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Réfugiés Hmong à  Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora

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par Pilippe MICHEL-COURTY
Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007
  

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v Le mariage, un modèle de tradition

Qu'il soit monogame ou polygame, le mariage traditionnel se doit avant tout de respecter le principe de l'exogamie clanique. Au Laos, les villages regroupant les familles appartenant souvent aux mêmes clans, les rencontres entre jeunes gens et jeunes filles de clans différents étaient rares. Seule la fête du Nouvel An avec son jeu de balle était propice aux rencontres. Ce jeu se pratique toujours. Les jeunes gens alignés d'un côté, les jeunes filles de l'autre se lancent une balle. Quand la balle n'est pas rattrapée, un gage est donné : il prend souvent la forme d'une chanson d'amour. Chaque partenaire doit avoir à sa disposition un nombre suffisant de chansons pour séduire l'autre. Nous sommes là dans une vision idyllique de la rencontre amoureuse car bien souvent c'étaient les familles qui manifestaient leur préférence. Quoi qu'il en soit les règles du mariage sont particulièrement complexes et comportent différentes étapes aux domiciles des deux familles. D'abord, chez la jeune fille, sont engagées les négociations par des intermédiaires représentant les deux familles, avec en particulier la fixation du « prix de la fiancée », suivies du repas de noces. Puis chez le jeune homme se déroule un second repas. L'ensemble de cette cérémonie, qui met en jeu une multitude d'acteurs, est très long et peut pendre parfois plusieurs semaines, voire des mois.

Dans le contexte français, ces règles ont dû être adaptées à certaines exigences, en particulier professionnelles. Les mariages se déroulent exclusivement le week-end, ce qui permet aux participants venant parfois de loin de festoyer et de reprendre ensuite la route. Nous avons pu assister à un mariage au sein de la communauté de Montreuil-Bellay et c'est sur cet exemple que nous nous appuierons pour étudier les fonctions attribuées aux lieux où s'est déroulée cette fête, le 12 mai 2007.

v Les lieux de la fête

Le mariage entre Faty TCHA - fils de Ka-Gé TCHA et de sa première épouse - et une jeune fille française a fait comme tout mariage l'objet d'une intense préparation dans les jours qui précédaient pour organiser le dîner qui serait offert aux 200 invités, dans une salle réservée à Epieds, petite commune à une dizaine de kilomètres de Montreuil-Bellay. Contrairement au mariage traditionnel décrit précédemment, la fête va comporter deux temps forts : un temps dominé par le rituel et un temps festif que les Hmong ont emprunté aux Laotiens et aux Français.

Le rituel se déroule au domicile des parents du marié, un pavillon « Gémeaux » rue du Général de Gaulle, en présence des membres de la communauté hmong locale, des parents et « cousins » venus pour la circonstance, et des parents de la mariée. Il comporte trois séquences qui s'enchaînent de 10h à 14h et au cours desquelles nourriture et boisson jouent un rôle important. Seule la troisième séquence se fait en présence des mariés. Le rituel est l'affaire exclusive des hommes, les femmes étant occupées à la préparation du repas dans la cuisine, le couloir donnant sur la cour et la cour elle-même. Les deux premières séquences font partie du rituel de la religion animiste face à l'autel dans la salle de séjour et sur le seuil de la maison, deux lieux symboliques dans l'espace domestique. Dans un premier temps il s'agit de se concilier les bons génies qui sont appelés face à l'autel où brûlent des bâtonnets d'encens et au pied duquel reposent en guise d'offrande deux poulets bouillis et du riz. Ils sont ensuite appelés et « nourris » sur le seuil de la maison, puis les volailles sont observées par les anciens : les pattes sont comparées, les becs sont examinés attentivement afin d'y déceler le moindre défaut. Le terme auspices retrouve ici tout son sens... Le second temps est celui de l'appel aux ancêtres et se déroule là encore face à l'autel. C'est une longue cérémonie menée exclusivement par le père de famille qui va, pour chaque personne invoquée, préparer des cuillères de riz mêlé de viande de poulet et arrosé d'alcool. Les ancêtres appelés doivent venir depuis le lieu où ils sont inhumés jusqu'au domicile où se déroule la cérémonie, long voyage dans le temps et l'espace. Leur présence est obligatoire pour le bonheur et la prospérité des futurs mariés. L'ensemble de ce rituel se déroule dans l'agitation d'une maison en plein préparatifs. Seul, Ka-Gé TCHA s'approprie deux espaces pendant que les autres, les femmes aidées des enfants, investissent cuisine et cour pour les préparations culinaires. Le partage sexué de l'espace domestique est encore très lisible, mais il s'accompagne par ailleurs d'une symbolique différente.

