v Le seuil de la porte
Le pas de la porte d'entrée est un lieu symbolique
où se pratique un autre rituel à l'égard des génies
de la porte, gardiens du territoire, qui protègent les biens de la
famille et veillent à ce que les mauvais esprits n'entrent pas. Ils sont
le symbole de l'unité domestique. A l'occasion du mariage, des offrandes
de riz et de viande sont disposées dans un plat, enveloppées dans
la fumée des bâtonnets d'encens (LEMOINE, 1972b).
Photo n°27 :
L'appel des génies sur le seuil de la porte
Le contact entre le monde des hommes et celui des esprits est
établi là encore avec la corne divinatoire. L'officiant frappe
les deux montants de la porte plusieurs fois avec cette corne puis la lance
à terre. L'accueil des génies se poursuit par l'observation des
deux volailles. C'est également sur le seuil que l'on se place pour
repousser les « mauvais » génies en crachant l'eau
lustrale (photo n°28).
Photo n°28 :
L'eau lustrale repousse les mauvais génies
Pendant la séance de chamanisme, un autre rite est
organisé, destiné là encore à assurer la protection
de tous les membres de la famille et qui consiste à franchir le seuil et
à passer du « monde à une vie
personnelle », de l'espace public à l'espace
privé. Avant cela, la porte est préparée avec un simple
arceau de bambous fendus et attachés entre eux par des fils de coton
blanc, qui double les montants. Le bambou est choisi pour rappeler le
matériau de construction des maisons traditionnelles au Laos. Il ne sera
enlevé que plusieurs semaines après, assurant pendant tout ce
temps une vertu protectrice.
Photo n°29 :
L'arceau de bambou
Avant que la famille au complet ne se réunisse - les
enfants absents sont cependant « présents » sous la
forme d'un vêtement leur appartenant que portent les mères
respectives -, l'animal sacrifié pour la cérémonie, en
l'occurrence un porcelet, est placé en travers du seuil, surmonté
d'un double « escalier » en bois taillé
grossièrement, sur chaque marche est posé un couteau ou une copie
en bois (photo n°30). Là encore, il s'agit de repousser les
génies malfaisants. Les papiers placés à côté
du porcelet seront brûlés à la fin de la
cérémonie (photo n°32).
Le rite du « franchissement du seuil »
peut alors commencer, sous l'ordonnancement d'un ancien qui fait office de
maître de cérémonie. Le père de famille est le
premier à passer : après s'être lavé les mains,
il enjambe le porcelet en « montant » et
« descendant » l'escalier. Il est suivi de ses deux
épouses. Passent ensuite l'un après l'autre les enfants, leurs
conjoints et les petits-enfants (photo n°31).
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Photo n°30 :
Porcelet sacrifié
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Photo n°31 :
Franchissement du seuil
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Photo n°32 :
Offrandes brûlées à la fin de la
cérémonie
Que ce soit à l'occasion d'un mariage, d'une
séance de chamanisme, ou de la célébration du Nouvel An et
des rites funéraires, l'autel et le seuil de la porte sont, dans
l'enceinte domestique, deux lieux majeurs permettant d'éloigner les
mauvais esprits et de perpétuer le culte des ancêtres qui sont,
selon P. BOURDIEU, un « capital symbolique »
(BOURDIEU, 2002 : 68). Dans le cadre des rites funéraires, nous
avons pu recueillir le témoignage d'un jeune adulte qui explique ainsi
la fin de la cérémonie :
En sortant du cimetière on n'a pas le droit de se
retourner parce que si tu vois l'esprit tu vas mourir avec lui... En revenant
à la maison [du défunt] il faut passer au-dessus d'un
feu à l'entrée de sa maison pour brûler les esprits qui te
suivent. Je ne sais pas pourquoi...
On pense ici à Orphée quittant le monde des
morts pour celui des vivants, suivi par Eurydice... Comme le Styx, le seuil de
la maison est une sorte de sas, espace symbolique marquant la limite entre un
extérieur étranger et hostile et un intérieur habitable
familier. De plus, le feu allumé à la porte a une fonction
purificatrice. Nous remarquerons d'autre part dans ces propos la remarque
finale traduisant le respect aveugle de traditions transmises par le groupe
familial qui font que « l'individu s'imprègne d'attitudes,
de réflexes et des croyances dont il ne peut plus par la suite se
défaire sans se remettre en cause » (CLAVAL, 1981,
245).
Un dernier « lieu » mérite notre
attention, la table du Ki Tès (Tong hou pli) dressée
à l'occasion d'un mariage, lieu éphémère s'il en
est, puisque cette table est installée dans la salle le temps de la
fête.
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