Réfugiés Hmong à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora( Télécharger le fichier original )par Pilippe MICHEL-COURTY Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007 |
2. Lieux festifs entre tradition et modernitéDans toutes les sociétés, certains événements sont prétextes à de grandes réunions familiales. Anniversaires, naissances, mariages, mais aussi décès sont autant d'occasions de se retrouver et de partager un temps de convivialité généralement autour d'un repas. Les familles hmong ne faillent pas à la tradition de la fête qui prend parfois des dimensions spectaculaires. Au décès de May TCHA en 1996, il a été nécessaire d'installer un chapiteau sur le stade pour accueillir plus de 300 personnes venues de la France entière et des Etats-Unis. C'est là un fait exceptionnel, mais il prouve le dynamisme de la solidarité clanique et communautaire qui s'exprime toujours avec autant de force. Dans ces conditions la distance n'est rien, ce qui compte avant tout c'est encore d'être ensemble. De plus, les conditions matérielles de logement à Montreuil-Bellay nécessitent une adaptation de la cérémonie : le contexte local a un effet sur les lieux de la fête. Le logement ne permettant pas d'accueillir autant de monde, il faut investir d'autres lieux mieux adaptés. Dans ce contexte local, comment les fêtes familiales se déroulent-elles ? Quelle part de tradition a pu être maintenue ? Quelles sont aussi les innovations ? Nous répondrons à cette question en prenant l'exemple des mariages afin d'apporter un éclairage complémentaire sur ce sujet abordé antérieurement. v Transmission des traditions et de l'histoire familialeDans toutes les familles que nous avons rencontrées, chacun est particulièrement attaché à la tradition, la « coutume », qu'on se plait à montrer, à raconter, à décrire, même si on confie aussi : ...En revenant à la maison [du défunt] il faut passer au-dessus d'un feu à l'entrée de sa maison pour brûler les esprits qui te suivent. Après on se lave les mains... C'est la coutume... Je sais pas pourquoi... (Phong Yu, 19 ans) Ce respect des traditions, même si on s'y plie sans trop bien les comprendre, est un des piliers de la solidarité communautaire et du maintien de l'identité, que l'on revendique haut et fort dans chaque circonstance - « Nous, les Hmong...- en dépit des pressions exercées par la société d'accueil. On constate à la fois, chez les parents, la volonté de maintenir des traditions qui garantissent la cohésion du groupe, et, chez les jeunes, le sentiment d'appartenance à un groupe par le respect des coutumes. La tradition apparaît comme « la matrice en dehors de laquelle les individus ne sauraient exister » (GERAUD, 1993 : 739). Selon quelles modalités l'ensemble de ces traditions, et de ce que l'on appelle la culture, se transmet-il aujourd'hui ? Est-il possible d'identifier des lieux propices à cette transmission ? On peut distinguer deux modes complémentaires de transmission des traditions, mais relevant de deux démarches de la part de l'individu. L'un s'appuie sur l'oral, l'autre sur l'écrit et l'image. Le premier concerne l'aire familiale, relayée rapidement par le groupe communautaire, qui « joue un rôle déterminant dans le maintien de l'ordre social, dans la reproduction , non pas seulement biologique, mais sociale, c'est-à-dire dans la reproduction de l'espace social et des rapports sociaux » (BOURDIEU, 1994 : 141). C'est le lieu de la socialisation primaire (BERGER, LUCKMANN, 1996), des apprentissages de la langue, des habitudes alimentaires et surtout de la transmission de la mémoire familiale sous la forme des récits faits à l'enfant qui lui permettent de s'enraciner dans un terreau vivant. Dans l'espace domestique s'établit le lien avec les ancêtres et le pays d'origine. C'est pourquoi tous les jeunes Hmong que nous avons rencontrés sont capables de parler de la vie de leurs parents au Laos ou en Thaïlande, du casque militaire que le père a dû laisser au camp de Ban Nam Yao, des morts vus au bord de la route en direction de la frontière... Ma mère me dit souvent que c'était affreux du village jusqu'à l'aéroport49(*) pour aller en Thaïlande, il y avait des morts partout... Les vieillards mouraient de fatigue... Ce qui l'a marquée, c'est une fille handicapée qui avait été laissée par sa famille... elle avait quinze ans... Elle est morte au bord de la route. Des morts, elle en a vu des centaines... Ses parents sont restés au Laos et sont morts à la guerre... (Phong-Yu) On voit que les attaches avec le pays d'origine pèsent lourd dans les vies des communautés d'immigrants, avec une mémoire de celui-ci transmise aux deuxième et troisième générations (WALDINGER, 2006). C'est dans l'aire familiale que se découvrent les rapports sociaux qui font dire aux jeunes hommes : « Nous les Hmong, on est macho... », reproduisant le modèle de l'autorité paternelle. En effet, comme l'a montré P. CLAVAL, tout groupe social possède sa culture transmise « par imitation inconsciente du milieu beaucoup plus que par enseignement explicite. [...] L'individu s'imprègne d'attitudes, de réflexes et des croyances dont il ne peut plus par la suite se défaire sans se remettre en cause » (CLAVAL, 1981 : 245). Il est fréquent que les jeunes de la deuxième génération cherchent à savoir davantage sur l'histoire de leur peuple que n'en fournit le discours familial. Ils savent qu'une littérature toujours plus abondante existe sur l'histoire des Hmong, leurs modes de vie traditionnels... La consultation des sites Internet pallie les manques et apporte des réponses à leurs interrogations. Ils sont conscients de l'existence d'une littérature anglo-saxonne en plein développement mais la barrière de la langue en limite toutefois l'accès. Les rares émissions de télévision consacrées aux Hmong sont enregistrées, visionnées et commentées de manière à s'imprégner de ce qui, à leurs yeux, est leur histoire. Ils se montrent soucieux de conserver leur identité et c'est par la connaissance et le respect des traditions que cela passe. L'écrit, au sens large, est ce second mode de transmission ou plutôt de quête des traditions par les jeunes partagés entre deux cultures, empruntant à la société d'accueil le concept d'anniversaire, par exemple. En effet, fêter les anniversaires de naissance est une nouveauté dans la communauté hmong, simplement parce qu' « en Asie cet événement n'existe pas. Chacun a un an de plus le jour de la fête du Nouvel An. C'est tout ! » (TANH, 1996 : 17)50(*). Qu'en est-il en ce qui concerne le mariage ? * 49 Phong-Yu commet ici une erreur : ses parents ont quitté le Laos à pied. Ils prendront l'avion en Thaïlande pour venir en Europe * 50 Revue Ecarts d'identité, octobre 1996, n°78 |
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