Les photos qui suivent illustrent cette partition de l'espace domestique à l'occasion du mariage et les différents rapports aux lieux en présence à ce moment-là : d'un côté un espace féminin matériel, de l'autre l'espace masculin symbolique.

 
 

Photo n°15 : Cuisine extérieure

Photo n°16 : Cuisine intérieure

 
 

Photo n°17 : L'invocation des ancêtres

Photo n°18 : Les bons auspices

La troisième séquence a lieu dans la salle de séjour - lieu public ouvert - et est exclusivement réservée aux hommes, très nombreux, assis autour d'une table qui traverse toute la pièce. Elle se fait en présence des mariés qui ont revêtu les costumes traditionnels (photo n°14). C'est ce que, dans la tradition hmong, on appelle les « négociations », qui s'accompagnent de déclamations, de chants et de libations de saké : « Il ne s'agit plus simplement d'hommes buvant de l'alcool, mais d'individus accomplissant un rite social, selon une étiquette, reflet du rite religieux imbriqué dans la cérémonie pour ne former qu'un tout avec celui-ci » (CONDOMINAS,1965 : 224). Le marié et son témoin se prosternent successivement devant chaque homme qui formule alors des voeux de bonheur. La mariée et son témoin assistent debout, imperturbables, à ces « tours de saké ».

 
 

Photo n°19 : Remerciements du marié

Photo n°20 : Formulation des voeux de bonheur

Après ce première temps dominé par le rituel, le mariage va changer de lieu et prendre une autre signification. Pour l'accueil des invités la salle des fêtes a été réservée et c'est à partir de 18 heures que commence la soirée. La salle a été décorée de treillis de bambous où on a suspendu des lampions et des ombrelles en papier. Une immense table au centre sert de buffet : amoncellement de nems, de salades, de poulets grillés, de porc au caramel... (photo n°21). De chaque côté les tables pour les convives, au fond sur la scène des musiciens et un matériel de sonorisation... A l'extérieur, pendant que se font les derniers préparatifs, c'est la séance de photos. On est très loin des cérémonies de la matinée et du rituel conservé de la tradition hmong. Maintenant, c'est un mariage relativement banal, avec cependant la touche d'exotisme que l'on a voulu donner par la décoration, le menu et la musique, « cet élément de différence qui constitue justement un des traits essentiels de l'exotisme » (CONDOMINAS, 1965 : 222).

La fête peut alors se résumer en trois séquences : l'accueil des participants par les familles des mariés, le repas avec la présentation des mariés et des parents aux invités et la formulation des voeux de bonheur, et le bal avec des danses laotiennes et modernes. On a à la fois une tradition respectée - celle du repas - et la juxtaposition additionnelle d'éléments empruntés - les danses laotiennes. Il y a donc une modification du contenu de l'identité ethnique avec l'intégration d'autres éléments culturels. Ainsi les Hmong ont emprunté les danses laotiennes comme le lamvong pour « montrer aux Français la culture hmong » lors des fêtes de rassemblement de la société en exil. Désormais aucun mariage hmong ne peut se dispenser de cette danse et cette tradition « inventée » repose sur « un processus de formalisation et de ritualisation caractérisé par la référence au passé, ne serait-ce que par le biais d'une répétition imposée » (HOBSBAWM, 2006 : 15).

Photo n°21 : Tradition et exotisme

Si fêter son mariage « en salle » est perçu comme valorisant, on constate que le cadre matériel et symbolique se complexifie, il y a enrichissement des apparats et modification des mises en scène de la gestuelle du corps. Il est donc plus juste de « parler de reproduction partielle de traits culturels que de reproduction d'une tradition » (BILLION, 1988 : 350). Toutefois, toute tradition fait appel à un univers symbolique que nous allons maintenant explorer.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote