession du lucre ne fait pas bon ménage
avec l'éthique journalistique ou du moins, il constitue un versant
très glissant, un objet de chute pour le journaliste. L'argent a la
mauvaise réputation de diviser et il divise en effet les
Rédactions.
On a beau dire que la dépendance financière est
la pire des dépendances, mais faut-il croire que c'est parce qu'ils
ignorent ce catéchisme journalistique que les professionnels des
médias succombent à la tentation de l'argent et autres
libéralités ? Apparemment, non. Pour les uns, l'état de
besoin constitue un handicap objectif à une pratique rigoureuse de
l'éthique professionnelle. Pour d'autres, plus cupides, l'argent n'a pas
d'odeur. D'autres encore défendent des positions plus nuancées du
genre : « je n'ai rien à me reprocher face à un don gracieux
que je n'ai ni suscité ni réclamé ».
En effet, quelle sera la condamnation de ceux-là qui
sont assez scrupuleux pour ne jamais tendre la main mais qui ne font jamais
à leur donateur l'affront du refus ? Eh bien, ils ne sont pas à
l'abri des surprises et doivent s'attendre un jour ou un autre à payer
un lourd tribut, celui de l'amitié intéressée, à
leur liberté d'expression et d'action. A moins de démontrer qu'un
homme politique ou un homme d'affaires puisse offrir des
libéralités à un journaliste sans
arrière-pensée. Possible, mais dans 75 % des cas, cela risque
d'être une condamnation sinon un conditionnement pour l'avenir.
Dans son édition du 27 novembre 2002 (n° 9748), le
quotidien sénégalais Le Soleil, a fait état d'un
cas digne de servir de leçon aux journalistes friands de
libéralités. A l'issue d'une conférence publique, rapporte
le journal, un homme politique sénégalais aurait offert un
million de FCFA aux journalistes chargés de la couverture de
l'événement et certains d'entre eux se seraient partagés
ladite somme.
Face à ce manquement à la déontologie
journalistique, la réaction du SYNPICS (Syndicat des professionnels de
l'information et de la communication) n'a pas tardé. Celle-ci, contenue
dans un même communiqué, a été d'autant plus
intéressante qu'elle paraissait instructive pour chacune des deux
parties.
A l'attention des journalistes, le SYNPICS déclare :
« les faits portant gravement atteinte à la
dignité et à la crédibilité de la presse, quelles
que soient les considérations liées aux moyens, montants,
intentions et circonstances de cette affaire ».
A l'adresse des hommes politiques et organisateurs de
manifestations, le SYNPICS indique :
« qu'il n'est pas une obligation pour eux
d'intéresser, sous quelque forme que ce soit, les journalistes
chargés de la couverture médiatique. Une telle charge revient aux
différentes Rédactions qui se doivent de mettre leurs
employés dans les meilleures conditions d'accomplissement de leur
mission ».
L'argent, à prendre ou à laisser ? En
vérité, c'est davantage une question d'éthique que de
déontologie. Toujours est-il que les confrères ont leur petite
idée sur les mesures préventives à initier pour limiter
les dégâts. Il s'agirait par exemple, selon Claude Agossou, de
doter la Rédaction d'un service financier capable de payer les primes
aux équipes de reportages avant leur départ sur le terrain. Cela
pourrait bien produire quelques effets sur ceux qui ne sont pas d'une
cupidité sans bornes.
L'organisation d'une communauté et les règles
qu'elle se donne, acceptées et consenties librement par ses
membres, permettent parfois de résoudre plus facilement les
conflits que ne le sont les seules lois officielles
» Juristes Solidarités, Programme 2000 - 2003,
p.7
Section III
LES MODES D'AUTOREGULATION
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