La conférence de rédaction comme outil d'auto-régulation et espace de communication organisationnelle( Télécharger le fichier original )par Anicet Laurent QUENUM Université Cheickh Anta Diop de Dakar - UCAD - DESS 2004 |
CONCLUSION« Les loups ne se mangent pas entre eux » a-t-on coutume de dire pour illustrer un certain réflexe d'auto-défense propre à des êtres semblables ou à des catégories d'acteurs liés par des intérêts communs. Curiosité : y aurait-il une quelconque similitude entre cette loi de la jungle et l'autorégulation journalistique ? En principe, non ! Sauf que, vis-à-vis de l'opinion publique, les journalistes ont la lourde responsabilité de démontrer, par l'exemple, que l'autorégulation qu'ils prônent ne relève ni d'un protectionnisme frileux ni d'une stratégie de parade systématique contre la critique extérieure. Car, il ne sera pas superflu de convaincre les usagers des médias et partenaires de la presse qu'il ne s'agit pas pour les professionnels de l'information de chercher à se dérober à la mise à l'épreuve publique de leurs actions. Et pourtant, c'est bien ce risque que soupçonne Cyril Lemieux lorqu'il écrit : « l'impératif de communication, rappelons-le, est ce principe apparu avec la crise de la modernité organisée, en vertu duquel nul n'est censé pouvoir se retrancher derrière les prérogatives attachées à son statut, pour imposer unilatéralement ses vues ou se dérober à un examen public de sa compétence ou de son action »35 Cyril Lemieux qui semble plutôt se réjouir du retournement de ce principe contre les journalistes y voit en plus un principe régulateur du travail journalistique et renchérit : « il est demandé aux journalistes dont l'activité ébranle les statuts et les sécurités de leurs concitoyens, d'expliquer à leur tour publiquement les ressorts et les conditions de leur action et de justifier leurs choix »36. 35 LEMIEUX (Cyril), Mauvaise presse, Editions Métailié, 2000, p. 94 36 LEMIEUX (Cyril), Mauvaise presse, Editions Métailié, p. 94 Loin d'être isolé ou marginal, ce point de vue semble être partagé par nombre d'intellectuels, comme c'est le cas de la sociologue sénégalaise Fatou Sarr qui estime qu'« il est nécessaire pour le citoyen de contrôler les professionnels de la communication parce que la presse participe à la transformation de la société, soit en l'améliorant, soit en la régressant »37. Preuve que, loin d'être une esquive, un effet de ruse ou encore une échappatoire à la sanction, l'autorégulation, telle que nous en rêvons pour Radio-Bénin, est plus exactement une école de la responsabilité et le signe que cette responsabilité est arrivée à maturité. Et c'est bien cette maturité dans l'approche et la gestion des conflits internes à la Rédaction qui autorise à penser et donne à espérer que, devant la sanction de ses pairs, le journaliste fera amende honorable. Et pourtant, bien que ce principe soit clamé haut et fort par les journalistes, on s'aperçoit dans le fonctionnement des Rédactions de presse qu'il n'est pas toujours aisé pour le groupe de faire entendre raison à l'individu ; il n'a pas toujours été évident pour le système de s'imposer à l'acteur. Ceci, pour la simple raison que les ambitions et les motivations des uns sont souvent très éloignées de celles des autres et que les jeux de pouvoir, les stratégies de positionnement et les quêtes d'autonomie et mêmes les discours sont très différenciés. Tant mieux pour cet espace public en miniature où, du reste, une éthique de la compétition reste à inventer si l'on sait que, dans leurs interactions, les journalistes d'une même Rédaction ont autant la capacité de s'épauler, de solidariser et de se liguer contre l'adversaire commun que celle de s'inhiber face à certains enjeux de carrière (promotion et positionnement). Ainsi, les convoitises autour des postes d'attaché de presse, de rédacteur en chef, de directeur , la course vers les cabinets ministériels, les appétits de pouvoir, la chasse aux missions « juteuses » et aux reportages 37 cf Interview accordée à Sud-Quotidien à l'occasion de