v La table du Ki Tès
On pourrait a priori n'y voir qu'un élément
décoratif, ou une partie du buffet, dans la vaste salle louée
pour la circonstance. Au pied de la scène sur laquelle sont
installés les musiciens et leur sono, se dresse une longue table. A
chaque extrémité, des fruits ont été
disposés - bananes, pommes, oranges -, au centre, des grands bouquets de
fleurs. Le même plat qui avait servi aux cultes rendus aux
ancêtres, aux côtés d'un porcelet, figure dans le
décor. Ce sont là encore des offrandes tant pour les
ancêtres que pour les mariés et leurs convives. La
cérémonie peut alors commencer : les mariés sont d'un
côté de la table entourés de leurs parents ; de
l'autre, l'animateur de la soirée, un cousin venu de Rennes pour la
circonstance, « balaie » l'intérieur et
l'extérieur des mains des mariés avec des fils de coton blanc
enfilés sur une baguette. Les mariés tournent leurs paumes vers
le ciel puis vers le sol pour que l'âme soit bien enfermée. Puis
l'animateur distribue à chaque convive deux fils qu'il noue aux poignets
des mariés en formulant des voeux de bonheur. La cérémonie
est épuisante pour les mariés qui doivent tendre leur bras tant
qu'il y a d'invités et de fils à nouer. Ils ne pourront les
enlever qu'après un délai de trois jours, quelle que soit leur
activité professionnelle. La même cérémonie est
pratiquée pour les nouveaux-nés à l'occasion de leur
baptême afin de leur assurer la protection des génies
domestiques.
Photo n°33 : La
table du Ki Tès
Photo n°34 :
Nouage des fils blancs protecteurs
La table du Ki Tès devient le pôle de convergence
des génies, des ancêtres et des vivants, un lieu symbolique
où le temps et l'espace sont annihilés et qui permet là
encore d'associer ce qui est naturellement séparé.
Au cours de toutes ces cérémonies, nous avons pu
observer la permanence de pratiques culturelles, conservées au cours de
l'exil. Elles n'ont pas été modifiées dans leur
symbolique, mais adaptées au contexte de la société
d'accueil car « les conduites des hommes sont le produit d'une
interaction entre les traditions héritées et les exigences de la
société d'installation » (SCHNAPPER, 2001 :
16). L'autel domestique, qui doit en principe se trouver dans l'axe de la porte
d'entrée ne peut plus parfois occuper cette place dans les logements
français. Seuls 5 fils de coton blanc accrochés au plafond de la
pièce et par lesquels circulent les esprits, orientent l'espace en
direction d'une sortie. Quoi qu'il en soit, ces gestes rituels ne sont jamais
gratuits « même lorsque leur sens oublié les
réduit au rang de survivance, ils traduisent tout un système de
croyances, par lesquelles les hommes, même appartenant à une
société aux horizons très limités, se situent dans
l'Univers» (CONDOMINAS, 1965 : 224). Ultime exploration des
lieux qui participent à l'organisation de l'espace culturel, les lieux
de mémoire et la place faite aux morts dans la communauté hmong
de Montreuil-Bellay. Quelles adaptations ont dû être
réalisées dans le contexte local, permettant toutefois aussi le
maintien d'un rituel traditionnel ?
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