CHAPITRE I
I. LES SOURCES DE CONFLITS D'ORDRE
ORGANISATIONNEL
1.1 La censure et le stress des ciseaux
L'un des usages malencontreux du son est de s'en servir comme
un moyen de remplissage pour allonger un reportage pauvre en texte. Cette
solution de facilité propre aux reporters peu inspirés ou un peu
<<pompés » explique pour une large part les problèmes
de longueur et de calibrage que gèrent au quotidien les
secrétaires de rédaction dont certains finissent par
développer une sorte de << stress des ciseaux ».
Certes, il est de leur devoir, chaque fois que cela s'impose,
de ramener des éléments sonores trop longs à des
proportions raisonnables en référence à des
critères professionnels de clarté, de concision et de pertinence.
Mais c'est aussi une responsabilité qui exige un certain sens de la
mesure et de la perspicacité au risque de verser dans une gestion trop
mécanique du calibrage qui ne saurait se résumer à un
simple exercice de << compression » de bandes.
En principe, le montage va bien au-delà pour prendre en
compte des éléments de fond qui recommandent une écoute
intelligente des bandes proposées à la diffusion pour en retenir
l'essentiel. Car, une lecture linéaire et trop sommaire d'une bande peut
entraîner une mauvaise évaluation de l'intérêt de
certains propos ou une mauvaise identification des passages inutiles à
expurger. Le contraire est aussi possible.
Autrement, il va de soi qu'au terme de ce nettoyage, les
longueurs, les redites, les circonlocutions soient passées à
la trappe, mais - et c'est là l'enjeu - sans que le produit issu de
ce montage ne perde sa cohérence. Il s'agit de le contracter sans le
dénaturer,
de le rendre plus intelligible sans le biaiser. Une
performance que ne pourra atteindre un secrétaire de rédaction
obnubilé par le seul souci de faire respecter la durée
affectée à chaque reportage en conférence de
rédaction.
Il faut autant que faire se peut respecter le style et le
"feeling" du reporter. Le secrétaire de rédaction et le
rédacteur en chef doivent se comporter comme des arrangeurs et non comme
des destructeurs. Pour minorer les risques de tensions inhérents
à leurs fonctions de relecture, de correction et de calibrage, ils
éviteront d'être trop royalistes et rigoristes sur certaines
questions qui relèvent davantage de la sensibilité personnelle
que des principes professionnels. Du moins, il y a un équilibre à
rechercher entre les deux.
Seulement, il est bon de souligner que le secrétaire de
rédaction, dans ses oeuvres, n'est souvent pas aidé par le temps.
Ainsi, il faut admettre que la pression du temps et autres déterminants
subjectifs peuvent avoir raison de ses facultés de discernement. Lequel
discernement voudrait que la «loi des ciseaux » ne soit pas
appliquée indifféremment et à l'aveuglette au motif
d'avoir à résoudre le genre d'équation qui consiste, par
exemple, à ramener à 30 secondes un élément de deux
minutes. La manoeuvre est toujours possible mais ce qui est moins garanti,
c'est la qualité du résultat. Autant, il peut être
merveilleux en termes de concision et de pertinence, autant il peut être
désagréable comme cela arrive par moments avec certains types
d'extraits sonores sans tête ni queue. Le cas échéant, on a
tôt fait de frustrer l'auteur du reportage ainsi massacré qui n'y
va pas par quatre chemins pour affronter la rédaction en chef.
Peut-être devra-t-on se faire à l'idée que le reportage
radiophonique est un genre frustrant. La consolation aurait pu venir de la
Production qui est de nature à favoriser une plus large
possibilité d'expression du journaliste ; mais hélas, le
dénuement matériel et la détresse
psychologique et qui y règnent, sont plus que dissuasifs pour les
potentiels candidats.
1.2 Le management du personnel
Homme de tous sans être l'homme de personne, le
rédacteur en chef doit se comporter comme une mère de jumeaux, le
rédacteur en chef doit se distinguer dans l'art de se coucher sur le
dos. Les bons, les moins bons, les mauvais attendent de lui un traitement
égal qu'il ne peut d'ailleurs pas leur concéder au nom de
l'équité.
Les éléments les plus dévoués se
plaignent d'être logés à la même enseigne que les
paresseux, les tireurs au flanc et les improductifs. Seulement là, le
problème devient très délicat lorsque, les premiers trop
conscients de leur force de nuisance en arrivent à menacer de paralysie
le fonctionnement de la rédaction. Leur menace est loin d'être
banale ou virtuelle, dans la mesure où, au regard de leur
disponibilité, de leur efficacité, de leur
générosité dans l'effort et de leur conscience
professionnelle, l'on est tenu de reconnaître qu'ils constituent ce qu'il
convient d'appeler les « indispensables » de la rédaction.
1.3 L'affectation des reportages
Voilà un exercice bien difficile qui démontre
toute la complexité de la gestion des hommes et de leurs
intérêts dans une rédaction de presse. Trop de calculs sont
échafaudés dans le dos du « patron ». Mais, qu'on ne
s'y trompe pas ; ces calculs sont sous-tendus par des motivations que l'on
qualifierait pudiquement de pécuniaires mais qui n'en sont pas moins
alimentaires. Surprise : des groupes de pression se constituent
autour de cet enjeu pour revendiquer un accès
égalitaire de tous aux reportages et autres missions.
L'enjeu, puisqu'il faut appeler un chat par son nom, est moins
l'amour du travail que le souci de tirer profit des nombreux
«communiqués finaux » qui sanctionnent les séminaires
et congrès d'ONG ou meetings de partis politiques. Nul ne s'en prive et
ne souhaite en être privé. A vouloir régir ce genre de
pratiques, on y laisse forcément quelques plumes. Ces per-diems sont de
réels compléments de revenus pour le journaliste qui mise
énormément sur cette rentrée financière pour
gérer le quotidien et pouvoir terminer le mois avec moins de douleur. Un
reporter consciencieux ayant le sens de l'épargne serait capable de
tirer de l'accumulation mensuelle de ces per-diems un revenu égal
à 75 % de son salaire. Ce n'est pas rien !
D'ailleurs, ceci explique en partie les ennuis du
rédacteur en chef dont l'impartialité est mise en cause; lui qui
est pourtant animé par un souci d'efficacité dans la
programmation et l'affectation des reportages. S'il cède aux pressions
ou si simplement, il se montre très accommodant sur cette question, il
finira par être l'otage du clan des courtisans avec le risque dans ce cas
d'affronter en permanence le groupe des mécontents qui
généralement ne s'en font pas conter. Le moins qu'on puisse dire
est que l'arbitrage n'est pas aisé.
1.4 Les candidats aux commentaires
Les journalistes ne se bousculent pas pour ce genre
journalistique. Parmi eux, se trouvent quelques esprits critiques qui tournent
en dérision cet exercice au prétexte que la somme des
commentaires faits en plusieurs années sont restés sans impact
sur le comportement des dirigeants, des pouvoirs publics. Un peu comme de l'eau
versée sur
le dos du canard. Tout bien pensé, ils ont raison. Mais
l'on ne peut pour autant étouffer la passion que quelques rares
collègues ont pour ce genre. Et, n'oublions pas que c'est aussi une
affaire de mérite, car, en plus d'être un réservoir
d'idées, le commentateur est censé avoir une bonne maîtrise
de la langue française et de ses divers artifices et
sinuosités.
Heureusement, les détracteurs du commentaire n'en sont
pas moins friands. En tout cas, il est établi que la côte de la
Rédaction et même de la radio est souvent proportionnelle à
la fréquence et à la qualité des commentaires
proposés aux auditeurs qui affectionnent bien ce genre. Mais la
rédaction la plus généreuse du monde ne saurait donner
plus qu'elle n'en a. A défaut de servir à son auditoire un
commentaire par jour, pourquoi ne ferait-on pas en revanche l'option des
commentaires épisodiques dictés par certains
événements hors du commun. Hélas, à
l'épreuve, le décalage est souvent déroutant entre la
fréquence de tels événements et la disponibilité
des commentateurs.
1.5 La revue de presse : parent pauvre
Exercice difficile pour un genre journalistique pourtant
très valorisant. A tort ou à raison, une frange non
négligeable des rédacteurs, les débutants notamment, en
ont une peur bleue. Il est trop exigeant en termes de temps. Beaucoup y voient
une corvée qui vous prive d'une partie de votre week-end s'il s'agit de
la revue de presse hebdomadaire. Rappelons ici la réaction de ce
confrère, d'une certaine ancienneté dans le métier, que
l'on venait de soulager de la « corvée » de la revue de presse
et qui s'est empressé de déclarer « cela ne m'arrivera plus
jamais... ».
Cela en rajoute forcément au mérite des
Rédactions et des rédacteurs qui en assurent une animation
quotidienne grâce à un système de rotation qui permet de
démocratiser l'exercice. Bon an mal an, de gré ou de force,
chacun se met à l'épreuve et se perfectionne, à l'image du
forgeron qui ne s'affirme qu'en forgeant et du vin qui ne se bonifie qu'en
vieillissant. Ainsi, la leçon est bien connue : la revue de presse est
davantage l'affaire des journalistes épris de culture et
d'intellectualisme que celle des mordus des chiens écrasés ou des
routiniers des reportages classiques. Tout comme le commentaire, il est clair
que la revue de presse a un effet dopant incontestable sur l'audimat. Mieux,
elle représente un atout différentiel dans un paysage
médiatique pluriel.
L'expérience a par ailleurs prouvé que les
réalisateurs de revues de presse sont très courtisés par
les directeurs de publication de journaux. A chaque fin de semaine, ces
derniers entrent en pourparlers avec les animateurs de revues de presse pour
négocier l'exploitation ou la citation de leurs articles ou signatures.
Venant des confrères, ce genre de sollicitations mettent le
réalisateur de la revue de presse dans une situation embarrassante.
Généralement, l'esprit de confraternité l'incite, à
son corps défendant, à prendre les choses au sentiment
plutôt qu'à opposer à ses courtisans une fin de non
recevoir.
Puisqu'il ne peut faire plaisir à tous, le
réalisateur de la revue de presse s'époumone parfois à
vouloir démontrer à ses vis-à-vis qu'il ne suffit pas
qu'un article soit publié dans un journal pour être exploitable
dans une revue de presse. Ainsi, il n'y a aucun intérêt à
faire écho des chrysanthèmes dans une revue de presse. Une
appréciation valable également pour toute information qui
n'alimente pas un débat d'actualité (de
préférence contradictoire) ou une réflexion
d'une certaine portée politique, économique, culturelle, etc.
L'affirmation de ce principe est souvent très mal
comprise, mais vaille que vaille, le journaliste doit tenir bon, quitte
à être taxé de « vendu ». Qu'importe, si tel est
vraiment le prix à payer pour ne pas dé-professionnaliser ou
prostituer sa revue de presse.
On n'aura pas tout dit de la revue de presse tant qu'on n'aura
pas souligné qu'il s'agit d'un genre particulièrement sensible.
Il requiert de son réalisateur beaucoup de doigté et un sens
élevé de la responsabilité sociale. Certes, la
sélection des faits qu'il rapporte dans sa revue de presse ne sera
jamais neutre et totalement désincarnée, mais tout au moins, il
devra pratiquer le culte de la vérité. Aussi doit-il se garder de
servir de boucs émissaires à des querelles de clochers par
médias interposés.
A l'évidence, il y a là un gros risque de
dérapage qui fonde d'ailleurs la décision de certaines instances
africaines de régulation de la presse de suspendre la diffusion de la
revue de presse en période électorale. Une mesure ponctuelle
d'assainissement destinée à ne pas en rajouter à la
surenchère politique et d'assurer une équité des
médias vis-à-vis de toutes les sensibilités politiques
nationales.
1.6 Les audiences..., corvée de toutes les
corvées
La couverture des audiences présidentielles. Faites-en
l'objet d'un sondage et à l'unanimité, l'on vous dira combien cet
exercice est cassant, déprimant. A la limite, on peut s'en servir comme
punition envers journalistes paresseux et grincheux. C'est aussi le lot souvent
réservé aux stagiaires. On y perd énormément de
temps sans y apprendre grand-chose avec deux gros désagréments au
bout du rouleau : la fatigue et la faim. Professionnellement, c'est un
gâchis et les Rédactions gagneraient à
réorganiser le mode de couverture de cette
activité assez spécifique. Déjà, l'idée de
faire assurer cette tranche par les attachés de presse fait son chemin.
