II-2-3 Les facteurs liés au système de
santé
Certains facteurs liés au centre de santé ou
à l'organisation du système de soin peuvent favoriser la non
adhérence. Nous pouvons citer à titre illustratif le mode de
conservation des médicaments, la non disponibilité des
médicaments, l'incompétence du personnel soignant dans
l'explication de la posologie (Tsey, 1997).
II-2-4 Les facteurs liés au traitement :
Régime médicamenteux et adhérence aux
traitements
L'analyse empirique rejoint en général le sens
commun. Plus un traitement est complexe, long et producteur d'effets
indésirables, plus la mauvaise adhérence est probable et
importante. Dans une étude sur l'adhérence aux ARV auprès
de 2765 personnes âgées entre 17 et 92 ans aux Etats-Unis
d'Amérique, Mallory et al. (2003) trouvent après ajustement, une
association significative entre la durée longue du traitement et la
poursuite de l'adhérence chez les malades du SIDA (OR=1,11 ; IC
95%=1,02-1,21). Des traitements non adaptés, trop contraignants ou
engendrant des effets secondaires trop importants, les
31 polythérapies exigent la prise de nombreux
comprimés auxquels viennent s'ajouter les prophylaxies et traitements
des infections opportunistes. On sait que la probabilité d'une bonne
adhérence est inversement proportionnelle au nombre de
médicaments, à la fréquence d'administration, à la
sévérité et au nombre des effets secondaires ainsi
qu'à la durée prévue du médicament.
II-2-5 Les facteurs émotifs et relationnels
Les relations professionnels de santé - patient
Plusieurs études suggèrent que la communication
professionnels de santé - patient a un effet particulièrement
puissant sur l'adhérence aux traitements (Bonmarchand, 2005; Garcia et
al. 2005 ; Malta et al. 2005). Le patient a souvent besoin d'être
informé et d'être mis en confiance. Certains patients abandonnent
leur traitement juste du fait qu'ils se sentent distants de leur médecin
ou de l'accompagnateur (Garcia et al. 2005) ou parce qu'ils reçoivent
peu d'informations sur la nécessité du traitement et sur les
périodes de prise journalières (Bonmarchand, 2005).
Des psychologues de la santé à l'instar de Ley
P. (1985) soutiennent que la communication médecin-malade est le moment
le plus crucial dans la formation de l'observance ou de l'inobservance. Lorsque
le patient n'est pas satisfait des explications qu'il reçoit ou attend,
lorsqu'il ne comprend pas ce qu'on lui demande, ou ne parvient pas à
mémoriser, son insatisfaction est appelée à faire
barrière à l'exécution du traitement. Cette
hypothèse cognitive, soutient Morin, M. (2001), est parallèle aux
propositions de la psychologie clinique d'inspiration psychanalytique qui met
en évidence les mystères transférentiels à travers
lesquels le médecin devient médicament. Les patients ont besoin
d'être soutenus et non culpabilisés.
Dans une étude auprès des personnes
âgées, Bayada et al. (1985) montrent que l'observance est
meilleure si le patient est directement en contact avec le pharmacien (47%), et
non une tierce personne (31%). En plus, ces personnes sont plus observantes
lorsqu'elles considèrent leur médecin comme étant
disponible (69% contre 35%).
Des pharmaciens américains (Lipton et al. 1990) ont
montré dans une étude castémoin que leur intervention
après hospitalisation a permis de diminuer les oublis de prise de
médicaments de 23% à 8%.
Une étude menée sur l'ensemble de la
clientèle des pharmacies lyonnaises a montré que 75% des cas
d'inobservance étaient liés à une incompréhension
de la prescription ou une sous-estimation de la gravité (Bauguil et al.
1998).
Une bonne connaissance des médicaments par le patient
semble être un facteur à la bonne adhérence aux
traitements. Savoir à quoi sert le médicament qu'il prend, quels
sont les risques s'il s'arrête, s'il existe des interactions avec
l'alcool, l'alimentation ou d'autres médicaments, dans quelles
situations la tolérance du médicament peut être
modifiée est un facteur déterminant important (CRESIF, 2001).
Cette connaissance dépend des relations avec les professionnels de la
santé mais aussi du niveau cognitif du patient.