la Journée mondiale de la presse (03 mai 2004) « perdiemisés »38...sont parfois si féroces que les protagonistes ne s'embarrassent guère de l'esprit de confraternité. De même, le projet de faire de la conférence de rédaction, un espace courtois et civilisé de communication organisationnelle fait appel à toute une éthique de la discussion où la recherche de l'argument meilleur, au sens où l'entend Jürgen Habermas, s'imposerait comme seul critère de délibération des débats. Le mérite pour les Rédactions de presse serait de donner de la hauteur, du charme, de l'élégance et du sens à leurs joutes oratoires. Aussi, faudra-t-il pousser le plus loin possible le sens de la responsabilité en impliquant chaque journaliste de la Rédaction dans la réflexion, la conception et l'adoption d'un Code de bonne conduite de sa Rédaction. A vrai dire, l'enjeu serait moins le code luimême que l'obligation morale qu'il devra inspirer à ses propres auteurs et co-auteurs. Car, s'il est vrai que l'on est naturellement plus enclin à valoriser et à défendre l'oeuvre de son propre génie, il est alors hors de tout entendement que des journalistes en viennent à trahir les principes qu'ils se seraient librement donnés. Autant pour Radio-Bénin que pour d'autres organes de presse, les Rédactions ne sont homogènes qu'en apparence puisque, de nombreuses alliances ou expériences de coopération ne reposent que sur des intérêts du moment, les exigences de rendement par la collaboration et les contraintes d'une cohabitation professionnelle. Sans plus ! Or, à bien y réfléchir, l'harmonie des Rédactions ne se fera que par un accroissement du sentiment d'identification des journalistes à leur Rédaction. Ce qui implique que les rédacteurs en chefs et les directeurs d'organes soient plus attentifs à des facteurs tels que : le niveau de partage des objectifs de la Rédaction, le niveau de satisfaction des 38 Des reportages ayant pour enjeux le perdiem ou toute autre forme de rétribution attentes, la fréquence des interactions, la multiplicité ou non des compétitions internes, les sources de motivations qui, (attention!) ne sont pas que d'ordre matériel et pécuniaire, mais peuvent, sait-on jamais, simplement s'exprimer en termes de passion, d'idéal, de besoin de valorisation personnelle, de quête de légitimité, d'écoute, de reconnaissance, etc. En somme, et pour y revenir, l'autorégulation empruntera quelque chose à chacune et à l'ensemble de ces variables. Mais fondamentalement, l'on retiendra pour de bon qu'elle est tout sauf une tour d'ivoire pour journalistes réfractaires à la mise à l'épreuve critique du citoyen. Plutôt que d'être perçue et vécue comme la garantie d'une quelconque immunité professionnelle, l'autorégulation doit absolument se fonder sur la responsabilité et l'aptitude à l'auto-évaluation pour devenir ce qu'on attend véritablement d'elle : une chance pour le management participatif et dynamisant des Rédactions de presse. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES OUVRAGES ACCARDO (Alain), Les journalistes au quotidien, Editions Le Mascaret, Bordeaux, 1995 GUERY (Louis), Le secrétariat de rédaction, de la copie à la maquette de mise en page, Paris, Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, 1990, 422 pages JAMEUX (Claude), Sciences de la société - les organisations au risque de l'information, N° 33, Presses Universitaires du Mirail, octobre 1994 LEMIEUX (Cyril), Mauvaise presse - une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, éditions Métaillé, 2000 SERVAN-SCHREIBER (Jean-Louis), Le pouvoir d'informer, éditions Robert Laffont PONTHIEU (Gérard), Le métier de journaliste en 30 questions-réponses, GRET, 1998 TUDESQ (André-Jean), L'Afrique parle, l'Afrique écoute, Karthala, Paris, 2002 WORLD PRESSE COMMITTEE (Comité mondial pour la presse) et EDILIS, Manuel des journalistes africains, 2000 WOODROW (Alain), Information Manipulation, éditions du Félin, 1991 JOURNAUX / REVUES / PUBLICATIONS
SITES WEB www.mediabenin.org www.izf.net |
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