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Réfugiés Hmong à  Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora

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par Pilippe MICHEL-COURTY
Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007
  

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b. Le cimetière, un lieu de mémoire

Dans le cimetière de Montreuil-Bellay, ont été inhumés 7 membres de la communauté hmong. Sans être regroupées dans un secteur spécifique, les tombes sont situées dans la partie la plus récente du cimetière, agrandi au fur et à mesure des besoins. Une seule est située dans la section réservée aux enfants. C'est une plaque anonyme sous laquelle a été inhumé un enfant décédé accidentellement à l'âge de 5 ans peu après l'arrivée de ses parents dans la commune.

Noms, prénoms

Naissance

Décès

TCHA Cha-Yi

1909

2003

XIONG Djoua-Ja

1931

2002

TCHA Tou

15-02-1916

12-08-1997

TCHA May née XIONG

1909

1996

TCHA Vaneng

16-03-1921

25-10-1992

YANG Song-Xeu

1926

1989

Tableau n°7 : Membres de la communauté inhumés au cimetière de Montreuil-Bellay

Les personnes décédées sont toutes arrivées dans les premières années d'installation des familles dans la commune (avant 1981) et avaient suivi leur fils dans la migration depuis le Laos. On retrouve ici la marque de la responsabilité des garçons à l'égard de leurs parents, qu'ils prennent en charge à partir du moment où, trop âgés, ils ne peuvent plus exercer une activité professionnelle. Ils sont alors objet de respect et de soins de la part de toute le famille.

Les parents de ma mère sont morts pendant la guerre. Mon grand-père [paternel] avait une maladie, tu sais, tu perds tes doigts... la lèpre ? oui, c'est ça... il est mort comme ça...Ma grand-mère [paternelle] est venue en France. Elle est morte en 1996. Je me rappelle que tous les jours je lui apportais du riz dans sa chambre. Moi, j'étais toujours avec elle... Quand elle est morte j'ai invoqué les esprits pour qu'ils viennent la chercher... (Phong-Yu)

Les dates de naissance inscrites sur les tombes sont à prendre avec précaution, car bien souvent, en l'absence d'état civil au Laos, elles ont été attribuées de manière arbitraire lors de l'arrivée en France. Le plus âgé est mort à 94 ans, le plus jeune à 63. Sur chacune figure, en médaillon, une photo du défunt déjà âgé. L'un porte un béret basque : il avait adopté cette coiffure car il se plaignait toujours d'avoir froid. Sur une tombe, on découvre le visage sérieux d'un homme vêtu du costume traditionnel de fête et portant au cou un large collier, gravé à l'identique dans le marbre de la pierre tombale. Il est décédé aux Etats-Unis à l'occasion d'un voyage chez ses enfants, son corps a ensuite été rapatrié à Montreuil-Bellay.

Photo n°35 : Tombe de Djoua-Ja XIONG - cimetière de Montreuil-Bellay

Sur une autre tombe, figure le dessin du khen, l'instrument traditionnel utilisé lors des fêtes et des cérémonies funéraires. Quand il était jeune, Tou TCHA était un joueur renommé de cet instrument et ce souvenir perdure dans le marbre.

Photo n°36 : Détail de la tombe de Tou TCHA, cimetière Montreuil-Bellay

Par ces détails iconographiques, la tombe sert à rappeler aux vivants le visage et les qualités du défunt, qui lui conféraient une place reconnue dans la communauté locale. Ces tombes sont peu fleuries, parfois surmontées de plaques votives dont une est rédigée en hmong. Pourtant, là encore, la communauté a dû adapter les cérémonies funéraires au contexte local.

Traditionnellement, la géomancie sert à déterminer le lieu d'inhumation : le choix de l'emplacement peut avoir des conséquences sur la descendance du défunt, sa réussite sociale ou au contraire ses difficultés. C'est pourquoi de nombreux paramètres interviennent dans la désignation du lieu. Dans le contexte français, il n'a pas été possible de maintenir cette tradition et ils ont dû se plier aux contraintes des règles administrative. En revanche, la partie privée des cérémonies est conservée intégralement. Nous résumerons les différentes étapes en nous appuyant sur les témoignages recueillis au cours des entretiens, complétés par les travaux de J. LEMOINE exposés dans l'article intitulé L'initiation du mort chez les Hmong publié dans la revue L'Homme en 1972. Les cérémonies funéraires se déroulent en trois temps : le corps est conservé 3 jours au domicile du défunt puis inhumé, 13 jours plus tard « l'âme vitale » de la personne décédée rend visite à sa famille. Dans l'année qui suit a lieu le « relâchement de l'âme », suivi du « sacrifice aux mannes du défunt ». Au cours des 3 premiers jours qui suivent le décès, après la toilette funéraire, a lieu le Kr'oua Ké, c'est-à-dire « montrer, enseigner le chemin », au cours duquel le joueur de khen joue un rôle capital. C'est lui qui, « chantant à mi-voix, sans aucun autre auditoire que le mort, l'instruit du chemin qu'il aura à parcourir dans l'Au-delà pour rejoindre ses Ancêtres et se réincarner » (LEMOINE, 1972a : 108). Il s'agit d'une véritable initiation car « en temps ordinaire, on ne peut chanter le Kr'oua Ké sans attirer la mort sur soi et sur sa maison » (id., ibid.). On peut s'étonner de ce chant alors qu'il s'agit d'une musique instrumentale : en fait, les notes émises par le khen correspondent à des paroles - la langue hmong a 7 tons -, et cette musique descriptive tient compagnie au mort, l'accompagnant et le guidant dans son périple pendant toute la durée des rites. Pendant ce temps, comme nous l'avons vu pour les mariages, les femmes préparent en abondance la nourriture destinée à la fois au défunt et aux membres de la communauté qui vont assister aux funérailles. Des animaux sont abattus : ils servent à la fois d'offrande et de nourriture. Traditionnellement, il s'agissait d'un buffle ou d'une vache. A Montreuil-Bellay, ce sont des cochons et des poulets. Compte tenu du nombre toujours très important des personnes présentes, chacun participe financièrement aux frais. Ce n'est qu'au terme de ces 3 journées que le corps est enfin inhumé. Au retour du cimetière, comme nous l'avons déjà précisé, un feu rituel est allumé sur le seuil de la maison du défunt et tous les participants aux funérailles doivent l'enjamber.

Les rites funéraires sont « le support d'une mémoire collective et d'une ethnicité diasporique » et on peut les considérer comme « une force cohésive anti-assimilatrice » (HOVANESSIAN, 1998b : 311). Ils associent à la fois des lieux de l'enceinte domestique - la chambre du défunt, le seuil de la porte d'entrée -, de l'espace public - le cimetière - mais surtout de l'espace symbolique du récit mythologique que parcourt le défunt en quête de ses ancêtres, guidé par la mélodie du khen. La communauté hmong animiste conserve ainsi son unité culturelle et perpétue dans la société d'accueil, tout en s'adaptant à certaines contraintes, un héritage ancestral qui permet de résister au « morcellement culturel » (CAMILLERI, 1999 : 88).

Conclusion : l'espace culturel d'une diaspora toujours active

La communauté hmong de Montreuil-Bellay conserve avec les autres membres du clan dispersées en France et à l'étranger des liens forts qui se concrétisent par des déplacements fréquents à l'occasion des fêtes traditionnelles et des rituels. Ces réunions assurent la maintien et la transmission des valeurs culturelles et l'association joue un rôle capital dans le contexte de la diaspora : elle garantit chaque famille d'un soutien permanent et permet de lutter contre l'isolement et l'acculturation. L'ensemble des relations tissées entre ces différents pôles prend appui sur de multiples réseaux, tant économiques que culturels, et c'est cette « interpolarité des relations » (MA MUNG, 1995 :164) qui donne à la diaspora toute son originalité par rapport à une migration classique. Les liens communautaires nationaux et transnationaux volontairement créés et entretenus contribuent à renforcer une solidarité non seulement avec le lieu d'origine mais aussi entre les différents lieux d'installation, comparables à « un territoire en archipel », à savoir « un espace discontinu, éclaté, où les relations intercommunautaires [...] passeraient par un espace étranger et en quelque sorte neutralisé » (TAPIA, 2005 : 290), indépendamment des frontières politiques. Ainsi les échanges matériels, symboliques ou même imaginaires alimentent la fidélité au passé et à une culture partagée dans une identité ethnoculturelle qui exprime toute sa force lors des grands événements familiaux, comme les mariages ou les décès, et qui constitue « le creuset de ressources symboliques... susceptibles de modeler un sentiment d'appartenance, de nouer des identifications plus ou moins liées à l'idée d'une « origine » commune » (HOVANESSIAN, 1998b : 310). Pourtant cette identité pourra-t-elle résister à l'épreuve du temps si elle n'est pas alimentée par un désir profond, « une conscience et une volonté » (SCHNAPPER, 2001) ?

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld