V-1 Résumé et discussion des
résultats
V-1-1 Discussion de l'outil de mesure de la
stigmatisation
L'instrument de mesure de la stigmatisation démontre de
bonnes qualités métrologiques. De plus, la validité du
construit théorique (validité du contenu) a été
assurée par une démarche rigoureuse auprès d'experts
scientifiques et d'experts d'étude sur le terrain. Le coefficient alpha
de Cronbach témoigne d'une bonne consistance interne de notre outil. Il
est cependant inférieur à celui rapporté par Ertugrul et
al. (2004) sur la Schizophrénie. Ceci peut se justifier par le fait que
l'échelle de Ertugrul comporte 14 items alors que la nôtre n'en
comporte que 7 soit exactement la moitié.
Les analyses factorielles exploratoires ont
révélé une structure à deux facteurs. Le premier
capte le concept de stigmatisation et le second celui du fonctionnement.
Cependant, ce deuxième facteur ne nous intéresse pas pour cette
étude.
V-1-2 Discussion des résultats de l'objectif 1
Tant à Bamako qu'à Ouagadougou, les indicateurs
de la position socioéconomique (âge, sexe, pauvreté et
scolarisation) sont associés à la stigmatisation. À Bamako
comme à Ouagadougou, une mauvaise santé perçue est
associée à la stigmatisation. À ces variables, s'ajoute la
richesse à Ouagadougou. En ce qui concerne les relations
interpersonnelles, les variables associées à la stigmatisation
à Bamako sont le soutien social, l'implication dans les associations de
PvVIH et la qualité des relations avec le médecin. A Ouagadougou
par contre, le soutien social est la seule variable de la catégorie des
relations interpersonnelles qui est associée à la stigmatisation.
À Bamako comme à Ouagadougou, l'absence de scolarisation de
même qu'une mauvaise santé perçue est associée
à la stigmatisation.
À Bamako, les variables relationnelles (soutien social,
l'implication dans les associations de PvVIH et la qualité des relations
avec le médecin) sont aussi associées à la stigmatisation.
A Ouagadougou par contre, le soutien social mesuré est la seule variable
de la catégorie des relations interpersonnelles qui est associée
à la stigmatisation.
L'association entre l'âge et la stigmatisation chez les
personnes atteintes d'épilepsie en Afrique a été
déjà rapportée dans un contexte de pénurie. Dans
une étude sur la stigmatisation associée à
l'épilepsie dans un milieu rural Zambien, Baskind et al. (2005) montrent
que les parents refusent d'investir pour la santé et l'éducation
des enfants épileptiques parce qu'ils estiment que les chances de ces
malades de pouvoir exercer un
66 métier rentable un jour sont minimes voire nulles.
De plus, certains retirent même leurs enfants malades de l'école
de peur qu'ils ne fassent une crise épileptique en publique, ce qui
contribuerait à stigmatiser d'avantage sa famille.
Nos résultats concordent avec ceux de plusieurs autres
auteurs (Cooke et al.1988 ; Führer et al. 2002 ; Holmén et al. 2002
; Wethington et al.1986), qui suggèrent que moins on a du soutien, plus
on est stigmatisé.
Les personnes qui ont une relation presque nulle avec leur
médecin et celles qui ont peu de personnes proches avec lesquelles elles
peuvent parler sur leur statut de séropositivité rapportent plus
de stigmatisation. Les personnes stigmatisées ne peuvent pas exprimer
leurs préoccupations ni leurs demandes à leur entourage. Elles ne
peuvent pas non plus parler librement avec leur médecin à propos
de leur maladie. Est-ce que la constatation d'être rejeté
empêche la communication ou est-ce que le manque de soutien
entraîne un sentiment de rejet ? La direction de cette association est
difficile à établir dans cette étude.
Les deux concepts, stigmatisation et soutien sont très
reliés au dévoilement du statut de séropositivité.
Nous pouvons avancer que les personnes VIH+ peuvent se sentir inclines ou
forcées par les circonstances à dévoiler leur statut. Ce
dévoilement peut entraîner des réactions de soutien ou de
rejet dans leur entourage immédiat (conjoint, famille, amis). Le soutien
reçu de la part de ses proches peut permettre à la personne de
continuer une vie active, de parler à son médecin pendant la
visite. Cette personne bien entourée par ses proches pourrait ne pas
sentir le besoin de fréquenter un organisme communautaire pour les
personnes VIH. Par contre, une personne rejetée par sa famille ou qui
éprouve des difficultés dans son entourage immédiat peut
entrer en contact avec les organismes communautaires pour chercher le soutien
que son entourage ne lui donne pas.
De son côté, Ouattara (2002) souligne qu'au
Burkina Faso, l'épidémie du SIDA a été
accompagnée depuis ses origines, de la désignation de certains
groupes à l'instar des femmes et des professionnelles du sexe, ce qui a
conduit à la stigmatisation et à la discrimination de ces groupes
de personnes. Par ailleurs, la même source reconnaît que les femmes
font le dépistage sérologique sous la contrainte de leurs
conjoints. Lorsque le résultat est négatif, la majorité de
ces conjoints s'emparent du bulletin d'examen et le présentent à
leurs amis comme preuve de leur propre séronégativité. Par
ailleurs, lorsqu'un homme marié est malade, sans même
diagnostiquer son mal le plus souvent, sa femme est poussée sous la
contrainte de son beau-frère à se faire dépister. La
simple raison est que dans une société oü
67 prévaut le lévirat, le beau-frère
voudrait s'assurer que la femme qui lui reviendra ensuite comme épouse
n'est pas infectée. Nous trouvons une association entre le sexe et la
stigmatisation mais, cette association disparaît quand on contrôle
pour les autres variables.
Une étude de Sow et al. (2002) soutient qu'au
Sénégal, les femmes célibataires ont difficilement un
appui lorsqu'elles contractent le SIDA. Selon l'ONUSIDA (2002), les vieilles
idéologies concernant les sexes ont fait porter aux femmes la
responsabilité de la transmission des infections sexuellement
transmissibles et du VIH. Ce phénomène influerait sur la
manière dont les communautés et les familles réagissent
à la séropositivité des femmes. Les femmes portent souvent
le blâme de leur infection au VIH et celle de leurs conjoints.
Lors de la journée internationale des
infirmières en 2003, le conseil international des infirmières
(Conseil International des Infirmières 2003) a soutenu que : «
L'épidémie de sida se déroule dans un contexte de
globalisation rapide et d'augmentation du fossé qui sépare riches
et pauvres. L'exclusion engendrée par ces phénomènes
globaux vient augmenter encore les inégalités sociales ainsi que
la stigmatisation des pauvres, des sans terre, des chômeurs ».
Cette affirmation se vérifie dans notre étude par l'association
entre la favorisation matérielle et la stigmatisation. Ceux qui sont
plus défavorisés sur le plan matériel, donc plus pauvres,
sont plus stigmatisés selon nos résultats.
Le fait que ceux qui affirment avoir une bonne relation avec
le médecin soient plus stigmatisés semble contradictoire car, le
médecin est sensé conseiller le patient sur sa maladie, lui
apporter du réconfort. Étant donné la nature transversale
de notre étude, cette association pourrait s'expliquer par le recours au
médecin en quête d'appui par des personnes stigmatisées par
leurs proches. En plus, le fait même de se retrouver dans un centre de
santé serait un facteur important de stigmatisation. Sow, K et Desclaux,
A. (2002) soutiennent que la politique de confidentialité pour la
délivrance des médicaments mis en place au Sénégal
est en elle-même une source de stigmatisation. Dans ce pays, le
pharmacien a mis en place un système de dispensation
personnalisée des médicaments qui a l'avantage d'offrir un espace
d'écoute. Malheureusement, seuls les PvVIH et devant prendre un
traitement y accèdent. Prenant appui sur la philosophie de Sartre qui
considère autrui comme le bourreau, Takahashi (1997) soutient quant
à lui que les services humains comme les hôpitaux ainsi que les
lieux de rencontre publique comme les réunions, favorisent le contact du
face à face avec les autres. Or, ces lieux contribuent au renforcement
de la stigmatisation des individus ayant recours à ces services. Selon
lui, il existerait une base fondamentale de stigmatisation dans
68 les regards. On pourrait aussi s'imaginer que les malades
stigmatisés font moins confiance à leur médecin.
D'autres études ont montré que le médecin
peut constituer la source du problème et non la solution. Voici un
exemple typique rapporté par Garcia, R. et al. (2005) à propos
d'un cas vécu au Brésil. Il s'agit d'un résumé
d'entretien entre une patiente malade du SIDA et son médecin.
«My father told the doctor the reason for
our consultation, she listened to him and then asked them to leave the office
and wait outside. When we were alone, she asked me how I felt with respect to
the fact that I was dying. She put me down, and I felt as if I was going to
faint. My whole being suffered and I bore very strong feelings of anger against
her as a doctor, but I could not find a single word either to answer her
question or to tell her of the indignation I felt towards her. I lacked the
strength to argue with her».
Blanco et al. (2005) montrent eux aussi que chez les
prisonniers espagnols, le fait d'avoir confiance en son médecin
n'améliore pas l'adhérence (OR=1, 12, 95% IC= 0, 56 - 2, 25).
Au Sénégal, Bronsard, L et al. (2002)
mentionnent que les professionnelles de la santé ne masquent souvent pas
leur sentiment de malaise face à certains patients ce qui fragilise la
confiance au médecin et partant au traitement.
En Chine, l'étude de Ow Fong et al. (2003) a
montré après ajustement qu'il n'existait pas une association
entre le sexe et l'adhérence aux traitements ARV. C'est aussi ce qui
ressort de notre étude.
Dans le modèle final et selon la modélisation
par la stratégie pas à pas, les variables les plus
associées à la stigmatisation varient légèrement
selon la ville d'étude. A Bamako, les variables associées sont
l'âge, le nombre d'éléments de commodité du foyer,
la santé perçue, le soutien social (nombre de personnes de
l'entourage du patient avec qui il parle de sa séropositivité) et
la qualité des relations avec le médecin. A Ouagadougou on a
plutôt l'âge, les éléments de commodité du
logement et la santé perçue.
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