Soutien social et adhérence aux traitements
Si l'intérêt manifeste des chercheurs sur les
relations entre l'environnement social et la santé est assez
récent (Bassuk et al. 1999; Cohen et al. 1997 ; Fuhrer et al. 2002;
Gage, 1997; Matteson et al. 1998; Melchior et al. 2003; Préau et al.
2005), c'est depuis les travaux de Émile Durkheim sur le suicide (1897)
que l'unanimité s'est faite sur l'influence des facteurs sociaux sur la
santé et le comportement des individus. Cohen et al. (1997) ont
trouvé une association entre le rhume et la diversité du
réseau social chez 276 volontaires âgés de 18 à 55
ans n'ayant jamais eu de VIII ou une grossesse. Ceux qui avaient un
réseau plus diversifié étaient moins susceptibles au rhume
et cette association ne disparaissait pas dans une analyse multivariée.
Dans une étude sur le support social, le bon moral et l'adhérence
aux traitements ARV chez les homo et les hétérosexuels,
Schneiderman et al. (2004) ont soutenu que l'association entre le support
social et l'adhérence passait par l'intermédiaire d'un
état d'esprit positif.
Dans une étude sur l'adhérence aux traitements
ARV chez les prisonniers espagnols atteints de VIII, Blanco et al. (2005)
montrent que ceux qui n'avaient pas de visites de leurs relations sociales
avaient 2,41 plus de risque d'être de mauvais adhérents (IC
95%=1,10- 4,46) et que ceux qui ne recevaient aucune visite par mois avaient un
risque de 2,41 comparativement à ceux qui recevaient au moins une visite
par mois (IC 95%=1,20-4,86)
Le soutien que le sidéen peut avoir dans son milieu
social pourrait lui permettre de faire face à cette culpabilisation et
à la stigmatisation dont il est victime. Vivre avec une maladie aussi
grave que le SIDA conduit à des redéfinitions de soi et des
rapports au monde qui ont des conséquences au niveau biographique et
identitaire (Préau et al. 2005).
Aux États-Unis d'Amérique, une étude
portant sur l'influence du soutien social sur les femmes atteintes de SIDA
trouve que les femmes avec un support social adéquat
développaient mieux une stratégie de « coping
» c'est-à-dire, les habilités pour surmonter des
difficultés (Hough et al. 2005).
Déjà en 1999, Gordillo et al. avaient
comparé le risque d'observance entre les malades du SIDA n'ayant aucun
support social à ceux ayant un support. Avec un échantillon de
371 patients, ils ont trouvé un ratio de côtes (RC) de 2,03 et un
IC 95% variant entre 1,25 et 3,27 en faveur de ceux ayant un soutien.
Dans une récente étude qualitative sur
l'adhérence aux traitements ARV menée au Brésil par Garcia
(2005), l'un des participants reconnaît que juste d'avoir
été supporté par ses parents financièrement et
psychologiquement et le fait qu'il était accompagné de ses
parents lors de ses consultations ont été le pilier majeur pour
sa lutte à sa survie.
En Afrique subsaharienne, plusieurs auteurs (Dongmo, 1981;
Priso, 1993; Sow, 2002b) ont montré l'importance du soutien social dans
la vie quotidienne des populations. Au Sénégal, Sow (2002b)
affirme que la solidarité familiale pour la prise en charge des PvVIH
est parfois polymorphe et peut combiner un soutien matériel,
économique et psychologique.
La famille accompagne et soutient le patient au cours de sa
quête thérapeutique ; met parfois en place des systèmes de
surveillance pour s'assurer que le patient est effectivement observant. Les
membres de la famille ou l'entourage proche recherchent des tradipraticiens ou
des religieux susceptible de soulager, de guérir ou de protéger
le malade contre un mauvais sort ou une malédiction, font intervenir
leurs réseaux relationnels dans le monde médical pour faciliter
les démarches administratives d'inclusion à l'ISAARV, consultent
les devins pour les causes de sa maladie et s'occupent en cas de
nécessité, des cérémonies traditionnelles
susceptibles d'apporter une amélioration à son état de
santé.
Un milieu social solidaire et tolérant améliore
de façon significative la santé des personnes affectées
par une maladie ou plus vulnérables à celle-ci dans la mesure
où ce soutien leur permet de mieux accepter les interventions qui les
concernent et d'autre part, leur facilite le recours aux différents
services sociaux (Mehta et al.1997). Plusieurs autres études confirment
que l'isolement social ou l'absence de soutien perçu sont
associés à des bas niveaux d'adhérence pour certains types
de pathologies mentales (Draine et al.1994) de même pour l'infection au
VIH (Kissinger et al. 1995 ; Mehta et al.1997).
Il existe différents types de soutien (Barrera 1986 ;
Cooke et al. 1988 ; Lin et al. 1999 ; Wethington et al. 1986) :
1. Le soutien émotif fait référence au
sentiment d'être aimé, les préoccupations affectives, la
confiance et l'intimité ;
2. Le soutien instrumental qui est l'aide concrète,
matérielle et financière ;
3. Le soutien normatif c'est-à-dire, le renforcement
par autrui de l'identité sociale, reconnaissance de sa valeur, estime,
communication des attentes et normes comportementales, similitude des valeurs,
sentiments d'appartenance à la collectivité ou au groupe;
4. Le soutien informatif qui caractérise l'analyse
cognitive d'une situation, d'un conseil, la référence et la
localisation des ressources dans l'environnement ;
5. Le soutien socialisant qui englobe l'accès à de
nouveaux contacts sociaux, les activités récréatives, les
accompagnements et les distractions.
II-2-6 Les facteurs liés au patient
Âge, capacités physiques et cognitives et
adhérence aux traitements
D'après les données de la littérature,
les personnes âgées seraient plus adhérentes aux
traitements par rapport aux jeunes (Nemes et al. 2004 ; Orrell et al. 2003).
Dans une étude de cohorte prospective, auprès de 148 PvVIH
âgées entre 25 et 69 ans, Hinkin et al. (2004) montrent que les
personnes de moins de 50 ans étaient moins observantes que celles
âgées de plus de 50 ans. Au sein de la cohorte en
général, le taux d'adhérence est estimé à
80,7% mais ce taux est de 87,5% chez les personnes âgées et 78,3%
chez les jeunes avec une différence statistiquement significative. En
fixant le critère de bonne adhérence à 95% de respect du
traitement, 53% des patients âgés étaient bons
adhérents contre 26% de jeunes.
Cependant, à l'égard de la prise de traitement, les
difficultés rencontrées par les personnes âgées
souvent citées dans la littérature sont (CRESIF, 2001) :
-mémorisation des prescriptions et de leurs horaires ;
-lecture et compréhension des étiquettes et des
modalités de prescription ;
-visualisation des différentes formes galéniques
(taille, couleur...)
-manipulation des flacons munis de bouchons de
sécurité, utilisation d'aérosol, de collyre...
Isaac et al. (1993) ont montré que les capacités
cognitives, notamment dans le domaine de la vision chez les personnes
âgées influençaient l'observance au traitement. Ainsi 28%
de leurs patients étaient non adhérents juste parce qu'ils
lisaient les instructions de prescription de manière incorrecte.
Revenu et adhérence
Plusieurs études confirment l'association entre le
revenu et l'adhérence aux traitements. Lanièce et al. (2003) ont
conduit une étude prospective randomisée auprès d'une
cohorte de PvVIH au Sénégal entre novembre1999 et octobre 2001.
Le critère de randomisation était la participation
financière du patient. Ils ont formé quatre groupes :
-le groupe A où le traitement était gratuit ;
-le groupe B avec une participation financière du patient
allant de 1 à 20 000 FCFA ; -le groupe C avec une participation du
patient allant entre 20 et 49 999 FCFa
-et le groupe D avec une participation de 50 000 FCFA et plus.
La moyenne d'adhésion selon les années a
évolué ainsi qu'il suit :
Groupe A : 1ère année 92,2% (n=144) ;
2ème année 90,8% (n=69) ; 3ème
année 93,4%( n=75) ; Groupe B : 1ère année
88,4% (n=203) ; 2ème année 97,3% (n=30) ;
3ème année 88,3% (n=200) ; Groupe C :
1ère année 85,3% (n=244) ; 2ème
année 83,7% (n=207) ; 3ème année 94,1% (n=37) ;
Groupe D : 1ère année 66,4% (n=28) ;
2ème année 60,1% (n=35) ; 3ème année
89,8% (n=6).
Cette étude montre que plus le traitement est gratuit,
plus l'adhérence est élevée.
Une autre étude menée en Ouganda montre que le
risque d'inobservance chez les personnes ayant un revenu mensuel
inférieur à $ 50 US était de 2,42 (IC 95%=1,42-4,00) et
après ajustement, l'association persistait et le risque devenait 2,77
avec IC 95%=1,46-4,67 (Byakika-Tusiime et al. 2005).
