II-1-2 Déterminants de la stigmatisation
La stigmatisation a suscité depuis longtemps un
intérêt particulier en sciences sociales surtout chez les
psychologues. C'est d'ailleurs au sociologue Erwin Goffman que l'on doit la
première étude significative sur cette problématique
(Kuzban et Leary, 2001 ; Perrot et al. 2000).
Dans une étude comparative sur la stigmatisation des
PvVIH en Russie et Aux EtatsUnis d'Amérique, McCare et al. (2006)
constatent que la stigmatisation était plus prononcée en Russie
qu'aux Etats-Unis. Leur étude était menée auprès de
635 américains (356 femmes et 279 hommes âgés entre 21 et
91 ans) et 200 russes (103 femmes et 97 hommes âgés entre 16 et 83
ans). 67% des russes s'opposent à ce que la séropositivité
d'un membre de leur famille soit dévoilée publiquement contre
17,8% d'américains. Par ailleurs, 35,5% des russes soutiennent que les
PvVIH devraient recevoir moins de soins de santé que les autres malades
alors que chez les américains, cette proportion tombait à 8,5%.
En Russie, c'est l'entourage immédiat de la PvVIH qui est le premier
à rejeter le malade dès les premiers soupçons de sa
séropositivité.
Dans une étude menée au Burkina Faso, Taverne
(1996) soutient que dans ce pays, les migrants et les prostituées sont
indexés comme responsables de la propagation du SIDA. Suivant cette
logique, on accepte volontiers que seul ceux qui migrent à
l'étranger s'exposent à la maladie et que tous ceux qui ne sont
jamais partis sont certains de ne pas être concernés par le VIH.
Ainsi donc, note-t-il, de plus en plus souvent les migrants de Côte
d'Ivoire sont mis en observation par leurs proches, voire en quarantaine.
Toutes les études sont unanimes à l'effet que la
stigmatisation a des conséquences néfastes sur les efforts de
lutte contre le SIDA. D'une part, la peur d'être stigmatisé peut
retarder le traitement et influencer le pronostic (Micollier, 2005 ; Stuart,
2003) ou aussi empêcher ceux qui auraient besoin de soins de chercher
à les obtenir. D'autre part, la stigmatisation a des conséquences
psychologiques importantes sur la manière dont les personnes
infectées par le VIH/SIDA se considèrent, entraînant dans
certains cas la dépression, la perte de l'estime de soi et le
désespoir (Acuña et al, 2005 ; Vidal, 2002) . Elle sape aussi les
efforts de prévention car les individus ont peur de découvrir
s'ils sont ou non infectés et de chercher à se faire soigner, par
crainte des réactions des autres (ONUSIDA, 2002).
II-2 L'adhérence aux traitements II-2-1
Définitions
De nombreux problèmes de terminologie et de
représentations tendent à obscurcir le débat sur la
question de l'adhérence aux traitements. Bien souvent, on utilise des
expressions différentes pour décrire la même
réalité. Parler d'adhérence demande donc une clarification
du vocabulaire et une définition des termes connexes.
L'observance peut se définir comme étant le
degré auquel le comportement du patient coïncide avec les
recommandations du médecin (Le Gal et al. 2003). Ou encore la
disposition du patient à suivre les prescriptions médicales
nécessaires à la maîtrise individuelle de la maladie
(Chrétien, 1995).
La compliance- que Le Gal et al. (2003) conseillent
d'éviter- est en elle-même controversée puisque
étymologiquement, elle rejetait le blâme de la mauvaise
adhérence au patient seul en faisant fi de la responsabilité du
médecin ou prescripteur (Barber, 2002). L'expression est
empruntée à la physique et définit les
caractéristiques des corps élastiques. La médecine l'a
donc emprunté pour désigner la plus ou moins grande
obéissance du malade et son désir de se conformer aux directives
médicales.
Selon le CRESIF (2001), cette transposition de la notion de
compliance dans le domaine de la santé est peu satisfaisante et
même humiliante pour plusieurs raisons : le malade est comparé
à un objet, la relation médecin-patient se réduit à
un rapport de force et implique la soumission du patient aux directives du
médecin.
L'adhérence correspond à l'ensemble des
conditions (motivation, acceptation, information, ...) qui permettent
l'observance en reposant sur la participation du patient (CRESIF, 2001).
Pour nous, il s'agit du terme le plus satisfaisant dans la
mesure où il implique activement le patient dans sa prise en charge
thérapeutique et nécessite de sa part un libre choix. Il implique
le fait d'entreprendre ou de poursuivre un traitement, de venir aux rendezvous
de consultation, de prendre les médicaments tels qu'ils sont prescrits,
de suivre des recommandations impliquant des changements de vie (régime,
exercice physique), d'éviter des comportements à risque (drogues,
tabac, alcool...).Néanmoins, la distinction entre observance et
adhérence n'est pas assez claire dans la littérature. Pour nous,
il s'agit de deux synomymes que nous utiliserons de façon
interchangeable.
Certains auteurs (Blackwell, 1976 ; Dahan et al. 1985)
soutiennent que la non adhérence peut être : une absence de prise
médicamenteuse, une prise injustifiée, une erreur de dose, une
erreur dans l'horaire de la prise ou la prise de médicaments non
prescrits par le médecin. Au-delà de la définition de
l'observance (ou adhérence), se pose le problème du seuil en
deçà duquel on considère le patient comme étant un
non observant et de la méthode de mesure puisqu'il n'existe aucun gold
standard. Costagliola et al. (2001) identifient dix méthodes de mesure
ayant chacune ses limites comme le montre le tableau suivant :
Tableau II : Les différentes méthodes de
mesure de l'adhérence
Méthode
|
Avantage
|
Inconvénient
|
Dosage du/des
médicaments
|
Vérification de l'utilisation récente
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Limité à l'utilisation récente. Variation de
la cinétique intra-et inter-patient
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Marqueur biologique
|
Vérification de l'utilisation récente
|
Limité à l'utilisation récente. Variation de
la cinétique intra-et inter-patient
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Observation directe du patient
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Vérification de l'utilisation
|
Impraticable en ambulatoire
|
Entretien
|
Facile à utiliser
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Influencer par la façon de poser les questions
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Auto-questionnaire
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Facile à utiliser, validé, peut
permettre d'expliquer le comportement du patient
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Pas de données quantitatives. La précision
dépend de l'outil
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Dénombrement
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Facile à utiliser, peu coûteux
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Pas de données sur le rythme des prises, le patient
peut oublier ou modifier les médicaments restants
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Registre de
délivrance manuel
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Non invasif
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Limité par les possibilités locales
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Registre de
délivrance électronique
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Non invasif, données à long terme,
échantillon de grande taille
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Connaissance de la base de
données indispensable,
pertinence des variables enregistrées
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Carnet
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Seules données dont la source est le patient apportant
es informations sur le rythme des prises
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Registre de surestimation. Le
patient doit penser à remplir et ramener son carnet
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Pilulier électronique
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Données précises sur le rythme des prises
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Coûteux, abondance de données, intrusif
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Source : Costagliola et al. 2001. pp.33-42.
Quant au seuil, on le fixe généralement entre 90
et 95% de la prise totale idéale (Barber, 2002). Mais ce seuil peut
varier selon le type de traitement et dans le cas du SIDA, on le situe
généralement au dessus de 90% (Le Gal et al. 2003).
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