v Le mariage, un modèle de tradition
Qu'il soit monogame ou polygame, le mariage traditionnel se
doit avant tout de respecter le principe de l'exogamie clanique. Au Laos, les
villages regroupant les familles appartenant souvent aux mêmes clans, les
rencontres entre jeunes gens et jeunes filles de clans différents
étaient rares. Seule la fête du Nouvel An avec son jeu de balle
était propice aux rencontres. Ce jeu se pratique toujours. Les jeunes
gens alignés d'un côté, les jeunes filles de l'autre se
lancent une balle. Quand la balle n'est pas rattrapée, un gage est
donné : il prend souvent la forme d'une chanson d'amour. Chaque
partenaire doit avoir à sa disposition un nombre suffisant de chansons
pour séduire l'autre. Nous sommes là dans une vision idyllique de
la rencontre amoureuse car bien souvent c'étaient les familles qui
manifestaient leur préférence. Quoi qu'il en soit les
règles du mariage sont particulièrement complexes et comportent
différentes étapes aux domiciles des deux familles. D'abord, chez
la jeune fille, sont engagées les négociations par des
intermédiaires représentant les deux familles, avec en
particulier la fixation du « prix de la fiancée »,
suivies du repas de noces. Puis chez le jeune homme se déroule un second
repas. L'ensemble de cette cérémonie, qui met en jeu une
multitude d'acteurs, est très long et peut pendre parfois plusieurs
semaines, voire des mois.
Dans le contexte français, ces règles ont
dû être adaptées à certaines exigences, en
particulier professionnelles. Les mariages se déroulent exclusivement le
week-end, ce qui permet aux participants venant parfois de loin de festoyer et
de reprendre ensuite la route. Nous avons pu assister à un mariage au
sein de la communauté de Montreuil-Bellay et c'est sur cet exemple que
nous nous appuierons pour étudier les fonctions attribuées aux
lieux où s'est déroulée cette fête, le 12 mai
2007.
v Les lieux de la fête
Le mariage entre Faty TCHA - fils de Ka-Gé TCHA et de
sa première épouse - et une jeune fille française a fait
comme tout mariage l'objet d'une intense préparation dans les jours qui
précédaient pour organiser le dîner qui serait offert aux
200 invités, dans une salle réservée à Epieds,
petite commune à une dizaine de kilomètres de Montreuil-Bellay.
Contrairement au mariage traditionnel décrit précédemment,
la fête va comporter deux temps forts : un temps dominé par
le rituel et un temps festif que les Hmong ont emprunté aux Laotiens et
aux Français.
Le rituel se déroule au domicile des parents du
marié, un pavillon « Gémeaux » rue du
Général de Gaulle, en présence des membres de la
communauté hmong locale, des parents et « cousins »
venus pour la circonstance, et des parents de la mariée. Il comporte
trois séquences qui s'enchaînent de 10h à 14h et au cours
desquelles nourriture et boisson jouent un rôle important. Seule la
troisième séquence se fait en présence des mariés.
Le rituel est l'affaire exclusive des hommes, les femmes étant
occupées à la préparation du repas dans la cuisine, le
couloir donnant sur la cour et la cour elle-même. Les deux
premières séquences font partie du rituel de la religion animiste
face à l'autel dans la salle de séjour et sur le seuil de la
maison, deux lieux symboliques dans l'espace domestique. Dans un premier temps
il s'agit de se concilier les bons génies qui sont appelés face
à l'autel où brûlent des bâtonnets d'encens et au
pied duquel reposent en guise d'offrande deux poulets bouillis et du riz. Ils
sont ensuite appelés et « nourris » sur le seuil de
la maison, puis les volailles sont observées par les anciens : les
pattes sont comparées, les becs sont examinés attentivement afin
d'y déceler le moindre défaut. Le terme auspices
retrouve ici tout son sens... Le second temps est celui de l'appel aux
ancêtres et se déroule là encore face à l'autel.
C'est une longue cérémonie menée exclusivement par le
père de famille qui va, pour chaque personne invoquée,
préparer des cuillères de riz mêlé de viande de
poulet et arrosé d'alcool. Les ancêtres appelés doivent
venir depuis le lieu où ils sont inhumés jusqu'au domicile
où se déroule la cérémonie, long voyage dans le
temps et l'espace. Leur présence est obligatoire pour le bonheur et la
prospérité des futurs mariés. L'ensemble de ce rituel se
déroule dans l'agitation d'une maison en plein préparatifs. Seul,
Ka-Gé TCHA s'approprie deux espaces pendant que les autres, les femmes
aidées des enfants, investissent cuisine et cour pour les
préparations culinaires. Le partage sexué de l'espace domestique
est encore très lisible, mais il s'accompagne par ailleurs d'une
symbolique différente.
Les photos qui suivent illustrent cette partition de l'espace
domestique à l'occasion du mariage et les différents rapports aux
lieux en présence à ce moment-là : d'un
côté un espace féminin matériel, de l'autre l'espace
masculin symbolique.
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Photo n°15 :
Cuisine extérieure
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Photo n°16 :
Cuisine intérieure
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Photo n°17 :
L'invocation des ancêtres
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Photo n°18 : Les
bons auspices
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La troisième séquence a lieu dans la salle de
séjour - lieu public ouvert - et est exclusivement
réservée aux hommes, très nombreux, assis autour d'une
table qui traverse toute la pièce. Elle se fait en présence des
mariés qui ont revêtu les costumes traditionnels (photo
n°14). C'est ce que, dans la tradition hmong, on appelle les
« négociations », qui s'accompagnent de
déclamations, de chants et de libations de saké :
« Il ne s'agit plus simplement d'hommes buvant de l'alcool, mais
d'individus accomplissant un rite social, selon une étiquette, reflet du
rite religieux imbriqué dans la cérémonie pour ne former
qu'un tout avec celui-ci » (CONDOMINAS,1965 : 224). Le
marié et son témoin se prosternent successivement devant chaque
homme qui formule alors des voeux de bonheur. La mariée et son
témoin assistent debout, imperturbables, à ces « tours
de saké ».
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Photo n°19 :
Remerciements du marié
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Photo n°20 :
Formulation des voeux de bonheur
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Après ce première temps dominé par le
rituel, le mariage va changer de lieu et prendre une autre signification. Pour
l'accueil des invités la salle des fêtes a été
réservée et c'est à partir de 18 heures que commence la
soirée. La salle a été décorée de treillis
de bambous où on a suspendu des lampions et des ombrelles en papier. Une
immense table au centre sert de buffet : amoncellement de nems, de
salades, de poulets grillés, de porc au caramel... (photo n°21). De
chaque côté les tables pour les convives, au fond sur la
scène des musiciens et un matériel de sonorisation... A
l'extérieur, pendant que se font les derniers préparatifs, c'est
la séance de photos. On est très loin des
cérémonies de la matinée et du rituel conservé de
la tradition hmong. Maintenant, c'est un mariage relativement banal, avec
cependant la touche d'exotisme que l'on a voulu donner par la
décoration, le menu et la musique, « cet
élément de différence qui constitue justement un des
traits essentiels de l'exotisme » (CONDOMINAS, 1965 :
222).
La fête peut alors se résumer en trois
séquences : l'accueil des participants par les familles des
mariés, le repas avec la présentation des mariés et des
parents aux invités et la formulation des voeux de bonheur, et le bal
avec des danses laotiennes et modernes. On a à la fois une tradition
respectée - celle du repas - et la juxtaposition additionnelle
d'éléments empruntés - les danses laotiennes. Il y a donc
une modification du contenu de l'identité ethnique avec
l'intégration d'autres éléments culturels. Ainsi les Hmong
ont emprunté les danses laotiennes comme le lamvong pour
« montrer aux Français la culture hmong »
lors des fêtes de rassemblement de la société en exil.
Désormais aucun mariage hmong ne peut se dispenser de cette danse et
cette tradition « inventée » repose sur
« un processus de formalisation et de ritualisation
caractérisé par la référence au passé, ne
serait-ce que par le biais d'une répétition
imposée » (HOBSBAWM, 2006 : 15).
Photo n°21 :
Tradition et exotisme
Si fêter son mariage « en salle »
est perçu comme valorisant, on constate que le cadre matériel et
symbolique se complexifie, il y a enrichissement des apparats et modification
des mises en scène de la gestuelle du corps. Il est donc plus juste de
« parler de reproduction partielle de traits culturels que de
reproduction d'une tradition » (BILLION, 1988 : 350).
Toutefois, toute tradition fait appel à un univers symbolique que nous
allons maintenant explorer.
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