Et ceci, pour la bonne raison, qu'il est plus juste que celui qui
s'échine à la tâche, ne soit pas différent de celui
qui poussera le cri de la victoire.
1.7 La préparation des éditions du
journal
On ne saura jamais quelle est la durée moyenne requise
pour préparer un bon journal. La gestion du temps reste la chose la
moins bien partagée dans les rédactions. De la conférence
de rédaction tenue généralement entre 8h30 et 9h, à
la présentation du journal en studio autour de 13 h, le temps
paraît a priori serré pour sélectionner les
dépêches du jour, les traiter, faire certains enregistrements
(interviews, commentaires ou revues de presse), vérifier quelques
informations au téléphone ou sur le terrain, assurer le montage
des duplex, discours et autres déclarations recueillis à
l'occasion des séminaires, relire les reportages, calibrer l'ensemble du
journal, établir le conducteur, rédiger et fignoler les
titres.
Cet enchaînement d'étapes laisse penser à
une masse énorme de travail. Et c'est bien le cas de le dire. Ce qui en
principe ne devrait laisser le moindre répit aux équipes du
journal. Mais c'est mal connaître les journalistes que de vouloir les
astreindre à un régime ou à une posture de bureaucrate.
C'est dans leurs va-et-vient intempestifs, dans leurs chahuts intermittents et
dans leur fébrilité contagieuse qu'ils confectionnent leurs
journaux. Une aventure où le temps n'est souvent pas leur ami.
N'empêche, dans une bonne rédaction, il y aura toujours dans la
tranche de préparation du journal, assez de place pour l'animation, la
rigolade, l'évasion et la bouffe.
Les uns, rodés par l'expérience s'y prennent
très tard et s'en sortent à merveille sans que l'auditeur n'ait
à douter de quoi que ce soit. Par contre, il arrive bien souvent que la
qualité ne soit pas au rendez-vous, faute d'un travail soigné
imputable à une mauvaise gestion du temps. Les esprits avisés et
peut-être pas seulement eux, peuvent s'apercevoir par moments de certains
problèmes de finition du journal à travers des démarrages
difficiles à l'antenne, des cafouillages, des pédalages
répétés, des inversions dans l'ordre de passage des
extraits sonores, des lancements incohérents ou sans suite logique, etc.
Mais l'étape la plus sacrifiée semble être celle des
titres. Là aussi, les titres sans relief, écrits à main
levée et restitués sans conviction ne trompent pas et renseignent
presque toujours sur les conditions de préparation du produit.
En fait, deux journaux parlés ne se ressemblent jamais
et chaque directeur de journal y va de son tempo et y imprime aussi bien sa
personnalité que son savoir-faire. Alors, autant ne pas succomber vaille
que vaille au charme des modèles ou des idoles. A chacun son rythme ! A
chacun son style! Il est plutôt normal que se côtoient dans une
même rédaction, ceux qui, d'un côté aiment marcher
comme sur des oeufs et de l'autre, les adeptes des sensations fortes : des
journalistes pour qui la pression de l'urgence est un facteur d'incitation. Ils
ne sont inspirés que lorsque le temps presse et qu'ils ont le feu aux
fesses. A la Rédaction de Radio-Bénin, quelques uns
éprouvaient un réel plaisir à défier le temps parce
que capables de commencer et de boucler une revue de presse à 30 minutes
du journal. En plus de leur compétence, ils avaient un grand atout : la
sérénité et un sang-froid olympien. Quand, ils sont aux
commandes du journal, eh bien, ils font figure d'artistes !
En règle générale, les cinq
dernières minutes précédent le journal sont infernales
et
fermeture de ses guichets. Autrement dit, de tous les
médias, la radio est celui où la dictature de l'urgence est la
plus insupportable. Et il y a bien de quoi prendre peur pour les cardiaques et
les hypertendus. Une réalité que confirme l'enseignant et
chercheur en sociologie Alain Accardo : « les journalistes de radio sont
des gens pressés car ils ont pour obligation de produire à des
échéances fixes et impératives, souvent très
courtes »23 Raison de plus pour apprendre à compter avec
les surprises qui savent être désagréables envers ceux qui
se plaisent à jouer avec le temps et à ruser avec les principes.
Une confusion qui s'installe dans les dossiers à l'antenne, un journal
qui s'emballe, des éléments sonores qui ne répondent pas
à l'appel, un montage approximatif, un dossier mal paginé, un
invité parachuté in extremis dans le journal comme un cheveu sur
la soupe, des titres égarés...
Voilà autant de situations aussi imprévisibles
que chaotiques susceptibles d'ébranler un directeur de journal et de
conduire l'édition en cours à la catastrophe. Le cas
échéant, on en sort tout petit, tout déprimé et
même prêt à s'autoflageller pour la bonne raison qu'en
radio, une erreur commise à l'antenne est multipliée par
n millions de paires d'oreilles d'auditeurs.
La leçon ? Eh bien, un journal, mieux vaut y consacrer
du temps, y mettre du coeur et de la rigueur. Plutôt s'abstenir si l'on
n'est pas fait pour ou encore si cela devait devenir un forcing.
L'expérience aura prouvé que la présentation du journal,
un exercice très passionnant et très exaltant en début de
carrière peut devenir au fil des ans lassant et peu engageant à
force de répéter les mêmes gestes et de reproduire les
mêmes réflexes. Il n'est donc pas exclu, si cela s'impose, de
rompre momentanément la monotonie quitte à rebondir plus tard.
23 A. ACCARDO, les journalistes au quotidien,
Le Mascaret, Bordeaux, 1995, p.199
Par conséquent, la créativité et le sens
de l'initiative sont des qualités que doivent s'approprier et renouveler
chaque jour, toute Rédaction de presse afin de ne pas s'enliser dans les
sentiers battus et les lieux communs. A la presse écrite comme dans
l'audiovisuel, les meilleures parutions ou éditions sont celles
où l'initiative, le punch de journalistes motivés et le
réflexe de l'investigation ont pris le pas sur l' «officialite
» avec son cortège de chrysanthèmes et autres
séminaires-ateliers et colloques sur des thèmes tout aussi
éculés et mille fois ressassés. Mais, à
l'évidence, ce n'est pas avec des disques aussi rayés que les
Rédactions de presse peuvent prétendre doper leur audimat ; ce
n'est non plus avec des articles rédigés dans un style
stéréotypé et écrits à main levée
qu'elles pourront soutenir la concurrence et décrocher
éventuellement des palmes de professionnalisme.
1.8 Les éditions dites extrêmes
On rencontre dans les rédactions de la région ouest
africaine une organisation quasi identique des éditions du journal
parlé. En dehors des flashes d'information, la Rédaction de
Radio-Bénin a quatre principaux rendez-vous quotidiens avec le public.
Ceux de 13 heures et de 20 heures considérés comme des
éditions-phares dépassent en importance et en audience les «
extrêmes » (7 heures et 22 heures) en raison même des heures
de diffusion et des contenus. En réalité, de toutes ces
éditions, il y en a une qui ravit généralement la vedette
aux trois autres. Immanquablement, il s'agit de celle de la mi-journée
(12h30 ou 13 h selon les organes) et dont la préparation mobilise le
maximum d'énergies physiques et de ressources intellectuelles. Chose
d'autant plus normale qu'elle alimente toutes les éditions suivantes de
la journée jusqu'à celle du lendemain à 7h ou 7h 30 selon
les cas.
Traditionnellement, le << 13 heures » est la
mère nourricière de tout ce qui suit dans la journée comme
bulletins d'informations. Mais dans la pratique, il arrive que le << 20
heures » prenne admirablement sa revanche sur le << 13 heures »
chaque fois que les contingences de l'actualité inscrivent au programme
de l'après-midi, des événements aussi croustillants
qu'exceptionnels tels qu'une escale dans la capitale du Souverain Pontife,
l'ouverture d'un sommet régional ou international, une conférence
de presse du collectif de l'opposition, une déclaration de candidature
aux élections présidentielles, une annonce de démissions
en cascade au sein de l'Exécutif ou encore un remaniement-surprise, etc.
Le cas échéant, il est nécessaire qu'une conférence
de rédaction soit convoquée en début d'après-midi
pour fixer quelques attributions essentielles pour la réussite de
l'édition de 20 heures pour laquelle tout un peuple aura pris
rendez-vous. C'est dire à quel point une inversion des priorités
est toujours possible au gré des événements pour faire
passer le << 20 heures » du statut d'édition secondaire
à celui d'édition-phare. Et seules les capacités
d'organisation interne et le degré de souplesse dans la gestion des
équipes permettent à une Rédaction de s'en tirer à
bon compte. Autrement, bonjour les tensions!
En fait, à bien y regarder, c'est au niveau du contenu
que s'arrête la concurrence entre le << 13 » heures et le
<< 20 heures » dans la mesure où les équipes de
présentation sont souvent partiellement voire entièrement
reconduites en ce qui concerne ces deux tranches d'actualité. Il faut
attendre les extrêmes à 22 heures et 7 heures pour observer une
variation de style et de ton. Et de ce point de vue, on a souvent eu tort de
vouloir faire de ces extrêmes de simples éditions de rattrapage.
Car, il s'agit moins de réchauffer des informations refroidies que de
relancer l'intérêt de l'auditoire à travers un style plus
captivant.
Là réside le plus grand défi pour le
présentateur des éditions dites extrêmes qui doit faire
peau neuve en renouvelant la forme et en enrichissant, au besoin, le fond. A
condition, bien entendu, que l'évolution de l'actualité lui en
donne l'opportunité. En revanche, par rapport à
l'actualité internationale, il y arrivera plus aisément en
gardant un oeil rivé sur le téléscripteur ou le serveur de
dépêches. En clair, tout nouveau présentateur des
extrêmes doit aborder sa nouvelle responsabilité dans une
dynamique qui devrait apporter un démenti à tous ces
préjugés défavorables qui véhiculent, à tort
ou à raison, le sentiment hélas largement partagé que les
extrêmes n'ont pas d'identité propre et ne seraient qu'une
pâle copie des éditions précédentes. L'argument qui
consiste à présenter ces éditions extrêmes comme des
synthèses ou des résumés ne résiste pas à
l'accusation.
L'autre responsabilité que sont amenés à
assumer les présentateurs des extrêmes, c'est de se retrouver
parfois confronté à des dilemmes, c'est-à-dire à
des prises de décision qui ne relèvent pas en temps ordinaire de
leurs compétences. Exemple, pour ne citer que celui-là, d'un
groupe parlementaire qui, sans crier gare, se pointe à dix (10) minutes
de l'édition de 22 heures au motif d'avoir un communiqué urgent
à y présenter en direct. La gestion d'une telle contingence
requiert à la fois, du métier, du tact, de la jugeote et beaucoup
d'autorité pour trancher.
1.9 Les missions: monopole ou démocratisation
?
Pour une question d'équité, il convient de
donner à chacun sa chance. Le principal critère de
désignation à une mission devrait se rapporter à
l'aptitude professionnelle à répondre aux attentes de sa
rédaction en termes de collecte et de diffusion de l'information la plus
pertinente. A cette condition de bonne tenue professionnelle,
pourraient s'ajouter des considérations d'ordre moral.
Une tête bien pleine n'est pas toujours bien faite et c'est un drame que
de ne s'en apercevoir qu'une fois en mission, en territoire étranger.
Pour une mission avec le chef de l'Etat, il est plutôt normal que le
rédacteur en chef soit assez regardant sur le profil du reporter
pressenti.
Les missions à l'étranger constituent l'une des
rares sollicitations pour lesquelles les journalistes se font le moins prier.
Sinon, presque pas. En effet, ce sont des occasions rêvées de
sortir du train-train habituel et d'aller à la découverte de
nouveaux horizons, de nouer des relations tous azimuts et de se remettre en
cause. Professionnellement, les missions à l'étranger sont dignes
d'intérêt. C'est une autre dimension du métier au moyen de
laquelle le journaliste acquiert ou aiguise ses réflexes de
célérité, de curiosité et d'ouverture.
Autant le dire, les retombées d'une mission à
l'étranger ne sont pas que professionnelles. Si les candidats à
ces missions font des coudes et des mains, rivalisent d'intrigues et de
grenouillages pour être positionnés à la bonne heure et sur
la meilleure opportunité, ce n'est évidemment pas pour les beaux
yeux du ministre ou du chef de l'Etat. Le journaliste sait qu'il y trouvera son
compte, financièrement parlant. Et pour cause: les frais de mission d'un
seul séjour de dix jours de voyage en Amérique ou aux Emirats
arabes sont parfois sans commune mesure avec l'équivalent de trois mois
de salaires au pays. De quoi faire pâlir de jalousie ceux qui n'y ont pas
droit. Or, chacun sait que la sédentarité est l'une des choses
dont s'accommode très mal un journaliste.
On comprend dès lors pourquoi la course aux missions a
toujours eu de nombreux adeptes, chacun attendant son tour, calendrier et
calculette à la main. D'où la nécessité pour la
rédaction en chef de tenir à jour un agenda des sorties. Un
agenda qu'il
respectera dans la mesure du possible. Seulement dans la
mesure du possible si l'on sait que l'affectation des missions est l'une des
prérogatives que la rédaction en chef préfère
gérer souverainement. Ce faisant, il s'attire bien des foudres et
inimitiés.
1.10 A qui le tour ?
Ainsi, pour diverses raisons objectives ou subjectives, on
pourra constater que dans l'intervalle d'une même année, tel
collègue vient de s'envoler dans une délégation
présidentielle pour sa troisième mission à
l'étranger pendant que tel autre en est encore à négocier
son premier voyage. Devant cette politique de « deux poids, deux mesures
», la réaction naturelle des journalistes lésés est
de crier à l'injustice et à l'exclusion et sont de ce fait peu
disposés à comprendre, comme s'efforce de l'expliquer le
rédacteur en chef, que les choix portés sur certains reporters
sont dictés par des critères de compétence,
d'expérience et d'efficacité.
Face à de telles exigences, il va de soi que le
principe de la rotation mécanique a ses limites. A quoi bon confier la
couverture d'un périple économiquement stratégique du chef
de l'Etat à un collaborateur si l'on sait qu'il ne sera pas à la
hauteur de la tâche ? Si l'on sait par exemple qu'il ne sera pas en
mesure de câbler sa rédaction pour un minimum d'une retransmission
par jour. En clair, l'obligation de résultats que l'on a
vis-à-vis de sa rédaction et encore plus le devoir d'information
vis-à-vis du public priment de loin sur le plaisir d'aller en mission.
Il reste toutefois qu'un effort mérite d'être fait dans la
recherche du meilleur équilibre possible entre les abonnés aux
missions et ceux qui ne demandent qu'à faire leur preuve, sinon leur
coup d'essai. Ne faut-il pas leur donner une chance?
De toutes les façons, le jeune journaliste ne tardera pas
à comprendre que les missions
pleinement rempli que lorsqu'il a pu marquer sa
présence dans les principaux rendezvous d'information de sa
rédaction, et ceci, de façon régulière. Or, cet
objectif parfois difficile à atteindre est sujet à une
série d'aléas : accès au téléphone,
fonctionnalité des liaisons téléphoniques,
décalages horaires, etc. Et quand bien même toutes ces conditions
seraient réunies, l'envoyé spécial devrait en plus avoir
la chance de pouvoir faire enregistrer ses duplex (correspondances) par sa
rédaction ou les services techniques de son organe. Car, en la
matière, la célérité relève
généralement de l'exception.
Rien n'est donc gagné d'avance dans cette
épreuve de nerf où il arrive malheureusement que le journaliste
soit maintenu en ligne depuis l'Europe, par exemple, pendant quinze bonnes
minutes. Un délai que ses collègues, de l'autre côté
passent presque entièrement à rechercher dans un premier temps,
un bobinot, un bout de bande magnétique, à courir ensuite
après la clé d'un studio ou un studio disponible et à
faire décoller enfin un technicien pour l'enregistrement proprement
dit.
De nombreux journalistes ouest-africains interrogés sur
ces moments de leur carrière, gardent un très mauvais souvenir de
ce genre d'expériences aussi stressantes que démotivantes.
Toutefois, ces dernières années, le niveau d'équipement de
la Rédaction de Radio-Bénin permet désormais d'enregistrer
directement ses envoyés spéciaux à partir de
matériels adéquats installés dans l'environnement
immédiat des journalistes pour plus d'autonomie. Pour
Radio-Bénin, le meilleur est à venir !
1.11 La gestion des compétences
La compétence du journaliste se mesure moins à son
profil intellectuel qu'à son savoir-
titulaire du diplôme le plus élevé en
Droit qui verrait automatiquement sa candidature validée pour la
couverture au quotidien des travaux de la Cour d'Assises. Ainsi, il n'est pas
étonnant qu'un excellent théoricien de la Communication soit un
piètre reporter.
Heureusement, dans ce métier, la compétence est
l'une des rares choses qu'on ne peut décréter ; elle intervient
généralement au bout d'une pratique continue, soutenue, assidue
et rigoureuse. Il reste que les critères d'appréciation de la
compétence ne sont pas standards. Dans une rédaction, on
frustrerait facilement un collaborateur en l'excluant de certaines
activités au motif qu'il n'est pas compétent. Par contre, on
édulcorerait la sentence en précisant qu'il est compétent
pour une telle prestation de service ou dans tel genre journalistique et qu'il
l'est moins ou pas du tout dans tel autre.
Chose d'autant plus normale qu'aucun rédacteur en chef
ou directeur d'organe ne s'attend à voir un même rédacteur
traiter tous les dossiers de la rédaction avec une égale
perfection. Une Rédaction n'a pas de compétences en dehors de la
somme et surtout de la diversité des compétences de ses
animateurs. C'est d'ailleurs dans un tel esprit qu'il devient possible de
suppléer les compétences des uns aux limites des autres. S'il est
vrai comme nous l'enseigne l'Ecriture Sainte que tout homme est pourvu d'un
talent, on devrait être en droit d'en déduire que toute
Rédaction est un concentré ou une mosaïque de
compétences.
Seulement, une chose est d'être nanti de
compétences ou d'en avoir à sa disposition de par sa
qualité de chef de service ou de responsable et une autre est de savoir
en faire bon usage. Une manière de dire que la gestion des
compétences dans une Rédaction requiert aussi des
compétences, du moins un certain sens de l'équilibre
doublé d'une réelle capacité d'évaluation des
prédispositions, des qualités professionnelles, des centres
d'intérêt mais aussi des points faibles des individualités
qui composent la
rédaction. Pour la méthode, il serait
indiqué d'envisager la tenue d'un fichier individuel de suivi des
rédacteurs. Pourvu qu'il soit utilisé comme un réel outil
de travail et géré sans complaisance.
Sans complaisance, cela signifie qu'il n'y ait aucune place
pour les combines et les grenouillages que multiplient les courtisans à
l'endroit du rédacteur en chef pour se faire programmer sur certains
types de reportages convoités pour leur caractère prestigieux ou
juteux en termes de retombées financières.
Tel journaliste n'ayant jamais manifesté ni de
près ni de loin le moindre intérêt pour les questions
environnementales affiche subitement sa volonté d'assurer la couverture
à l'étranger, d'un Forum mondial des ONG engagées dans la
lutte contre le réchauffement de la planète. De même, il
est inconséquent qu'un journaliste qui ne s'est jamais
intéressé aux questions économiques se mette à
battre campagne pour se voir affecter la couverture, à Seattle, d'un
sommet de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la mondialisation des
échanges commerciaux. On peut en dire autant d'un journaliste qui serait
réputé pour être un tireur au flanc et qui en veut à
son rédacteur en chef de l'avoir tenu à l'écart de
l'équipe des envoyés spéciaux devant assurer la couverture
des élections présidentielles.
Ce sont là autant de domaines de souveraineté du
rédacteur en chef qui ne doivent pas lui échapper même si
dans certains cas, son intransigeance peut l'exposer à des campagnes de
sabotage et à des pressions multiformes. L'essentiel est qu'il soit
convaincu de la pertinence de ses choix qui doivent concourir à
maximiser les rendements de sa Rédaction.
|