Sexe et adhérence
Peu d'études ont trouvé une association entre le
sexe et l'adhérence. Cependant, citant une source secondaire, le CRSIF
(2001) estime que les hommes seraient mieux observants que les femmes. Mais,
rien ne vient soutenir un tel argument.
Dans une étude portant sur l'observance
médicamenteuse dans la maladie de Horton où le seuil de la bonne
adhérence était fixé entre 75-80% de la prise totale, Le
Gal et al. (2003) ont interrogé 49 patients dont 61% étaient des
femmes âgées en moyenne de 73,7 ans. Comme résultat, ils
trouvent que l'adhérence était plus élevée chez les
hommes (73,7%) alors que chez les femmes, elle était faible (36,7%). Ce
résultat était d'ailleurs significatif
36 statistiquement (p=0,012). Les auteurs estiment qu'il y
aurait une surestimation de l'adhérence puisque c'est le patient
lui-même qui déclare son adhérence ;
Seuls les patients se présentant à la
consultation étaient interrogés et selon les auteurs même
de l'étude, l'inobservance au suivi hospitalier constituait un biais.
Elle n'a pas été évaluée dans cette pathologie par
le service où s'est déroulée l'étude ;
Chez les patients sous corticothérapie, où il
est habituel de s'interroger sur l'adhérence au régime qui leur
est imposé, les auteurs soutiennent n'avoir pas évalué
celle-ci afin de ne pas alourdir le questionnaire ;
Enfin, ils ont des doutes sur la validité des
réponses données par les hommes aux femmes enquêtrices.
Niveau de scolarité et adhérence
Dans une étude portant sur l'influence des variables
sociodémographiques et psychologiques sur l'adhérence aux ARV en
Espagne, Gordillo et al. (1999) ont interrogé 366 PvVIH sur leur
adhérence au traitement. Le seuil de la bonne adhérence dans
cette étude était de 90% du total des prises. Ils ont
trouvé que 57,6% de patients étaient bons adhérents. Ils
constatent aussi qu'il existe une association entre le niveau de
scolarité et l'adhérence. A partir du niveau d'étude
secondaire, le ratio de côtes de la bonne adhérence augmentait
comme le montre le tableau suivant tiré de leur étude :
|
Bonne adhérence
|
Mauvaise adhérence
|
O.R
non ajusté
|
95% I.C
|
Études Universitaires
|
52 (66,7%)
|
26 (33,3%)
|
4,0
|
1,10-14,50
|
École Secondaire
|
61 (64,9%)
|
33 (35,1%)
|
3,69
|
1,03-13,20
|
École de formation
|
25 (51,0%)
|
24 (49,0%)
|
2,08
|
0,55-7,83
|
Études primaires
|
69 (51,9%)
|
64 (48,1%)
|
2,15
|
0,62-7,50
|
Sans scolarisation
|
4 (33,3%)
|
8 (66,7%)
|
1,00
|
|
Au Brésil, Nemes et al. (2004) ont interrogé
1972 patients sous traitement ARV sur leur adhérence au traitement. Le
seuil de la bonne adhérence étant situé à 80% du
total des prises, ils ont trouvé que la prévalence de la bonne
adhérence était de 75% et 95% I.C=73,08- 76,95. Ils ont
trouvé une association entre le manque de scolarisation et
l'adhérence. Leur résultat est présenté sous forme
de tableau ainsi qu'il suit :
Nombre d'années de Total Prévalence de la
non O.R 95% I.C
scolarisation adhérence
|
|
n (%)
|
|
|
10-15
|
578
|
128 (22,15)
|
1,00
|
-
|
8-9
|
362
|
85 (23,48)
|
1,08
|
0,79-1,47
|
5-7
|
482
|
123 (25,52)
|
1,20
|
0,91-1,60
|
3-4
|
146
|
34 (23,29)
|
1,07
|
0,69-1,64
|
0-2
|
403
|
121 (30,02)
|
1,51
|
1,12-2,02
|
Ces deux études montrent que plus le niveau de
scolarité est élevé, meilleure est l'adhérence.
Toute cette littérature confirme que l'adhérence
est un phénomène complexe et qu'il serait difficile de
l'expliquer par un seul facteur.
CHAPITRE III HYPOTHÈSES DE L'ÉTUDE ET
MÉTHODES
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